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mardi 24 mars 2009

De l'Euramérique



Alain Rebours

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De l'Euramérique S’il est une notion qui me fait actuellement sourire, c’est bien celle d’euraméricanisme. Celle ci postule que les deux peules, Européens et Américains, sont en fait le même peuple mais présent sur deux continents et dont les destins sont inexorablement liés. C’est le mythe à destination des enfants qui présente un la Fayette volant au secours de Washington et des forteresses volantes lâchant des bonbons.

Il est d’abord un fait qui se doit d’être rappelé à savoir que les Européens eux mêmes ne forment pas un tout homogène ne serait-ce qu’en raison des différences linguistiques. Mieux, au sein de chacun des pays, on peut constater des différences de mentalité comme c’est le cas par exemple entre wallons et flamands, que cela soit en France ou en Belgique. Il en est de même aux Etats Unis où d’une région à une autre, l’état d’esprit varie. Quand bien même l’écart entre l’Allemand et le Français est aujourd’hui moindre de ce qu’il fut de par le passé, on ne peut pas pour autant affirmer que cette uniformisation s’effectue au profit d’une européisation. Au contraire, c’est la mentalité ainsi que le mode de vie américains que partagent de plus en plus les peuples européens et ce peut être en partie suite à l’influence des différents supports médiatiques. En cela, l’idée d’une existence d’euroricains situés de part et d’autres de l’Atlantique postule la reconnaissance et l’approbation du primat des valeurs américaines sur les valeurs européennes . Plus l’acceptation du modèle américain croît et plus cette notion à priori étrange pour un Européen fidèle à ses origines prend du sens. En ce sens, l’euraméricanisme est déjà la négation des valeurs propres à l’Europe.

L’Américain standard ne peut être qu’individualiste en raison du passé de ses ancêtres établis là bas : parce que l’Etat faisait à l’origine défaut, parce que l’on pouvait s’installer où bon semblait, chacun adoptait sa propre ligne de conduite, donnait à son territoire la superficie qu’il souhaitait en défendant le point de vue qui était le sien propre. Il va de soi que la débrouillardise ne pouvait être que la règle, les autorités étant lointaines et sur le terrain absentes. On comprend mieux l’opposition forte des Américains, tant à l’augmentation de l’impôt qu’à une interdiction des armes. La première apparaît comme un vol et la seconde comme attentatoire à la liberté individuelle, quand bien même lorsque c’est un facteur de sécurité collective. Il n’y a donc pas de société américaine stricto sensu puisque la négation de l’aspect social s’impose. Seul compte l’individu qui passe des contrats et ainsi fait l’apologie de la pensée stirnérienne. Evidemment, l’intérêt est primordial, d’où la force de certaines formules à l’emporte pièce telles « the only god I know is dollar » ou « time is money ».

La France, quant à elle et par opposition, est une extension progressive de la région centre où l’Etat se développe progressivement et incorpore chacun des peuples appelés à la constituer. Cet Etat de France auquel la gouvernance d’aujourd’hui de l’Europe en veut tant est justement un frein aux aspirations individuelles et communautaires telles qu’elles existent justement aux Etats Unis. Le verrou national, ici présent sous la forme de l’influence de l’Etat, se doit être combattu par Bruxelles en valorisant tout ce qui peut l’amoindrir au sein même de l’hexagone.

L’idée d’intérêt, prépondérant à la base, se retrouve présente aussi dans les plus hautes sphères intellectuelles puisque la philosophie anglo-saxonne n’est autre que le refus de la métaphysique spéculative continentale.

La citation ci dessous, extraite des essais sur l’entendement humain, résume assez bien ce détestable esprit :

« Si nous prenons un volume de théologie ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous : contient-il un raisonnement abstrait concernant une quantité ou un nombre ? Non. Contient-il un raisonnement fondé sur l’expérience (…) ? Non. Livrez-le donc aux flammes, car il ne peut contenir que des sophismes et des illusions » David Hume

Ainsi donc, toute forme de pensée souveraine, toute démarche intellectuelle dont l’objectif est désintéressé se voit dès le départ prohibé. En cela, la philosophie analytique bien évidemment très prisée outre manche et outre atlantique privilégie l’intérêt pour la logique ou la sémantique, parce qu’elles sont utilisables. Qu’importe alors la critique qu’effectue justement Heidegger de la pensée calculante, la perception des essences préconisée par Husserl, ainsi que tous les travaux plaçant l’Homme au dessus sans doute au motif d’un monde ici bas, envisagé simplement sous son apparence phénoménale.

De même l’Europe, bien souvent, développe une pensée hiérarchique descendante où la base n’a qu’un rôle mineur alors que les Etats Unis se doivent d’obtenir l’approbation d’un peuple déjà là avant lui. Le peuple est aux Etats Unis souverain dans la mesure où il se suffit à lui même et se donne lui même pour objectif. Dans le cadre européen, le peuple se donne pour objectif d’accéder à l’élite. Il n’est pour s’en convaincre de regarder les émissions de télévision d’importation américaine mettant en scène des citoyens lambda devenus le centre d’intérêt du jour. Réciproquement, avant l’invasion, le héros central français était un personnage hors du commun, donc supérieur, auquel chacun se devait de ressembler (Thierry la fronde).

Ce qui est le plus souvent omis, c’est que les Américains, d’où qu’ils viennent – mis à part ceux parqués dans des réserves – sont des émigrés. En aucun cas, ceux ci ne se sont expatriés afin de planter un drapeau européen sur l’autre continent. Leur motivation n’était autre que l’intérêt personnel. La voie américaine était et reste encore la possibilité de commencer une nouvelle vie, comme à la légion, et d’obtenir des conditions de vie dont on ne disposait pas en Europe. Et encore, le parallèle avec la célèbre unité au fanion vert et rouge présente ses limites puisqu’à la légion on y rentre pour servir alors que l’exil américain est mu par la volonté de se servir. A nouveau, on retrouve le distinguo entre mentalité communautaire et mentalité européenne.

Dans de telles conditions, il est tout simplement aberrant de prétendre l’existence d’un rapport affectif entre les deux contrées. Si nous avons désormais en commun entre autres le melting pot – on ne va pas les remercier de l’apport – ainsi que d’autres fléaux anciens et nouveaux, c’est justement parce que nous avons accepté un mode de vie qui n’est pas le nôtre. En ce sens, et une fois encore, on y revient, l’euraméricanisme n’est autre que l’acceptation tacite par ceux qui en font l’apologie, de l’Europe d’aujourd’hui et de la France sarkozyste en particulier.