MPI
reproduit ici l’excellent article de l’abbé Jean-Michel Gleize qui
explique pourquoi la FSSPX « a l’immense honneur, après quarante années
d’exclusion, de pouvoir, au Vatican, témoigner de la foi catholique, en
attendant que Rome se décide enfin à chasser du milieu des croyants le
peuple impie de ces erreurs conciliaires. » Pour que ce qui a fait cet honneur ne soit pas renié et trahi dans le déshonneur.
Pour une entente doctrinale ? abbé Jean-Michel Gleize – 29 mai 2017
1. Dans un récent entretien, Mgr Guido Pozzo a déclaré que « la réconciliation se fera lorsque Mgr Fellay
adhérera formellement à la déclaration doctrinale que lui a présentée
le Saint-Siège. C’est aussi la condition nécessaire pour procéder à la
régularisation institutionnelle, avec la création d’une prélature
personnelle ». Et lors de son retour du récent pèlerinage à Fatima
(12-13 mai) à l’occasion d’une une conférence de presse donnée dans l’avion,
le Pape François fait allusion à ce document, mis au point par la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, lors de sa dernière séance du
mercredi 10 mai. Il s’agirait donc bien, dans l’esprit de Rome, d’une entente doctrinale. L’expression est cependant équivoque ; elle peut en effet s’entendre en deux sens.
2. Dans un premier sens,
le but poursuivi est que la Tradition retrouve tous ses droits à Rome,
et que par conséquent le Saint-Siège corrige sérieusement les erreurs
doctrinales qui sont à la source de la crise sans précédent qui sévit
encore dans la sainte Église. Cette correction est le but que recherché,
but en soi et cause finale, principe de tout l’agir subséquent dans le
cadre des relations avec Rome. Et ce but n’est autre que le bien commun
de toute l’Église. En ce sens, l’entente doctrinale signifie que Rome
doit s’entendre non point avec la Fraternité Saint Pie X, mais avec la doctrine de toujours et revenir de ses erreurs.
3. Dans un deuxième sens,
il s’agirait que Rome s’entendît avec la Fraternité Saint Pie X, en vue
d’une reconnaissance canonique. Cette reconnaissance serait le but en
soi, principe de tout l’agir subséquent. Ce but ne serait autre que le
bien particulier apparent d’une société telle que la Fraternité. La
formulation d’une position doctrinale commune suffisamment acceptable
par les deux parties, Rome et la Fraternité, en serait seulement le
moyen. Et il suffirait que ce moyen fût proportionné au but : il ne
serait donc pas nécessaire que Rome corrige toutes les erreurs du
Concile ; il suffirait qu’elle n’impose pas la profession de ces
erreurs. En ce sens, l’entente doctrinale signifie que la Fraternité
s’accorde avec Rome sur un certain nombre d’affirmations doctrinales
exemptes d’erreurs.
4. Il est à
craindre et il est même évident que Rome entend l’entente doctrinale au
second sens, et envisage au mieux un régime de tolérance à l’égard de la
Fraternité, mais nullement de corriger les erreurs du Concile. Jusqu’ici, les héritiers de Mgr Lefebvre
se sont fait un devoir d’envisager les choses du point de vue du
premier sens. Dès lors, il est clair qu’une pareille « base d’entente »
restera toujours insuffisante, tant que Rome n’y aura pas intégré la
correction des erreurs du Concile.
5. En effet, l’adage vaut ici comme ailleurs : « bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu
». L’adage doit bien sûr s’entendre au sens moral, et par rapport à des
actes humains. Si nous prenons Vatican II comme un ensemble de textes,
bien évidemment, nous pouvons toujours faire le tri entre la vérité,
l’équivoque et l’erreur et chaque passage concerné peut être pris
isolément. Ce tri peut avoir lieu dans le cadre d’un dialogue d’experts –
ou d’une commission de révision. Cependant, l’usage de l’Église est de
considérer les textes non en tant que tels mais d’un point de vue moral,
c’est-à-dire en tant que ces textes font globalement l’objet d’une
adhésion de la part de l’Église et de ses fidèles (donc d’un acte humain
moralement considéré) et risquent, à cause de leurs erreurs ou de leurs
équivoques, de leur causer du scandale. De ce point de vue, il ne
suffit pas de signer un texte qui exprime une partie seulement de la
vérité ; il est nécessaire que Rome professe l’intégralité de toute la
vérité et condamne par le fait même les erreurs qui vicient de fond en
comble toutes les vérités partielles qui peuvent se rencontrer dans le
magistère conciliaire et post-conciliaire.
DE QUELQUES POINTS LITIGIEUX
1) Le concile Vatican II
6. La référence à Vatican
II est toujours gênante, même lorsqu’il s’agit de passages isolés
apparemment orthodoxes. Ce Concile fait en effet l’objet de notre refus,
en raison des nombreuses erreurs graves qui s’y sont introduites. Or,
malum ex quocumque defectu : il suffit qu’il y ait quelques passages
mauvais pour que le Concile soit mauvais, même s’il y a aussi quelques
passages bons. Ces passages bons ne rachètent pas les passages mauvais.
2) La liberté religieuse (déclaration Dignitatis humanæ)
7. D’une part, autre chose
est d’exercer la contrainte au for externe pour conduire les personnes à
embrasser la vraie religion, autre chose est d’exercer la contrainte au
for externe pour empêcher les personnes de professer une religion
fausse. D’autre part, il y a une différence entre la contrainte
physique, qui est une contrainte proprement dite (c’est-à-dire une
violence) et la contrainte morale, qui est une contrainte improprement
dite (c’est-à-dire selon les cas une persuasion ou une dissuasion). La
doctrine sociale de l’Église exige que l’État exerce son autorité en
faveur de la vraie religion : 1°) en exerçant au for externe la double
contrainte physique et morale pour empêcher et dissuader la profession
de l’erreur et 2°) en exerçant également au for externe une certaine
contrainte morale pour persuader la profession de la vraie religion.
L’Église a condamné seulement le recours à la contrainte physique pour
imposer la vraie religion. Le n° 2 de Dignitatis humanæcontredit
cette doctrine de l’Église précisément en ce qu’il reconnaît comme un
droit civil le droit de ne pas être empêché, par quelque pouvoir humain
que ce soit, de professer l’erreur.
3) La collégialité (constitution Lumen gentium)
8. Les trois points litigieux sont les suivants.
9. Le n° 22 Lumen gentium
affirme que le collège épiscopal (corps épiscopal aussi bien rassemblé
que dispersé) est le sujet ordinaire et permanent du pouvoir sur toute
l’Église. Au contraire, la Tradition affirme que seul le corps épiscopal
rassemblé peut être le sujet seulement temporaire et extraordinaire de
ce pouvoir.
10. Le n° 22 de Lumen gentium
affirme que le collège épiscopal incluant le pape constitue, en plus du
pape considéré seul, un deuxième sujet permanent du pouvoir sur toute
l’Église. Au contraire, la Tradition affirme que le corps épiscopal
n’est pas un deuxième sujet de ce pouvoir mais que le seul concile
oecuménique est une deuxième mode d’exercice du même sujet (le pape) du
même pouvoir.
11. Le n° 22 en liaison avec le n° 21 de Lumen gentium
affirme que le collège épiscopal tient son pouvoir directement non du
pape mais du Christ par la consécration épiscopale et que le
consentement du pape est seulement requis pour son exercice. Au
contraire, la Tradition affirme que le concile oecuménique ne peut tenir
son pouvoir directement que du pape, et que c’est l’autorité même du
pape qui est communiquée au concile et participée dans ce pouvoir
temporaire et extraordinaire du concile : celui-ci se réunit donc non
seulement « cum capite » (ce qui serait le point de vue réducteur d’une
cause matérielle, requise à l’intégrité de l’assemblée), mais beaucoup
plus que cela « sub capite » (point de vue d’une cause efficiente » et
même « ex capite » (point de vue d’une cause formelle).
12. La Nota prævia ne résout pas tous ces problèmes et laisse intacte l’idée d’un double sujet du primat.
13. D’autres points du
chapitre III de Lumen gentium posent de graves difficultés : le n° 21
affirme la sacramentalité de l’épiscopat avec l’idée que le sacre
confère en acte le triple munus, non seulement le pouvoir d’ordre mais
même le pouvoir de juridiction, avec le magistère et le gouvernement, ce
qui est contraire à toute la Tradition et à tout le Droit canonique. Le
point de départ de la collégialité est ici radicalement faux, ainsi que
l’on fait observer les pères membres du Coetus, au moment même du
Concile (1). Le cardinal Browne fait remarquer que
l’idée selon laquelle la consécration épiscopale donne en acte ou dans
leur essence les trois pouvoirs d’ordre, de magistère et de gouvernement
contredit l’enseignement du magistère ordinaire suprême de Pie XII, donné à trois reprises et s’inscrit aussi en faux contre la théologie de saint Thomas. Mgr Carli
fait observer que cela contredit le Droit de l’Église, relativement à
la collation du primat de juridiction du Pape, à la collation de la
juridiction ordinaire des évêques résidentiels et même à l’absence de
toute juridiction des évêques titulaires. Le n° 25 donne une définition
collégialiste de l’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel ;
le n° 18 pose l’antériorité du Collège des apôtres sur saint Pierre.
4) L’oecuménisme (décret Unitatis redintegratio et constitution Lumen gentium)
14. Les trois points litigieux sont les suivants.
15. Les textes d’Unitatis redintegratio
affirment la réalité d’une communion réelle, bien que imparfaite et
partielle, de société à société, c’est-à-dire entre la structure visible
de l’Église catholique et la structure visible des communautés
chrétiennes non catholiques séparées. Au contraire, la Tradition affirme
que seulement certains parmi les membres des communautés chrétiennes
non catholiques séparées peuvent être non en communion mais ordonnés au
Corps mystique du Rédempteur, qui est identiquement l’Église du Christ
et l’Église catholique.
16. Les textes de Lumen gentium
affirment la réalité d’une présence et d’une action de l’Église du
Christ en dehors de la structure visible de l’Église catholique, dans
les communautés chrétiennes non catholiques séparées. Au contraire, la
Tradition affirme seulement la réalité d’une action du Saint-Esprit en
dehors du Corps mystique du Rédempteur, qui est identiquement l’Église
du Christ et l’Église catholique, et que cette action a lieu dans
certaines âmes qui font partie des communautés chrétiennes non
catholiques séparées, mais non dans ces communautés elles-mêmes.
17. Les textes de Lumen gentium et de Unitatis redintegratio
affirment qu’il y a dans les communautés chrétiennes non catholiques
séparées des éléments dont la valeur salutaire dérive de la plénitude
confiée à l’Église du Christ et qui tendent par eux-mêmes à l’unité
catholique et que le Saint-Esprit peut donc se servir de ces communautés
comme de moyens de salut. Au contraire, la Tradition affirme que les
éléments qui se trouvent dans les communautés chrétiennes non
catholiques séparées n’ont par eux-mêmes aucune valeur salutaire, et que
celle-ci ne saurait dériver de l’Église, puisque ces communautés
refusent en tant que telles le primat de juridiction du pape, alors que
précisément la valeur salutaire des dogmes et des sacrements leur vient
de ce qu’ils sont dispensés selon l’ordre voulu par le Christ,
c’est-à-dire dans la dépendance du primat de juridiction de son vicaire,
qui est le pape, évêque de Rome et chef de l’Église.
5) Le Magistère
18. La définition même du
Magistère est falsifiée en pratique, car depuis Vatican II, les
titulaires du pouvoir de Magistère usent de ce pouvoir à contresens,
puisqu’ils imposent des erreurs contraires aux vérités qui font l’objet
du Magistère. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas reconnaître que
Vatican II est l’expression d’un véritable Magistère catholique. Nous ne
pouvons pas affirmer (du moins pas sans distinctions et restrictions)
que les textes du Concile Vatican II sont compris parmi les textes du
Magistère, qu’ils sont l’expression d’un Magistère catholique.
19. La définition du Magistère est falsifiée en théorie. La constitution Dei Verbum,
au n° 8, affirme que « ce qui a été transmis » « progresse dans
l’Église, sous l’assistance du Saint-Esprit ; en effet, la perception
des réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît, soit par
la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur coeur,
soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des réalités
spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession
épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité ». Ce passage ne fait
aucune distinction entre le rôle du Magistère et celui de l’Église
enseignée. La proposition plus explicite du Magistère est en effet la
cause de la meilleure perception de la vérité chez les fidèles, dans la
contemplation ou l’étude. Équiparer les deux autorise l’interprétation
erronée qui réduirait le rôle du Magistère à celui d’un canalisateur de
l’expérience collective. Et c’est d’ailleurs ce que suggère très
nettement l’enseignement de Benoît XVI (Catéchèses sur l’Église de 2006 ; Exhortation Verbum Domini) et celui de François (dernier discours lors du Synode, le 17 octobre 2015 ; Evangelii gaudium, n° 119-120).
20. Il est absolument faux
et contraire à toute la Tradition de prétendre que « le Magistère
suprême de l’Église est l’interprète authentique des textes précédents
du Magistère ». Il y a là une erreur extrêmement grave, et c’est
justement l’erreur radicale du néomodernisme, erreur dont nous périssons
depuis le dernier Concile. Le Magistère est l’organe et l’interprète de
la Révélation, et il l’est à toutes les époques de l’histoire et dans
tous les textes qu’il produit. Le Magistère présent doit continuer à
interpréter non le Magistère passé mais la Révélation contenue dans ses
sources (Écriture et Tradition : Pères et théologiens) ; et pour cela,
il doit se soumettre aux enseignements du Magistère antérieur qui ont
une autorité définitive et qui ont déjà clarifié certaines données de la
Révélation. Le Magistère présent n’interprète pas le Magistère passé,
il interprète les points de la Révélation non-encore interprétés par le
Magistère antérieur. Et il ne fait éventuellement que reprendre les
enseignements de ce Magistère antérieur qui n’ont pas besoin d’être
interprétés, mais qui sont, comme dit Pie XII dans Humani generis,
« la règle prochaine et universelle de vérité en matière de foi et de
moeurs » (DS 3 884). Cette erreur est extrêmement grave, car c’est
l’erreur persistante du Saint-Siège depuis cinquante ans et qui se
trouve à la racine de tout le discours du 22 décembre 2005.
Si c’est la parole d’aujourd’hui qui fait la vérité par elle-même,
parce qu’elle réinterprète sans cesse la parole d’hier, c’est le Pape
d’aujourd’hui qui fait la vérité à sa guise et la notion même de
Tradition catholique n’existe plus. On pourra bien parler, comme le fit
Benoît XVI, d’un « renouveau dans la continuité » mais si ce genre
d’expression facile rassure peut-être les inconditionnels du Concile,
cela n’explique pas grand-chose et cela ne réussit pas à convaincre ceux
qui demeurent perplexes devant les innovations évidentes du Concile.
Car personne n’a réussi à démontrer jusqu’ici que le renouveau de
Vatican II n’a pas brisé la continuité objective de la Tradition de
l’Église
21. C’est pourquoi, même
si on nous dit que l’interprétation se fait « à la lumière de la
Tradition », ce présupposé est faux. Car l’interprétation qui a lieu à
la lumière de la Tradition est celle qui interprète non le Magistère
mais la Révélation. Quand on voit comment dans le n° 119 de Evangelii gaudium François « interprète » le n° 12 de Lumen gentium
(qui est déjà une « interprétation » de Vatican I), on peut bien se
demander ce que signifie pour le Saint-Siège une meilleure compréhension
du depositum fidei, « in eodem dogmate, eodem sensu eademque sententia ».
6) La Nouvelle Messe
22. Dans l’interrogatoire
des 11-12 janvier 1979, à la question posée par la CDF : « Soutenez-vous
qu’un fidèle catholique peut penser et affirmer qu’un rite sacramentel
en particulier celui de la messe approuvé et promulgué par le Souverain
Pontife puisse être non conforme à la foi catholique ou favens hæresim ? », Mgr Lefebvre a répondu : « Ce rite en lui-même ne professe pas la foi catholique d’une manière aussi claire que l’ancien Ordo missæ
et par suite il peut favoriser l’hérésie. Mais je ne sais pas à qui
l’attribuer ni si le pape en est responsable. Ce qui est stupéfiant
c’est qu’un Ordo missæ de saveur protestante et donc favens hæresim ait pu être diffusé par la curie romaine (2). » La nouvelle liturgie n’est donc pas légitime, car elle favorise l’hérésie.
23. La validité (autre que
la légitimité) pose en tant que telle un deuxième problème ; Mgr
Lefebvre n’a jamais dit que le NOM était de soi valide. Il n’a jamais
nié que le NOM était douteusement valide mais il l’a affirmé, au
contraire, dans la conférence de 1979, citée à la page 374 du livre La
Messe de toujours, en s’appuyant sur la note 15 du Bref examen critique,
qu’il faisait sienne en des termes dont la netteté est impressionnante.
Mgr Lefebvre n’a jamais varié sur ce point, ni remis en cause
l’appréciation qu’il portait dans la conférence de 1979 citée à la page
374 du livre La Messe de toujours. D’un point de vue logique, Mgr
Lefebvre disant : « il est possible que le NOM soit valide », on peut en
déduire (et lui faire dire) : « il est possible que le NOM ne soit pas
valide ». Mais on ne peut pas en déduire (et lui faire dire) ni : « il
est impossible que le NOM ne soit pas valide » ni : « il est impossible
que le NOM soit valide ». Voici les déclarations publiquement adressées à
Rome par Mgr Lefebvre sur cette question :
1) Lettre de Mgr Lefebvre au pape Jean-Paul II, 8 mars 1980
: « Quant à la messe du Novus Ordo, malgré toutes les réserves qu’on
doit faire à son égard, je n’ai jamais affirmé qu’elle est de soi
invalide ou hérétique. »
2) Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 4 avril 1981
: « Quant à la Réforme liturgique, j’ai signé moi-même le décret
conciliaire et je n’ai jamais affirmé que les applications étaient de
soi invalides et hérétiques.»
3) Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 7 avril 1982
: « Le deuxième point correspondrait mieux à la réalité puisqu’il était
libellé comme suit : Mgr Lefebvre a signé le décret conciliaire sur la
Liturgie acceptant ainsi l’éventualité d’une Réforme. Il n’a jamais
affirmé que les textes des nouveaux livres liturgiques étaient
hérétiques ou de soi invalides dans la version latine originale, mais
estime que la Réforme liturgique, telle qu’elle a été réalisée,
nécessite de graves réserves, comme l’ont exprimé très justement les
cardinaux Ottaviani et Bacci. »
4) Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 21 juillet 1982 : « Nous ne doutons pas que beaucoup de prêtres disent avec dévotion le Novus Ordo Missæ. Mais cela n’enlève pas les graves défauts internes du Novus Ordo Missæ signalés particulièrement par les cardinaux Ottaviani et Bacci dans le Bref examen critique.»
5) Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 2 mars 1983
: « J’ai toujours reconnu et je reconnais à l’autorité légitime du
Saint-Siège le droit de légiférer en matière liturgique. Je n’ai jamais
affirmé que le nouvel ordo était hérétique mais je reconnais l’existence
d’une grave difficulté décrite par le cardinal Ottaviani et Bacci.»
6) Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 17 avril 1985
: « Nous n’avons jamais affirmé et n’affirmons pas que le Novus Ordo
Missae, célébré selon le rite indiqué dans la publication romaine, est
de soi invalide ou hérétique.»
7) Déclaration du 5 mai 1988 adressée au pape Jean-Paul II
: « 4. Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de
la Messe et des Sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que
fait l’Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du
Missel romain et des Rituels des sacrements promulgués par les Papes
Paul VI et Jean-Paul II.»
24. On notera ce que Mgr
Lefebvre avait accepté de signer en 1988 : il allait jusqu’à accepter de
reconnaître la validité du NOM, mais « avec l’intention de faire ce que
fait l’Église ». Cela est très important, car justement le NOM ne donne
plus que douteusement cette intention.
7) Le Nouveau Code de Droit canonique
25. Nous avons toujours refusé de respecter la discipline introduite par le Nouveau Code de 1983,
précisément parce que « imbu d’oecuménisme et de personnalisme, il
pèche gravement contre la finalité même de la loi » (3). Ce nouveau Code
véhicule de plus l’esprit de la nouvelle ecclésiologie, démocratique et
collégialiste. Ainsi que l’a reconnu le pape Jean-Paul II, les
enseignements de Vatican II présentent « un nouveau visage de l’Église
», qui doit inspirer à son tour la législation canonique du Nouveau Code
de 1983 (4).
26. Nous ne pouvons pas
nous contenter d’une discipline particulière pour la Fraternité ; nous
refusons ce Nouveau Code parce qu’il est contraire au bien commun de
toute l’Église, que nous voulons défendre (5). Rappelons à cet égard la
Décision reproduite dans Cor unum de mars 1992 (n° 41) : « La réception
du nouveau Code de droit canonique pose un réel problème de conscience
aux catholiques. Car d’une part il s’éloigne de façon impressionnante
dans l’ensemble comme dans le détail de la protection due à la foi et
aux moeurs. Et d’autre part, nous tenons à ne pas mettre en péril le
respect dû à l’autorité légitime. Mgr Lefebvre, malgré toute sa sagacité
n’a pas cru pouvoir trancher la question de la validité de la
promulgation de ce Code, mais son contenu comme les principes énoncés
dans la Lettre apostolique de promulgation (25 janvier 1983) la lui
faisaient tenir comme douteuse. En ce cas, selon le canon 15 (nc 14)
cette législation nouvelle n’urge pas. Dans cette situation, selon le
canon 23 (nc 21) le code de 1917 n’est pas présumé révoqué mais la
nouvelle législation doit être ramenée à la précédente et si possible
conciliée avec elle (6). » Cette Décision n’exprime pas ce qui ne serait
qu’une discipline particulière à la Fraternité. Elle indique une mesure
de prudence qui vaut objectivement pour tout catholique confronté aux
graves problèmes que suscite la nouvelle législation, douteuse en
elle-même.
RETOUR SUR « L’ENTENTE DOCTRINALE»
27. Comme nous l’avons
expliqué aux n° 1-5, le but que nous poursuivons est que la Tradition
retrouve tous ses droits à Rome. Ce but est premier dans notre intention
et sera (comme toujours) dernier dans l’exécution. Que signifie ici «
dernier » ? Cela signifie-t-il que la fin de la crise de l’Église aura
lieu tout à la fin, et donc après un accord de la Fraternité avec Rome ?
Ou bien cela signifie-t-il que la fin de la crise de l’Église
coïncidera avec cet accord ?
28. L’acceptation de notre
part d’une reconnaissance canonique, dans les circonstances actuelles,
représente un acte moralement indifférent, mais avec double effet, un
effet essentiel bon et un effet accidentel mauvais. L’effet bon est de
se situer dans la normalité juridique à l’égard de Rome (et même, pour
d’aucuns, de bénéficier d’un champ élargi d’apostolat, ce qui reste à
vérifier). L’effet mauvais est lui-même double : premièrement, le risque
de relativiser la Tradition qui n’apparaîtrait plus que comme le bien
particulier et l’option théologique personnelle de la Fraternité Saint
Pie X ; deuxièmement le risque de trahir et d’abandonner ce bien
particulier, en raison de tout le favens hæresim, qui caractérise comme telle l’Église conciliaire.
29. La solution dépend
tout d’abord de la proportion à établir entre l’effet bon et l’effet
mauvais. Il est clair que dans l’intention de notre Fondateur, il est
plus important d’éviter le double effet mauvais que d’obtenir l’effet
bon. L’effet bon est ici moins bon que le bien meilleur auquel s’oppose
le double effet pire. La profession publique de la foi est plus
importante que la normalité canonique. « Ce qui nous intéresse d’abord,
c’est de maintenir la foi catholique. C’est cela notre combat. Alors la
question canonique, purement extérieure, publique dans l’Église, est
secondaire. Ce qui est important, c’est de rester dans l’Église… dans
l’Église, c’est-à-dire dans la foi catholique de toujours et dans le
vrai sacerdoce, et dans la véritable messe, et dans les véritables
sacrements, dans le catéchisme de toujours, avec la Bible de toujours.
C’est cela qui nous intéresse. C’est cela qui est l’Église. D’être
reconnus publiquement, cela est secondaire. Alors il ne faut pas
rechercher le secondaire en perdant ce qui est primaire, ce qui est le
premier objet de notre combat (7). »
30. La solution dépend
ensuite de l’évaluation des circonstances : sont-elles telles que l’on
puisse raisonnablement espérer éviter le double effet mauvais, c’està-
dire le double risque ? Car il s’agit ni plus ni moins que d’un risque.
La question revient en somme à se demander s’il est prudent de se mettre
sous l’autorité des membres de la hiérarchie de l’Église, tels qu’ils
sont dans la situation présente, c’est-à-dire encore imbus pour la
plupart de faux principes contraires à la foi catholique. On pourra sans
doute citer quelques exceptions ; mais elles ne prouvent absolument
rien contre l’état d’esprit général qui n’est que trop évident, dans sa
généralité. Nous sommes bien obligés d’appliquer ici la règle suivant
laquelle on désigne les choses d’après ce qui domine en elles et de
conclure que les membres de la hiérarchie de l’Église sont actuellement
des modernistes. Ceci dit, pour répondre à notre question, nous
disposons de deux éléments : premièrement, notre propre expérience,
puisque nous avons pu constater que jusqu’ici aucun de ceux qui ont
accepté une reconnaissance canonique de la part de Rome n’a pu vraiment
éviter le double effet mauvais ; deuxièmement, l’expérience de notre
Fondateur : « On ne rentre pas dans un cadre, et sous des supérieurs, en
disant que l’on va tout bousculer lorsqu’on sera dedans, alors qu’ils
ont tout en mains pour nous juguler ! Ils ont toute l’autorité (8).»
ROME EN MARCHE ?
31. Dans la conférence de presse aérienne du 13 mai,
le Pape répond à Nicolas Senèze qu’il souhaite prendre son temps : « A
me non piace affrettare le cose. Camminare, camminare, camminare, e poi
si vedrà. » François ne veut pas précipiter les choses : pour l’instant,
il faut marcher et marcher encore sur le chemin… Il faut, dit-il «
cheminer ensemble en cherchant la formule qui permettra d’avancer ».
Voilà qui jette une lumière intéressante sur la problématique que nous
évoquions au début de notre réflexion : dans l’esprit du Pape, la
formulation doctrinale n’est qu’un moyen. La doctrine, avec l’unité de
foi qu’elle garantit, ne représente pas le but de la démarche. Le but
serait plutôt d’avancer vers la pleine communion, dans un dialogue
incessant, et qui devrait d’ailleurs se prolonger même après l’octroi
d’une structure canonique (9). Et la pleine communion, nous dit Mgr
Pozzo dans l’entretien déjà cité, c’est l’enrichissement mutuel, au-delà
des divergences doctrinales : « Les différents points de vue ou
opinions que nous avons sur certaines questions ne doivent pas
nécessairement conduire à la division, mais à un enrichissement mutuel. »
Serait-ce donc la cohabitation de la vérité et de l’erreur, moyennant
le prix d’une déclaration commune plus que commune ?…
32. Malheureusement, ces
différents points de vue ne portent pas sur de simples opinions
également possibles, et les questions auxquelles ils correspondent ne
sont pas des questions « ouvertes », des questions sur lesquelles chacun
garderait sa liberté de réflexion – et de cheminement. Ces questions
ont été pour la plupart définitivement résolues par le Magistère de
l’Église, bien avant Vatican II. La liberté religieuse de Dignitatis humanæ et la laïcité positive de Gaudium et spes sont condamnés par Quanta cura de Pie IX. La nouvelle ecclésiologie oecuménique de Lumen gentium est condamnée par Pie XII dans Mystici corporis et Humani generis,
à cause de ce principe absolument faux, qui voudrait établir une
distinction réelle entre l’Église du Christ et l’Église catholique.
L’oecuménisme de Unitatis redintegratio est condamné par Pie XI dans Mortalium animos. La collégialité de Lumen gentium, en ce qu’elle nie l’unicité du sujet du Primat, tombe sous la condamnation du concile Vatican I.
33. En définitive, cette «
formule qui permettra d’avancer » nous ramène une fois de plus au texte
fondateur de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, le motu proprio du 2 juillet 1988 : Jean-Paul II y affirme que la Tradition est vivante. Le Discours de 2005 de Benoît XVIen
est l’écho et l’interprète direct : cette vie de la Tradition, c’est le
« renouveau dans la continuité ». Renouveau évolutionniste et
moderniste, qui entend dépasser la contradiction dans une impossible
herméneutique.
34. Que conclure ? Reprenant les paroles citées au début de ce numéro, nous dirions simplement que « la
Fraternité Saint Pie X n’a pas à négocier une charitable reconnaissance
qui la sauverait d’un schisme supposé. Elle a l’immense honneur, après
quarante années d’exclusion, de pouvoir, au Vatican, témoigner de la foi
catholique ». En attendant que Rome se décide enfin à chasser du milieu des croyants le peuple impie de ces erreurs conciliaires.
Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : Courrier de Rome n° 499 de mai 2017 / La Porte Latine du 29 mai 2017
Notes
(1) Cf. dans les Acta synodalia concilii Vaticani secundi, vol. III, pars I, les observations écrites du CARDINAL BROWNE (p. 629- 630) et celles de MGR CARLI (p. 660-661) sur le schéma De Ecclesia, à l’issue de la 3e session du Concile (été 1964).
(2) « Mgr Lefebvre et le Saint-Office », Itinéraires n° 233 de mai 1979, p. 146-147.
(3) « Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la FSSPX » dans Documents de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, p. 60A.
(4) JEAN-PAUL II, Constitution apostolique Sacræ disciplinoe leges du 25 janvier 1983 : « Fundamentalis illa ratio novitatis, quæ, a traditione legifera Ecclesiæ numquam discedens, reperitur in Concilio Vaticano II, præsertim quod spectat ad eius ecclesiologicam doctrinam, efficiat etiam rationem novitatis in novo Codice. »
(5) Cf MGR LEFEBVRE, Conférences des 18 janvier ; 15 mars ; 19 décembre 1983.
(6) « Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la FSSPX » dans Documents de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, p. 112D et 113A.
(7) MGR LEFEBVRE, Conférence spirituelle à Écône, le 21 décembre 1984 (Cospec 112).
(8) IDEM, ibidem.
(9) Cf. les deux articles « À l’origine des déclarations communes » et « La fin des anathèmes » dans le numéro de mars 2017 du Courrier de Rome.
(2) « Mgr Lefebvre et le Saint-Office », Itinéraires n° 233 de mai 1979, p. 146-147.
(3) « Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la FSSPX » dans Documents de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, p. 60A.
(4) JEAN-PAUL II, Constitution apostolique Sacræ disciplinoe leges du 25 janvier 1983 : « Fundamentalis illa ratio novitatis, quæ, a traditione legifera Ecclesiæ numquam discedens, reperitur in Concilio Vaticano II, præsertim quod spectat ad eius ecclesiologicam doctrinam, efficiat etiam rationem novitatis in novo Codice. »
(5) Cf MGR LEFEBVRE, Conférences des 18 janvier ; 15 mars ; 19 décembre 1983.
(6) « Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont jouissent les membres de la FSSPX » dans Documents de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, p. 112D et 113A.
(7) MGR LEFEBVRE, Conférence spirituelle à Écône, le 21 décembre 1984 (Cospec 112).
(8) IDEM, ibidem.
(9) Cf. les deux articles « À l’origine des déclarations communes » et « La fin des anathèmes » dans le numéro de mars 2017 du Courrier de Rome.