Philippe Conrad |
Il apparaît bien lointain le temps où un
premier ministre français se réjouissait de percevoir les « dividendes
de la paix ». L’heureuse issue de la guerre froide et la disparition de
la menace soviétique semblaient alors ouvrir une ère nouvelle et
annoncer la « fin de l’Histoire » espérée par Francis Fukuyama. Le
triomphe planétaire de la démocratie parlementaire à l’occidentale,
couplé avec celui de l’économie de marché et l’adhésion obligatoire à
l’idéologie droitdel’hommiste préparaient l’avènement de la paix
perpétuelle rêvée par Kant deux siècles plus tôt. « L’empire
bienveillant » de George Bush père, la « nation indispensable » de
Madeleine Albright étaient là pour assurer la police universelle et
mettre au pas les rebelles, ce dont la Serbie fit la douloureuse
expérience en 1999. Samuel Huntington vient certes nuancer cet optimisme
en prophétisant un futur « choc des civilisations » mais cette nouvelle
clé d’interprétation de l ‘évolution du monde s’accorde trop
parfaitement avec la nouvelle vision géopolitique en train de s’affirmer
à Washington et dans les cercles néo-conservateurs et atlantistes pour
ne pas susciter de légitimes soupçons. La Chine est l’adversaire
potentiel de l’avenir et la distinction établie entre monde occidental
et monde slave orthodoxe dissimule mal la préoccupation américaine
d’empêcher à tout prix l’émergence d’un bloc eurorusse , seul en mesure
de contester à terme l’hégémonie de la puissance dominante.
L’événement, de dimension planétaire, du 11 septembre 2001 vient pourtant bouleverser la donne en entraînant les Etats-Unis, en Afghanistan puis en Irak, dans des interventions aux retombées totalement calamiteuses, propres à faire surgir un ennemi islamiste aussi dangereux qu’inattendu qui a ouvert une confrontation majeure susceptible de contribuer au grand chambardement de l’ordre établi depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La rapide ascension des pays émergents, le retour de la Russie, l’inexistence de l’Europe-puissance et les poudrières proche-orientales et africaines constituent la toile de fond sur laquelle vont fatalement s’opérer, dans les années et les décennies qui s’annoncent des bouleversements de grande ampleur à propos desquels il est plus que jamais nécessaire d’anticiper et de se préparer.
La paix rêvée par les pacifistes n’est pas pour demain et tout familier de la longue histoire ne peut en être surpris. Le grand préhistorien Jean Guilaine nous explique ainsi que « la guerre s’enracine dans les temps paléolithiques ». « Mère de toute chose » selon Héraclite, elle est omniprésente à toutes les époques dans l’ensemble des sociétés humaines et commande les grandes ruptures qui, de la conquête romaine au choc des cavaleries médiévales ou aux batailles du Grand Siècle, déterminent durablement les destinées du monde. L’horreur des deux conflits mondiaux de la première moitié du XXème siècle et l’avènement de l’ère nucléaire qui a conclu le second ont permis d’imaginer que le « phénomène-guerre » tel qu’a voulu l’analyser Gaston Bouthoul, le fondateur de la « polémologie », allait être enfin compris et maîtrisé et que, selon la formule célèbre de Raymond Aron, la paix allait certes demeurer « improbable » mais que la guerre était en tout cas devenue « impossible ». Un jugement pertinent en pleine guerre froide, quand s’accumulaient dans les deux camps dominant la planète les arsenaux de l’apocalypse, mais largement obsolète aujourd’hui, en un temps où de nouvelles menaces se précisent, alors que s’additionnent les déséquilibres économiques et démographiques, alors que la « mondialisation » présentée comme un horizon indépassable – on nous déjà fait le coup avec les « lendemains qui chantent » chers à nos communistes d’avant-hier – révèle régulièrement ses effets catastrophiques.
Au moment où l’Europe, anesthésiée par de « élites » aussi aveugles qu’incapables, apparait comme « l’homme malade » d’un monde en pleine mutation, il devient urgent de prendre en compte les dangers qui s’accumulent et de se doter des moyens nécessaires pour y faire face. Il est dans l’Histoire des moments décisifs qui imposent des choix lucides et courageux, faute de quoi l’hypothèse du pire se transforme vite en certitude.
L’événement, de dimension planétaire, du 11 septembre 2001 vient pourtant bouleverser la donne en entraînant les Etats-Unis, en Afghanistan puis en Irak, dans des interventions aux retombées totalement calamiteuses, propres à faire surgir un ennemi islamiste aussi dangereux qu’inattendu qui a ouvert une confrontation majeure susceptible de contribuer au grand chambardement de l’ordre établi depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La rapide ascension des pays émergents, le retour de la Russie, l’inexistence de l’Europe-puissance et les poudrières proche-orientales et africaines constituent la toile de fond sur laquelle vont fatalement s’opérer, dans les années et les décennies qui s’annoncent des bouleversements de grande ampleur à propos desquels il est plus que jamais nécessaire d’anticiper et de se préparer.
La paix rêvée par les pacifistes n’est pas pour demain et tout familier de la longue histoire ne peut en être surpris. Le grand préhistorien Jean Guilaine nous explique ainsi que « la guerre s’enracine dans les temps paléolithiques ». « Mère de toute chose » selon Héraclite, elle est omniprésente à toutes les époques dans l’ensemble des sociétés humaines et commande les grandes ruptures qui, de la conquête romaine au choc des cavaleries médiévales ou aux batailles du Grand Siècle, déterminent durablement les destinées du monde. L’horreur des deux conflits mondiaux de la première moitié du XXème siècle et l’avènement de l’ère nucléaire qui a conclu le second ont permis d’imaginer que le « phénomène-guerre » tel qu’a voulu l’analyser Gaston Bouthoul, le fondateur de la « polémologie », allait être enfin compris et maîtrisé et que, selon la formule célèbre de Raymond Aron, la paix allait certes demeurer « improbable » mais que la guerre était en tout cas devenue « impossible ». Un jugement pertinent en pleine guerre froide, quand s’accumulaient dans les deux camps dominant la planète les arsenaux de l’apocalypse, mais largement obsolète aujourd’hui, en un temps où de nouvelles menaces se précisent, alors que s’additionnent les déséquilibres économiques et démographiques, alors que la « mondialisation » présentée comme un horizon indépassable – on nous déjà fait le coup avec les « lendemains qui chantent » chers à nos communistes d’avant-hier – révèle régulièrement ses effets catastrophiques.
Au moment où l’Europe, anesthésiée par de « élites » aussi aveugles qu’incapables, apparait comme « l’homme malade » d’un monde en pleine mutation, il devient urgent de prendre en compte les dangers qui s’accumulent et de se doter des moyens nécessaires pour y faire face. Il est dans l’Histoire des moments décisifs qui imposent des choix lucides et courageux, faute de quoi l’hypothèse du pire se transforme vite en certitude.
Notes |
Philippe Conrad est Directeur de La Nouvelle revue d’histoire (NRH)et Président de l’Institut Iliade |
Source |