"[...] La formulation de la question de corpus a laissé les correcteurs perplexes : » Les personnages de ces romans sont-ils touchés de la même manière par l’univers fictif qu’ils découvrent ? « Il s’agissait de la lanterne magique dans la chambre du jeune narrateur de Du Côté de Chez Swann de Marcel Proust, et d’une séance de cinéma vécue par Suzanne dans Barrage contre le Pacifique de Duras et par le jeune Jacques Cormery dans Le Premier Homme d’Albert Camus.
Une agrégation et un doctorat en poche, après 15 ans d’enseignement
dans le supérieur et le secondaire, je reste muet devant cette question,
et ne vois pas comment y apporter une réponse intelligente et
construite, autre chose qu’un simple relevé des émotions – d’ailleurs
vagues – ressenties par les personnages et évoquées dans les textes.
Cela n’a en soi aucun intérêt et n’est qu’une façon de faire perdre du
temps aux candidats, à qui l’on pourrait par bien d’autres moyens
demander de prouver leurs compétences réflexives et leur culture.
Ce simple relevé des émotions est toutefois la seule chose qui soit,
selon le corrigé national, « à la portée des candidats ». Il propose
cependant de valoriser ceux qui auront vu qu’ « on oscille à des degrés
variables entre immersion dans l’illusion romanesque et distance voire
dérision à l’égard de son aspect attendu et convenu. Le jeune narrateur
du roman de Proust est sensible au caractère sombre du personnage de
Golo (…) mais c’est sans doute sa propre tristesse qu’il projette sur le
chevalier et il continue de percevoir parfaitement la machinerie qui
préside à la représentation. Il voit bien la robe du cheval se bomber
des plis du rideau. Il joue enfin de cette frontière poreuse entre le
réel et la fiction en feignant de croire que le personnage médiéval
interprète sagement son propre rôle. »
Autant dire que je n’ai rien trouvé de
tel dans mes copies – loin s’en faut ! – pourtant de série générale
(ES). Pourquoi poser une telle question si le seul élément de réponse un
tant soit peu intéressant n’est pas « à la portée des candidats » ?
Pour le commentaire composé, le texte proposé est un extrait de Barrage contre le Pacifique
de Marguerite Duras. Le corpus dans son ensemble est composé de textes
du XXème siècle, ce qui ne correspond pas à l’esprit de l’épreuve qui
devrait permettre aux élèves d’utiliser les connaissances culturelles
acquises au cours de leur scolarité. Face à des textes récents, les
élèves sont généralement déstabilisés, comme ce fut le cas en 2015 avec
le texte de Laurent Gaudé (né en 1972), et ne peuvent guère monnayer
leur travail d’enrichissement culturel. Le choix même de Marguerite
Duras, dont les œuvres sont assez controversées sur le plan littéraire,
est une difficulté supplémentaire, l’extrait choisi étant assez délicat à
commenter. Il suffit de lire le corrigé officiel fourni aux correcteurs
par le Ministère pour voir à quel point le texte a glissé entre les
doigts des commentateurs et leur a demandé de belles contorsions pour
monter quelque chose d’un peu intéressant. Autant dire que peu nombreux
sont les élèves qui ont réussi à composer un commentaire digne de ce nom
sur un texte ne comportant aucune dimension morale, politique ni
philosophique, et dont les enjeux esthétiques sont difficiles à cerner
et à dégager.
Proposer cela à des élèves de Première, c’est les mettre sciemment en difficulté.
Les moyennes n’en révèleront rien,
certainement, car elles seront relevées pour maintenir la paix des
familles et ne pas affoler APB : cela ne remplira pas le vide sidéral
des copies.
Dans le corrigé national, les
correcteurs s’écoutent écrire avec une auto-satisfaction narcissique qui
frôle le ridicule, tant ce qu’ils proposent est loin de l’univers d’un
élève de première, même honnête. Ils attendaient que les élèves trouvent
ce genre de choses : « Après la déclaration réciproque énoncée avec
fluidité et plusieurs contretemps rendus sensibles par la longueur de
la phrase, c’est l’épiphanie du bonheur comme le révèlent les métaphores
du « ciel de l’attente » et de la « foudre du baiser ». Les hyperboles
finales achèvent ce basculement en apothéose. (…) Les hommes-quilles
nous plongent dans une fantasmagorie surréaliste chorégraphiée. (…)
L’expression triviale ‘ces choses-là’, faussement pudique, contraste
avec le style héroï-comique du ‘tel orage’. (…) L’artifice est perçu,
certes, mais appréhendé avec délectation. Les spectateurs recherchent
une expérience profonde et authentique dans ce rapport à la fiction qui
s’affirme comme fiction. Expérience fortuite et non contingente,
choisie, libératrice et purificatrice. »
Sans rire ! Avec un tel corrigé-modèle,
il faut nous autoriser à utiliser une notation négative, allant de – 40 à
– 10, car il y a autant de lien entre les copies des élèves et ce genre
de texte qu’entre un macaron Ladurée et un Big-Mac de contrefaçon…
Venons-en à l’épreuve de prédilection
des élèves en difficulté : l’écriture d’invention. Refuge de ceux
auxquels le commentaire et la dissertation ont résisté, l’écriture
d’invention prend généralement la forme d’une argumentation soumise à
certaines contraintes d’écriture. Le travail est intéressant en soi,
même s’il est finalement difficile à évaluer, et ressemble à ce que l’on
proposait aux élèves du XIXème siècle lorsqu’on leur demandait de faire
dialoguer Achille et Hector aux enfers. En moins ambitieux, bien sûr,
mais cela peut permettre à certains élèves de révéler quelques qualités,
tant sur le plan de la recherche d’idées et de l’argumentation, que par
leur style.
Le sujet 2017 ? Digne d’une rédaction de 4ème pondue à la va-vite pour occuper une classe sur une heure de permanence : « Vous
imaginerez le récit que pourrait faire un spectateur / une spectatrice
d’une séance de cinéma qui l’aurait particulièrement marqué(e). Votre
texte, d’une cinquantaine de lignes, comportera les références au film,
la description des émotions ressenties et des réflexions diverses
suscitées par la représentation ». Cela fait froid dans le dos. Comment replacer Rabelais, Montesquieu ou Pascal avec un tel sujet ?
Et l’on sait bien qu’un élève normal de 17 ans va plus
vraisemblablement voir le dernier Fast and Furious au cinéma que le
dernier Woody Allen. Je vous laisse donc imaginer le niveau de ces
travaux, qui nous racontent – heureusement de manière fort brève, vu
qu’on leur demandait 50 lignes, ce qui est plus court que la rédaction
du brevet des collèges – la dernière séance de Gravity, Batman vs
Superman ou des Tuche… car « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept
ans » … et surtout on manque souvent cruellement de discernement.
Je vous livre un extrait d’une copie,
pour que soit perçu justement ce décalage entre le réel et la fiction
sur lequel les candidats étaient censés réfléchir mais que le Ministère
semble nier en ce qui concerne le niveau des élèves. Je vous laisse
déceler l’habileté de ce candidat, qui joue sur la mauvaise conscience
de son correcteur, et qui fait passer, avec une belle insistance, un
message assez culpabilisant. C’est un(e) candidat(e) de filière générale
économique et sociale (bac ES), donc un élève qui pourra l’an prochain
postuler pour entrer à Sciences Po ou en classe préparatoire pour une
école de commerce, ou encore en faculté de droit. Je respecte
l’orthographe (le film évoqué dans la copie n’est jamais identifié
précisément ; il semble qu’il s’agisse d’un documentaire sur la Seconde
Guerre Mondiale et les camps de concentration, vu avec un professeur
d’histoire) : « Il me fait pleurer… oh ! vous aussi répondit-il. Que
pensez-vous du film ? Très bon film, et vous ? C’est un film très
émouvant, avec ces élèves pas si nul qu’on pouvait penser.
Oui, c’est pas si facile pour cette
professeur d’histoire, elle en voit de toutes les couleurs… mais très
belle initiative de sa part pour se projet, ça m’a touché, dit-elle. Elle croit en ces élèves, même si ce n’est pas la classe avec d’excellente note, surtout elle n’a pas des élèves faciles. C’est
une très belle initiative, travailler sur les camps de consentration
avec une classe qui ne s’interèse pas à la moindre idée que dit le
profeseur, ça parait impossible à vrai dire. C’est un triste sujet mais
qui reflète la réalité, lorsqu’elle la annoncé, ils se sont tout tais,
répond elle. (…) C’est sur c’est une belle preuve qu’elle leur à fait, dit-il. Plusieurs
professeurs peuvent faire cela, les élèves ressortent toujours grandits
d’une telle expérience peut importe leur niveau. Ca peut leur
être que bénéfique dit-il. Ca me touche toujours de voir des professeurs
croirent en leur élèves malgrés leur difficultés, rajoute-t-il.
Lorsqu’on à vue qu’ils avaient remportés le concours, auquelle elle les
avaits inscrits, ils étaient les plus heureux, alors qu’ils n’y croyait
pas ! dit-elle »."