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vendredi 22 décembre 2017

Un Monde de mythes

Stephane Francois

Oeuvre de Caza.

En ces temps où l’on voit des mythes partout (le dernier étant celui du « mythe » Johnny Halliday) et que les mots perdent leur sens, Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent nous offrent un Dictionnaire critique de mythologie, pour un prix modique (39 euros). Cet ouvrage est impressionnant à plusieurs égards. Premièrement, il s’agit d’une somme de XIX + 1554 pages en papier bible, les pages étant divisées en deux colonnes ; deuxièmement, toutes les entrées ont été rédigées par les deux auteurs. L’ouvrage en comprend près de 1400 , concernant plus de 1300 peuples. Enfin, ces notices sont à jour sur le plan bibliographique… Cette somme représente un travail de plus d’une décennie, sans cesse réactualisé. Il s’agit d’un exploit lorsqu’on connaît la difficulté pour un chercheur de rester à jour. Les auteurs ont une brillante carrière scientifique : Jean-Loïc Le Quellec est anthropologue et un préhistorien, directeur de recherche à l’Institut des Mondes Africains du CNRS. Il travaille à la fois sur les peintures rupestres, en particulier du Sahara et sur la préhistoire des mythes ; Bernard Sergent est un historien, indo-européaniste et mythologue. Il préside depuis de longues années la Société de mythologie française. Avec cet ouvrage, nos auteurs sont donc en territoire connu.

Chaque entrée est accompagnée d’une riche bibliographie. L’ouvrage se décompose de la façon suivante : « Introduction » (pp. IX-XIV), « Conventions » (pp. XV-XVI), « Abréviations usuelles » (XVII-XVIII), « Remerciements » (p. XIX), « Notices alphabétiques » (1-1364), « Bibliographie » (pp. 1365-1540), qui ne regroupe que les ouvrages utilisés pour la rédaction des notices (une bibliographie plus qu’impressionnante d’ailleurs), « Liste des entrées par domaines » (pp. 1541-1554), qui présente différences polices : en gras, les auteurs ; en italique, les concepts, en romains les grands mythes, facilitant une recherche précise. La bibliographie générale est complétée par des références complémentaires, qui suivent les biographies des mythologues.

Contrairement aux autres dictionnaires de mythologies, nos auteurs nous offrent un livre novateur, sans égal dans le monde (en sens, ce livre est une première mondiale) : il existe de nombreux dictionnaires consacrés aux dieux et aux mythes d’un secteur géographique déterminé (Grèce, Rome, Égypte ancienne, monde celtique, Scandinavie, Chine, Inde, etc.) ; il existe également des encyclopédies de mythologies et d’histoire des religions, mais jamais ayant l’approche de celui-ci. Il s’agit d’un tableau d’ensemble de la science mythologique qui s’organise autour de trois axes : les mythes, les mythologues (avec des notices bio-bibliographiques) et les concepts.

L’« Introduction » est passionnante car elle présente et explique les motivations des auteurs. Surtout, elle présente l’état des lieux de la recherche mythologique aujourd’hui, en France, comme dans le reste du monde. Contrairement aux autres ouvrages sur les mythes, ce Dictionnaire n’a pas d’entrées « géographiques ou ethniques », comme l’écrivent les auteurs dans leur introduction. Il propose aussi de se pencher sur le folklore, les contes et les croyances, souvent méprisés. Cet ouvrage n’est donc pas un « dictionnaire de mythologie » ou des « mythologies ». Il n’a pas également d’entrées consacrées aux dieux et aux héros de la mythologie gréco-latine, ni à « leurs homologues égyptiens, aztèques, celtiques, germaniques ou babyloniens ». Par contre, il donne une large place aux thèmes mythiques, « choisis pour leur large répartition, qui recouvre en général plusieurs continents » : « déluge », « serpent », « origine de la mort », « naissance miraculeuse », « hommes volants », « circoncision », « résurrection », « sexe des arbres », « hermaphrodite », « chaudron inépuisable », « dragon », « corbeau », etc.

Par exemple, l’entrée « Androgyne » est présentée dans ses différentes époques et ses différentes aires de formulations (Mésopotamie anciennes, Iran, Grèce, Asie, Afrique, Océanie-Indonésie, Amérique, accompagnée, à chaque fois, d’une bibliographie). Cette approche comparatiste est à la fois passionnante pour le curieux et pour le scientifique. Surtout, elle offre une nouvelle vision de la mythologie, avec les entrées sur les concepts, associés aux mythes (temps, histoire, langue, toponymie, paysage…) ou élaborés par la recherche mythologique, tels que ceux de « héros », « coracomorphose », « âges du monde », « inversion », « fertilité», « adjuvant », « agresseur », « donateur », etc. À chaque fois, ces concepts sont accompagnés d’exemples, permettant leur compréhension.

Autre point fort de l’ouvrage (mais il y en a tant…) : les notices bio-bliographiques des « grands mythologues » qui ont participé à « la scientification, somme toute récente, de la mythologie » : Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss, Vladimir Propp, Stith Thompson, Antti Amatus Aarne, Algirdas Greimas, Carl von Sydow, Jean-Pierre Vernant, Germaine Dieterlen, Alexander Haggerty Krappe, Mircea Eliade, Marcel Griaule, Georges Devereux, et tant d’autres. Ces pionniers sont replacés dans leur contexte historique et scientifique. Ces entrées comprennent également une évaluation critique de ces auteurs. Ainsi, Eliade, dont les recherches sont marquées par l’ésotérisme antimoderne de René Guénon, est qualifié de « philosophe et romancier ». Les auteurs reviennent sur son mysticisme antichrétien et son militantisme politique au sein de la Garde de fer de l’extrémiste de droite Corneliu Codreanu. Chaque notice est suivie d’une bibliographie de l’auteur, sa bibliographie posthume et sa filmographie.

Si cet ouvrage est très érudit, et parfois ardu, il est compréhensible par le non-spécialiste, qui sera aidé par les nombreux renvois d’une note à l’autre. Il s’agit également d’un précieux outil de travail pour les étudiants et les chercheurs. Ce travail est une somme que tout amateur de mythes et de mythologies se doit d’avoir.

Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, Paris, CNRS Éditions, 2017, 1554 p.