"Ovni
de la politique, Emmanuel Macron a eu un double mérite, celui de mettre
à terre le système des partis et « en même temps » de faire la
démonstration par les faits qu’il n’avait pas non plus les dispositions
adéquates pour être en capacité de gouverner.
La fin d’un monde
Son instinct narcissique lui a fait
repérer, non sans l’aide d’alliés intéressés, que se jouait dans une
politique française à bout de souffle une opportunité historique de
changer le modèle pour prendre le relais. L’élection reste une vente et,
comme dans les négociations où le bagout des vendeurs prédomine, rien
ne garantit la prestation future. Et c’est là que le phénomène Macron
s’enlise et s’arrête : les défilés médiatiques sont à la politique ce
que les défilés militaires sont à la guerre : plus on leur consacre
d’argent et d’attention plus il est à craindre qu’ils cachent une
sérieuse difficulté à passer à la pratique. Alors que nos élites
phosphorent en tous sens pour ressusciter les partis, dont ils croient
qu’ils traversent seulement une déconvenue, l’heure est au bilan et à
l’écoute d’un authentique renouvellement.
Les bouffons préférés aux rois
Ce qui s’est passé lors de cette
élection présidentielle est loin d’être conjoncturel. C’est un cycle de
deux siècles qui arrive soudainement à son terme, après avoir
indéfiniment cherché les variations pour subsister. La
Révolution française a remplacé l’intelligence de l’action, qui
s’enrayait, par l’intelligence des idées, qui la paralyse. Pendant cent
cinquante ans, les régimes se sont succédé sans parvenir à faire de
l’action politique une pratique efficace et surtout durable. La
Restauration a voulu ressusciter les privilèges au lieu de redonner vie à
une forme nouvelle et dynamique de discernement royal. Les deux empires
ont cru pouvoir se prémunir du futur en l’enfermant par avance dans un
code exhaustif : le propre de l’inattendu, comme les allemands face à la
ligne Maginot, est de contourner l’existant, fût-il solide. Les
républiques, enfin, ont fait reposer la force présumée des dispositifs à
venir sur le volume des débats : la IIIe et IVe République se sont, à
ce jeu-là, très vite essoufflées.
La Ve République, d’inspiration
monarchique, eut l’opportunité de donner un timbre nouveau à cet
exercice du pouvoir devenu le parent pauvre de la vie politique (la
seule conquête du pouvoir occupant tout l’espace). Trois erreurs lui
furent néanmoins fatales. Le choix d’abord du suffrage universel direct
en 1962, qui, au lieu de désigner sur des critères « opérationnels » un
président réellement aux commandes, a fait advenir un règne émotionnel,
propre à promouvoir, avec l’avènement des médias, les bouffons plutôt
que les rois.
L’appareil politique est devenu un organe de communication
La pratique presque systématique du
référendum, ensuite, par le général de Gaulle, et notamment dans les
moments critiques où ce dernier fuyait des discernements nécessaires
(guerre d’Algérie, mai 68,…), a entériné la préférence laissée aux
logiques quantitatives sur la lucidité et le courage politiques ; par la
suite, cherchant à éviter le jeu risqué du référendum qui fut fatal au
général, cette attitude se commua en une pratique aboutie et massive de
la communication « écran de fumée » pour compenser la capacité réelle à
traiter les problèmes. Enfin, le choix récent du quinquennat,
synchronisé avec une assemblée nationale réduite à être une ombre de
l’exécutif (voir pour cela l’arrivée massive d’incompétents élus sur le
seul nom d’Emmanuel Macron), a fait de l’appareil politique un organe de
communication de court terme.
Après avoir vendu des idées ou des
postures décalées pour accaparer l’attention le temps d’une l’élection,
on en vote quelques-unes pour donner l’impression qu’on honore le
programme. La Ve République est ainsi devenue non pas une institution
propice à un gouvernement qui dure mais un dispositif rapproché autour
d’un président-spectacle qui fait plus penser à un vendeur de marché
qu’à un grand cuisinier.
Une erreur de casting massive
Le pire est qu’il n’est pas seul à être à
côté du casting : notre dispositif politico-médiatique a fait advenir
une élite absolument décalée par rapport aux besoins du pays. Si la
politique est une jungle nous pourrions dire que nous avons fait advenir
aux commandes depuis des décennies une alliance improbable de Tartarins
(de Tarascon) et de botanistes. Les premiers vendent la jungle sans
savoir la traverser, les autres savent la décrire sans savoir
l’affronter. C’est d’aventuriers que nous avons besoin, c’est-à-dire de
personnalités capables de faire la seule chose qui au final est utile
face au danger : discerner les décisions à prendre et les conduire avec
pragmatisme au contact des événements. [...]"