Le poids des monopoles et la financiarisation croissante des entreprises expliquent les dysfonctionnements de l'économie mondiale et du commerce international.
Rappelez-vous. Au début des années 2000, le débat fait rage autour d'un éventuel démantèlement de Microsoft. En situation de monopole avec Windows, système d'exploitation des ordinateurs personnels, il est accusé de pratiques commerciales abusives. La justice américaine réfléchit à scinder l'entreprise en deux. Après une longue bataille judiciaire, Microsoft échappe à la scission .La concurrence en débat
Aujourd'hui, le débat resurgit avec l'apparition des géants du numérique Apple, Amazon, Google et Facebook
(Gafa). En avril dernier, à Washington, au siège du Fonds monétaire
international (FMI), Christine Lagarde, sa directrice générale, s'alarme
de leur taille et de leur pouvoir grandissant. Les Gafa risquent d'étouffer la concurrence et l'innovation essentielles à la croissance de la productivité et à la prospérité mondiales. « La
concurrence est nécessaire. S'il y a trop de concentration, trop de
pouvoir de marché entre les mains de trop peu, cela ne sert à rien à
moyen et à long terme, ni à l'économie, ni au bien-être des individus »,
clame-t-elle. A l'heure des interrogations autour de l'accroissement
des inégalités, de la montée des mouvements populistes, d'une croissance
économique mondiale qui ne profite pas à tous, d'un commerce
déséquilibré, économistes et politiques phosphorent sur les causes de
ces excès et dérives.
La question
concurrentielle ne s'applique pas aux seuls géants du numérique. Mais à
l'ensemble de l'organisation du système productif international des
entreprises.
Quand Donald Trump fustige la Chine
comme responsable des destructions d'emplois aux Etats-Unis, il révèle
l'un des symptômes d'un dysfonctionnement du commerce mondial et de la
mondialisation. Eriger des barrières protectionnistes par une hausse des
droits de douane pour rééquilibrer les échanges n'est pas la bonne
solution. Elle est ailleurs. Dans une réforme et non dans une
destruction d'un capitalisme souffrant de deux dérives.
Concentration du marché des exportations
Dans un rapport paru le 26 septembre, la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) souligne que « l'hyperglobalisation... est régie par de grandes entreprises qui ont acquis une position de plus en plus dominante sur le marché ». Dans le cercle des entreprises exportatrices, 1 % d'entre elles est responsable, en moyenne, de 57 % des exportations d'un pays donné selon les statistiques de 2014. Les 5 % des entreprises les plus tournées vers l'étranger monopolisent 80 % des exportations.
Ce qui est plus inquiétant, c'est que les
nouveaux entrants sur un marché donné - en général des petites PME
exportatrices - ont un taux de survie très faible. En moyenne, 73 % des
entreprises cessent leurs exportations au bout de deux ans. Une
disparition qui ne serait pas liée à une concurrence féroce sur les
marchés mais plutôt au syndrome du « winner takes the most » selon la
Cnuced. Bref à la position dominante de certains mastodontes.
La loi du plus fort
« Il se peut que l'intégration commerciale ait contribué au déclin de la part du travail dans la valeur ajoutée
en instaurant une dynamique qui voit le vainqueur se tailler la part du
lion (« winner takes most ») et en renforçant la concentration du
marché dans un certain nombre de secteurs, avec pour conséquence une
hausse de la part des bénéfices », avance pour sa part l'OCDE dans ses perspectives économiques
. Et de poursuivre : les réglementations favorables aux entreprises en
place, l'absence de politique rigoureuse en matière de concurrence et
une optimisation fiscale agressive peuvent conduire à un accroissement
des bénéfices des entreprises lorsque la concentration du marché
augmente. Un excès que dénonçait déjà en 1776 l'économiste Adam Smith
dans son ouvrage « De la richesse des Nations ». « Il faut toujours
s'opposer à la restriction de la concurrence car elle permet aux
marchands, par l'élévation de leurs profits au-dessus de ce qu'il serait
naturel, de prélever, à leur avantage, un impôt absurde sur le reste de
leurs concitoyens », alertait-il.
Financiarisation croissante
Les
deux organisations internationales mettent aussi toutes les deux en
exergue ce second biais du capitalisme : sa financiarisation croissante
et un tropisme en faveur de la valeur actionnariale des entreprises. « Les
entreprises transnationales ont renforcé leur capacité à opérer à
l'échelle mondiale par le biais de fusions et d'acquisitions renforçant
ainsi leur contrôle sur les concurrents potentiels. Le poids accru des
finances dans leurs opérations est allé de pair avec une stratégie
d'entreprise visant à maximiser la valeur pour les actionnaires », relève la Cnuced. L'exemple d'Apple est révélateur
. En 2013, la firme dispose d'une grosse réserve de cash (145 milliards
de dollars) dont une grande partie hors du territoire américain. Elle
préfère lever sur le marché obligataire 17 milliards de dollars pour financer une partie des 100 milliards de dollars de dividendes et de rachat d'actions promis à ses actionnaires. Le rapatriement d'une partie de ce cash l'aurait obligée en effet à s'acquitter de 35 % de taxes..
Trajectoire insoutenable
« La financiarisation des entreprises a déplacé le pouvoir
décisionnel en faveur des actionnaires. La gouvernance des entreprises
sous l'influence de la finance est le principe de la valeur
actionnariale », observe aussi Michel Aglietta dans une vaste étude
sur le thème « Transformer le régime de croissance » publiée début
octobre. Résultat de cette financiarisation : un affaiblissement de
l'accumulation nette du capital productif. Pour l'économiste, « le
capitalisme financiarisé a déployé un régime de croissance qui évolue
sur une trajectoire insoutenable face aux défis de ce siècle ». Et
ce régime de croissance pose des problèmes plus profonds : montée des
inégalités sociales, concentration de pouvoir et de richesse vers les
plus favorisés et multiplication des rivalités géopolitiques. Le débat
risque de durer et les leaders politiques vont se gratter longtemps la
tête sur les moyens de remédier à ces deux dérives.
Richard Hiault