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dimanche 12 juillet 2015

Les causes profondes et non avouées de la crise grecque (partie 1 et 2)

 
 
Christophe Servan
 
Partie 1


Erreur



Je voudrais prolonger l’excellent papier de Dominique Jamet sur la responsabilité du peuple dans la crise que traverse la Grèce, en y introduisant – modestement – un peu d’analyse macroéconomique.

Qui sont vraiment les responsables du fiasco grec :

– Aléxis Tsípras qui « va au clash » avec ses créanciers, tout en se soumettant à un référendum qui n’était pas gagné d’avance, ou ses prédécesseurs – qui, tous à l’époque, appartenaient aux mêmes groupes parlementaires qu’Angela Merkel et François Hollande – qui ont falsifié les comptes de la nation pour valider leur entrée dans la zone euro alors qu’ils n’en remplissaient pas les critères ?

– Les citoyens grecs lambda à qui aujourd’hui il est demandé de se saigner aux quatre veines pour rembourser, ou les banques (Goldman Sachs, BNP ou Deutsche Bank) qui, entre 1995 et 2008, ont largement encouragé le gouvernement grec à s’endetter (en lui garantissant un placement indolore de leurs émissions), parce qu’à l’époque – du fait de la convergence des taux d’intérêt au sein de la zone euro – les obligations grecques étaient celles qui offraient la meilleure rentabilité (rendement + plus-value) ?

– Celui qui s’est décidé à acheter un Porsche Cayenne parce que son concessionnaire lui a offert un prêt à 5 % alors que du temps de la drachme, c’était au minimum 15 %, ou bien le lobbyiste de l’industrie automobile allemande qui s’est démené comme quatre à Bruxelles pour promouvoir l’entrée de la Grèce dans l’euro, parce qu’il savait qu’avec l’euro, les ventes de Porsche Cayenne allaient s’envoler ?

– Les Athéniens qui ont bondi de joie lorsque leur ville fut choisie pour accueillir les Jeux olympiques de 2004, ou ces entrepreneurs grecs, français et allemands qui ont gonflé la facture du coût de la corruption, rétro-commissions comprises ?

Depuis le début, la crise grecque nous est présentée tantôt comme une crise de la « légendaire » mal-gouvernance grecque – l’euro impose une discipline que les Grecs n’auraient pas respectée -, tantôt comme une crise spécifique à l’eurozone : le carcan d’une monnaie unique qui élimine une sortie de crise par la dévaluation. Les deux ont raison, mais passent à côté de l’essentiel.

Pour identifier l’origine véritable de la crise grecque, il ne faut pas s’enfermer dans ce qu’elle a de spécifique, mais au contraire dans ce qu’elle a de commun avec la crise des subprimes et, plus généralement, avec la crise de croissance dans tout le monde occidental, à savoir un endettement excessif. La question de fond qu’il convient alors de se poser est la suivante : pourquoi, depuis le début des années 90, a-t-il été si facile aux Grecs et aux autres de s’endetter et, surtout, pourquoi les taux d’intérêt ont baissé de concert avec l’augmentation de la dette alors que, naturellement, ils auraient dû remonter ?
Partie 2


Dans un environnement libéral pur, lorsque vous empruntez de l’argent, il vous en coûte des intérêts. Si, quelques jours plus tard, vous retournez chez votre créancier pour un nouveau crédit, le taux sera plus élevé. C’est tout à fait normal, les taux d’intérêt rémunèrent la prise de risque du créancier et – à revenu égal – un débiteur très endetté est plus risqué qu’un primo-emprunteur. En conséquence, il est naturel que les taux s’élèvent à mesure que l’encours de la dette s’élève, naturel et vertueux aussi puisque des taux élevés découragent l’emprunteur d’emprunter davantage.

Or, depuis le début des années 90, les taux d’intérêt sur toutes les grandes monnaies du monde n’ont cessé de baisser [jusqu’à quasiment 0 %] alors que les dettes, et en particulier les dettes publiques, ont augmenté de manière quasi exponentielle jusqu’à plus de 300 % du PIB mondial ! Une anomalie majeure qui ne peut s’expliquer que par l’intervention intempestive des pouvoirs publics et des autorités monétaires dans le fonctionnement du marché.

L’erreur magistrale commise à la fin du XXe siècle par tous les responsables économiques et financiers de la planète a été un péché d’orgueil : croire dur comme fer que le tournant libéral des années Reagan ne pouvait qu’apporter croissance et prospérité et que toutes les pannes de croissance ne pouvaient avoir d’autres causes que des dysfonctionnements monétaires, donc conjoncturels. Conséquence : une confiance aveugle envers les Banques centrales qui ont usé et abusé de la seule arme à leur disposition, la baisse des taux directeurs, comme si la faiblesse de l’activité était le résultat d’un manque de liquidités momentané.

Tout cela, bien sûr, est faux. La mondialisation a permis un bond spectaculaire du niveau de vie dans les pays émergents, mais au prix d’une effroyable paupérisation des économies autrefois dominantes, que les pouvoirs publics se sont efforcés d’amortir en s’endettant sans frein. La croissance en berne en Occident n’a jamais été la conséquence d’un manque de liquidités – ce qui aurait justifié la baisse des taux – mais de la faiblesse de la demande finale de biens et services – ce qui aurait justifié, au contraire, une hausse naturelle des taux du fait de l’augmentation du risque de crédit. Cette baisse des taux totalement injustifiée a été pour les États, et singulièrement pour la Grèce, une invitation à s’endetter toujours plus.

La seconde erreur magistrale a été la déréglementation bancaire, qui a permis aux banques d’atteindre une taille gigantesque. Les pouvoirs publics l’ont acceptée parce que les banques, sans lesquelles il aurait été impossible d’émettre de la dette publique, ont imposé leur point de vue. À deux reprises, en 2008 – crise Lehmann – et en 2010 – crise grecque -, les banques ont été sauvées au prix d’un dérapage supplémentaire des dettes publiques. Officiellement parce qu’elles faisaient courir à l’économie mondiale un risque systémique, mais en réalité parce que les États étaient devenus entre-temps leurs otages. Si la Grèce avait fait défaut en 2010 aux dépens de banques, elle serait aujourd’hui en voie du redressement.

La troisième et dernière erreur résulte de l’idée qui veut qu’un euro en Allemagne est identique à un euro en Grèce. Nous voyons aujourd’hui que c’est faux.

En somme, la crise grecque aura eu le grand mérite de faire tomber les deux plus grandes mystifications du dernier demi-siècle : le libéralisme et la construction européenne. Le premier parce que les lois du marché sont transgressées en cas de besoin au profit du pouvoir dominant, le second parce que l’indispensable solidarité entre des États censés partager le même destin n’existe pas.