Condamnation de la révolution dite française par E. Kant (1724-1804)
Des contre-vérités sont, par ailleurs, enseignées dans le sillage de la secte se réclamant, chez nous, de la République et négligeant maintenant le nom de France, peut-être parce que trop germanique ou « féodal » à son goût, comme elle le fit entendre aux premiers temps des troubles révolutionnaires, et dans ma jeunesse, l’on pouvait encore lire dans des manuels de vulgarisation que ce Kant, l’illustre philosophe de Königsberg (ville du sacre ancien des rois de Prusse, qui sera annexée à la Russie non pas seulement par le fait des armes en 1945 -avec des milliers de viols encouragés, comme chez nous en Vendée-, mais d’abord par une décision de la conférence de Téhéran de 1943 groupant Staline, Roosevelt et Churchill et dépeçant l’Empire allemand, décidant d’une vraie Palestine européenne avec ses milliers de réfugiés jusqu’en 1949 !) aurait interrompu sa promenade quotidienne régulière, à l’annonce de la prise de la Bastille ! Il n’y a rien de vrai dans cette propagande mensongère ! Aujourd’hui ce Kant est mal vu, et jugé même hostile à ceux qui ont une réputation locale et internationale, mondiale, solide aujourd’hui dans les milieux divers et qu’il est délicat, dangereux même, de nommer ! En politique, il était partisan de réformes, et cultivait le souvenir de son contemporain Frédéric le Grand (1712-1786), ce roi « en » Prusse, comme on disait et non de Prusse, car il reconnaissait par là l’autorité nominale de l’Empereur allemand résidant à Vienne : qu’il soit rappelé que ce monarque auteur de beaux poèmes et de Mémoires composés dans un français délicieux, dans une lettre au frère maçon, le savant D’Alembert que nous avons lue à la bibliothèque de l’ancienne Sorbonne, mais malheureusement sans en garder la trace et en relever la date, regrette sa bêtise de jeunesse d’avoir été maçon, entraîné dans une beuverie, sans, du reste, une initiation régulière, et a mis en garde, peu avant sa mort en 1786, le rappelle le Jésuite connu comme l’abbé Barruel, l’Électeur de Bavière, contre les dits « Illuminés de Bavière », société subversive européenne guidée par le bien connu et insidieux théologien catholique, d’origine incertaine, « l’infiltrado » Adam Weishaupt, qui vécut jusqu’en 1832 partisan de l’occupation française de l’Allemagne appuyée précisément sur les loges, dont l’œuvre dans la capitulation en chaîne, le plus souvent livrées sans combat, des places fortes, en 1807, aura été décisive !
Le coup d’Etat, peut-on dire, des Etats Généraux appelant à former une Assemblée Nationale est ainsi relevé dans ce long paragraphe de Kant tiré de la réédition en 1795 de sa doctrine métaphysique du droit d’abord parue en 1784 et augmentée de deux réflexions capitales : la première sur le « faux-pas » (Fehltritt) du souverain français déléguant à une Assemblée, à cause des dettes de l’Etat, le droit de lever l’impôt et de le répartir conduisant à un abandon de son autorité et à une autodissolution de l’Etat jouet désormais de factions tyranniques et possessives, la seconde sur le mépris de la souveraineté réelle, de l’autorité du Chef par « l’exécution formelle » (« die formale Hinrichtung ») du souverain, le 21 janvier 1793, c’est-à-dire prenant la forme de la justice et la retournant contra sa fin qui est le respect intérieur et extérieur de l’ordre et de l’humanité réglée par cet ordre : c’est pareille forme de justice, suicide d’une nation, que la postérité de la Révolution dite française connaîtra souvent, et qui suivait l’exécution tout aussi exécrable, au XVIIe siècle, de Charles Ier d’Angleterre, que Kant qualifie, tout comme celle de Louis, en latin de crime inexpiable ! Il le compare à ce péché que les théologiens disent ne pas être remis ni dans ce monde ni dans l’autre.
La politique religieuse de la Révolution est aussi sévèrement condamnée par le maître allemand de géographie, de mathématiques, d’anthropologie, d’astronomie et de philosophie, car elle intègre le clergé dans l’Etat en lui ôtant sa liberté d’œuvrer charitablement et librement, selon les vœux des fidèles, et il condamnait aussi en Angleterre l’identification du souverain au chef d’une Eglise, comme tête du corps religieux (ce qu’on nomme l’anglicanisme).
Cette sagesse est remarquable et se retrouvera dans la proposition pas assez connue du chancelier Otto v. Bismarck faite à Sa Sainteté Léon XIII de quitter sa prison romaine d’après 1870 pour exercer librement et indépendamment son rôle de père de l’Eglise, peut-on dire, à Cologne. Il fallut attendre Mussolini et les accords de Latran pour que cette idée kantienne et bismarckienne soit effective.
Puisque nous en sommes à relever des traces historiques peu connues, relevons cette conduite de Frédéric le Grand en Silésie catholique, dans ce pays annexé au terme d’une guerre intestine allemande avivée par des alliances européennes françaises, russes et anglaises, qui prenait place parmi les bancs des fidèles en refusant la chaise d’honneur ! Comme on aime à dire : Dieu reconnaîtra les siens ! Ce fut cette annexion de la Silésie qui augmenta la population catholique à Berlin jusqu’à atteindre les 50%.
Il est remarquable que cette horreur de la Révolution girondine ou jacobine, directoriale etc… a hanté les esprits en Europe. Et que l’on ne s’attend pas à lire, si l’on ignore ce sentiment durable, que nous avons connu dans la prime jeunesse écolière et estudiantine aussi germano-autrichienne, dans nos séjours répétés d’études à Graz (sentiment, oui, de répugnance pour ces horreurs ou crimes légaux de la Révolution dont nos petits maîtres du jour font un substitut de catéchisme), cette même condamnation publique donc, dans la bouche du premier des orateurs des Congrès tenus dans la ville de Nuremberg.
Le fondateur ou guide de la Révolution allemande a dit que l’Allemagne est redevable à l’action préventive de deux souverains réformateurs, d’avoir échappé aux troubles funestes et aux malheurs irréversibles de la Révolution des « nouveaux Français », comme l’Europe les appelait, l’Empereur allemand Joseph II, l’un des frères de Marie-Antoinette, et le Roi en Prusse, Frédéric dit le Grand à l’imitation de l’iranien, le Mède Darius ! Les deux ont su conduire, sous leur autorité, les réformes utiles, en préservant le principe du droit conservateur de l’Etat, qui protège le peuple, alors que l’abîme s’est ouvert en France et chez son imitatrice « russe » bolcheviste et autres, et ne s’est, hors de brèves durées de retour au bon sens par la force des choses, pas refermé. La béance est visible. Cette dernière pensée est de Kant qui vit d’un bon œil, il est vrai, la restauration visible de l’ordre en France sous le Consulat, mais un vice subsista qui nous mène à la situation présente et nous porte à examiner le vrai sens de révolution, qui est dans son origine communément reçue, de signification latine !
Une formule de l’anarchiste russe qui eut une grande réputation au XIXe siècle, Michel Bakounine présente l’anarchie dont il se réclame idéologiquement comme une organisation locale et multiple de groupes d’influences et de décisions qui excluent l’autorité suprême de l’Etat, passent outre ! Serait-ce que l’histoire contemporaine en France irait en ce sens, avec aujourd’hui la bénédiction du prophète polytechnicien Jacques Attali traitant d’une explosion à l’intérieur des institutions étatiques, et que donc la perte d’un souverain entendu comme chef serait le vœu de forces obscures et aux idées cependant bien nettes ? L’on a pu ainsi parler, déjà au XIXe siècle, chez les romantiques allemands adversaires de la Révolution, d’une décapitation de l’Europe (die Enthauptung des Europas) ! Que les Français ne soient plus étourdis et ne commettent pas ce « faux pas de jugement », tel est notre vœu, en fin de carrière philosophique, et comme très ancien latiniste de la Sorbonne défunte, remarquons que re-volvere , comme un barillet autour du canon, est ce qui tourne autour d’un axe, de soi même (um sich selbst) écrit le philosophe loué ici et cherchant son modèle de pensée au ciel même dans les révolutions astrales, reflets et inspiration de la loi morale.
Le « faux pas de jugement » royal, lors de la convocation des Etats Généraux : « Ce fut donc un grand faux pas de jugement d’un puissant souverain de notre temps que de vouloir se servir de l’occasion d’une grande dette d’Etat pour transférer au peuple l’acte d’endosser lui-même et de répartir cette charge selon ce que celui-ci même trouvera bon, de sorte que de façon naturelle il entreprenne de partager non seulement le pouvoir législatif en vue de la taxation des sujets, mais aussi dans la perspective du pouvoir, c’est-)-dire pour empêcher que ce dernier ne fît de nouvelles dettes: ce faisant, le pouvoir du souverain disparut entièrement (ne fut pas simplement suspendu) et passa au peuple dont la volonté législative a été soumisse au mien et au tien, de chaque sujet. L’on ne peut donc dire aussi: par là une promesse tacite, mais pourtant contractuelle d’Assemblée nationale de se constituer en souveraineté, mais seulement d’administrer ces siennes affaires, mais après ces affaires accomplies de remettre à nouveau les rênes du gouvernement au monarque; car un tel contrat est en soi-même nul et non avenu (null und nichtig) . Le droit de la législation suprême dans l’ (son) essence générale n’est pas un droit aliénable (ou cessible), mais au contraire le plus personnel de tous. Celui qui l’a ne peut que par la volonté d’ensemble du peuple disposer du peuple, mais pas de la volonté générale (d’ensemble) elle-même, qui est le fondement originaire de tous les contrats publics. Un contrat qui obligerait le peuple à restituer de nouveau son pouvoir, ne lui attribuerait pas une puissance législative et pourtant lierait le peuple, ce qui est d’après la proposition: personne ne peut servir deux maîtres, une contradiction. »
« Un crime immortel et inexpiable » :
Ces lignes ci-dessous extraits de la Métaphysique des Moeurs et de sa section sur la doctrine du droit, embarrassent les idéologues acteurs et produits de la décadence des mœurs, et pourtant, Kant, comme Boileau appelle « chat un chat »… Il ne dénonce pas seulement le meurtre d’un souverain par l’effet d’un attentat, qui pourrait être celui par exemple du roi de Suède blessé gravement par les agents jacobins, car il voulait, assure-t-on, prendre la tête d’une coalition contre la République régicide, mais bien l’usage, la formalité même de la justice pour affaiblir la souveraineté qui est la base et la force permanente, comme liberté et responsabilité d’un chef, tête de l’organisme, en causant ainsi un péché contre l’esprit. La révolution sectaire dite française fut donc une distorsion de la justice, une vertu défigurée par sa ressemblance vicieuse avec son contraire, bref une hypocrisie sacrilège ou maléfique pour entraîner ce que nous constatons et, pire, appréhendons aujourd’hui.
« L’exécution formelle (« die formale Hinrichtung ») est ce qui saisit l’âme remplie des idées du droit humain (non pas des dits prétendus « droits de l’homme ») d’une horreur qui l’on sent revenir aussitôt et aussi souvent que l’on réfléchit à cette scène comme au destin de Charles Ier et de Louis XVI. Mais comment s’explique ce sentiment, ce qui ici n’est pas esthétique (une compassion, effet de l’imagination qui se transporte à la place du supplicié), mais moral, du renversement entier de tous les concepts de droit? Ce sera tenu pour un crime qui demeure éternel et ne peut jamais être effacé (crimen immortale, inexpiabile) et semble être semblable à celui que les théologiens nomment ce péché qui ne peut être pardonné ni dans ce monde ni dans cet autre. » (note en pied de page),paragraphe 52.
Pierre Dortiguier