La Tradition dans la pensée de Martin Heidegger et de Julius Evola
L’opposé de la tradition, dit l’historien Dominique Venner, n’est pas
la modernité, une notion illusoire, mais le nihilisme [1]. D’après
Nietzsche, qui développa le concept, le nihilisme vient avec la mort des
dieux et « la répudiation radicale de [toute] valeur, sens et
désirabilité » [2]. Un monde nihiliste –
comme le nôtre, dans lequel les valeurs les plus élevées ont été
dévaluées – est un monde incapable de canaliser les courants entropiques
de la vie dans un flux sensé, et c’est pourquoi les traditionalistes
associés à l’éternalisme guénonien, au traditionalisme radical, au
néo-paganisme, au conservatisme révolutionnaire, à l’anti-modernisme et à
l’ethno-nationalisme se rassemblent contre lui.
La tradition dont les vérités signifiantes et créatives sont
affirmées par ces traditionalistes contre l’assaut nihiliste de la
modernité n’est pas le concept anthropologique et sociologique dominant,
défini comme « un ensemble de pratiques sociales inculquant certaines
normes comportementales impliquant une continuité avec un passé réel ou
imaginaire ». Ce n’est pas non plus la « démocratie des morts » de G. K.
Chesterton, ni la « banque générale et le capital des nations et des
âges » d’Edmund Burke. Pour eux la tradition n’avait pas grand-chose à
voir avec le passé comme tel, des pratiques culturelles formalisées, ou
même le traditionalisme. Venner, par exemple, la compare à un motif
musical, un thème guidant, qui fournit une cohérence et une direction
aux divers mouvements de la vie.
Si la plupart des traditionalistes s’accordent à voir la tradition
comme orientant et transcendant à la fois l’existence collective d’un
peuple, représentant quelque chose d’immuable qui renaît perpétuellement
dans son expérience du temps, sur d’autres questions ils tendent à être
en désaccord. Comme cas d’école, les traditionalistes radicaux associés
à TYR s’opposent aux « principes abstraits mais absolus » que
l’école guénonienne associe à la « Tradition » et préfèrent privilégier
l’héritage européen [3]. Ici l’implication (en-dehors de ce qu’elle
implique pour la biopolitique) est qu’il n’existe pas de Tradition
Eternelle ou de Vérité Universelle, dont les vérités éternelles
s’appliqueraient partout et à tous les peuples – seulement des
traditions différentes, liées à des peuples différents dans des époques
et des régions culturelles différentes. Les traditions spécifiques de
ces histoires et cultures incarnent, comme telles, les significations
collectives qui définissent, situent et orientent un peuple, lui
permettant de triompher des défis incessant qui lui sont spécifiques.
Comme l’écrit M. Raphael Johnson, la tradition est « quelque chose de
similaire au concept d’ethnicité, c’est-à-dire un ensemble de normes et
de significations tacites qui se sont développées à partir de la lutte
pour la survie d’un peuple ». En-dehors du contexte spécifique de cette
lutte, il n’y a pas de tradition [4].
Mais si puissante qu’elle soit, cette position « culturaliste » prive
cependant les traditionalistes radicaux des élégants postulats
philosophiques et principes monistes étayant l’école guénonienne. Non
seulement leur projet de culture intégrale enracinée dans l’héritage
européen perd ainsi la cohésion intellectuelle des guénoniens, mais il
risque aussi de devenir un pot-pourri d’éléments disparates, manquant de
ces « vues » philosophiques éclairées qui pourraient ordonner et
éclairer la tradition dont ils se réclament. Cela ne veut pas dire que
la révolte de la tradition contre le monde moderne doive être menée
d’une manière philosophique, ou que la renaissance de la tradition
dépende d’une formulation philosophique spécifique. Rien d’aussi
utilitaire ou utopique n’est impliqué, car la philosophie ne crée jamais
– du moins jamais directement – « les mécanismes et les opportunités
qui amènent un état de choses historique » [5]. De telles « vues »
fournissent plutôt une ouverture au monde – dans ce cas, le monde perdu
de la tradition – montrant la voie vers ces perspectives que les
traditionalistes radicaux espèrent retrouver.
Je crois que la pensée de Martin Heidegger offre une telle vision.
Dans les pages qui suivent, nous défendrons une appropriation
traditionaliste de la pensée heideggérienne. Les guénoniens sont ici
pris comme un repoussoir vis-à-vis de Heidegger non seulement parce que
leur approche métaphysique s’oppose à l’approche historique européenne
associée à TYR, mais aussi parce que leur discours possède en
partie la rigueur et la profondeur de Heidegger. René Guénon représente
cependant un problème, car il fut un apostat musulman de la tradition
européenne, désirant « orientaliser » l’Occident. Cela fait de lui un
interlocuteur inapproprié pour les traditionalistes radicaux,
particulièrement en comparaison avec son compagnon traditionaliste
Julius Evola, qui fut l’un des grands champions contemporains de
l’héritage « aryen ». Parmi les éternalistes, c’est alors Evola plutôt
que Guénon qui offre le repoussoir le plus approprié à Heidegger [6].
Le Naturel et le Surnaturel
Etant donné les fondations métaphysiques des guénoniens, le
Traditionalisme d’Evola se concentrait non sur « l’alternance éphémère
des choses données aux sens », mais sur « l’ordre éternel des choses »
situé « au-dessus » d’elles. Pour lui Tradition signifie la « sagesse
éternelle, la philosophia perennis, la Vérité Primordiale »
inscrite dans ce domaine supra-humain, dont les principes éternels,
immuables et universels étaient connus, dit-on, des premiers hommes et
dont le patrimoine (bien que négligé) est aujourd’hui celui de toute
l’humanité [7].
La « méthode traditionaliste » d’Evola vise ainsi à recouvrer l’unité
perdue dans la multiplicité des choses du monde. De ce fait il se
préoccupe moins de la réalité empirique, historique ou existentielle
(comprise comme un reflet déformé de quelque chose de supérieur) que de
l’esprit – tel qu’on le trouve, par exemple, dans le symbole, le mythe
et le rituel. Le monde humain, par contre, ne possède qu’un ordre
d’importance secondaire pour lui. Comme Platon, il voit son domaine
visible comme un reflet imparfait d’un domaine invisible supérieur.
« Rien n’existe ici-bas », écrit-il, « …qui ne s’enracine pas dans une
réalité plus profonde, numineuse. Toute cause visible n’est
qu’apparente » [8]. Il refuse ainsi toutes les explications historiques
ou naturalistes concernant le monde contingent de l’homme.
Voyant la Tradition comme une « présence » transmettant les vérités
transcendantes obscurcies par le tourbillon éphémère des apparences
terrestres, Evola identifie l’Etre à ses vérités immuables. Dans cette
conception, l’Etre est à la fois en-dehors et au-delà du cours de
l’histoire (c’est-à-dire qu’il est supra-historique), alors que le monde
humain du Devenir est associé à un flux toujours changeant et
finalement insensé de vie terrestre de sensations. La « valeur suprême
et les principes fondateurs de toute institution saine et normale sont
par conséquent invariables, étant basés sur l’Etre » [9]. C’est de ce
principe que vient la doctrine évolienne des « deux natures » (la
naturelle et la surnaturelle), qui désigne un ordre physique associé au
monde du Devenir connu de l’homme et un autre ordre qui décrit le
royaume métaphysique inconditionné de l’Etre connu des dieux.
Les civilisations traditionnelles, affirme Evola, reflétaient les
principes transcendants transmis dans la Tradition, alors que le royaume
« anormal et régressif » de l’homme moderne n’est qu’un vestige
décadent de son ordre céleste. Le monde temporel et historique du
Devenir, pour cette raison, est relégué à un ordre d’importance
inférieur, alors que l’unité éternelle de l’Etre est privilégiée. Comme
son « autre maître » Joseph de Maistre, Evola voit la Tradition comme
antérieure à l’histoire, non conditionnée par le temps ou les
circonstances, et donc sans lien avec les origines humaines » [10]. La
primauté qu’il attribue au domaine métaphysique est en effet ce qui le
conduit à affirmer que sans la loi éternelle de l’Etre transmise dans la
Tradition, « toute autorité est frauduleuse, toute loi est injuste et
barbare, toute institution est vaine et éphémère » [11].
La Tradition comme Überlieferung
Heidegger suit la voie opposée. Eduqué pour une vocation dans
l’Eglise catholique et fidèle aux coutumes enracinées et provinciales de
sa Souabe natale, lui aussi s’orienta vers « l’ancienne transcendance
et non la mondanité moderne ». Mais son anti-modernisme s’opposait à la
tradition de la pensée métaphysique occidentale et, par implication, à
la philosophie guénonienne de la Tradition (qu’il ne connaissait
apparemment pas).
La métaphysique est cette branche de la philosophie qui traite des
questions ontologiques majeures, la plus fondamentale étant la
question : Qu’est-ce que l’Etre ? Commençant avec Aristote, la
métaphysique tendit néanmoins à s’orienter vers la facette non-physique
et non-terrestre de l’Etre, tentant de saisir la transcendance de
différents êtres comme l’esprit, la force, ou l’essence [12]. En
recourant à des catégories aussi généralisées, cette tendance postule un
royaume transcendant de formes permanentes et de vérités
inconditionnées qui comprennent l’Etre d’une manière qui, d’après
Heidegger, limite la compréhension humaine de sa vérité, empêchant la
manifestation d’une présence à la fois cachée, ouverte et fuyante. Dans
une formulation opaque mais cependant révélatrice, Heidegger écrit :
« Quand la vérité [devient une incontestable] certitude, alors tout ce
qui est vraiment réel doit se présenter comme réel pour l’être réel
qu’il est [supposément] » – c’est-à-dire que quand la métaphysique
postule ses vérités, pour elle la vérité doit se présenter non seulement
d’une manière autoréférentielle, mais aussi d’une manière qui se
conforme à une idée préconçue d’elle-même » [13]. Ici la différence
entre la vérité métaphysique, comme proposition, et l’idée
heideggérienne d’une manifestation en cours est quelque peu analogue à
celle différenciant les prétentions de vérité du Dieu chrétien de celles
des dieux grecs, les premières présupposant l’objectivité totale d’une
vérité universelle éternelle et inconditionnée préconçue dans l’esprit
de Dieu, et les secondes acceptant que la « dissimulation » est aussi
inhérente à la nature polymorphe de la vérité que l’est la manifestation
[14].
Etant donné son affirmation a-historique de vérités immuables
installées dans la raison pure, Heidegger affirme que l’élan préfigurant
et décontextualisant de la métaphysique aliène les êtres de l’Etre, les
figeant dans leurs représentations momentanées et les empêchant donc de
se déployer en accord avec les possibilités offertes par leur monde
spécifique. L’oubli de l’être culmine dans la civilisation technologique
moderne, où l’être est défini simplement comme une chose disponible
pour l’investigation scientifique, la manipulation technologique et la
consommation humaine. La tradition métaphysique a obscurci l’Etre en le
définissant en termes essentiellement anthropocentriques et
même subjectivistes.
Mais en plus de rejeter les postulats inconditionnés de la
métaphysique [15], Heidegger associe le mot « tradition » – ou du moins
sa forme latinisée (die Tradition) – à l’héritage philosophique occidental et son oubli croissant de l’être. De même, il utilise l’adjectif « traditionell »
péjorativement, l’associant à l’élan généralisant de la métaphysique et
aux conventions quotidiennes insouciantes contribuant à l’oubli de
l’Etre.
Mais après avoir noté cette particularité sémantique et son intention
antimétaphysique, nous devons souligner que Heidegger n’était pas un
ennemi de la tradition, car sa philosophie privilégie ces
« manifestations de l’être » originelles dans lesquelles naissent les
grandes vérités traditionnelles. Comme telle, la tradition pour lui
n’est pas un ensemble de postulats désincarnés, pas quelque chose
d’hérité passivement, mais une facette de l’Etre qui ouvre l’homme à un
futur lui appartenant en propre. Dans cet esprit, il associe l’Überlieferung (signifiant aussi tradition) à la transmission de ces principes transcendants inspirant tout « grand commencement ».
La Tradition dans ce sens primordial permet à l’homme, pense-t-il,
« de revenir à lui-même », de découvrir ses possibilités historiquement
situées et uniques, et de se réaliser dans la plénitude de son essence
et de sa vérité. En tant qu’héritage de destination, l’Überlieferung de Heidegger est le contraire de l’idéal décontextualisé des Traditionalistes. Dans Etre et Temps, il dit que die Tradition
« prend ce qui est descendu vers nous et en fait une évidence en soi ;
elle bloque notre accès à ces ‘sources’ primordiales dont les catégories
et les concepts transmis à nous ont été en partie authentiquement
tirés. En fait, elle nous fait oublier qu’elles ont eu une telle
origine, et nous fait supposer que la nécessité de revenir à ces sources
est quelque chose que nous n’avons même pas besoin de comprendre »
[17]. Dans ce sens, Die Tradition oublie les possibilités formatives léguées par son origine de destination, alors que l’Überlieferung,
en tant que transmission, les revendique. La pensée de Heidegger se
préoccupe de retrouver l’héritage de ces sources anciennes.
Sa critique de la modernité (et, contrairement à ce qu’écrit Evola,
il est l’un de ses grands critiques) repose sur l’idée que la perte ou
la corruption de la tradition de l’Europe explique « la fuite des dieux,
la destruction de la terre, la réduction des êtres humains à une masse,
la prépondérance du médiocre » [18]. A présent vidé de ses vérités
primordiales, le cadre de vie européen, dit-il, risque de mourir : c’est
seulement en « saisissant ses traditions d’une manière créative », et
en se réappropriant leur élan originel, que l’Occident évitera le
« chemin de l’annihilation » que la civilisation rationaliste,
bourgeoise et nihiliste de la modernité semble avoir pris » [19].
La tradition (Überlieferung) que défend l’antimétaphysique
Heidegger n’est alors pas le royaume universel et supra-sensuel auquel
se réfèrent les guénoniens lorsqu’ils parlent de la Tradition. Il s’agit
plutôt de ces vérités primordiales que l’Etre rend présentes « au
commencement » –, des vérités dont les sources historiques profondes et
les certitudes constantes tendent à être oubliées dans les soucis
quotidiens ou dénigrées dans le discours moderniste, mais dont les
possibilités restent néanmoins les seules à nous être vraiment
accessibles. Contre ces métaphysiciens, Heidegger affirme qu’aucune prima philosophia
n’existe pour fournir un fondement à la vie ou à l’Etre, seulement des
vérités enracinées dans des origines historiques spécifiques et dans les
conventions herméneutiques situant un peuple dans ses grands récits.
Il refuse ainsi de réduire la tradition à une analyse réfléchie
indépendante du temps et du lieu. Son approche phénoménologique du monde
humain la voit plutôt comme venant d’un passé où l’Etre et la vérité se
reflètent l’un l’autre et, bien qu’imparfaitement, affectent le présent
et la manière dont le futur est approché. En tant que tels, Etre,
vérité et tradition ne peuvent pas être saisis en-dehors de la
temporalité (c’est-à-dire la manière dont les humains connaissent le
temps). Cela donne à l’Etre, à la vérité et à la tradition une nature
avant tout historique (bien que pas dans le sens progressiste,
évolutionnaire et développemental favorisé par les modernistes). C’est
seulement en posant la question de l’Etre, la Seinsfrage, que l’Etre de l’humain s’ouvre à « la condition de la possibilité de [sa] vérité ».
C’est alors à travers la temporalité que l’homme découvre la présence
durable qui est l’Etre [20]. En effet, si l’Etre de l’homme n’était pas
situé temporellement, sa transcendance, la préoccupation principale de
la métaphysique guénonienne, serait inconcevable. De même, il n’y a pas
de vérité (sur le monde ou les cieux au-dessus de lui) qui ne soit pas
ancrée dans notre Etre-dans-le-monde – pas de vérité absolue ou de
Tradition Universelle, seulement des vérités et des traditions nées de
ce que nous avons été… et pouvons encore être. Cela ne veut pas dire que
l’Etre de l’humain manque de transcendance, seulement que sa
possibilité vient de son immanence – que l’Etre et les êtres, le monde
et ses objets, sont un phénomène unitaire et ne peuvent pas être saisis
l’un sans l’autre.
Parce que la conception heideggérienne de la tradition est liée à la
question de l’Etre et parce que l’Etre est inséparable du Devenir,
l’Etre et la tradition fidèle à sa vérité ne peuvent être dissociés de
leur émergence et de leur réalisation dans le temps. Sein und Zeit,
Etre immuable et changement historique, sont inséparables dans sa
pensée. L’Etre, écrit-il, « est Devenir et le Devenir est Etre » [21].
C’est seulement par le processus du devenir dans le temps, dit-il, que
les êtres peuvent se déployer dans l’essence de leur Etre. La présence
constante que la métaphysique prend comme l’essence de l’Etre est
elle-même un aspect du temps et ne peut être saisie que dans le temps –
car le temps et l’Etre partagent une coappartenance primordiale.
Le monde platonique guénonien des formes impérissables et des idéaux
éternels est ici rejeté pour un monde héraclitien de flux et
d’apparition, où l’homme, fidèle à lui-même, cherche à se réaliser dans
le temps – en termes qui parlent à son époque et à son lieu, faisant
cela en relation avec son héritage de destination. Etant donné que le
temps implique l’espace, la relation de l’être avec l’Etre n’est pas
simplement un aspect individualisé de l’Etre, mais un « être-là »
(Dasein) spécifique – situé, projeté, et donc temporellement enraciné
dans ce lieu où l’Etre n’est pas seulement « manifesté » mais
« approprié ». Sans « être-là », il n’y a pas d’Etre, pas d’existence.
Pour lui, l’engagement humain dans le monde n’est pas simplement une
facette située de l’Etre, c’est son fondement.
Ecarter la relation d’un être avec son temps et son espace (comme le
fait la métaphysique atemporelle des guénoniens) est « tout aussi
insensé que si quelqu’un voulait expliquer la cause et le fondement d’un
feu [en déclarant] qu’il n’y a pas besoin de se soucier du cours du feu
ou de l’exploration de sa scène » [22]. C’est seulement dans la
« facticité » (le lien des pratiques, des suppositions, des traditions
et des histoires situant son Devenir), et non dans une supra-réalité
putative, que tout le poids de l’Etre – et la « condition fondamentale
pour… tout ce qui est grand » – se fait sentir.
Quand les éternalistes interprètent « les êtres sans s’interroger sur
[la manière dont] l’essence de l’homme appartient à la vérité de
l’Etre », ils ne pourraient pas être plus opposés à Heidegger. En effet,
pour eux l’Etre est manifesté comme Ame Cosmique (le maître plan de
l’univers, l’Unité indéfinissable, l’Etre éternel), qui est détachée de
la présence originaire et terrestre, distincte de l’Etre-dans-le-monde
de Heidegger [23]. Contre l’idée décontextualisée et détachée du monde
des métaphysiciens, Heidegger souligne que la présence de l’Etre est
manifestée seulement dans ses états terrestres, temporels, et jamais
pleinement révélés. Des mondes différents nous donnent des possibilités
différentes, des manières différentes d’être ou de vivre. Ces mondes
historiquement situés dictent les possibilités spécifiques de l’être
humain, lui imposant un ordre et un sens. Ici Heidegger ne nie pas la
possibilité de la transcendance humaine, mais la recherche au seul
endroit où elle est accessible à l’homme – c’est-à-dire dans son da
(« là »), sa situation spécifique. Cela fait du Devenir à la fois la
toile de fond existentielle et l’« horizon transcendantal » de l’Etre,
car même lorsqu’elle transcende sa situation, l’existence humaine est
forcément limitée dans le temps et dans l’espace.
En posant la Seinsfrage de cette manière, il s’ensuit qu’on
ne peut pas partir de zéro, en isolant un être abstrait et atomisé de
tout ce qui le situe dans un temps et un espace spécifiques, car on
ignorerait ainsi que l’être de l’homme est quelque chose de fini,
enraciné dans un contexte historiquement conditionné et culturellement
défini – on ignorerait, en fait, que c’est un Etre-là (Dasein). Car si
l’existence humaine est prisonnière du flux du Devenir – si elle est
quelque chose de situé culturellement, linguistiquement, racialement,
et, avant tout, historiquement –, elle ne peut pas être comprise comme
un Etre purement inconditionné.
Le caractère ouvert de la temporalité humaine signifie, de plus, que
l’homme est responsable de son être. Il est l’être dont « l’être est
lui-même une question », car, bien que située, son existence n’est
jamais fixée ou complète, jamais déterminée à l’avance, qu’elle soit
vécue d’une manière authentique ou non [24]. Elle est vécue comme une
possibilité en développement qui se projette vers un futur « pas encore
réel », puisque l’homme cherche à « faire quelque chose de lui-même » à
partir des possibilités léguées par son origine spécifique. Cela pousse
l’homme à se « soucier » de son Dasein, individualisant ses possibilités
en accord avec le monde où il habite.
Ici le temps ne sert pas seulement d’horizon contre lequel l’homme
est projeté, il sert de fondement (la facticité prédéterminée) sur
lequel sa possibilité est réalisée. La possibilité que l’homme cherche
dans le futur (son projet) est inévitablement affectée par le présent
qui le situe et le passé modelant son sens de la possibilité. La
projection du Dasein vient ainsi « vers lui-même d’une manière telle
qu’il revient », anticipant sa possibilité comme quelque chose qui « a
été » et qui est encore à portée de main [25]. Car c’est seulement en
accord avec son Etre-là, sa « projection », qu’il peut être pleinement
approprié – et transcendé [26].
En rejetant les concepts abstraits, inconditionnés et éternels de la
métaphysique, Heidegger considère la vérité, en particulier les vérités
primordiales que la tradition transmet, comme étant d’une nature
historique et temporelle, liée à des manifestations distinctes (bien que
souvent obscures) de l’Etre, et imprégnée d’un passé dont l’origine
créatrice de destin inspire le sens humain de la possibilité. En effet,
c’est la configuration distincte formée par la situation temporelle,
l’ouverture de l’Etre, et la facticité situant cette rencontre qui forme
les grandes questions se posant à l’homme, puisqu’il cherche à réaliser
(ou à éviter) sa possibilité sur un fondement qu’il n’a pas choisi.
« L’histoire de l’Etre », écrit Heidegger, « n’est jamais le passé mais
se tient toujours devant nous ; elle soutient et définit toute condition et situation humaine » [27].
L’homme n’affronte donc pas les choix définissant son Dasein au sens
existentialiste d’être « condamné » à prendre des décisions innombrables
et arbitraires le concernant. L’ouverture à laquelle il fait face est
plutôt guidée par les possibilités spécifiques à son existence
historiquement située, alors que les « décisions » qu’il prend
concernent son authenticité (c’est-à-dire sa fidélité à ses possibilités
historiquement destinées, son destin). Puisqu’il n’y a pas de vérités
métaphysiques éternelles inscrites dans la tradition, seulement des
vérités posées par un monde « toujours déjà », vivre à la lumière des
vérités de l’Etre requiert que l’homme connaisse sa place dans
l’histoire, qu’il connaisse le lieu et la manière de son origine, et
affronte son histoire comme le déploiement (ou, négativement, la
déformation) des promesses posées par une prédestination originelle
[28]. Une existence humaine authentique, affirme Heidegger, est « un
processus de conquête de ce que nous avons été au service de ce que nous
sommes » [29].
Le Primordial
Le « premier commencement » de l’homme – le commencement (Anfangen) « sans précédent et monumental » dans lequel ses ancêtres furent « piégés » (gefangen)
comme une forme spécifique de l’Etre – met en jeu d’autres
commencements, devenant le fondement de toutes ses fondations
ultérieures [30]. En orientant l’histoire dans une certaine direction,
le commencement – le primordial – « ne réside pas dans le passé mais se
trouve en avant, dans ce qui doit venir » [31]. Il est « le décret
lointain qui nous ordonne de ressaisir sa grandeur » [32]. Sans cette
« reconquête », il ne peut y avoir d’autre commencement : car c’est en
se réappropriant un héritage, dont le commencement est déjà un
achèvement, que l’homme revient à lui-même, s’inscrivant dans le monde
de son propre temps. « C’est en se saisissant du premier commencement
que l’héritage… devient l’héritage ; et seuls ceux qui appartiennent au
futur… deviennent [ses] héritiers » [33]. L’élève de Heidegger,
Hans-Georg Gadamer dit que toutes les questions concernant les
commencements « sont toujours [des questions] sur nous-mêmes et notre
futur » [34].
Pour Heidegger, en transmettant la vérité de l’origine de l’homme, la
tradition défie l’homme à se réaliser face à tout ce qui conspire pour
déformer son être. De même qu’Evola pensait que l’histoire était une
involution à partir d’un Age d’Or ancien, d’où un processus de
décadence, Heidegger voit l’origine – l’inexplicable manifestation de
l’Etre qui fait naître ce qui est « le plus particulier » au Dasein, et
non universel – comme posant non seulement les trajectoires possibles de
la vie humaine, mais les obstacles inhérents à sa réalisation. Se
déployant sur la base de sa fondation primordiale, l’histoire tend ainsi
à être une diminution, un déclin, un oubli ou une dissimulation des
possibilités léguées par son « commencement », le bavardage oisif,
l’exaltation de l’ordinaire et du quotidien, ou le règne du triomphe
médiocre sur le destin, l’esprit de décision et l’authenticité des
premières époques, dont la proximité avec l’Etre était immédiate, non
dissimulée, et pleine de possibilités évidentes.
Là où Evola voit l’histoire en termes cycliques, chaque cycle restant
essentiellement homogène, représentant un segment de la succession
récurrente gouvernée par certains principes immuables, Heidegger voit
l’histoire en termes des possibilités posées par leur appropriation.
C’est seulement à partir des possibilités intrinsèques à la genèse
originaire de sa « sphère de sens » – et non à partir du domaine
supra-historique des guénoniens – que l’homme, dit-il, peut découvrir
les tâches historiquement situées qui sont « exigées » de lui et
s’ouvrir à leur possibilité [35]. En accord avec cela, les mots « plus
ancien », « commencement » et « primordial » sont associés dans la
pensée de Heidegger à l’essence ou la vérité de l’Etre, de même que le
souvenir de l’origine devient une « pensée à l’avance de ce qui vient »
[36].
Parce que le primordial se trouve devant l’homme, pas derrière lui,
la révélation initiale de l’Etre vient dans chaque nouveau commencement,
puisque chaque nouveau commencement s’inspire de sa source pour sa
postérité. Comme Mnémosyne, la déesse de la mémoire qui était la muse
principale des poètes grecs, ce qui est antérieur préfigure ce qui est
postérieur, car la « vérité de l’Etre » trouvée dans les origines pousse
le projet du Dasein à « revenir à lui-même ». C’est alors en tant
qu’« appropriation la plus intérieure de l’Etre » que les origines sont
si importantes. Il n’y a pas d’antécédent ou de causa prima,
comme le prétend la logique inorganique de la modernité, mais « ce dont
et ce par quoi une chose est ce qu’elle est et telle qu’elle est… [Ils
sont] la source de son essence » et la manière dont la vérité « vient à
être… [et] devient historique » [37]. Comme le dit le penseur français
de la Nouvelle Droite, Alain de Benoist, l’« originel » (à la différence
du novum de la modernité) n’est pas ce qui vient une fois pour
toutes, mais ce qui vient et se répète chaque fois qu’un être se
déploie dans l’authenticité de son origine » [38]. Dans ce sens,
l’origine représente l’unité primordiale de l’existence et de l’essence
exprimées dans la tradition. Et parce que l’« appropriation » à la fois
originelle et ultérieure de l’Etre révèle la possibilité, et non
l’environnement purement « factuel » ou « momentané » qui l’affecte, le
Dasein n’accomplit sa constance propre que lorsqu’il est projeté sur le
fondement de son héritage authentique [39].
La pensée heideggérienne n’est pas un existentialisme
Evola consacre plusieurs chapitres de Chevaucher le tigre
(Calvacare la Tigre) à une critique de l’« existentialisme »
d’après-guerre popularisé par Jean-Paul Sartre et dérivé, à ce qu’on
dit, de la pensée de Heidegger » [40]. Bien que reconnaissant certaines
différences entre Sartre et Heidegger, Evola les traitait comme des
esprits fondamentalement apparentés. Son Sartre est ainsi décrit comme
un non-conformiste petit-bourgeois et son Heidegger comme un
intellectuel chicanier, tous deux voyant l’homme comme échoué dans un
monde insensé, condamné à faire des choix incessants sans aucun recours
transcendant. Le triste concept de liberté des existentialistes, affirme
Evola, voit l’univers comme un vide, face auquel l’homme doit se forger
son propre sens (l’« essence » de Sartre). Leur notion de liberté (et
par implication, celle de Heidegger) est ainsi jugée nihiliste,
entièrement individualiste et arbitraire.
En réunissant l’existentialisme sartrien et la pensée heideggérienne,
Evola ne connaissait apparemment pas la « Lettre sur l’Humanisme »
(1946-47) de Heidegger, dans laquelle ce dernier – d’une manière
éloquente et sans ambiguïté – répudiait l’appropriation existentialiste
de son œuvre. Il semble aussi qu’Evola n’ait connu que le monumental Sein und Zeit
de Heidegger, qu’il lit, comme Sartre, comme une anthropologie
philosophique sur les problèmes de l’existence humaine (c’est-à-dire
comme un humanisme) plutôt que comme une partie préliminaire d’une
première tentative de développer une « ontologie fondamentale »
recherchant le sens de l’Etre. Il mettait donc Sartre et Heidegger dans
le même sac, les décrivant comme des « hommes modernes », coupés du
monde de la Tradition et imprégnés des « catégories profanes, abstraites
et déracinées » de la pensée. Parlant de l’affirmation nihiliste de
Sartre selon laquelle « l’existence précède l’essence » (qu’il
attribuait erronément à Heidegger, qui identifiait l’une à l’autre au
lieu de les opposer), le disciple italien de Guénon concluait qu’en
situant l’homme dans un monde où l’essence est auto-engendrée, Heidegger
rendait le présent concret ontologiquement primaire, avec une nécessité
situationnelle, plutôt que le contexte de l’Etre [41]. L’Etre
heideggérien est alors vu comme se trouvant au-delà de l’homme,
poursuivi comme une possibilité irréalisable [42]. Cela est sensé lier
l’Etre au présent, le détachant de la Tradition – et donc de la
transcendance qui seule illumine les grandes tâches existentielles.
La critique évolienne de Heidegger, comme que nous l’avons suggéré,
n’est pas fondée, ciblant une caricature de sa pensée. Il se peut que
l’histoire et la temporalité soient essentielles dans le projet
philosophique de Heidegger et qu’il accepte l’affirmation sartrienne
qu’il n’existe pas de manières absolues et inchangées pour être humain,
mais ce n’est pas parce qu’il croit nécessaire d’« abandonner le plan de
l’Etre » pour le plan situationnel. Pour lui, le plan situationnel est
simplement le contexte où les êtres rencontrent leur Etre.
Heidegger insiste sur la « structure événementielle temporelle » du
Dasein parce qu’il voit les êtres comme enracinés dans le temps et
empêtrés dans un monde qui n’est pas de leur propre création (même si
l’Etre de ces êtres pourrait transcender le « maintenant » ou la série
de « maintenant » qui les situent). En même temps, il souligne que le
Dasein est connu d’une manière « extatique », car les pensées du passé,
du présent et du futur sont des facettes étroitement liées de la
conscience humaine. En effet, c’est seulement en reconnaissant sa
dimension extatique (que les existentialistes et les métaphysiciens
ignorent) que le Dasein peut « se soucier de l’ouverture de l’Etre »,
vivre dans sa lumière, et transcender son da éphémère (sa
condition situationnelle). Heidegger écrit ainsi que le Dasein est
« l’être qui émerge de lui-même » – c’est le dévoilement d’une essence
historique-culturelle-existentielle dont le déploiement est étranger à
l’élan objectifiant des formes platoniques [43].
En repensant l’Etre en termes de temporalité humaine, en le
restaurant dans le Devenir historique, et en établissant le temps comme
son horizon transcendant, Heidegger cherche à libérer l’existentiel des
propriétés inorganiques de l’espace et de la matière, de l’agitation
insensée de la vie moderne, avec son évasion instrumentaliste de l’Etre
et sa « pseudo-culture épuisée » – et aussi de le libérer des idéaux
éternels privilégiés par les guénoniens. Car si l’Etre est inséparable
du Devenir et survient dans un monde-avec-les-autres, alors les êtres,
souligne-t-il, sont inhérents à un « contexte de signification » saturé
d’histoire et de culture. Poursuivant son projet dans ces termes, les
divers modes existentiels de l’homme, ainsi que son monde, ne sont pas
formés par des interprétations venant d’une histoire d’interprétations
précédentes. L’interprétation elle-même (c’est-à-dire « l’élaboration de
possibilités projetées dans la compréhension ») met le présent en
question, affectant le déploiement de l’essence. En fait, la matrice
chargée de sens mise à jour par l’interprétation constitue une grande
part de ce qui forme le « là » (da) dans le Dasein [44].
Etant donné qu’il n’y a pas de Sein sans un da,
aucune existence sans un fondement, l’homme, dans sa nature la plus
intérieure, est inséparable de la matrice qui « rend possible ce qui a
été projeté » [45]. A l’intérieur de cette matrice, l’Etre est inhérent à
« l’appropriation du fondement du là » [46]. Contrairement à
l’argumentation de Chevaucher le tigre, cette herméneutique
historiquement consciente ne prive pas l’homme de l’Etre, ni ne nie la
primauté de l’Etre, ni ne laisse l’homme à la merci de sa condition
situationnelle. Elle n’a rien à voir non plus avec l’« indéterminisme »
radical de Sartre – qui rend le sens contextuellement contingent et
l’essence effervescente.
Pour Heidegger l’homme n’existe pas dans un seul de ses moments
donnés, mais dans tous, car son être situé (le projet qu’il réalise dans
le temps) ne se trouve dans aucun cas unique de son déploiement (ou
dans ce que Guénon appelait « la nature indéfinie des possibilités de
chaque état »). En fait, il existe dans toute la structure temporelle
s’étendant entre la naissance et la mort de l’homme, puisqu’il réalise
son projet dans le monde. Sans un passé et un futur pas-encore-réalisé,
l’existence humaine ne serait pas Dasein, avec un futur légué par un
passé qui est en même temps une incitation à un futur. A la différence
de l’individu sartrien (dont l’être est une possibilité incertaine et
illimitée) et à la différence de l’éternaliste (qui voit son âme en
termes dépourvus de références terrestres), l’homme heideggérien se
trouve seulement dans un retour (une « écoute ») à l’essence postulée
par son origine.
Cette écoute de l’essence, la nécessité de la découverte de soi pour
une existence authentique, n’est pas une pure possibilité, soumise aux
« planifications, conceptions, machinations et complots » individuels,
mais l’héritier d’une origine spécifique qui détermine son destin. En
effet, l’être vient seulement de l’Etre [47]. La notion heideggérienne
de la tradition privilégie donc l’Andenken (le souvenir qui retrouve et renouvelle la tradition) et la Verwindung
(qui est un aller au-delà, un surmonter) – une idée de la tradition qui
implique l’inséparabilité de l’Etre et du Devenir, ainsi que le rôle du
Devenir dans le déploiement de l’Etre, plutôt que la négation du
Devenir [48].
« Le repos originel de l’Etre » qui a le pouvoir de sauver l’homme du
« vacarme de la vie inauthentique, anodine et extérieure » n’est
cependant pas aisément gagné. « Retrouver le commencement de l’existence
historico-spirituelle afin de la transformer en un nouveau
commencement » (qui, à mon avis, définit le projet traditionaliste
radical) requiert « une résolution anticipatoire » qui résiste aux
routines stupides oublieuses de la temporalité humaine [49].
Inévitablement, une telle résolution anticipatoire ne vient que
lorsqu’on met en question les « libertés déracinées et égoïstes » qui
nous coupent des vérités en cours déploiement de l’Etre et nous
empêchent ainsi de comprendre ce que nous sommes – un questionnement
dont la nécessité vient des plus lointaines extrémités de l’histoire de
l’homme et dont les réponses sont intégrales pour la tradition qu’elles
forment » [50].
L’histoire pour Heidegger est donc un « choix pour héros », exigeant
la plus ferme résolution et le plus grand risque, puisque l’homme, dans
une confrontation angoissante avec son origine, réalise une possibilité
permanente face à une conventionalité amnésique, auto-satisfaite ou
effrayante [51]. Les choix historiques qu’il fait n’ont bien sûr rien à
voir avec l’individualisme ou le subjectivisme (avec ce qui est
arbitraire ou volontaire), mais surgissent de ce qui est vrai et
« originel » dans la tradition. Le destin d’un homme (Geschick), comme le destin d’un peuple (Schicksal), ne concerne pas un « choix », mais quelque chose qui est « envoyée » (geschickt)
depuis un passé lointain qui a le pouvoir de déterminer une possibilité
future. L’Etre, écrit Heidegger, « proclame le destin, et donc le
contrôle de la tradition » [52].
En tant qu’appropriation complète de l’héritage dont l’homme hérite à
sa naissance, son destin n’est jamais forcé ou imposé. Il s’empare des
circonstances non-choisies de sa communauté et de sa génération,
puisqu’il recherche la possibilité léguée par son héritage, fondant son
existence dans sa « facticité historique la plus particulière » – même
si cette appropriation implique l’opposition à « la dictature
particulière du domaine public » [53]. Cela rend l’identité individuelle
inséparable de son identité collective, puisque l’Etre-dans-le-monde
reconnaît son Etre-avec-les-autres (Mitsein). L’homme
heideggérien ne réalise ce qu’il est qu’à travers son implication dans
le temps et l’espace de sa propre existence destinée, puisqu’il se met à
« la disposition des dieux », dont l’actuel « retrait demeure très
proche » [54].
La communauté de notre propre peuple, le Mitsein, est le
contexte nécessaire de notre Dasein. Comme telle, elle est « ce en quoi,
ce dont et ce pour quoi l’histoire arrive » [55]. Comme l’écrit
Gadamer, le Mitsein « est un mode primordial d’‘Etre-nous’ – un
mode dans lequel le Je n’est pas supplanté par un vous [mais] …englobe
une communauté primordiale » [56]. Car même lorsqu’elle s’oppose aux
conventions dominantes par besoin d’authenticité individuelle, la
recherche de possibilité par le Dasein est une « co-historisation » avec
une communauté – une co-historisation dans laquelle un héritage passé
devient la base d’un futur plein de sens [57]. Le destin qu’il partage
avec son peuple est en effet ce qui fonde le Dasein dans l’historicité,
le liant à l’héritage (la tradition) qui détermine et est déterminé par
lui [58].
En tant qu’horizon de la transcendance heideggérienne, l’histoire et
la tradition ne sont donc jamais universelles, mais plurielles et
multiples, produit et producteur d’histoires et de traditions
différentes, chacune ayant son origine et sa qualité d’être spécifiques.
Il peut y avoir certaines vérités abstraites appartenant aux peuples et
aux civilisations partout, mais pour Heidegger il n’y a pas d’histoire
ou de tradition abstraites pour les inspirer, seulement la pure
transcendance de l’Etre. Chaque grand peuple, en tant qu’expression
distincte de l’Etre, possède sa propre histoire, sa propre tradition, sa
propre transcendance, qui sont sui generis. Cette spécificité
même est ce qui donne une forme, un but et un sens à son expérience d’un
monde perpétuellement changeant. Il se peut que l’Etre de l’histoire et
de la tradition du Dasein soit universel, mais l’Etre ne se manifeste
que dans les êtres, l’ontologie ne se manifeste que dans l’ontique.
Selon les termes de Heidegger, « c’est seulement tant que le Dasein
existe… qu’il y a l’Etre » [59].
Quand la métaphysique guénonienne décrit la Vérité Eternelle comme
l’unité transcendante qui englobe toutes les « religions archaïques » et
la plupart des « religions terrestres », elle offre à l’homme moderne
une hauteur surplombante d’où il peut évaluer les échecs de son époque.
Mais la vaste portée de cette vision a pour inconvénient de réduire
l’histoire et la tradition de peuples et de civilisations différents
(dont elle rejette en fait les trajectoires singulières) à des variantes
sur un unique thème universel (« La pensée moderne, les Lumières,
maçonnique », pourrait-on ajouter, nie également l’importance des
histoires et des traditions spécifiques).
Par contre, un traditionaliste radical au sens heideggérien se
définit en référence non à l’Eternel mais au Primordial dans son
histoire et sa tradition, même lorsqu’il trouve des choses à admirer
dans l’histoire et la tradition des non-Européens. Car c’est l’Europe
qui l’appelle à sa possibilité future. Comme la vérité, la tradition
dans la pensée de Heidegger n’est jamais une abstraction, jamais une
formulation supra-humaine de principes éternels pertinents pour tous les
peuples (bien que ses effets formatifs et sa possibilité futurale
puissent assumer une certaine éternité pour ceux à qui elle parle). Il
s’agit plutôt d’une force dont la présence illumine les extrémités
éloignées de l’âme ancestrale d’un peuple, mettant son être en accord
avec l’héritage, l’ordre et le destin qui lui sont singuliers.
Héraclite et Parménide
Quiconque prend l’histoire au sérieux, refusant de rejeter des
millénaires de temporalité européenne, ne suivra probablement pas les
éternalistes dans leur quête métaphysique. En particulier dans notre
monde contemporain, où les forces régressives de mondialisation, du
multiculturalisme et de la techno-science cherchent à détruire tout ce
qui distingue les peuples et la civilisation de l’Europe des peuples et
des civilisations non-européens. Le traditionaliste radical fidèle à
l’incomparable tradition de la Magna Europa (et fidèle
non pas au sens égoïste du nationalisme étroit, mais dans l’esprit de
l’« appartenance au destin de l’Occident ») ne peut donc qu’avoir une
certaine réserve envers les guénoniens – mais pas envers Evola lui-même,
et c’est ici le tournant de mon argumentation. Car après avoir rejeté
la Philosophie Eternelle et sa distillation évolienne, il est important,
en conclusion, de « réconcilier » Evola avec les impératifs
traditionalistes radicaux de la pensée heideggérienne – car l’alpiniste
Evola ne fut pas seulement un grand Européen, un défenseur infatigable
de l’héritage de son peuple, mais aussi un extraordinaire Kshatriya,
dont l’héroïque Voie de l’Action inspire tous ceux qui s’identifient à
sa « Révolte contre le monde moderne ».
Bien qu’il faudrait un autre article pour développer ce point, Evola,
même lorsqu’il se trompe métaphysiquement, offre au traditionaliste
radical une œuvre dont les motifs boréens demandent une étude et une
discussion approfondies. Mais étant donné l’argument ci-dessus, comment
les incompatibilités radicales entre Heidegger et Evola peuvent-elles
être réconciliées ?
La réponse se trouve, peut-être, dans cette « étrange » unité reliant
les deux premiers penseurs de la tradition européenne, Héraclite et
Parménide, dont les philosophies étaient aussi antipodiques que celles
de Heidegger et Evola. Héraclite voyait le monde comme un « grand feu »,
dans lequel tout était toujours en cours de consumation, de même que
l’Etre fait perpétuellement place au Devenir. Parménide, d’autre part,
soulignait l’unité du monde, le voyant comme une seule entité homogène,
dans laquelle tous ses mouvements apparents (le Devenir) faisaient
partie d’une seule universalité (l’Etre), les rides et les vagues sur le
grand corps de la mer. Mais si l’un voyait le monde en termes de flux
et l’autre en termes de stase, ils reconnaissaient néanmoins tous deux
un logos unifiant commun, une structure sous-jacente, une « harmonie
rassemblée », qui donnait unité et forme à l’ensemble – que l’ensemble
se trouvât dans le tourbillon apparemment insensé des événements
terrestres ou dans l’interrelation de ses parties innombrables. Cette
unité est l’Etre, dont la domination ordonnatrice du monde sous-tend la
sensibilité parente animant les distillations originelles de la pensée
européenne.
Les projets rivaux de Heidegger et Evola peuvent être vus sous un
éclairage similaire. Dans une métaphysique soulignant l’universel et
l’éternel, l’opposition de l’Etre et du Devenir, et la primauté de
l’inconditionné, Evola s’oppose à la position de Heidegger, qui met
l’accent sur le caractère projeté et temporel du Dasein. Evola parvient
cependant à quelque chose qui s’apparente aux vues les plus élevées de
la pensée heideggérienne. Car quand Heidegger explore le fondement
primordial des différents êtres, recherchant le transcendant (l’Etre)
dans l’immanence du temps (le Devenir), lui aussi saisit l’Etre dans sa
présence impérissable, car à cet instant le primordial devient éternel –
pas pour tous les peuples (étant donné que l’origine et le destin d’un
peuple sont inévitablement singuliers), mais encore pour ces formes
collectives de Dasein dont les différences sont de la même essence (dans
la mesure où elles sont issues du même héritage indo-européen).
L’accent mis par Heidegger sur le primordialisme est, je crois, plus
convainquant que l’éternalisme d’Evola, mais il n’est pas nécessaire de
rejeter ce dernier en totalité (en effet, on peut se demander si dans Etre et Temps
Heidegger lui-même n’a pas échoué à réconcilier ces deux facettes
fondamentales de l’ontologie). Il se peut donc que Heidegger et Evola
approchent l’Etre depuis des points de départ opposés et arrivent à des
conclusions différentes (souvent radicalement différentes), mais leur
pensée, comme celle d’Héraclite et de Parménide, convergent non
seulement dans la primauté qu’ils attribuent à l’Etre, mais aussi dans
la manière dont leur compréhension de l’Etre, particulièrement en
relation avec la tradition, devient un antidote à la crise du nihilisme
européen.
Notes
[1] Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens : 30.000 ans d’identité (Paris : Rocher, 2002), p. 18. Cf. Michael O’Meara, « From Nihilism to Tradition », The Occidental Quarterly 3: 2 (été 2004).
[2] Friedrich Nietzsche, The Will to Power, trad. par W. Kaufmann et R. J. Hollingdale (New York: Vintage, 1967), pp. 9-39 ; Friedrich Nietzsche, The Gay Science, trad. par W. Kaufmann (New York: Vintage, 1975), § 125. Cf. Martin Heidegger, Nietzsche : 4. Nihilism, trad. par F.A. Capuzzi (San Francisco: Harper, 1982).
[3] « Editorial Prefaces », TYR : Myth – Culture – Tradition 1 et 2 (2002 et 2004).
[4] M. Raphael Johnson, « The State as the Enemy of the Ethnos », at http://es.geocities.com/sucellus23/807.htm. Dans Humain, trop humain
(§ 96), Nietzsche écrit : La tradition émerge « sans égard pour le bien
ou le mal ou autre impératif catégorique, mais… avant tout dans le but
de maintenir une communauté, un peuple ».
[5] Martin Heidegger, Introduction to Metaphysics, trad. par G. Fried et R. Polt (New Haven: Yale University Press, 2000), p. 11.
[6] Bien que Guénon eut un effet formatif sur Evola, qui le
considérait comme son « maître », l’Italien était non seulement
suffisamment indépendant pour se séparer de Guénon sur plusieurs
questions importantes, particulièrement en soulignant les origines
« boréennes » ou indo-européennes de la Tradition, mais aussi en donnant
au projet traditionaliste une tendance nettement militante et
européaniste (je soupçonne que c’est cette tendance dans la pensée
d’Evola, combinée à ce qu’il prend à Bachofen, Nietzsche et De Giorgio,
qui le met – du moins sourdement – en opposition avec sa propre
appropriation de la métaphysique guénonienne). En conséquence, certains
guénoniens refusent de le reconnaître comme l’un des leurs. Par exemple,
le livre de Kenneth Oldmeadow, Traditionalism : Religion in Light of the Perennial Philosophy
(Colombo : The Sri Lanka Institute of Traditional Studies, 2000), à
présent le principal ouvrage en anglais sur les traditionalistes, ne
fait aucune référence à lui. Mon avis est que l’œuvre d’Evola n’est pas
aussi importante que celle de Guénon pour l’Eternalisme, mais que pour
le « radical » européen, c’est sa distillation la plus intéressante et
la plus pertinente. Cf. Mark Sedgwick, Against the Modern World: Traditionalism and the Secret History of the Twentieth Century (New York: Oxford University Press, 2004) ; Piero Di Vona, Evola y Guénon: Tradition e civiltà (Naples: S.E.N., 1985) ; Roger Parisot, « L’ours et le sanglier ou le conflit Evola-Guénon », L’âge d’or 11 (automne 1995).
[7] L’attrait tout comme la mystification du concept évolien sont
peut-être le mieux exprimés dans l’extrait suivant de la fameuse
recension de Révolte contre le monde moderne par Gottfried
Benn : « Quel est donc ce Monde de la Tradition ? Tout d’abord, son
évocation romancée ne représente pas un concept naturaliste ou
historique, mais une vision, une incantation, une intuition magique.
Elle évoque le monde comme un universel, quelque chose d’à la fois
céleste et supra-humain, quelque chose qui survient et qui a un effet
seulement là où l’universel existe encore, là où il est sensé, et où il
est déjà exception, rang, aristocratie. A travers une telle évocation,
la culture est libérée de ses éléments humains, historiques, libérée
pour prendre cette dimension métaphysique dans laquelle l’homme se
réapproprie les grands traits primordiaux et transcendants de l’Homme
Traditionnel, porteur d’un héritage ». « Julius Evola, Erhebung wider
die moderne Welt » (1935), http://www.regin-verlag.de.
[8] Julius Evola, « La vision romaine du sacré » (1934), dans Symboles et mythes de la Tradition occidentale, trad. par H.J. Maxwell (Milan : Arché, 1980).
[9] Julius Evola, Men Among the Ruins, trad. par G. Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 2002), p. 116 ; Julius Evola, « Che cosa è la tradizione » dans L’arco e la clava (Milan: V. Scheiwiller, 1968).
[10] Luc Saint-Etienne, « Julius Evola et la Contre-Révolution », dans A. Guyot-Jeannin, ed., Julius Evola (Lausanne : L’Age d’Homme, 1997).
[11] Julius Evola, Revolt against the Modern World, trad. par G. Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions International, 1995), p. 6.
[12] En accord avec une ancienne convention des études
heideggériennes de langue anglaise, « Etre » est utilisé ici pour
désigner das Sein et « être » das Seiende, ce dernier
se référant à une entité ou à une présence, physique ou spirituelle,
réelle ou imaginaire, qui participe à l’« existence » de l’Etre (das Sein).
Bien que différant en intention et en ramification, les éternalistes
conservent quelque chose de cette distinction. Cf. René Guénon, The Multiple States of Being, trad. par J. Godwin (Burkett, N.Y.: Larson, 1984).
[13] Martin Heidegger, The End of Philosophy, trad. par J. Stambaugh (Chicago: University of Chicago Press, 1973), p. 32.
[14] Cf. Alain de Benoist, On Being a Pagan, trad. par J. Graham (Atlanta: Ultra, 2004).
[15] On dit que la métaphysique guénonienne est plus proche de
l’identification de la vérité et de l’Etre par Platon que de la
tradition post-aristotélicienne, dont la distinction entre idée et
réalité (Etre et être, essence et apparence) met l’accent sur la
seconde, aux dépens de la première. Heidegger, The End of Philosophy, pp. 9-19.
[16] Martin Heidegger, Being and Time, trad. par J.
Macquarrie et E. Robinson (New York: Harper & Row, 1962), § 6 ;
aussi Martin Heidegger, “The Age of the World Picture”, dans The Question Concerning Technology and Others Essays, trad. par W. Lovitt (New York: Harper & Row, 1977).
[17] Heidegger, Being and Time, § 6.
[18] Heidegger, Introduction to Metaphysics, p. 47.
[19] Heidegger, Introduction to Metaphysics, p. 41.
[20] Heidegger, Being and Time, § 69b.
[21] Martin Heidegger, Nietzsche: 1. The Will to Power as Art, trad. par D. F. Krell (San Francisco: Harper, 1979), p. 22.
[22] Heidegger, Introduction to Metaphysics, p. 35.
[23] Martin Heidegger, “Letter on Humanism”, dans Pathmarks, prep. par W. McNeil (Cambridge: Cambridge University Press, 1998).
[24] Heidegger, Being and Time, § 79.
[25] Heidegger, Being and Time, § 65.
[26] Certaines parties de ce paragraphe et plusieurs autres plus loin sont tirées de mon livre New Culture, New Right: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (Bloomington: 1stBooks, 2004), pp. 123ff.
[27] Heidegger, “Letter on Humanism”.
[28] Martin Heidegger, Plato’s Sophist, trad. par R. Rojcewicz et A. Schuwer (Bloomington: Indiana University Press, 1976), p. 158.
[29] Heidegger, Being and Time, § 76.
[30] Martin Heidegger, Contributions to Philosophy (From Enowning), trad. par P. Emad et K. Mahy (Bloomington: Indiana University Press, 1999), § 3 et § 20.
[31] Martin Heidegger, Parmenides, trad. par A. Schuwer et R. Rojcewicz (Bloomington: Indiana University Press, 1992), p. 1.
[32] Martin Heidegger, “The Self-Assertion of the German University”, dans The Heidegger Controversy,
prep. par Richard Wolin (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1993). Aussi :
« Seul ce qui est unique est recouvrable et répétable… Le commencement
ne peut jamais être compris comme le même, parce qu’il s’étend en avant
et ainsi va chaque fois au-delà de ce qui est commencé à travers lui et
détermine de même son propre recouvrement ». Heidegger, Contributions to Philosophy, § 20.
[33] Heidegger, Contributions to Philosophy, § 101.
[34] Hans-Georg Gadamer, Heidegger’s Ways, trad. par J. W. Stanley (Albany: State University of New York Press, 1994), p. 64.
[35] Gadamer, Heidegger’s Ways, p. 33.
[36] Martin Heidegger, Hölderlin’s Hymn “The Ister”, trad. par W. McNeil et J. Davis (Bloomington: Indiana University Press, 1996), p. 151.
[37] Martin Heidegger, “The Origin of the Work of Art”, dans Basic Writings, prep. par D. F. Krell (New York: Harper & Row, 1977).
[38] Alain de Benoist, L’empire intérieur (Paris: Fata Morgana, 1995), p. 18.
[39] Heidegger, Being and Time, § 65.
[40] Julius Evola, Ride the Tiger, trad. par J. Godwin et C. Fontana (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 2003), pp. 78-103.
[41] Cf. Martin Heidegger, The Basic Problems of Phenomenology, trad. par A. Hofstader (Bloomington: Indiana University Press, 1982), pt. 1, ch. 2.
[42] Quand Evola écrit dans Ride the Tiger que Heidegger
voit l’homme « comme une entité qui ne contient pas l’être… mais [se
trouve] plutôt devant lui, comme si l’être était quelque chose à
poursuivre ou à capturer » (p. 95), il interprète très mal Heidegger,
suggérant que ce dernier dresse un mur entre l’Etre et l’être, alors
qu’en fait Heidegger voit le Dasein humain comme une expression de
l’Etre – mais, du fait de la nature humaine, une expression qui peut ne
pas être reconnue comme telle ou authentiquement réalisée.
[43] Heidegger, Parmenides, p. 68.
[44] Heidegger, Being and Time, § 29 ; Contributions to Philosophy, § 120 et § 255.
[45] Heidegger, Being and Time, § 65.
[46] Heidegger, Contributions to Philosophy, § 92.
[47] Heidegger, Being and Time, § 37.
[48] Gianni Vattimo, The End of Modernity, trad. par J. R. Synder (Baltimore: The John Hopkins University Press, 1985), pp. 51-64.
[49] Heidegger, Introduction to Metaphysics, pp. 6-7.
[50] Heidegger, Contributions to Philosophy, § 117 et § 184 ; cf. Carl Schmitt, Political Theology, trad. par G. Schwab (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1985).
[51] Heidegger, Being and Time, § 74.
[52] Martin Heidegger, “The Onto-theo-logical Nature of Metaphysics”, dans Essays in Metaphysics, trad. par K. F. Leidecker (New York: Philosophical Library, 1960).
[53] Heidegger, Contributions to Philosophy, § 5.
[54] Heidegger, Contributions to Philosophy, § 5.
[55] Heidegger, Introduction to Metaphysics, p. 162.
[56] Gadamer, Heidegger’s Ways, p. 12.
[57] Heidegger, Being and Time, § 74.
[58] Heidegger, Being and Time, § 74.
[59] Heidegger, Being and Time, § 43c.
Source: TYR: Myth — Culture — Tradition, vol. 3, ed. Joshua Buckley and Michael Moynihan (Atlanta: Ultra, 2007), pp. 67-88.