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samedi 23 décembre 2017

Le Hezbollah, maître du Liban et défenseur de la Syrie

Michel Lhomme Philosophe, politologue.

Peut-on vraiment parler de bourbier libanais ou n’y voit-on pas en réalité plus clair surtout depuis le départ de Saad Hariri ? Sur place, le mouvement islamiste chiite n’est-il pas en train de l’emporter après avoir placé au fil des années ses pions au sein du gouvernement libanais, développé ses propres milices, et pris le contrôle de nombreux quartiers au point de devenir un véritable État dans l’État ?

le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah

En annonçant sa démission début novembre, Saad Hariri avait invoqué la « mainmise du Hezbollah sur le pays » mais qu’avait-il fait pour l’en empêcher ? Serait-il capable d’aller jusqu’à pactiser avec Israël pour le contrer ? On l’en croit capable surtout à Paris. A l’origine, le Hezbollah est un mouvement chiite de résistance créé contre Israël en 1982 et basé au Liban pour sauver le Liban. Il s’agit aujourd’hui d’une composante incontournable du pays du cèdre parce que le Hezbollah en constitue la vraie résistance. Saad Hariri a beau jouer les pleureurs, la stabilité politique du Liban repose maintenant sur le Hezbollah et c’est même le pays tout entier qui l’a maintenant compris et penche totalement en sa faveur.
C’était déjà le Hezbollah qui avait fait élire le président Michel Aoun en 2016. Au gouvernement, le mouvement chiite bénéficie de deux ministères, mais avec ses alliés, il en contrôle les deux tiers. Aujourd’hui à Beyrouth, rien ne se fait, rien ne se décide sans lui qui contrôle totalement la banlieue sud de la capitale. Cette main mise totale sur le Liban s’est trouvée renforcé de fait par la victoire syrienne. C’est encore une fois le Hezbollah qui l’a remporté contre les groupes terroristes liés au front al-Nosra à l’est et au sud d’Arsal. C’est ensuite le Hezbollah qui s’est tourné vers les zones occupées par l’État Islamique. La victoire en Syrie n’est pas du tout celle de la coalition qui allait jusqu’à prévenir l’État islamique lorsqu’elle décidait pour faire bonne mesure de bombarder quelques bases mais c’est la victoire de la tactique au sol de la milice chiite soutenue par les frappes de l’aviation syrienne tandis que l’armée libanaise empêchait de son côté les infiltrations de terroristes à la frontière.
C’est donc l’ Iran qui a gagné en grande partie la victoire contre le terrorisme et pas du tout la coalition occidentale et c’est pour cela que le Hezbollah a gagné progressivement en puissance dans toute la région. La guerre n’échappe pas au triomphe du vainqueur et il est vrai que par la voix du Hezbollah, c’est aujourd’hui l’Iran qui contrôle le Liban parce que le mouvement s’est – et c’est l’un des seuls – en grande partie impliqué en Syrie  et parce que l’État libanais était  incapable de défendre la stabilité et la sécurité du pays. Seul le Hezbollah a été en mesure de protégerles quartiers chiites libanais.
Si le Hezbollah, la milice libanaise chiite est devenue l’acteur incontournable au Moyen-Orient, c’est que tous les autres y ont joué avec Daesh un rôle peu clair. Or, après les nouvelles sanctions de l’administration américaine, les mises en garde de hauts responsables israéliens, les accusations répétées du pouvoir saoudien, le mouvement chiite est maintenant pointé du doigt par le Premier ministre libanais Saad Hariri. La France voudrait-elle s’en prendre maintenant au Hezbollah ? Ne sait-elle pas que jamais,depuis sa création en 1982, pour lutter contre l’armée israélienne au Sud-Liban,la milice islamiste parrainée par la République islamique d’Iran, qui s’est muée au fil des ans en un mouvement politico-militaire unique au monde et inégalé en particulier dans sa formation, par son matériel de propagande mais aussi son arsenal n’a été aussi puissante et ce, de l’avis même de tous les experts en général ennemis de “la Résistance islamique au Liban” ? Le Hezbollah n’est d’ailleurs pas qu’une force militaire, c’est une force révolutionnaire et civique,une force populiste qui dispose de plusieurs centaines de conseillers militaires sur le territoire irakien, où ils se coordonnent avec les pasdarans iraniens et d’autres milices chiites locales, de même que le mouvement a dépêché des conseillers au Yémen, en appui aux rebelles Houthis.
Le hezbollah, une milice incontournable au Liban

Le Hezbollah libanais est certes alimenté financièrement par Téhéran mais il serait stupide de ne lui accorder aucune autonomie de décision. C’est justement parce que le Hezbollah est en partie autonome et qu’il domine en propre le terrain libanais qu’il n’est pas  une marionnette iranienne même si le Guide suprême  reste celui de la révolution iranienne, l’ayatollah Khomeiny, puis l’ayatollah Khamenei. De fait, l’allégeance du Hezbollah renvoie au walî [guide suprême iranien], et non au gouvernement iranien. C’est tout de même une nuance de poids ! Le Hezbollah a de fait un leader (et quel leader !) en la personne de Hassan Nasrallah, dont l’image charismatique est indissociable du parti. Notons enfin qu’à chaque fois que le Hezbollah s’est retrouvé engagé dans un conflit, il en est systématiquement sorti vainqueur et même plus fort qu’auparavant. De sources libanaises, le Hezbollah a les moyens de mobiliser plus de 100 000 combattants.
Si pour Paris,«la situation libanaise est le sujet le plus préoccupant du moment», comme l’a souligné le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, c’est qu’une fois de plus il va contraindre la France à se positionner or ne sous-estimons pas l’intelligence des dirigeants israéliens. Israël appuie discrètement les milices d’Al Qaïda opérant dans l’ouest de la Syrie dans la mesure où ces milices se battent en Syrie contre le Hezbollah. Ainsi plutôt que se lancer dans une vaste offensive coûteuse au Liban, est-il plus économique pour Israël d’offrir aux mercenaires de l’Arabie saoudite coincés dans l’ouest de la Syrie un sauf-conduit leur permettant de traverser le territoire israélien et d’attaquer le Hezbollah au Liban.
La tactique israélienne reste bien concentrée sur des frappes ciblées pour éviter  une escalade militaire avec l’Iran. D’ailleurs, le ministre israélien de la Défense avait minimisé  la présence militaire iranienne sur le sol syrien. Pour Avigdor Lieberman, «il est vrai qu’il y a un certain nombre d’experts et de conseillers iraniens, mais il n’y a pas de force militaire iranienne sur les terres syriennes». Pourquoi les Iraniens diraient-ils le contraire ? se demande le quotidien israélien El Haaretz. Le mutisme iraniens’est accompagné d’un silence côté russe, alors que Moscou a récemment indiqué que la présence iranienne en Syrie est «légitime». Reste donc à évaluer la position de la Russie: va-t-elle tracer de nouvelles lignes rouges à Israël pour défendre ses alliés ?

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