.

.

vendredi 2 décembre 2011

Une monnaie locale pour contrôler notre économie… par Bob LENISSART


VIA EUROPE MAXIMA

Pour que le peuple du Comté de Nice puisse agir, ici et maintenant, sur son destin, il faut bien sûr qu’il retrouve l’usage de sa langue, qu’il vive sa culture au quotidien et, aussi,  qu’il se donne les moyens de générer de la croissance chez lui, sans attendre des autres. Pour cela il existe un moyen : créer sa propre monnaie complémentaire.
Crise mondiale… Hypertrophie de l’économie
Nous arrivons, à présent, dans le cycle des grandes crises mondiales qui n’ont fait que commencer. Nous avons eu les effondrements spectaculaires de certaines banques aux États-Unis, suivi de l’effondrement d’autres banques dans le monde. Les gouvernements soutenant le système mondialiste marchand ont volé au secours d’une grande partie de celles-ci. Il ne fallait pas que les fondations du trône sur lequel ils étaient assis viennent à s’écrouler, les emportant du même coup. Ensuite, nous avons eu les répercutions de cette crise au niveau des entreprises transnationales qui ont réglé le problème sans se préoccuper des conséquences dans les différents pays touchés par leurs décisions. Enfin, nous avons vu, après l’Amérique du Sud, plusieurs pays européens touchés par cette crise (le tout augmenté par les tares de la Zone euro), pays qui ont fini par se retrouver dans une situation de faillite. Chez nous, en Europe, le phénomène a été accentué par la forme même de la structure communautaire mise en place.
Il n’a échappé à personne que la Communauté européenne est une construction totalement artificielle, car purement économique, et qui, à l’origine, a été construite fondamentalement à l’envers. En un mot, on a mis la charrue avant les bœufs. Nos grands penseurs qui ont rêvé de cette Europe, ont naïvement pensé qu’il suffirait de créer des structures économiques communes pour que l’Europe ne fasse plus qu’une. Ils ont naïvement pensé qu’une monnaie commune réunirait les peuples de cette Europe. Ils ont fondé ce monstre informel sur une philosophie capitaliste libérale qui ne fait pas partie de la culture économique des peuples d’Europe (que cela plaise ou non, les peuples européens ont, au niveau économique, une philosophie corporatiste… cette philosophie corporatiste qui échappe totalement à la mentalité américaine).
De cette façon, on a laissé un marché ouvert en Europe là où il aurait fallu protéger nos économies (et, donc, nos travailleurs) contre les prédateurs du mondialisme. Dans le même temps, on a créé une structure indépendante pour gérer la monnaie européenne qui échappe à tout pouvoir politique. L’aboutissement du système est arrivé à son terme : l’économie a envahi toutes les structures de nos sociétés. Elle est devenue, en Europe,  la première fonction là où elle n’était que la troisième. De là viennent tous nos malheurs.
Les tares de l’euro
L’erreur fondamentale des concepteurs de l’euro a été de  vouloir unifier l’Europe sous une monnaie unique sans laisser la possibilité aux États membres de pouvoir agir en cas de déficit de leur balance commerciale (dévaluer par exemple). Si un pays voit sa balance commerciale passer dans le rouge, il ne lui est pas possible de dévaluer la monnaie et comme la valeur de l’euro varie, en grande partie, en fonction de la balance commerciale de la Zone euro dans son ensemble cela met certains États dans une position pour le moins inconfortable. Comme actuellement, la balance commerciale de la Zone euro a un léger excédent, la valeur de l’euro monte, alors que plusieurs pays membres ont d’énormes déficits commerciaux. Ils n’ont plus d’autre recours que de se mettre en faillite (Grèce, Portugal, Espagne…, et qui sera le suivant ?). Le deuxième problème de conception de cette monnaie unique est l’absence totale de régulation commerciale à l’intérieur de la Zone : les pays aux balances négatives ne peuvent absolument pas rééquilibrer leurs comptes avec les pays aux balances positives. La seule possibilité qui leur est offerte est de diminuer les prestations de l’État, ce qui a pour effet de pénaliser leurs citoyens. On nous avait présenté l’euro comme un moyen de protection face à la mondialisation, c’est en fait tout le contraire que nous constatons : la Zone euro pousse à la concurrence sociale. Pour en terminer avec les tares de cette monnaie  unique, nous nous trouvons face à une banque centrale (n’ayant pas de comptes à rendre aux politiques) qui a tout pouvoir pour gérer cet euro, banque qui n’a qu’un seul but : lutter contre l’inflation.
Un peu d’histoire sur les monnaies
La monnaie a, de tout temps été, un instrument politique en même temps qu’un outil économique. Le fait de « battre monnaie » était un acte fort, marqueur de souveraineté. De plus, c’était un moyen de générer la confiance avec un outil d’échange qui était garanti par le souverain. Ainsi, cela permettait de développer le commerce et la richesse des populations d’un territoire délimité. Mais, cela n’interdisait nullement, au niveau local, le troc ou d’autres systèmes d’échanges. Cela a perduré longtemps dans les États souverains en Europe. Le changement initial, qui a induit tous les suivants, a été l’introduction de la monnaie – papier et cela a été accentué par les structures hyper-centralisées de certains États. La pseudo-Révolution française instituant le jacobinisme, forme de pouvoir centralisateur et, donc, forcément réducteur, suivi au XIXe siècle par la Révolution industrielle ont accéléré le mouvement. Il restait cependant, au pouvoir politique, la possibilité de faire varier le taux des monnaies pour réguler l’économie et l’emploi. Mais du jour, où les structures européennes ont été mises en place, sans qu’un pouvoir politique européen n’ait vu le jour (c’est-à-dire un État européen souverain et indépendant, émanation des toutes les composantes des peuples d’Europe), la machine a déraillé. C’est une constante de l’histoire : sans un pouvoir politique qui puisse la contrôler, l’économie devient folle. Il eut fallu qu’un pouvoir européen, fort, fruit de la volonté de tous, soit mis en place, pouvoir politique capable de « battre monnaie » et d’agir sur celle-ci, pour que le rêve européen devienne une réalité durable. Au lieu de cela, on a mis en place un seul pouvoir économique, qui échappe totalement aux politiques puisque le Parlement de Strasbourg n’est qu’une chambre d’enregistrement, voire de propositions de lois destinées à contraindre les populations dans le sens voulu par le marché. Et dans ce cas, sans contrôle,  l’économie capitaliste se développe suivant sa propre logique qui est une logique de profit, sans se préoccuper des dégâts collatéraux qu’elle peut occasionner. Les défauts de ce système sont accentués par le fait que l’on a développé une économie virtuelle, axée sur la spéculation, qui s’éloigne de plus en plus du réel.
Le réel finit toujours par rattraper le virtuel. Le naturel arrive, in fine, à éliminer l’artificiel. Que voulons-nous dire par là ?
Cela veut dire que ce qui est bâti sur du virtuel s’écroulera, à un moment ou à un autre,  à partir de l’instant où il viendra, tôt ou tard, se confronter au réel. Cela veut dire que toutes les constructions artificielles, qu’elles soient politiques, ethniques ou économiques, qui inévitablement conduisent dans le mur, seront abandonnées au profit de solutions naturelles qui se situent au niveau local, c’est-à-dire, bien souvent, au niveau d’un peuple et de son territoire.
Quelles solutions pourraient être inventées au niveau local pour échapper au règne de l’euro et de son emprise ? Une solution, la « Solution » serait de mettre en place une monnaie locale.
Qu’est-ce qu’une monnaie locale ?
Une monnaie locale, appelée aussi monnaie complémentaire, est, en sciences économiques, une monnaie non soutenue par un gouvernement national. Cette monnaie n’a pas nécessairement cours légal. Elle est destinée à être échangée dans une zone restreinte (nous verrons plus loin que la zone restreinte n’a pas un caractère fortement limitatif). En fait, de parler de monnaie locale veut dire que l’on se place dans un discours philosophique, politique et économique hors du commun. L’avantage des monnaies locales est qu’elles circulent beaucoup plus rapidement que les monnaies nationales, qu’elles permettent  à une communauté  d’utiliser complètement ses ressources productives et d’éviter que la richesse d’une communauté aillent vers d’autres régions ou pays, favorisant, ainsi, l’économie locale.
Pour nous résumer, une monnaie locale est une monnaie « interne », créée par une association, une municipalité ou une structure territoriale. Elle va servir dans les échanges locaux de biens et services, sur le modèle des S.E.L. (systèmes d’échanges locaux). Le rôle de cette monnaie locale est de permettre une  relocalisation de l’économie en favorisant les échanges locaux sans dresser de nouvelles barrières  douanières. Non seulement, elle fournit des ressources nouvelles pour valoriser la production locale, mais elle permet, aussi,  d’échapper à certaines taxes comme la T.V.A. par exemple. À l’inverse, elle crée, pour les produits soumis à la T.V.A., une protection  douanière (la T.V.A. devenant un droit de douane local).
Il faut savoir que nous employons déjà des monnaies complémentaires telles que les tickets restaurant ou les « Smiles » récoltés chez  certains commerçants. Il faut savoir, également, que des monnaies locales (ou complémentaires) existent dans l’Hexagone et qu’elles sont répandues dans le monde entier.
Une des premières expériences de monnaie locale a vu le jour en juillet 1932,  à Wörgl en Autriche (avec les bons-travail). Il y a, en Suisse, le W.I.R., qui est né en 1934 et fonctionne encore aujourd’hui (60 000 P.M.E. adhèrent à ce système). Plus près de nous, a été créé, en 2006, dans l’État du Massachusetts, dans la région du Berkshire, une monnaie locale, les « brekshares », qui fonctionne à merveille (trois cent cinquante commerces locaux acceptent les « brekshares », deux millions de billets émis et cinq banques participantes), en Allemagne, il existe une soixantaine de monnaies locales (par exemple, il y a le « regio » qui fédère une trentaine de monnaies locales) qui, même si elles n’apportent pas d’avantages particuliers, sont régulièrement utilisées par les Allemands à cause de leur réticence vis-à-vis de l’euro. Enfin, en France, il existe, déjà, des monnaies locales comme l’« abeille » à Villeneuve-sur-Lot et la « mesure » sur Romans-en-Isère. Nous citerons, également, le « sol » qui vient d’être adopté par la ville de Toulouse qui est plutôt une monnaie solidaire, utilisable par carte à puce et Internet, et qui devrait, dans le projet toulousain, voir apparaître des billets.
Pourquoi créer, dans un territoire donné, une monnaie locale ?
— D’abord parce qu’elle permet de privilégier la fonction d’échange de la monnaie par opposition à sa capitalisation.
— Parce qu’en convertissant des euros en monnaie locale, je contribue à soutenir l’économie régionale et les associations locales (grâce au principe de taux d’intérêt négatif) : je fais donc, ainsi, un véritable acte militant.
— Parce qu’elle aurait un effet d’entraînement sur le tissu de P.M.E. locales (qui représentent quand même l’essentiel des possibilités de créations d’emploi).
— Parce que la T.V.A. sera le différentiel qui pratiquement deviendra une taxe d’importation de produits non élaborés au pays. Cela favorisera la production locale.
— De plus, nous savons bien que, si les monnaies complémentaires représentent une chance locale, elles sont aussi une voie de sécurisation de l’économie mondiale, ne serait que par l’effet d’amortissement progressif des variations. Bernard Lietaer, à cet égard, nous dit que « la résilience d’un système – quel qu’il soit – est d’autant plus grande  que ce système est pluriel et à forte inter-connectivité ». Un organisme pluricellulaire est plus résilient que le monocellulaire. La forêt alpine l’est d’avantage que la forêt landaise, et un système monétaire articulant monnaies officielles et monnaies complémentaires davantage qu’un système à monnaie unique.
C’est pourquoi il nous paraît important de nous pencher sur ce problème de la monnaie dans notre Comté de Nice. Même nos hommes politiques seraient bien inspirés d’examiner avec attention l’intérêt qu’il y aurait à créer cette monnaie complémentaire : ils pourraient régler des problèmes d’emploi de leurs électeurs potentiels par la redynamisation des entreprises locales. Ils pourraient aussi voir l’argent dépensé dans notre région rester dans cette région : « La monnaie est comme le sang d’un être vivant : il ne faut pas qu’elle sorte du corps qu’elle est censée irriguer, sinon ce dernier dépérit ». Nous avons vu que définir le monde entier comme limites de ce corps ne fonctionne pas puisque l’argent peut partir migrer dans des parties éloignées de certaines régions vitales de l’organisme (système de condensation ou de migration de la monnaie dans certaines parties du système) : cela entraîne un gonflement de certaines parties du corps au détriment du reste. Il faut donc définir une zone d’un écosystème viable économiquement parlant et y créer une banque centrale locale qui générera et contrôlera la monnaie en cours dans ce territoire.
C’est pourquoi il nous semble qu’un territoire comme le Comté de Nice pourrait créer sa propre monnaie (dans le cadre d’une nouvelle Métropole – Comté de Nice par exemple), une monnaie qui nous permettrait de créer une solidarité active entre tous les gens vivant sur ce territoire.
Demain, nous pourrions faire nos échanges avec la monnaie complémentaire locale : « Aloura, Madama, voules ben de lou miéu pei ben fres. Es mancou car : 9 céba e 50 cébéta dou kilò. (Alors, Madame, vous voulez bien de mon poisson bien frais. Il n’est pas cher : 9 céba et 50 cébéta du kilo) ». Le jour où nous entendrons ce dialogue au marché, nous aurons déjà accompli un grand pas vers la réappropriation de notre environnement économique et culturel.
Bob Lenissart
• D’abord mis en ligne sur le site Racines du pays niçois / Raïs dou Païs nissart, le 29 juin 2011.