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lundi 4 juillet 2016

Comment Heine, Balzac et Tolstoï décrivirent Hitler


Le nationalisme moderne a puisé ses sources les plus magiques dans le romantisme et ses matins de magicien. L’appel à l’irrationnel est une donnée essentielle de ce mouvement. On se souvient de ces lignes emportées de Chateaubriand :
« La nuit, lorsque l’aquilon ébranlait ma chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu’à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie redoublait au fond de mon coeur, que j’aurais la puissance de créer des mondes. »
Tout le monde connaît les phrases de Henri Heine sur l’avenir allemand publiées vers 1840, et où le célèbre poète décrit l’exception allemande Je cite le chapitre VII sur les traditions nationales, ou Heine confesse avec effroi que l’Allemagne a encore un pied dans l’Urwelt, le monde d’avant :
Les souvenirs des antiques croyances germaniques ne sont pas encore entièrement éteints. Quand on y parcourt les vieux bois de chênes, on y entend encore des voix des anciens siècles, encore les paroles magiques dans lesquelles coule plus de vie que dans la littérature de la Marche… Je suis convaincu que cet homme, ce bûcheron, se battra encore pour le roi Wedekind, et malheur au crâne sur lequel s’abattra sa hache saxonne !
Puis Heine annonce la venue d’un homme messianique en Allemagne :
Quand il sentira de nouveau battre son coeur, le peuple ne pourra qu’entendre la voix de l’Homme. Quel est cet Homme ? C’est l’homme qu’attend le peuple allemand, l’homme qui lui rendra la vie et le bonheur, le bonheur et la vie après lesquels il a si longtemps aspiré dans ses songes.
A la même époque, un grand génie Français, Balzac, passionné d’ésotérisme, médite l’androgynie, le génie et la nordicité dans sa superbe nouvelle Seraphîta dédiée à sa chère madame Hanska. Balzac décrit avec sa plume visionnaire les grandioses paysages de Norvège, maintenant bourrés de monstres de croisière et de touristes :
Le Fiord est fermé dans le fond par un bloc de gneiss couronné de forêts, d’où tombe en cascades une rivière qui à la fonte des neiges devient un fleuve, forme une nappe d’une immense étendue, s’échappe avec fracas en vomissant de vieux sapins et d’antiques mélèzes, aperçus à peine dans la chute des eaux…
Le sublime du paysage ultra-romantique me frappe d’autant que Balzac fait allusion à une rivière torrentueuse nommée… la Sieg, et qui développe la bravoure chez le promeneur solitaire.
Les longues nappes de la Sieg, subitement glacées, décrivaient une énorme arcade sous laquelle les habitants auraient pu passer à l’abri des tourbillons, si quelques-uns d’entre eux eussent été assez hardis pour s’aventurer dans le pays.
Ce n’est évidemment pas tout. J’ai promis le don de prophétie. A la fin de la nouvelle, un jeune nordique nommé Wilfrid fait une déclaration amoureuse et militaire à son aimée ; et là, la guerre, le destin, l’Europe, l’orage (Blitzkrieg), tout annonce le führer allemand :
Sachez mon secret. J’ai parcouru tout le Nord, ce grand atelier où se forgent les races nouvelles qui se répandent sur la terre comme des nappes humaines chargées de rafraîchir les civilisations vieillies. Je voulais commencer mon oeuvre sur un de ces points, y conquérir l’empire que donnent la force et l’intelligence sur une peuplade, la former aux combats, entamer la guerre, la répandre comme un incendie, dévorer l’Europe en criant liberté à ceux-ci, pillage à ceux-là, gloire à l’un, plaisir à l’autre ; mais en demeurant, moi, comme la figure du Destin, implacable et cruel, en marchant comme l’orage qui s’assimile dans l’atmosphère toutes les particules dont se compose la foudre, en me repaissant d’hommes comme un fléau vorace.
Wilfrid souligne ensuite son rôle messianique et sanglant :
Ainsi j’aurais conquis l’Europe, elle se trouve à une époque où elle attend ce Messie nouveau qui doit ravager le monde pour en refaire les sociétés. L’Europe ne croira plus qu’à celui qui la broiera sous ses pieds.
Le dernier auteur que nous citerons est le grand auteur de Guerre et paix, qui déteste Wagner. Et dans son passionnant essai sur l’art (ch. XII), le Comte Tolstoï décrit le conditionnement et la programmation mentale qui viendront du nazisme. On commencera d’ailleurs par citer Hitler qui explique comment s’y prendre pour emporter l’adhésion des foules :
« Le soir, les hommes succombent plus facilement à la force dominatrice d’une volonté plus puissante. Car, en réalité, chaque réunion de ce genre est une lutte entre deux forces opposées. Le puissant talent oratoire d’une nature dominatrice d’apôtre réussira plus facilement à insuffler un nouveau vouloir à des hommes qui ont déjà subi, d’une façon naturelle, une diminution de leur pouvoir de résistance, plutôt que s’ils étaient encore en pleine possession de tous les ressorts de leur esprit et de leur volonté. Le même but est atteint par la pénombre artificielle et pourtant mystérieuse des églises catholiques, par les cierges allumés, l’encens, les encensoirs, etc. Dans cette lutte de l’orateur avec les adversaires qu’il veut convertir, il acquiert peu à peu une compréhension merveilleuse des conditions psychologiques de la propagande… »
Et voici comment Tolstoï décrit lui les effets hypnotiques de l’art de Wagner :
« Placez-vous seulement dans de telles conditions, et vous verrez tout ce vous voudrez voir, encore que vous puissiez arriver bien plus sûrement à ce résultat en vous enivrant de vin ou d’opium. Et la même chose se produit pour l’audition des opéras de Wagner. Replongez-vous quatre jours de suite dans l’obscurité, en compagnie de personnes d’un état d’esprit anormal, et, par l’entremise de vos nerfs auditifs, soumettez votre cerveau à l’action puissante des sons les mieux faits pour l’exciter : vous ne pourrez manquer de vous trouver dans des conditions anormales, au point que les pires absurdités vous feront plaisir. »
Tolstoï annonce les manipulations scéniques du nazisme qui feront de ce mouvement la « danse de saint-Guy du XXème siècle » (Rauschning). Et il certifie que les barrages cèderont et que les foules accourront, comme après le flûtiste d’Hamelin :
« J’ai observé, à Moscou, l’auditoire de Siegfried. Il y avait là des gens qui dirigeaient les autres et donnaient le ton : c’étaient des gens qui avaient déjà subi antérieurement l’action hypnotique de Wagner, et qui s’y laissaient aller de nouveau, en ayant pris l’habitude. Ces gens-là, se trouvant dans une condition d’esprit anormale, éprouvaient un ravissement parfait. »
Et il précise que le musique de Wagner et de successeurs est une « musique à programme ».
On laissera la conclusion à Woody Allen : « Wagner ? Chaque fois que j’entends sa musique, j’ai envie d’envahir la Pologne ! ».
Bibliographie :
  • Chateaubriand, René
  • Tolstoï, Qu’est-ce que l’art ?
  • Mein Kampf, tome II, chapitre 6
  • Rauschning, Hitler m’a dit.
  • Balzac, Seraphita
  • Henri Heine, De l’Allemagne, VII.
  • Woody Allen, scénario de Petits meurtres à Manhattan.
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    Augustin Courteille

    Source : Emprise