Quand l’Iranien Hassan Rohani emporte l’élection présidentielle dès le premier tour, le 19 mai dernier, l’Élysée se contente d’un bref communiqué officiel. Mais, en même temps, une fois encore, Emmanuel Macron prend aussi le temps de longuement téléphoner à son nouvel homologue afin de le féliciter.
En revanche, quelques jours après, quand Donald Trump, reçu à Ryad pour affirmer que Téhéran est le principal financier du terrorisme au Proche et Moyen-Orient, Macron laisse dire. Et Ali Akbar Salehi, ancien ministre des Affaires étrangères iranien, aujourd’hui directeur de l’Organisation iranienne à l’énergie atomique d’affirmer à notre confrère Georges Malbrunot du Figaro : « Au moment où le président Trump visitait l’Arabie Saoudite, que je connais bien pour y avoir servi, nous avons eu un grand moment de démocratie en Iran. Plus de quarante millions d’Iraniens sont allés voter pour choisir leur président. Quel pays de la région peut en dire autant, spécialement dans les pays du Golfe persique où leurs dirigeants sont au pouvoir pour toujours ? ».
Et l’ancien plénipotentiaire de poursuivre : « L’opinion publique internationale n’est pas dupe. Elle compare ce qui se passe chez nous et ce qui se passe chez eux. Derrière cette rhétorique, les vraies motivations du président Trump sont financières. Il veut bénéficier au maximum de la richesse des États du Golfe en surfant sur l’iranophobie et en créant une illusion sur la menace iranienne. Et ça marche : plus de trois cents milliards de dollars signés entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Mais les États du Golfe ont-ils la capacité d’utiliser toutes ces armes ? Sa rhétorique est également destinée au public américain auquel il dit : « Je prends l’argent des monarchies du Golfe, je leur dis ce qu’ils ont envie d’entendre, et je rentre à la maison pour aider notre économie. » »
Voilà qui est plutôt bien vu. Et qu’Emmanuel Macron fait peut-être semblant de ne pas voir, à en croire son silence assourdissant lors du numéro de claquettes effectué par l’ineffable locataire de la Maison Blanche. À sa décharge, il hérite d’une situation léguée par son prédécesseur. Autant François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient tenté de desserrer l’étau saoudien en privilégiant – sûrement un peu trop – le Qatar, mais François Hollande en a sûrement lui aussi trop fait en revenant au traditionnel et exclusif tropisme saoudien du Quai d’Orsay. Et notre actuel président condamné au louvoiement, à l’entre-deux eaux, à donner dans le « en même temps », une fois de plus.
D’où cet actuel pas de deux diplomatique, assez bien résumé par François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran, à l’occasion d’un entretien accordé à notre confrère Sputnik. Lequel site d’obédience russophile rappelle en préambule : « Le 6 juin, soit la veille des attentats de Téhéran, Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême national de sécurité de l’Iran, s’exprimait dans une interview au Figaro. Selon le dignitaire, l’élection d’Emmanuel Macron pourrait être l’occasion de renforcer les relations entre Paris et Téhéran, aussi bien au niveau économique que sécuritaire. »
Et François Nicoullaud de renchérir : « Les relations économiques ont déjà bien redémarré, depuis l’entrée en vigueur sur le nucléaire et la levée des sanctions contre l’Iran. Les sociétés françaises sont revenues en masse. De grands contrats ont été passés. […] Au demeurant, il persiste toutefois de grosses difficultés, notamment sur les questions de financement, les banques françaises hésitant à revenir en Iran par peur des Américains. »
Dans cette configuration, quelles peuvent être les marges de manœuvre de la France et de l’Europe ?
À en croire François Nicoullaud : « Donald Trump a appelé à isoler l’Iran, mais ce n’est pas la ligne de l’Union européenne, ni celle de la France. » Certes. Il n’est jamais interdit d’espérer, ou de nourrir d’autres craintes toutes aussi légitimes. Ainsi, sur le site Atlantico, portant, tel que son nom l’indique, haut et fort son atlantisme militant, le spécialiste en géopolitique Emmanuel Dupuy, s’inquiète néanmoins des suites de ce sommet américano-saoudien ayant entraîné en son sillage cinquante-cinq États islamiques, aux exceptions notoires de la Turquie et de l’Iran : « Déjà, plusieurs États africains, à l’instar du Mali, vont rompre leurs relations diplomatiques avec l’Iran, et ce, alors que l’Arabie Saoudite a promis une aide financière à Bamako. »
Fin conjointe de la politique orientale française et de notre pré carré africain, combinés à une singulière atonie des instances européennes ? Ça y ressemble. En attendant le possible renouveau d’une diplomatie française et européenne ? Il semblerait que pour l’instant, rien ne soit encore perdu. En même temps, il faut être sacrément optimiste pour y croire encore.