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mercredi 18 mars 2009

Le choc ? C’est du toc !

Alain Rebours



Le choc ? C’est du toc !
Le 24 décembre mourait Samuel Huntington, politologue américain rendu célèbre suite à la parution de son livre intitulé le choc des civilisations.

Une formule euphémistique serait d’écrire que cet ouvrage n’a pas laissé indifférents les hommes intéressés par la géopolitique tant aux Etats Unis que dans le monde. Le livre, dont le titre originel est the clash of civilisations, avant de devenir par simplification une lecture d’affrontements inéluctables à venir, est une partition de la carte du monde en fonction de terroirs religieux qui lient les pays en des civilisations homogènes. Paradoxalement, alors que l’on s’accorde sur l’existence d’un monde unipolaire dominé par les Etats Unis, cette découpe entretient l’illusion de blocs homogènes dont certains doivent inévitablement s’affronter.

Afin d’éviter le colportage d’erreurs suite à la lecture d’articles par trop vite lus ou d’analyses volontairement ou non erronées, il est toujours préférable de s’en retourner à la source et de prendre le temps de lire plusieurs fois l’ouvrage. Voilà qui fut fait depuis longtemps tant ce concept de choc était primordial afin de comprendre une thématique chère aux écrivants ou polémistes de tous poils.

Evidemment le thème du choc (clash) est à l’image de toute l’imagerie hollywoodienne, toujours prompte à fasciner les spectateurs par l’intermédiaire d’effets de grossissement. Le même scénario n’avait-il pas été déjà développé par Ronald Reagan évoquant de façon eschatologique la lutte à mort entre les empires du bien et du mal dont nous n’avons jamais vu la couleur ? Avec ici une variante de taille : si les pays du pacte de Varsovie étaient tous communistes et d’une force similaire voire supérieure à ceux regroupés dans l’Otan, les Etats Unis n’ont plus aujourd’hui d’adversaire homogène et les quelques pays qui résistent au nouvel ordre mondial ont une puissance qui apparaît bien secondaire.

Postuler comme le fait l’auteur que l’Europe constitue un bloc catholique est à l’évidence risible. Cela fait déjà plusieurs décennies que même au sein du pays habituellement qualifié de fille aînée de l’Eglise, l’institution religieuse ne rythme plus la vie des Français. Y compris aux sein de la communauté des fidèles pratiquants réguliers où l’observance des exigences du carême n’est plus. En revanche, l’utilisation des moyens de contraception chez ces Catholiques est presque la règle malgré les interdictions répétées de l’Eglise. Quant à la confession, signe du rapport privilégié au prêtre et ainsi facteur de distinction du protestantisme, elle n’existe plus qu’à l’état résiduel. Il ne s’agit ici que de signes de pratiques religieuses auxquels on ne peut limiter l’influence du catholicisme dans la mesure où, à une certaine époque, les us et coutumes au sein du monde profane adoptés, y compris par certains anticléricaux, étaient d’inspiration religieuse. Aujourd’hui, il ne viendra pas à l’esprit d’un catholique standard de ne pas jouer à un jeu d’argent tel qu’on nous les propose à satiété ou à un agnostique de se culpabiliser d’avoir gagné. Il va de soi que la majeure partie des Français, Catholiques compris, trouvera et à tort, plus choquant de consulter une revue érotique plutôt que de lire un horoscope. Non catholiques, on ne tient plus compte des positions de l’Eglise ; Catholiques, on fait celui qui n’a pas entendu. Ce qui est vrai de la France l’est aussi des autres pays européens traditionnellement considérés comme catholiques et qui le sont de moins en moins.

Puisque grâce à Huntington, j’ai appris que l’Europe était catholique, j’en ai déduit que l’Allemagne l’était aussi. Et l’Angleterre. Et les Pays Bas. Et toute la scandinavie. Et tous les autres … Je sais que l’américain moyen a du mal à placer la France sur une carte du monde mais je m’attendais à un peu plus de perspicacité de la part d’un politologue.

Plus grave – si c’est possible – il n’y a donc aucune histoire spécifique, aucune géolocalisation, aucune économie particulière pour chacun des pays considérés.

Pourquoi les pays du nord de l’Europe ont-ils fait grise mine suite à l’annonce du projet euroméditerranéen lancé par le président français ? Pourquoi ceux du sud ont-ils apprécié ? N’est ce pas tout simplement parce que la géographie compte et que l’Allemagne, pour prendre un exemple, n’a nullement intérêt à voir le centre de gravité se déplacer vers le sud ?

Pourquoi l’Allemagne a t’elle des rapports si particuliers avec la Turquie ? Pourquoi la France avec les pays du Maghreb ? Ne s’agit-il pas d’histoire et non de religion ? Et cela d’autant plus que ces rapports privilégiés s’effectuent avec des pays d’un autre bloc.

Ce qui est vrai de l’Europe l’est tout autant pour les autres civilisations qu’Huntington veut rendre homogène au nom de la religion.

Le terroir musulman ? L’Arabie Saoudite est géopolitiquement côté américain. L’Iran est dans l’opposition. Lors de l’invasion de l’Irak, la Syrie était côté américain alors que selon Huntington elle aurait du être dans l’adversité. Qui méconnait les détestables relations entre Algérie et Maroc ? Qu’attend la musulmane Egypte pour affronter la juive Israël afin d’instaurer une musulmane Palestine ? Les Irakiens musulmans s’étripent tout comme l’ont fait entre eux si longtemps les catholiques Européens. Comment ignorer qu’il existe malgré les déclarations tonitruantes de part et d’autres une convergence d’intérêt entre Israël et Iran, ne serait-ce qu’au nom de l’opposition aux arabes ? Evidemment c’est un constat que l’on ne trouvera pas sur tous les sites en raison de la mise à mort du simplisme que cela implique.

Est-il besoin d’aller plus loin et d’étudier tous les terroirs religieux originels représentant autant de civilisations selon Huntington ? La coupe me semble d’ores et déjà assez pleine et il ne reste plus beaucoup de crédit au génial penseur auquel les stratèges américains ne doivent nullement croire. Eux qui savent très bien instrumentaliser les autochtones au sein de toutes les civilisations et dans toutes les religions. Et leurs adversaires aussi … quelquefois. L’objectif des américains étaient que les Européens croient au choc. C’est gagné.

Un Etat est un organisme vivant qui fuit ce qui peut l’atteindre et se rapproche de ce qui peut le valoriser. Sachant que l’histoire évolue, chaque pays est susceptible de modifier ses alliances et de poignarder dès le lendemain l’ancien ami d’hier. Si la religion peut faciliter les rapprochements, elle ne constitue ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante. L’histoire européenne est riche d’amitiés ou d’inimitiés contre nature tout comme l’histoire musulmane. Ce que l’on a appelé civilisation musulmane, tout comme pour son homologue catholique, ne s’est elle pas considérablement affaiblie avec la naissance des états, fussent-ils embryonnaires ?

Le choc c'est du toc !