La révision du marxisme, le rejet de
l’impérialisme (qu’il soit américain ou soviétique) faisant de la Chine
un nouveau modèle d’horizon, la condamnation ferme des valeurs
« bourgeoises » et de la démocratie de marché, le désir d’ordre : voilà
autant d’éléments qui, à la suite de 1968 et par-delà leurs
contradictions, laissent entrevoir un espace pour un nationalisme qui
saurait se rénover et se mettre à l’école des nouvelles contestations.
En effet, si à l’origine l’extrême droite ne se dit pas
« révolutionnaire » avant 1917, il n’est pas de
« nationalisme-révolutionnaire » sans le phénomène gauchiste. Le grand
chambardement n’advient certes pas et, structurellement, c’est en fait
l’adhésion sociale aux institutions et valeurs en place qui s’est
renforcée.
C’est donc entre
cette illusion politique, née d’une situation de rénovation culturelle,
et cet état de fait d’absorption du potentiel révolutionnaire de Mai,
d’une part par la société de consommation, d’autre part par le système
politique concurrentiel traditionnel, qu’ont éclos de nouveaux oxymores
politiques, dont l’un des plus fameux de par son intitulé et sa violence
fut le « nazi-maoïsme ».
Dans le gauchisme ambiant post-1968,
quelle part du phénomène relève du culturel, du politique, du
sociologique ? Débat classique auquel les nationalistes-révolutionnaires
apportent indirectement leur contribution en ne retenant
prioritairement de cet objet que les signes extérieurs, qu’une manière
d’envisager la langue, le graphisme, la révolte. Parmi les serpents de
mer du débat politique, il en est un autre très prisé, car il est apte à
préserver la continuité de l’offre politique : les extrêmes se
« toucheraient ».
Le pendant censé et historiographique de
la question est, bien sûr, le débat scientifique autour du caractère
plus ou moins révolutionnaire des phénomènes fascistes. En ce qui
concerne l’histoire du temps présent, le rapport gauchisme /
néo-fascisme tourne bien sûr autour de l’axe NR et l’un des exemples les
plus prisés demeure le cas du « nazi-maoïsme », tant son intitulé et
ses slogans paraissent représenter parfaitement la problématique.
L’inventivité en la matière souligne le rôle essentiel du maniement d’un
vocabulaire précis : l’extrême droite adopte une attitude
révolutionnaire en cherchant à faire exploser les champs lexicaux
politiques relatifs au paradigme républicain et à un système politique
éliminant les extrêmes. Dans un projet fasciste qui est culturel
d’abord, le néo-fascisme, en quête d’un mode et d’une pensée
opératoires, cherche en premier lieu à faire sa révolution culturelle
propre.
Programme
Le terme « nazi-maoïste » a souvent
provoqué l’ire des NR (qui en ont pour quelques uns usé). Il ne fait pas
de doute que le terme de « nazi-maoïsme » est une aberration sémantique
et que le mouvement est mieux nommé « traditionalisme révolutionnaire »
au sens évolien du mot «Tradition». Mais tel est l’usage qui s’est
imposé. C’est Franco Freda (dit « Giorgio Freda ») qui irradie depuis
Milan la donne réformatrice. Le trait le plus constant de ce dernier est
l’aspect protéiforme de sa militance : encadrer idéologiquement un
mouvement, écrire des textes, éditer des livres, appeler à l’action
terroriste et être accusé de s’y livrer, avec Franco Freda tous les
moyens, même légaux, doivent être en usage. Il fonde sa librairie-maison
d’édition, di Ar, en 1964, et commence par publier en italien L’Essai sur l’inégalité des racesd’Arthur de Gobineau, puis des œuvres de Julius Evola et de Corneliu Codreanu. S’y ajoutent ensuite L’Agression israélienne
de Duprat (pamphlet antisémite, antisioniste et négationniste), le
livre vert du colonel Kadhafi, la prose antisémite d’Henri Ford, les Protocoles des Sages de Sion, publiés avec des annexes visant à démontrer que nombre des événements prédits dans le texte se seraient déjà déroulés, etc.
Suite au Maggio rampiante et à
un stage de formation dans la Grèce des Colonels, le positionnement
idéologique relève de l’oscillation idéologique, l’O.L.P. a ainsi pour
slogans les plus fameux « Vive la dictature fasciste du prolétariat ! »
et « Hitler et Mao unis dans la lutte ». Franco Freda doit son aura à
son apparition au cœur de la piste fasciste relative au massacre de la Piazza Fontana et à la publication de La Disintegrazione dei Sistema en 1969, texte mythique pour les NR qui va être considéré a posterioricomme
un véritable manifeste de la stratégie de la tension – de même que son
comparse Claudio Mutti, l’un des principaux cadres de Giovane Nazione,
se tient d’abord en retrait de l’O.L.P. avant que de devenir une
personnalité-phare du nazi-maoïsme. « Iconoclaste et totalitaire »
affirment les néo-fascistes Cahiers du C.D.P.U. lorsqu’ils en
publient la première traduction, et c’est un fait. Usant de métaphores
scatologiques et de propos orduriers, faisant la critique sans
concession des stratégies et dogmes passés, osant la proposition non
d’un énième replâtrage autoritaire de la droite, mais d’un totalitarisme
assumé et brutal, l’opuscule montre clairement que « quelque chose » se
passe.
Quatre idées présentes dans La Désintégration du Système
ont spécifiquement marqué les esprits. 1) L’ennemi désigné est le
Système, c’est-à-dire la dictature capitaliste sous sa forme libérale ou
socialiste. La bourgeoisie a acquis « l’hégémonie politique ». Il faut
donc détruire le Système pour ériger un Etat qui ait une valeur
transcendantale et dont le « but vrai » est la « participation au divin
de l’homme », ce qui passe par l’adoption d’une « structure – pour ainsi
dire – communiste », i.e. « l’Etat organique » et « l’ordre
hiérarchique ». 2) Peuvent rejoindre le programme, ceux qui viennent des
formations « bourgeoises » de la « droite néo-fasciste » et de la
« gauche révisionniste », mais l’appel à « l’extrême droite du système »
doit être clos et il faut dorénavant s’adresser à ceux qui sont
« au-delà de la gauche du régime ». Aucun accord n’est certes
conclu avec eux sur « l’après-système bourgeois », mais doit être mise
en place « une unité opérationnelle dans une stratégie de lutte
loyale ». Les autres mouvements extrémistes, de droite comme de gauche,
ne sont, dès lors, que des dérivatifs du système. 3) Ces nouvelles
alliances doivent aussi se refléter à l’échelle internationale : « le
terroriste palestinien est plus proche de nos rêves de vengeance que
l’Anglais (Européen ? personnellement j’en doute !) juif ou
enjuivé (…). La dénonciation du pacte atlantique et de son organisation
militaire, ainsi que la suppression des chaînes, qui actuellement
rattachent l’Italie aux structures néocapitalistes supra-nationales
(…) devra provoquer l’intégration active de l’Etat populaire dans l’aire
des Etats qui refusent de s’attacher à la traîne politique des blocs de
puissance impérialistes. L’Etat populaire conclura des alliances avec
les Etats authentiquement anticapitalistes et favorisera, décidés à un
niveau international, les mouvements de lutte contre le capitalisme et
les complicités révisionnistes ». 4) Le programme c’est le terrorisme :
« Nous sommes des fanatiques. (…) Et c’est vraiment le fanatique qui
peut assumer une vision du monde, et après l’avoir reconnue, la vivre,
aller vers elle, détachée de tous les moyens efficaces pour l’atteindre
(et par conséquent prêt à les utiliser) ». La lutte révolutionnaire doit
être « en dehors des solutions étouffées par des chaînes légalitaires
et réformatrices, et dans les termes cohérents, durs et résolus que
seulement la violence possède ».
L’un des axes forts de cette rhétorique
est qu’elle se prête à diverses lectures, renvoyant, selon le récepteur,
aussi bien à Goebbels qu’à l’extrême gauche. Le mélange de
national-bolchevisme, de références marxistes-léninistes et de
philosophie évolienne, de cette lignée du national-bolchevisme allemand
voyant dans le stalinisme un modèle d’Etat « prussien » et de remarques
gramscistes, l’assemblage des thèses de Corradini sur l’alliance des
nations prolétaires à une référence maoïste, la reprise de conceptions
strasseriennes, fournissent ainsi un mélange hautement détonnant, dont
on espéra sans doute qu’il puisse intensifier les contradictions
internes de la démocratie de marché.
Structures
Le produit « traditionaliste
révolutionnaire » a été importé en France d’une manière qui relève du
fonctionnement typique des crises de l’extrême droite. L’image qu’il a
laissé est celle d’une scission de l’aile ultra du mouvement
néo-fasciste Ordre Nouveau, quitté par ses éléments « de gauche
nationaliste » se joignant à des ex-socialistes européens de Pour une Jeune Europe pour fonder l’Organisation Lutte du Peuple.
C’est l’esprit völkisch qui souffle sur « l’organe de combat socialiste-européen » qu’est Pour une Jeune Europe,
convaincue que l’Europe «sera celle des ethnies et des régions
historiques», et qu’elle devra être dirigée par un comité où chaque
ethnie aura un nombre de représentants évoluant « selon le principe du
putsch permanent ». A son origine, il y a la dissolution d’Occident par
l’Etat fin 1968. Certains de ses membres ne l’avaient rejoint qu’en
raison de l’écroulement de la nébuleuse Europe-Action. C’est
donc sur ces bases qu’ils repartent en février 1969, en parvenant, le
temps d’une contribution, à ramener à eux Bardèche et Saint-Loup. On n’y
ajoute pas foi à l’issue révolutionnaire des gauchismes et l’on espère
que cet avenir bouché dégage l’autre perspective révolutionnaire, celle
de la revendication ethnique. Pour une Jeune Europe constitue un moment essentiel dans la construction du nationalisme, en liant les conceptions raciales d’Europe-Action,
avec des emprunts à Thiriart et aux néo-fascistes transalpins – le
journal faisant preuve d’une tendre complaisance pour l’hitlérime – et
les thèmes radicaux du néo-nationalisme émergeant : apologie de la
Commune, antisionisme, mixophobie, dénonciation de la société de
consommation, révolutionnarisme européiste, condamnations de la police
oppressive et de l’extrême droite traditionnelle, dont les idées
capitalistes et géopolitiques feraient d’elle le jouet du «sionisme».
«Socialisme européen» est son étiquette mais elle désigne son
idéologie d’un mot alors méconnu, «racialisme». Cependant, ses multiples
références occidentalistes la distinguent subtilement d’Europe-Action
: ici le thème de l’union blanche internationale recoupe celui de la
dénonciation du pacte anti-européen qui tiendrait ensemble Etats-Unis et
Union soviétique. Une dimension provocatrice n’est pas à exclure
puisque le principal responsable, Nicolas Tandler, est lié aux réseaux
Albertini.
Cette scission d’Ordre Nouveau est en
fait, l’habillage d’une exclusion qui aboutit à ce positionnement. En
1971, le dirigeant de la cellule nantaise d’O.N., Yves Bataille, est
exclu et est suivi en dissidence par sa section qui aurait décidé de
continuer à « œuvrer au Combat National de libération selon un axe
« Lutte du Peuple », c’est-à-dire autant anticapitaliste qu’antimarxiste
et antisioniste, dans le cadre grand-nationaliste avenir de l’Europe
révolutionnaire Unitaire ». S’il s’agit là d’un vocabulaire qui témoigne
de l’intérêt porté aux NR italiens et allemands, le texte n’omet pas de
se référer nommément à Doriot comme à Drieu La Rochelle. En fait, ce
qui intéresse d’abord à cette époque Y. Bataille, c’est tout ensemble de
s’inspirer de Jean Thiriart, théoricien d’une Europe jacobine, de
l’italien Ordine Nuovo et d’intégrer le climat de Mai 68 au
discours nationaliste. Suite à son voyage en Italie durant l’été 1972,
il baptise son groupe Organisation Lutte du Peuple (le sigle étant,
comme il se doit, une plus-value). L’organisation applique en France
tactiques et stratégie de l’italienne Lotta di Popolo et participe à la micro-internationale impulsée, qui regroupe avec elles l’allemande Nationalrevolutionäre Aufbauorganisation–Sache des Volkes (1974), le Comité de Liaison Européen Révolutionnaire.
Fondée en août 1974, la N.A.R.O.-S.d.V.regroupe environ 450 militants sur la base doctrinale du Manifeste de la Cause du Peuple d’Henning
Eichberg. L’organisation tente de prendre langue aussi bien à l’extrême
droite qu’à l’extrême gauche, affiche une orientation anti-chrétienne,
puis s’oriente à compter de 1979 vers le mouvement écologiste. Outre
Ernst Niekisch, promu opposant en chef à l’hitlérisme, la
N.A.R.O.-S.d.V.remet au goût du jour la proclamation du Parti Communiste
Allemand. sur la « libération nationale et sociale du peuple
allemand », et une phrase de Lénine : « Faites de la cause du peuple la
cause de la nation et la cause de la nation sera la cause du peuple » -
déjà très commune sous Weimar dans la mouvance national-bolchevique. Le
trajet politique d’Eichberg est lui-même lié au nationalisme-européen
français. Il commence à militer en 1956 dans la Deutsche Soziale Union d’Otto
Strasser où il adopte les positions européistes et neutralistes en même
temps qu’il découvre la Révolution Conservatrice. Après avoir participé
au camp d’été de la Fédération des Etudiants Nationalistes en 1966, il
popularise dans le milieu nationaliste allemand les thèses d’Europe-Action, puis effectue la même tâche relative à la Nouvelle droite.
Leurre épistémologique
Certes, chez nombre de cadres
nationalistes, une certaine séduction soit se fait jour soit est
affichée envers des éléments présents dans le maoïsme mais qui
permettent en fait de réévaluer les fascismes, tels que le socialisme
nationaliste, le renouvellement de la théorie des minorités agissantes,
l’interprétation völkisch du rôle révolutionnaire de la
paysannerie, ou de communs schèmes esthétiques. Il n’y a pas
d’accommodation du nationalisme, italien ou français, au maoïsme qui se
soit faite, malgré une certaine légende en la matière. La donnée est, en
fait, parfaitement synthétisée par le cas de Serge Vincent-Vidal,
Français catalan étant passé par les Jeunes de l’Europe Nouvelle, la Hitlerjugend, des divisions wallonne, française et allemande de la Waffen S.S.
et qui, tenant un stand maoïste dans la Sorbonne occupée de mai 1968,
déclarait : « Avec les Chinois, je continue mon vieux combat, à la fois
contre les Soviétiques et les Américains ». C’est là un usage avant tout
instrumental, s’inscrivant dans les conséquences de la désignation de
l’Ennemi prioritaire ; il s’agit du positionnement en tant que
révolutionnaires en rupture totale avec le « Système » et l’Occident,
les NR n’ayant pas spécialement d’intérêt pour l’Asie en tant que telle
(hormis la question de la civilisation et du nationalisme hindous bien
sûr).
Jusque là, l’appel à l’union des extrêmes
n’avait guère été clairement entonné en France que par Binet
(ex-trotskyste, ex-stalinien, ex-doriotiste, ex-Waffen SS) et, à sa suite, par les groupes du néo-nazi Nouvel Ordre Européen, dont Peuple et Nation
qui opte pour la ligne « nazi-maoïste » puis se range sous la bannière
des Groupes Nationalistes-Révolutionnaires de Duprat. En somme, l’appel à
l’union des révolutionnaires de droite et de gauche était un moyen de
rénover et redorer la filiation stigmatisante national-socialiste. Il
fallait renouer le lien remontant à un nazisme qui n’eût pas connu la
même évolution barbare que celui du IIIe Reich, d’un nazisme
qui n’eût point été un hitlérisme mais un national-socialisme. Il s’agit
là d’un contrecoup de l’analyse alors courante du phénomène,
surévaluant l’importance du facteur Hitler : cela s’inscrit dès lors
dans une perspective de légitimation révisionniste (au sens classique du
terme). L’influence des expériences italiennes et allemandes, de la
redécouverte de l’œuvre de Jünger, vient permettre d’articuler en
France, hors du camp néo-nazi, idiosyncrasie révolutionnaire et
militantisme nationaliste. Mieux, la langue nouvelle permet de trancher
par le dogme du slogan les gênes face aux ambiguïtés induites par
l’esprit réactionnaire du nationalisme, l’oscillation s’avérant une
formidable mode de résolution des contradictions internes.
L’Organisation Lutte du Peuple ne cesse
d’employer un vocabulaire tout en connotations gauchistoïdes, mais elle
ne le fait pas n’importe comment. Elle est l’un des premiers groupes
français à refuser de parler d’Occident et dénonce « une Europe
mentalement et politiquement colonisée » (car l’impérialisme culturel
américain tue « l’individu et la communauté du peuple » et qu’U.R.S.S.
et U.S.A. ont imposé leurs « troupes d’Occupation ») ayant pour seule
solution : « une lutte des classes entre nations dominantes et nations
dominées », i.e. une « résistance » et une « lutte de
libération contre l’impérialisme (U.S.A.-U.R.S.S.-SIONISME) »mené par
les juifs. Ladite libération est dite devoir éliminer les « Kollabos
pro-russes ou pro-américains et édifiera un nouvel ordre culturel fondé
sur un socialisme viril : le socialisme européen ». C’est en fait du
trotskysme que les nazi-maoïstes français affirment explicitement
vouloir s’inspirer. Lotta di Popolo a puisé son style dans le
maoïsme, gauchisme majoritaire en Italie, l’ O.L.P. recherche le sien
dans le gauchisme majoritaire en France. Cela n’interdit pas les
subtilités de langage… Ainsi, lorsqu’elle affirme que la révolution
créera « un nouvel ordre culturel fondé sur un socialisme viril : le socialisme européen
», elle use de la définition que Drieu La Rochelle donnait du nazisme
(« socialisme viril ») et de la formule d’un Déat pour le Nouvel Ordre
européen nazi (« socialisme européen »). Cette expression de
« socialisme européen » qu’elle emploie si souvent, elle ne la définit
guère, mais c’est bien l’équivalence déjà sous-entendue par des groupes
comme Pour une Jeune Europe puisqu’elle évoque par exemple Binet comme un « ex-trotskyste passé au Socialisme européen », pour ne point dire à la Waffen S.S.
Le mouvement expose clairement à ses militants que les mots d’ordre, de
sélection et de discipline ne doivent être utilisés qu’en précisant que
l’on est hors système et anti-capitaliste, que les termes de droite,
d’Occident et de nationalisme ne doivent en aucun cas être utilisés sans
les adjectifs « européen » ou « révolutionnaire », et de conclure : « Ne pas avoir peur d’utiliser des terminologies dites gauchistes, à condition bien entendu d’en préciser ou d’en modifier le sens ».
Pour une autres des notes internes de
l’O.L.P., si certains « thèmes et comportements gauchistes sont
typiquement d’extrême droite, fascistes, [car le] fascisme est surtout
un mouvement poétique et esthétique lié à une énergétique de vie », il
n’en demeure pas moins que, au-delà des militants considérés comme
récupérables, l’objectif final doit être l’élimination physique des
responsables gauchistes. Néanmoins, cela donne une puissante coloration,
et le fait même qu’il soit difficile de tenir ce langage au sein de
l’espace des NR le souligne : l’O.L.P. est accusé de maoïsme par Le Devenir européen, lui même bientôt accusé de générer des « déviations gauchistes du nationalisme-révolutionnaire » par Duprat, etc.
Si l’O.L.P. paraît donc tant réaliser l’oscillateur idéologique, ce
n’est pas parce qu’elle l’incarne, mais parce que cela correspond à sa
réflexion stratégique, aboutissement d’une triple influence : a)
l’observation de la mouvance trotskyste en France ; b) l’imitation de Lotta di Popolo ; c) l’influence de la parution des Langages totalitaires de Jean-Pierre Faye.
Conclusion
Le maniement de la dialectique gauchiste
par l’extrême droite radicale ne saurait en aucun cas être cantonné dans
une vision complotiste, il est un réel travail de décloisonnement. Ce
travail s’inscrit exactement en parallèle de celui mené sous le nom de
métapolitique par la Nouvelle droite et témoigne que l’originalité
avant-gardiste de celle-ci doit être pondérée lors d’une analyse de
champ. Il s’effectue avec le même penchant consécutif pour la Révolution
Conservatrice comme mode palingénésique du nationalisme, avec la même
passion pour le maniement précis du vocabulaire, et avec une légère
avance chronologique. L’acculturation du gauchisme concerne les leçons,
l’esthétique, et des éléments culturels : il n’est pas d’apports
profonds au substrat idéologique si on se place dans une perspective
analytique centrée sur le « minimum fasciste ». La dimension
révolutionnaire conservatrice reste ici la partie la plus stable et la
plus enracinée dans la conception politique : l’instinct réactionnaire,
le goût de l’ordre, mais avant toute chose et au bout du compte la
Révolte contre le monde moderne – pour reprendre l’intitulé de l’un des
plus importants ouvrages d’Evola – constituent en quelque sorte le
fichier racine du logiciel nationaliste-révolutionnaire et nazi-maoïste.
En tant que « réaction moderniste », la mouvance retient, dans les
leçons de Mai, le dogme de la nécessaire adéquation avec la réalité
culturelle du temps, d’où vient qu’il ne faut point être obstinément
réactionnaire, en particulier dans les questions de mœurs.
L’appropriation culturelle sincère
d’aspects du gauchisme et des populismes nationalistes (un amalgame en
soi très parlant) est en fait un mode enthousiaste de redécouverte et de
dépassement du fascisme historique, une volonté de régénération du
nationalisme par un jeu de « billard à trois bandes » envers le
fascisme-mouvement : la respiration « gauchisante » du discours et de
l’auto-représentation est parallèle à celle de la réévaluation du
caractère révolutionnaire du fascisme par l’historiographie. Cependant,
il est évident que, dans leur auto-représentation, ces nationalistes se
perçoivent, et par là-même sont, des fascistes de « gauche », et que les
oscillations de langage portent fatalement l’oscillation idéologique.
Nicolas Lebourg