Jules Pecnard
Invitée à justifier une pétition de 2012 défendant un groupe de rap aux paroles virulentes vis-à-vis de la République, une élue France insoumise est accusée d'anti-France.
À peine élue, la députée France insoumise (LFI) de la 17e circonscription de Paris, Danièle Obono, a trouvé de virulents contempteurs. Invitée mercredi au "Grand oral des Grandes Gueules" sur RMC et Numéro 23, l'élue a été confrontée à une pétition qu'elle avait signée en 2012. Son objet: défendre un chanteur du groupe Zep (Zone d'expression Populaire) qui, à l'époque, avait commis un album intitulé Nique la France. L'idée était alors de "défendre la liberté d'expression de cet artiste", argue aujourd'hui l'intéressée.Dans la foulée, l'animateur de l'émission lui demande si, en tant qu'élue de la République, elle pouvait désormais prononcer les mots "Vive la France", de sorte, implicitement, à contrebalancer les propos des artistes dont elle a plaidé la cause cinq ans auparavant. Après un soupir de quelques secondes, Danièle Obono s'interroge: "Pourquoi 'Vive la France'? [...] Je peux dire 'Vive la France', oui, mais 'Vive la France' pourquoi? Le 14 juillet? [...] Vous voulez que je me mette au garde-à-vous et que je me mette à chanter la Marseillaise?" Conclusion d'un des chroniqueurs: "Vous signez plus facilement 'Nique la France' que vous ne dites 'Vive la France'."
Libération s'invite dans le débat
Aussitôt, la séquence a suscité l'émoi de nombreux internautes, principalement issus du Front national ou de courants identitaires... et l'ex-député Les Républicains Thierry Mariani. Aussi bien l'absence de remise en question des paroles du groupe Zep que le manque d'entrain à déclarer "Vive la France" sont pointés du doigt. Plusieurs sites de la fachosphère l'accusent d'être proche du Parti des indigènes de la République (PIR), régulièrement soupçonné de dérives jugées "racialistes".De son côté, le quotidien Libération s'invite dans le débat en publiant un éditorial dans lequel il demande, en substance, "de quel droit" Danièle Obono se voit sommée par les Grandes Gueules de déclarer sa flamme à la République française. Soulignant que la députée "est noire" (d'origine gabonaise), l'éditorial interroge le fait que n'aient pas été questionnés de la même manière d'autres signataires de la pétition, comme les actuels députés LFI Eric Coquerel ou Clémentine Autain.
Une pétition signée par l'extrême gauche
Ladite pétition, qui remonte donc à 2012, tendait à prendre la défense du rappeur Saïdou et du sociologue militant Saïd Bouamama (qui avait participé à la "Marche des Beurs" en 1983). Les deux avaient été mis en examen pour "injure publique" et "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence", à la suite d'une plainte déposée par l'Agrif (Alliance générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et Chrétienne), association classée à l'extrême droite. Ils ont été relaxés en 2015. "Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes / Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes", entend-on dans la chanson incriminée.Les pétitionnaires sont d'horizons divers, mais appartiennent globalement à l'extrême gauche. De la Ligue communiste révolutionnaire d'Olivier Besancenot (pour laquelle militait Danièle Obono) à Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République. Le texte, republié par Libération, prend en exemple des auteurs comme André Breton, Léo Ferré, Louis Aragon ou Renaud, symboles selon les signataires d'une "longue tradition pamphlétaire des artistes engagés en France". Et de défendre le "devoir d'insolence" des artistes "afin d'interpeller et de faire entendre des opinions qui ont peu droit de cité".
"Elle a le droit d'avoir un temps de réflexion"
Contacté par L'Express, le député LFI de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière prend la défense de sa collègue et amie. "Je trouve honteux que Danièle Obono soit mise sur le gril sur ce sujet. J'estime que la pétition de 2012 défendait non pas les paroles de cette chanson, mais la liberté d'expression de ses auteurs. Après, je n'aime pas Zep, je le dis. Je suis d'une sensibilité plus républicaine et patriote, mais je comprends totalement que Danièle réagisse comme ça. Vous aimeriez qu'on vous force à dire 'Vive la France', vous?", interroge-t-il, reprochant aux Grandes Gueules d'avoir, en somme, "bizuté" la primo-élue.Le député francilien désapprouve également le discours du PIR, qui a tendance à "ethniciser tous les sujets" selon lui. Mais il l'assure, Danièle Obono n'est en rien proche de ce mouvement. "Certes elle est élue de la République, mais elle a le droit d'avoir un temps de réflexion sur son amour de la France. Les GG [Grandes Gueules, sic] ne lui ont pas laissé ce temps. Est-ce que le 'Vive la France' de Jean-Luc Mélenchon est le même que celui de Marine Le Pen? C'est un débat subtil", estime Alexis Corbière.
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