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mardi 21 novembre 2017

L’Internet des droites extrêmes

Première parution : Stéphane François, « L’Internet de la haine« , Critica Masonica, 7octobre 2017.

La revue Réseaux propose dans son avant  dernier numéro un dossier roboratif (pp. 9-310) consacré à l’utilisation de l’Internet par les extrêmes droites : « L’Internet des droites extrêmes » (vol. 35, n°202-203, La Découverte, avril-juin 2017). Il est cordonné par Elsa Gimenez, assistante diplômée à la Faculté des Sciences humaines et politiques de l’université de Lausanne, et Olivier Voirol, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des Sciences humaines et politiques de l’université de Lausanne.
Ce numéro est constitué de huit chapitres, plus un texte historique (« Portrait de l’agitateur américain » de Leo Löwenthal et Norbert Guterman), et le texte introductif des coordonnateurs (« Les agitateurs de la toile ») : Caterina Froio, « Nous et les Autres. L’altérité sur les sites web des extrêmes droites en France » (pp. 41-78) ; Christine Servais, « Scènes médiatiques et arènes de discours. Formes d’engagement dans un monde perdu » (pp. 79-121) ; Olivier Voirol, « Pathologies de l’espace public et agitation fasciste. Leçons de la théorie critique » (pp. 123-159) ; Samuel Bouron, « Des fachosdans les rues aux héros sur le web. La formation des militants identitaires » (pp. 187-211) ; Alexandre Hobeika et Gaël Villeneuve, « Une communication aux marges du parti? Les groupes facebook proches du Front national », (pp. 213-240) ; Thomas Jammet et Diletta Guidi, « Observer Les observateurs. Du pluralisme médiatique au populisme anti-islam, analyse d’un site de ré-information suisses et ses connexions » (pp. 241-271) ; et enfin Franck Rebillard, « La rumeur du Pizzagate durant la campagne présidentielle aux États-Unis. Les appuis documentaires du numérique et de l’Internet à l’agitation politique » (pp. 273-310).

Un premier constat s’impose : à l’exception du sociologue Samuel Bouron, aucun spécialiste de l’extrême droite ne participe à ce dossier, ce qui se ressent d’ailleurs dans la définition de l’extrême droite proposée par les participants. Ensuite, si le dossier est très intéressant, les différents textes n’échappent pas parfois et malheureusement au jargonnage propre à une certaine sociologie, tous les participants étant sociologues.

Ces critiques étant faites, nous devons reconnaître que ce dossier est très intéressant, l’usage de l’Internet par l’extrême droite relevant d’une stratégie délibérée. Celle-ci est nécessaire pour de petites formations qui ne comprennent que quelques centaines de militants : le web permet une démultiplication du militantisme. La faiblesse numérique est remplacée par un sur-activisme virtuel.
Ce numéro permet de comprendre comment certains thèmes d’extrême droite se sont banalisés (la « remigration », le racisme antimusulman, l’immigration vue comme une colonisation, etc). Cet activisme se pense à l’extrême droite dans le cadre d’une guerre culturelle contre la pensée « politiquement correcte », contre un système supposé mondialiste cherchant à détruire les identités culturelles et raciales. De fait, en parallèle à cet activisme, les militants d’extrême droite ont élaboré une stratégie dite de « ré-information ».

Concrètement, la « ré-information » relève plutôt d’une forme de désinformation. Elle est le fait d’« agences de presse », supposées neutres, créées par des groupes extrémistes de droite, telle Novopress des Identitaires, voire de sites militants comme fdesouche.com. Leurs objectifs sont de diffuser des informations réelles, mais tronquées ou manipulées, dans un sens favorable aux idéaux de ces groupuscules, voire de la faire passer comme provenant d’une source amie ou neutre. Leur but est à la fois d’imposer un point de vue, d’influencer une opinion et d’affaiblir un « ennemi » (comprendre la pensée dominante, les « médias officiels »). Il s’agit clairement d’influencer l’opinion publique dans un sens qui leur est favorable.

Ces études ne doivent pas être considérées comme étant juste anecdotiques : certains sites d’extrême droite, comme fdesouche.com, ont parfois plus d’un million de vues uniques mensuelles, un chiffre à faire rêver les journaux d’informations. Ils sont également parfois des agrégateurs d’informations, c’est le cas de fdesouche.com : il fournit au lecteur une revue de presse, sans analyse, mais dont les articles, tirés de la presse « officielle » (ce qui est contradictoire, il faut bien le reconnaître), sont triés dans un sens idéologique assumée : l’information est anxiogène, nationaliste et foncièrement xénophobe (les grandes thématiques, d’ailleurs liées, sont l’immigration, l’insécurité, l’islam). Elle ne sert qu’à conforter le militant radical dans ses positions. Cette stratégie est également utilisée par les autres sites importants de cette mouvance (« Égalité et Réconciliation » d’Alain Soral, le blog de Dieudonné, Le Salon beige, Novopress, etc), mais ceux-ci offrent en sus une analyse de l’actualité, en fonction de leur idéologie.

Il s’agit donc d’études qui prendront de l’ampleur dans les années à venir, la recherche de l’information par les opinions publiques se dématérialisant de plus en plus. L’essor des réseaux sociaux bouleverse aussi en profondeur les modalités du militantisme politique. L’extrême droite en a compris l’enjeu.

Nous traiterons prochainement du n° 204 de cette revue dont le dossier thématique est intitulé: « Le Web politique au prisme de la science des données  »

Pour aller plus loin :

Dominique Albertini et David Doucet, La Fachosphère. Comment l’extrême droite a gagné la bataille du net, Flammarion, 2016
Fabienne Greffet (dir.), Continuerlalutte.com. Les partis politiques sur le web, Presses de Sciences Po, 2011.

Φ Sur un sujet proche on pourra aussi consulter : Nicolas Lebourg, « Pour celles et ceux qui douteraient que cette image relayée par Gérard Filoche est antisémite« , Slate, 20 novembre 2017.

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