Patrice de La Tour du Pin (1911-1975) a été l'homme d'une quête : celle du Dieu de joie, le Christ pascal. Cette quête l'entraîna sur les routes d'une aventure spirituelle des plus exigeantes et des plus originales.
La première œuvre du poète, La Quête de Joie, publiée en 1933, contient en germe les intuitions de trois Jeux qu’il écrira pendant quarante ans sous le titre d’Une Somme de poésie, parue chez Gallimard. Il dialogua avec la culture de son temps, si souvent indifférente à la foi chrétienne. C’est de lui que vient cette phrase : « Tout homme est une histoire sacrée ». Il se dépassa en poésie pour accéder à une théopoésie où le langage symbolique est au service de la révélation du Dieu Amour.Le jardinier des mots
La Tour du Pin se décrit comme un « jardinier des mots » qui a voulu écrire la grande prière de l’homme de ce temps. Marié et père de quatre enfants, il vit surtout au Bignon-Mirabeau, dans le Loiret. Il fuit les milieux littéraires, se sentant plus artisan qu’artiste. Il se considère comme un traducteur, un témoin, un intermédiaire. En 1961, il reçoit le grand prix de poésie de l’Académie française. Il refusera constamment d’être élu à cette « noble » Académie, tout simplement parce que ça ne l’intéresse pas.C’est tout le contraire lorsque l’Église, au lendemain du concile Vatican II, l’appelle pour faire partie de la commission de cinq membres choisis par l’épiscopat pour traduire en français les textes liturgiques. Il répond en ces termes : « Voici un grand événement dans ma petite histoire : l’Église m’invite à participer aux travaux de traduction liturgique. C’est comme si elle me disait brusquement : “Le Jeu de l’Homme devant Dieu ? Va d’abord l’apprendre !” Et tout joyeux de cette leçon, je m’assieds au milieu des experts de la Parole ». (Une Somme de poésie III, 1983, p. 225)
Il consacre dix ans (1964-1974) à ce travail de traducteur et de créateur, sans toutefois délaisser sa Somme. Son langage, souvent audacieux, ne fait pas l’unanimité. Il réserve les mots jugés trop personnels pour son dernier Jeu, Le Jeu de l’homme devant Dieu, qui est le Jeu théopoétique par excellence.
Théopoète
Après avoir participé à la traduction des oraisons de la messe (près de 1250), des préfaces (près de 90), des quatre prières eucharistiques, des rituels du baptême et du mariage, des Psaumes du Psautier français liturgique, il compose une vingtaine d’hymnes pour la liturgie des heures, réalisant un vieux rêve, car il souhaitait écrire des hymnes depuis sa jeunesse.Son expérience spirituelle nourrit son expérience poétique, qui donne ici sa pleine mesure. Ses hymnes figurent dans le livre Une lutte pour la vie, au centre du Troisième Jeu. Ce livre, publié en 1971, lui vaut le Grand Prix de littérature catholique. Il avait aussi publié en 1963 le Petit théâtre crépusculaire qui ouvre le Troisième Jeu. Il publie deux derniers recueils : Concerts eucharistiques (1972) et Psaumes de tous mes temps (1974). Ce volume donne un aperçu de l’immense travail de révision qu’il entreprend. Les dernières années de sa vie seront donc occupées à une refonte totale d’Une Somme de poésie, en vue d’une édition définitive.
Le théopoète meurt à son domicile parisien le 28 octobre 1975. Le Seigneur a repris le souffle qu’il lui avait donné. L’exode se termine au pied de la Jérusalem d’en haut, image de la Jérusalem terrestre où, à l’exemple d’Une Somme de poésie, « tout ensemble fait corps » (Psaume 122, 3b).
Voici ce que dit son ami poète, le père Didier Rimaud (1922-2003), lors de l’émission Le jour du Seigneur, un an après sa naissance au Jour de Dieu (cette émission fut commentée par René Laurentin dans Le Figaro du 1er novembre 1976). « C’est Patrice qui m’a révélé l’Eucharistie et l’action de grâce », a témoigné Didier Rimaud. Sur son lit de mort, il a fourni la formule et l’idée d’une oraison pour les mourants: que le « dernier cri » de l’agonisant devienne « son premier cri à la vie » et « qu’il soit reçu par les anges » (p.7).
Patrice de La Tour du Pin, « Prince de la spiritualité », selon les propos d’Alain Bosquet dans Le Monde du 31 octobre 1975, eut le grand privilège de se perpétuer dans la prière officielle de l’Église. Ses hymnes sont chantées dans la plupart des monastères francophones et priées par tous les francophones qui méditent la liturgie des heures. On en compte vingt et une dans Prière du Temps Présent, soit 8% des hymnes.
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