Pourquoi la droite et le Front national se montrent-ils aujourd’hui incapables de faire émerger une véritable opposition ?
Parce que l’un et l’autre se
dérobent au bon diagnostic. L’élection de 2017 aura mis à bas leurs
vieux schémas. La droite et le FN ont fait la démonstration, chacun à
leur tour, de leur incapacité à reconquérir ou à conquérir le pouvoir
sur la base de leurs seules forces. Faute d’avoir su opérer la
nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se
prévaloir du bénéfice automatique de l’alternance. Elle a perdu
l’élection imperdable et à moins qu’elle ne sache se réinventer, on ne
voit pas pourquoi elle ne perdrait pas les élections qui viennent. Le
FN, de son côté, faute d’avoir su construire une offre politique
crédible, est resté ce qu’il a toujours été : le meilleur allié du
système, son assurance vie. Englués dans des logiques
d’appareils, Les Républicains comme le FN sont aujourd’hui dans une
triple impasse : idéologique, stratégique, sociologique. Mais,
pour rien au monde, ils ne voudront l’admettre. Je crains que cela ne
débouche sur des désillusions encore plus cruelles.
Les Républicains ont entamé un véritable chantier de refondation. Par quoi doivent-ils commencer ?
Par tordre le cou aux incantations rituelles autour du “rassemblement”, mot-valise qui la leste comme un impedimentum.
Le rassemblement appartient à l’ordre des moyens, ce n’est pas une fin
en soi. Or, voici des lustres que, pour la droite, le rassemblement n’a
pas pour objet de défendre des idées ou de promouvoir un projet, mais de
servir ce désir du pouvoir pour le pouvoir que manifestent tous ceux —
et ils sont, aujourd’hui, légion — qu’habite l’idée d’un destin
personnel…
C’est la création de l’UMP et son principe que vous remettez en cause ?
C’est là l’erreur originelle, la faute inaugurale que continuent de payer Les Républicains.
À vouloir marier les contraires sous couvert de rassemblement, l’UMP
n’a jamais produit autre chose que des ambiguïtés et de l’incohérence.
La droite plurielle d’Alain Juppé c’est, quinze ans après, la droite
plus rien. Il est logique qu’il veuille maintenant la faire
définitivement s’évaporer dans le trou noir d’« un grand mouvement central ». [...]
Le départ des Constructifs ne va-t-il pas dans le sens de la clarification que vous appelez de vos voeux ?
Si la refondation se fait au nom du
rassemblement de toutes les sensibilités et donc au prix de la cohérence
idéologique, il n’y a rien à en attendre. Remettre à flot le radeau de
la Méduse avec l’ancien équipage du Titanic ne saurait garantir une arrivée à bon port en 2022.
Quelle stratégie pour la droite ?
Elle découle du rapport de force
électoral. Il y a un antagonisme irréductible entre l’électorat libéral
des grandes villes et les classes populaires, les insiders et les outsiders.
Ces deux électorats ne sont pas miscibles, car leurs intérêts sont
inconciliables. En revanche, la tension idéologique et sociologique
entre l’électorat conservateur et l’électorat populaire est bien
moindre. Il y a une propension, chez certains dirigeants des
Républicains, à s’abuser volontairement sur la nature de leur électorat
pour ne pas avoir à faire la politique de leurs électeurs. La
base qui a plébiscité Fillon lors de la primaire n’est pas réformatrice
mais conservatrice : c’est la France provinciale des villes moyennes,
qui s’est déterminée non pas sur son programme économique mais sur la
vision sociétale qu’elle lui prêtait. Si bien qu’exclure ou marginaliser
Sens commun équivaudrait pour ce qui reste de la droite à
s’autodissoudre. À cet égard, la démission contrainte de son président n’est pas de bon augure. Parfois, Les Républicains font penser au catoblépas, cet animal mythique, tellement stupide qu’il se dévore lui-même.
Une synthèse est-elle possible entre cet électorat conservateur et l’électorat populaire ?
Non seulement elle est possible, mais c’est la seule configuration susceptible de rouvrir à la droite les portes du pouvoir.
Sans ce désenclavement de la droite par l’adjonction du vote populaire,
Les Républicains sont promis à un avenir groupusculaire et
crépusculaire. C’est cette alliance qui a fait le succès du RPF, en
1947, le triomphe de l’UNR, en 1958, et la victoire de Sarkozy, en 2007.
La jonction entre la France conservatrice et la France périphérique
peut s’opérer naturellement à travers la défense du patrimoine
immatériel que constituent l’identité nationale, l’enracinement et la
transmission, le localisme et les circuits courts, le coutumier et les
moeurs. Bref, tout ce que menacent la finance mondialisée et l’islam
radicalisé.
L’effet Macron peut-il être un handicap durable pour la droite ?
Je ne m’illusionne en rien sur le projet global du chef de l’État, mais j’ai trop vu à quel point la droite s’empressait, une fois au pouvoir, de trahir ses engagements pour penser que son discrédit n’est que passager. La droite paie, aujourd’hui, le mépris dans lequel elle a toujours tenu la bataille des idées et le combat culturel.
Pensez-vous qu’un ministre de droite aurait eu le courage d’agir comme
le fait aujourd’hui le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel
Blanquer, en contraignant par sa politique le président du Conseil
supérieur des programmes à la démission ? Lorsqu’elle est aux affaires, la droite n’a de cesse que de donner des gages au gauchisme culturel.
Il suffit de se remémorer le bilan de Luc Chatel, le ministre de
Sarkozy, Rue de Grenelle : suppression de l’enseignement de l’histoire
en terminale scientifique et introduction de la théorie du genre dans
les manuels scolaires. Tant qu’il y aura des dirigeants chez Les
Républicains pour s’inquiéter d’une « dérive de la droite à la polonaise », Emmanuel Macron pourra nourrir les plus grandes espérances pour 2022.
À vous entendre, la présidence de Macron n’aurait que des effets désastreux pour la droite…