Quant à ma définition de la droite, elle
est simple: la droite est la postérité sécularisée du christianisme,
dont elle a gardé le refus de l'utopie et les valeurs qui font durer les
sociétés humaines.
Cela oppose radicalement la droite à la
gauche, dont les racines renvoient à une double trahison du
christianisme: d'une part le millénarisme et sa promesse sur la terre
d'un paradis égalitaire de bonheur absolu, qui est la matrice des
socialismes et du communisme ; et d'autre part la gnose avec son mépris
de la matière, de la procréation, du mariage et de toutes les règles de
la vie sociale, sur fond de sacralisation de l'individu du fait de la
croyance à divinité de son âme qui fait de lui un homme-Dieu dégagé de
toute autorité, de toute règle. La gauche, c'est d'un côté l'utopie
sociale, de l'autre l'utopie sociétale.
La droite est l'héritière des précieuses
valeurs de durée que le christianisme tire pour l'essentiel de son
substrat biblique: valorisation de la famille, de la patrie, exigence
morale et par-dessus tout transmission de la vie: bref, tout ce que
travaille à détruire la gauche, imprégnée consciemment ou non de la
vieille haine de la gnose pour tout cela.
Dans des pays forgés par un millénaire
et demi de chrétienté, être de droite constitue la manière normale de
penser, de sentir et d'agir. Être de droite offre aux Européens - à ceux
qui croient au ciel, à ceux qui n'y croient pas - le moyen de continuer
à vivre sur la lancée de leur civilisation millénaire d'origine
chrétienne. La droite est le parti des braves gens et du bon sens, du
sens commun qui garantit à un groupe humain son existence sur le long
terme.
Vous écrivez que parmi les cadres et
dans l'électorat de la droite de gouvernement, tous ceux qui sont des
«libéraux modernes, qui croient à l'État de droit, au libre échange et à
l'héritage moral des années 70» ne sont tout simplement pas de droite.
Pourquoi? Qu'entendez-vous plus précisément par «libéraux modernes»?
La frontière entre droite et gauche
passe à l'intérieur du libéralisme. Le libéralisme est de droite quand
il insiste sur la responsabilité de l'individu quant aux conséquences de
ses actes, dans la tradition du Décalogue. Il est de gauche quand il
refuse cette responsabilité au nom de la souveraineté absolue du moi,
laquelle renvoie à l'homme-Dieu de la gnose, à qui est permis
l'immoralisme.
À cela s'ajoute l'antithèse entre
l'individu inséré dans une société particulière et l'individu pareil à
un électron libre, sans attache ni identité. À l'état pur, quand il ne
veut connaître que l'individu et l'humanité, le libéralisme est une
religion séculière, une utopie, un système total, comme le communisme.
Face au libéralisme de droite - héritier
du christianisme, gardant la notion de bien et de mal -, les libéraux
modernes poursuivent une utopie de la liberté illimitée, par-delà le
bien et le mal, par-delà les spécificités des peuples, des
civilisations, des sexes même. Pour ce libéralisme total œuvrant à
l'uniformisation du monde, il n'y a que des individus interchangeables
selon le modèle de l'homo œconomicus et festivus d'un marché mondialisé
hédoniste. [...]
Il me semble que le «ni droite, ni
gauche» du Front national est avant tout électoraliste, répondant à une
volonté de balayer le plus largement possible le champ électoral. Le
Front national a tout simplement repris les positions progressivement
abandonnées par la droite de gouvernement au cours de son processus de
soumission toujours plus grande au politiquement correct de la religion
des droits de l'homme. D'aucuns parleront d'extrême droite. Pourquoi
pas? Il ne faut pas avoir peur du mot et de l'amalgame qu'il semble
permettre avec le nazisme, car il est sans fondement. Ambassadeur à
Berlin, André François-Poncet notait que le nazisme, «adversaire acharné
du conservatisme», s'affirmait comme «d'extrême-gauche» et
«farouchement révolutionnaire». Et Eichmann indique à plusieurs reprises
dans ses mémoires que sa «sensibilité politique était à gauche. Comme
cela est bien connu, l'utopie nationale-socialiste frappait par ses
ressemblances avec l'utopie communiste. François Furet a observé que
dans les deux cas, il s'agissait de réaliser le paradis sur la terre et
que les mêmes mots furent employés pour décrire la société harmonieuse
que l'on prétendait fonder. Comme l'a montré Frédéric Rouvillois, le
nazisme a en commun avec la gauche la volonté d'instaurer une société
réconciliée et le projet de faire apparaître un homme nouveau.