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mardi 23 juin 2015

L’Euro est il soluble dans les Etats-Unis ?



Alors que l’on se rapproche de plus en plus de l’hypothèse d’un défaut de la Grèce, deux lignes d’arguments commencent à être développés par les eurolâtres de tout poil : la « catastrophe » qu’une sortie de l’Euro entraînerait pour la Grèce, mais aussi, plus subtilement, le fait qu’une telle sortie, affaiblissant, voire compromettant la survie de l’Euro, ferait en réalité le jeu des Etats-Unis. Cet argument est aujourd’hui mobilisé tant par des hommes politiques du centre-droit (François Fillon et Alain Juppé) que du centre gauche (essentiellement au P « S »).

Sur le premier argument, je renvoie les lecteurs à ce que j’ai écrit, et ce que tout le monde connaît. La situation de la Grèce est – hors le problème de la dette – relativement assainie aujourd’hui avec un quasi-excédent primaire (autrement dit les dépenses « hors dettes » sont couvertes par les recettes) et un déficit extrêmement faible de la balance commerciale. Une dépréciation de la nouvelle monnaie (la Drachme ?) de 20% à 30% serait suffisante pour que la Grèce devienne excédentaire du point de vue de la balance commerciale. Quant au risque d’inflation, compte tenu des pressions déflationnistes extrêmement fortes aujourd’hui dans l’économie grecque, il est des plus réduit. Une dépréciation de -30% devrait entraîner une hausse des prix de 6% la première année et de 4% la seconde. C’est donc le second argument qui apparaît le plus « intéressant » car il cherche à retourner la réalité des faits.

1 Aujourd’hui (et depuis en réalité 2010) les Etats-Unis ont pris position en faveur de l’Euro

. Ce sont eux qui ont fait pression sur le FMI pour qu’il assouplisse sa position. Mais, nous ne sommes plus dans la situation des années 1980 ou 1990. Les Etats-Unis ne sont plus tout puissants au sein du FMI, même s’ils conservent une voix dominante. Cela explique en partie les embardées dans la communication de cette institution, qui d’une part reconnaît que la dette grecque n’est pas soutenable, et de l‘autre exige le paiement des intérêts. Mais il faut savoir que les prêts du FMI se font, en général, hors des conditions de marché, et que leur contrepartie est que ces prêts ne peuvent être renégociés que dans un cadre global, si tous les acteurs (et tous les prêteurs) sont d’accord pour une telle renégociation. De plus, Mme Christine Lagarde, l’actuelle directrice du FMI, doit tenir compte non seulement des voix allemandes au sein de l’organisation mais aussi de la diversité des opinions selon les divers départements du FMI. Présenter le FMI comme un « obstacle » à un règlement est faux. Le véritable obstacle n’est pas sur les bords du Potomac, mais à Berlin. Dire cela n’excuse pas les erreurs qui ont été commises par le FMI sur la question grecque, mais doivent cependant conduire à les relativiser. La Commission de Européenne et la Banque Centrale Européenne ont eu une politique bien plus nocive que le FMI, et les conséquences de cette politique ont été largement plus désastreuses que celles du FMI.

2 Les Etats-Unis ont en réalité un double intérêt à la survie de l’Euro.

Commercialement tout d’abord, le fait que dans une monnaie « européenne » il y ait l’Allemagne implique une surévaluation relative de cette monnaie par rapport au Dollar des Etats-Unis. On le constate encore aujourd’hui. Si l’Euro éclatait, ce qui est – et le fait que cela soit reconnu depuis quelques jours du fait de la crise grecque est un immense pas en avant – désormais probable en cas de défaut de la Grèce, le mouvement des monnaies nationales serait une dépréciation pour le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France et la Belgique, et une appréciation pour l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Or, les Etats-Unis achètent des biens industriels (des machines et des voitures à l’Allemagne) et vendent des produits aux autres pays. Ces mouvements de parité limiteraient leur capacité à vendre des produits (en Europe du Sud) mais rendraient plus onéreux les achats à l’Allemagne. Ils n’ont donc aucun intérêt commercial à un éclatement de l’Euro
Financièrement, la crise et la spéculation sur l’Euro servent de bouclier au Dollar des Etats-Unis qui, si toute l’attention nécessaire lui était consacrée montrerait des signes de faiblesses bien plus important qu’actuellement. Un Euro malade, mais maintenu en vie par des opérations artificielles, est en réalité dans les intérêts des Etats Unis. D’ailleurs, si l’on regarde l’évolution des monnaies utilisées comme réserves dans les Banques Centrales, on constate que, jusqu’en 2007, le dollar a plutôt profité de l’existence de l’Euro. Sa part s’est légèrement accrue. Présenter l’Euro comme un « anti-Dollar » est un travestissement des faits comme on peut le constater dans le graphique suivant.

Graphique 1

Erreur

Sources : FMI


3 Il est cependant clair que nous vivons le crépuscule du système monétaire international dominé par le Dollar. Mais, l’Europe (et plus précisément les pays européens) est relativement muette quant au système monétaire international


. Les pays européens sont en réalité accaparés par les tentatives de faire survivre l’Euro qui a dépassé depuis longtemps sa date de péremption. En fait, l’existence de l’Euro est en réalité un obstacle à l’émergence d’une position européenne cohérente sur la réforme du système monétaire international. Alors que, dans les années 1960, puis 1970 et 1980, la France et l’Allemagne ont été porteuses de demandes très précises quant à une réforme du système monétaire international, depuis la mise en place de l’Euro, et en fait depuis la période préparatoire à cette mise en place, ces pays ont été absent d’une réelle réflexion sur l’architecture du système monétaire international. Ces deux pays se sont ralliés à l’idée d’une libéralisation absolue des mouvements de capitaux quitte à découvrir, come c’est le cas avec la crise grecque, qu’une telle liberté n’est pas sans entraves pour l’existence d’une politique monétaire indépendante. La France et l’Allemagne ont abandonné aux pays émergents, et concrètement à la Russie et à la Chine, l’initiative d’une remise en cause du système actuel dont les défauts sont désormais évidents. Que le rôle des pays émergents soit important était inévitable, et constitue même une bonne nouvelle en permettant de penser une réforme possible vers un système moins dépendant de la puissance américaine. Mais, le silence sur cette question de la France et de l’Allemagne, pour ne parler que de ces pays, aura des conséquences. La désertion de ce combat se fera à nos dépens. On peut donc considérer que l’existence de l’Euro, loin d’être la base d’une contestation du rôle du Dollar et de l’ordre monétaire international actuel, contribue en réalité à le renforcer.

4. Ce silence face aux Etats-Unis se combine avec une complaisance pour des projets de traités (le TAFTA) dont la nocivité est de plus en plus évidente.

Il est évident aujourd’hui que les Etats-Unis cherchent à imposer aux pays européens à la fois une réduction des normes (en particulier dans le domaine sanitaire et écologique) mais aussi la prédominance des tribunaux d’arbitrage privés sur le droit des Etats. Quand François Fillon a fait sa déclaration sur la nécessité d’une « révolte européenne », il pensait probablement à cela. Mais, il faut comprendre qu’aujourd’hui il est bien seul chez les « Républicains » à défendre une telle position. Les dirigeants socialistes semblent eux aussi prêts à toutes les compromissions qu’ils déguiseront du manteau d’une « défense de l’unité européenne ». Très clairement on mesure ici que l‘Euro et la dimension « européenne », conçue comme un cadre supranational, sont un obstacle à toute politique réellement indépendante et nous conduisent vers la soumission, dans les faits si ce n’est dans le droit, aux Etats-Unis.
 
 Jacques Sapir