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mercredi 28 novembre 2018
lundi 26 novembre 2018
Rien que pour déplaire - Lynyrd Skynyrd - Sweet Home Alabama - Live At The Florida Theatre / 2015
Sweet Home Alabama
Sweet Home Alabama est une chanson du groupe Lynyrd Skynyrd, sortie en 1974 sur leur second album, Second Helping. Elle est composée en réaction à deux chansons de Neil Young, Southern Man et Alabama, où celui-ci dénonçait le racisme des habitants des États du sud des États-Unis.
Polémiques
Au deuxième couplet, le groupe attaque Neil Young (« mister Young »), un musicien canadien qui a fait deux chansons (Southern Man et Alabama) sur le Sud dénonçant le racisme et le conservatisme de ces États. Au troisième couplet, il est fait allusion au gouverneur de l'Alabama, George Wallace, qui siège à Birmingham (la plus grande ville de l’État, la capitale étant Montgomery). Là encore, cela passe pour un soutien populaire au gouverneur Wallace qui soutenait à l'époque ouvertement la ségrégation raciale (« segregation forever »). Il reniera par la suite ces idées.
Ronnie Van Zant déclare : « Nous avons pensé que Neil tirait sur tous les canards pour en tuer un ou deux3 », voulant dire par là que Neil Young mettait tous les Sudistes dans le même sac. Au sujet du gouverneur, il explique : « Les paroles au sujet du gouverneur de l’Alabama ont été mal comprises. Le grand public n’a pas noté les « À bas ! À bas ! À bas ! »4 des choristes Clydie King et Merry Clayton (toutes deux noires) et qui auraient eu l’aval du groupe. Il ajoute « nous avons essayé d’obtenir que Wallace parte d’ici4. »
Le journaliste John Swenson pense que la chanson est plus complexe que l’on ne peut le penser, même si elle peut apparaître uniquement comme un soutien à Wallace4. Mais Van Zant a dit lui-même que « Wallace et moi avons très peu de choses en commun […] je n’aime pas ce qu’il dit sur les personnes de couleur4. »
Certains pensent que la chanson ne doit pas être prise au premier degré, Ronnie Van Zant maniant facilement l’ironie, comme le prouvera un peu plus tard Workin’ for the MCA. En 1976, Van Zant et le groupe ont soutenu par des concerts et des collectes de fonds la candidature du démocrate Jimmy Carter, originaire de l’État voisin de Géorgie et très proche à ses débuts politiques de George Wallace.
Neil Young a répondu à ces explications via la chanson Walk On (sur l’album On the Beach), et il compose trois chansons – Powderfinger, Sedan Delivery et Captain Kennedy – qu’il propose au groupe. Ronnie Van Zant retient la première pour figurer sur un futur LP qu’il ne put cependant jamais réaliser. La chanson fut finalement enregistrée par Neil Young sur Rust Never Sleeps en 1979, album où l’on trouve également Sedan Delivery, tandis qu’un an plus tard, il immortalisa Captain Kennedy sur Hawks & Doves. Il interprète même Sweet Home Alabama plusieurs fois en concert qu’il dédie à « deux amis qui sont au ciel ».
Le Pen-Mélenchon, un parfum d'Italie
Y a-t-il une « fraternité des ronds-points » chez les gilets jaunes qui préfigurerait un rapprochement des extrêmes ? Chez Marine Le Pen, la question n'est plus taboue.
Quand il s'agit de répliquer au gouvernement, Jean-Luc Mélenchon n'hésite pas à aller dans le sens de Marine Le Pen. « Castaner voudrait que la manifestation soit d'extrême-droite, la vérité c'est que c'est la manifestation massive du peuple »,
dit-il samedi, alors que le ministre de l'Intérieur vient de mettre en
cause Marine Le Pen. Ne pas laisser les « gilets jaunes » être abîmés.
Et tant pis s'il y a quinze jours encore, La France insoumise se
divisait sur sa participation au mouvement, au motif qu'il était soutenu
par le Rassemblement national.
Sur
les ronds-points, deuxième angle de vue. On oublie les étiquettes
politiques, on a tous la même couleur (jaune), et tous le même slogan
« Macron démission ». Certains savent gré à Mélenchon de leur avoir
permis de ratisser large, en leur permettant de sortir d'un tête-à-tête
encombrant avec Le Pen. D'autres reconnaissent qu'un esprit de
fraternité a pu naître dans le froid de la contestation. « Il y a sur notre rond-point des gars du RN. J'ai constaté qu'on pensait au fond la même chose », s'étonne encore un insoumis (entendu sur Europe 1).
Majorités de voix
Une
convergence à l'italienne peut-elle naître sur les nouvelles
barricades ? Malgré l'ambiguïté de Jean-Luc Mélenchon au second tour de
la présidentielle, les spécialistes de l'opinion, jusqu'ici, n'y
croyaient pas. Les électorats de LFI et du RN sont trop différents, les
transferts de voix trop rares, arguaient-ils, les deux camps étant
irréconciliables sur l'immigration.
A six mois d'élections européennes sur lesquelles elle mise beaucoup, Marine Le Pen ne semble plus en faire un tabou. Son « ami »
Salvini en Italie n'a-t-il pas fait alliance avec le mouvement Cinq
étoiles ? A l'Assemblée nationale, elle a applaudi debout aux propos de
Mélenchon dénonçant une « justice politique » perquisitionnant son parti.
Lorsqu'elle évoque la future
assemblée européenne, elle n'envisage pas forcément la constitution d'un
groupe majoritaire anti-Union européenne, mais des « majorités de
voix sur des sujets précis ». « Et si dans ces voix il y en a qui
viennent de l'extrême gauche, cela ne me posera pas problème »,
dit-elle en privé. Il est vrai qu'en Italie, le mariage de l'extrême
droite et de l'extrême gauche a pour l'instant exclusivement profité à
la première.
Cécile Cornudet
Vient de paraître : Georges Valois - Le Fascisme. - Éditions Ars Magna
Lettre d'information n° 27 des Éditions Ars Magna
Éditions Ars Magna
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Les interprétations de la mécanique quantique
Les interprétations de la mécanique quantique : une vue d’ensemble introductive
Thomas Boyer-Kassem TiLPS, Université de Tilburg, Pays-Bas et Archives H. Poincaré (UMR 7117, CNRS et Université de Lorraine)
Résumé
Résumé : La mécanique quantique est
une théorie physique contemporaine réputée pour ses défis au sens
commun et ses paradoxes. Depuis bientôt un siècle, plusieurs
interprétations de la théorie ont été proposées par les physiciens et
les philosophes, offrant des images quantiques du monde, ou des
métaphysiques, radicalement différentes. L’existence d’un hasard
fondamental, ou d’une multitude de mondes en-dehors du nôtre, dépend
ainsi de l’interprétation adoptée. Cet article, en s’appuyant sur le
livre Boyer-Kassem (2015), Qu’est-ce que la mécanique quantique ?,
présente trois principales interprétations quantiques, empiriquement
équivalentes : l’interprétation dite orthodoxe, l’interprétation de
Bohm, et l’interprétation des mondes multiples.
1. Introduction
À quoi ressemble le monde de
l’infiniment petit ? Quelles sont les entités qui le peuplent et les
lois qui en règlent le cours ? Existe-t-il un hasard fondamental, ou le
monde est-il déterministe dans ses moindres recoins ? Il existe une
théorie physique contemporaine qui permet de répondre à ces questions :
la mécanique quantique[1].
Ou plutôt, elle autorise à chaque fois plusieurs réponses, car il est
possible d’avoir des interprétations différentes de cette théorie, et il
n’existe pas véritablement de consensus actuellement parmi les
physiciens ou parmi les philosophes concernant la bonne
interprétation quantique. Les interprétations quantiques offrent des
images différentes du monde dans lequel la théorie est vraie, avec des
types d’entités et de propriétés différents. Autrement dit, il n’y a pas
d’accord parmi les physiciens ou les philosophes sur ce qui compose le
monde de l’infiniment petit ! Toutefois, ces différentes interprétations
sont empiriquement équivalentes au sens où elles ne peuvent être
départagées par l’expérience. Cela signifie que les physiciens ne sont
pas en désaccord sur les prédictions expérimentales – les
interprétations de la mécanique quantique ne sont pas des théories
concurrentes en un sens fort. Le fait qu’elles soient toutes autant
adéquates empiriquement explique en partie l’absence de consensus parmi
les spécialistes.
Les interprétations proposent des
images quantiques du monde radicalement différentes. En quoi cette
pluralité d’interprétations et d’images du monde est-elle un problème
philosophique ? Elle l’est pour tout projet métaphysique, qui s’attache à
dire quels sont les objets, les catégories, les propriétés de notre
monde. Par exemple : existe-t-il plusieurs mondes parallèles ? La Nature
est-elle régie par du hasard ? Les interprétations quantiques peuvent
fournir des explications différentes d’un même phénomène : devrait-on
renoncer à l’idée qu’une explication puisse être la meilleure ?
Le but de cet article est
d’introduire aux principales interprétations quantiques qui concentrent
l’essentiel des discussions philosophiques, et plus particulièrement de
préciser l’image du monde quantique que chacune offre. Trois
interprétations, parmi les plus populaires aujourd’hui chez les
physiciens et les philosophes de la physique, sont considérées ici :
l’interprétation dite « orthodoxe », l’interprétation de Bohm, et
l’interprétation des mondes multiples. J’emprunte dans cet article de
généreux extraits à mon ouvrage Qu’est-ce que la mécanique quantique ?,
paru chez Vrin en 2015, auquel le lecteur est renvoyé pour une
présentation plus détaillée des interprétations quantiques, mais aussi
de la non-localité et du théorème de Bell.
2. L’interprétation orthodoxe
Considérons tout d’abord
l’interprétation que l’on trouve, au moins implicitement, dans la très
grande majorité des manuels contemporains de mécanique quantique[2],
et qui est enseignée presque partout dans le monde universitaire. Pour
cette raison, on l’appelle généralement l’interprétation « orthodoxe ».
Elle s’est imposée dès les années 1930, notamment à la suite des travaux
de Bohr et de Heisenberg.
Formulation de la théorie
La mécanique quantique requiert que soit tout d’abord précisé le système physique considéré, par exemple un atome[3].
La théorie attribue à ce système un certain état mathématique, appelé
aussi fonction d’onde, traditionnellement noté entre les symboles « | »
et « > ». Un état qui décrit un atome qui se trouve à un certain
endroit, ici, sera par exemple noté « | ici > ». L’état quantique
permet de faire des prédictions expérimentales. En mécanique quantique,
les prédictions ont la particularité d’être probabilistes : la théorie
donne seulement la chance que tel ou tel résultat soit obtenu. À la
question : « quelle sera la position de l’atome à tel moment ? », la
mécanique quantique peut par exemple prédire qu’il y a 1 chance sur 2
qu’il se trouve ici et 1 chance sur 2 qu’il se trouve là, comme c’est le
cas avec l’état « | ici > + | là > ». On parle alors d’état
superposé entre l’état « | ici > » et l’état « | là > ».
Si aucune mesure n’est
effectuée sur le système, son état évolue sans à-coup particulier, selon
une équation dite « de Schrödinger ». Si une mesure est effectuée,
l’état du système peut changer brusquement lors de cette mesure. En
fonction du résultat obtenu lors de la mesure, un nouvel état est
attribué au système. Dans le cas le plus simple, il s’agit de l’état
correspondant au résultat de la mesure, et un système qui était dans
l’état « | ici > + | là > » qui est mesuré ici verra son état
projeté sur « | ici > ». L’interprétation orthodoxe considère donc,
de façon générale, qu’une mesure ne révéle pas l’état du système, mais le modifie, et ce de façon aléatoire.
L’image orthodoxe du monde
Précisons maintenant l’image
du monde selon l’interprétation orthodoxe de la mécanique quantique.
Tout d’abord, l’état du système (ou la fonction d’onde) n’est pas
considéré comme une entité du monde, ou comme référant ou correspondant à
un objet du monde. Il est seulement considéré comme un outil prédictif,
qui permet de calculer les différentes probabilités de mesure. Ce ne
sont pas les états des systèmes, mais les systèmes quantiques eux-mêmes
qui ont le statut d’entités, au sens où ils composent l’image du monde
et peuvent recevoir des propriétés. Le monde orthodoxe se compose
d’électrons, de photons ou de molécules.
Une autre caractéristique du
monde orthodoxe est certainement moins intuitive : un système n’a pas
toujours de propriété. Dans de nombreux cas, l’interprétation orthodoxe
n’attribue pas de position, de vitesse ou d’énergie à un atome, ou elle
dit que ces propriétés ne sont pas définies. Plus précisément, un
système est considéré comme ayant une propriété seulement lorsque le
résultat de mesure peut être prédit avec certitude. C’est par exemple le
cas immédiatement après une mesure. En effet, la mesure a réduit l’état
du système sur un état propre, correspondant au résultat de la mesure.
Par exemple, l’état | ici > + | là > a été réduit sur l’état | là
>, si le système a été mesuré là. À un tel état propre, la mécanique
quantique associe une propriété, dans notre exemple la position, avec la
valeur « là ». Cela est cohérent et d’une certaine façon bienvenu :
juste après une mesure où le système a été trouvé là, on peut encore
dire qu’il est là. A contrario, on dit que le système avec l’état | ici
> + | là > n’a pas de position, parce que la prédiction quantique
n’est pas certaine.
Comment doit-on comprendre
les probabilités qui sont au cœur des prédictions de la mécanique
quantique ? Selon l’interprétation orthodoxe, ces probabilités sont le
signe d’un hasard fondamental ou, pour le dire autrement, le monde est indéterministe.
Le hasard survient lors d’une mesure, au moment de la réduction que
subit l’état du système. Cette réduction est aléatoire : rien, au sein
du système quantique lui-même ou de l’appareil de mesure, ne
pré-détermine le résultat de la mesure et la projection de l’état
suivant tel ou tel nouvel état. Ce qui est fixé, en revanche, c’est la
régularité statistique avec laquelle les différents résultats sont
obtenus, pour un état donné. Par exemple, pour un système dans l’état
| ici > + | là >, on l’observe expérimentalement effectivement en
moyenne 1 fois sur 2 ici et 1 fois sur 2 là[4].
Comme le résultat de la
mesure n’est déterminé par rien de plus que cette régularité
statistique, on dit que les probabilités employées dans les prédictions
de la théorie sont à interpréter objectivement, c’est-à-dire qu’elles
représentent un hasard objectif, réel. Dieu joue vraiment aux dés, pour
ainsi dire. Même lui ne peut dire, avant le résultat de mesure, si le
système va effectivement être trouvé ici ou là. Les probabilités
quantiques ne reflètent donc pas une ignorance de notre part, et l’état
quantique décrit complètement le système. C’est en ce sens que les
probabilités quantiques représentent, selon l’interprétation orthodoxe,
un hasard fondamental et inhérent à notre monde. Ce hasard se traduit
par la perturbation fondamentale et incontrôlable qui provient de la
mesure (ou de l’appareil de mesure) sur le système quantique.
Il est important de noter
que ce caractère indéterministe ne concerne qu’une seule partie de la
dynamique des systèmes quantiques : la réduction de l’état lors d’une
mesure. L’équation de Schrödinger qui régit l’évolution temporelle de
l’état, hors mesure, est quant à elle tout à fait déterministe. Il n’y a
aucun hasard dans l’évolution de l’état entre deux mesures.
L’existence de deux règles
d’évolution distinctes (réduction de l’état, équation de Schrödinger)
suppose la distinction entre les interactions qui sont à considérer
comme des mesures et celles qui n’en sont pas. Cela suppose par
conséquent de distinguer d’une part ce qui joue le rôle d’un appareil de
mesure, responsable des premières, et d’autre part tout le reste du
monde, traité quantiquement, responsable des secondes. Cette séparation
entre un appareil de mesure classique et un monde quantique est au cœur
de la mécanique quantique orthodoxe, qui ne peut traiter tout le monde
quantiquement : une partie du monde doit être classique pour pouvoir
interagir avec le système quantique et être à même d’enregistrer un
résultat de mesure. Même si cette séparation peut changer en fonction de
l’expérience[5],
son existence est indispensable pour l’interprétation orthodoxe de la
mécanique quantique. L’image orthodoxe du monde est toujours divisée en
deux, l’une classique, l’autre quantique.
Le problème de la mesure
L’interprétation orthodoxe
est largement acceptée dans la communauté scientifique en dépit d’un
problème conceptuel, appelé traditionnellement « problème de la
mesure », qui ronge cette interprétation depuis ses débuts, sous
différentes versions[6].
Par problème conceptuel, il faut entendre l’existence d’un problème de
cohérence interne concernant la formulation de la théorie et son
interprétation. Cependant, ce problème n’empêche absolument pas la
théorie d’être utilisée et appliquée avec succès par les physiciens.
Selon une formule célèbre de Bell, à propos de la mécanique quantique
orthodoxe : « à toutes fins pratiques, tout va bien[7] ».
C’est d’ailleurs pour cette raison que le problème de la mesure est
souvent ignoré par des physiciens ayant une approche pragmatique. Il
n’en reste pas moins qu’un problème existe concernant la formulation
précise de la théorie.
Le problème de la mesure
naît de l’existence de deux règles d’évolution pour l’état du système,
l’équation de Schrödinger et la réduction de l’état. Ces lois sont
incompatibles et ne peuvent s’appliquer simultanément : la première est
déterministe et continue, la seconde est indéterministe et discontinue.
Le problème est que la théorie ne définit pas les circonstances dans
lesquelles les deux règles différentes s’appliquent. Autrement dit, le
terme de « mesure », qui est au cœur des axiomes de la théorie, n’est
pas défini. La mécanique quantique orthodoxe ne donne pas de limite à ce
qui vaut comme mesure. Elle est, selon les termes de Bell, « ambiguë
par principe[8] ». Cette frontière peut changer au gré des utilisations de la théorie, lui donnant un regrettable « caractère fuyant[9] ».
Certaines tentatives de
résolution du problème ont été proposées, mais elles n’améliorent pas le
flou initial : il en va ainsi des prescriptions selon lesquelles
l’appareil de mesure doit être « macroscopique », présenter un
comportement « irréversible », être lié à un « observateur », etc. Ces
concepts ne sont pas particulièrement mieux définis que celui de
« mesure » qui figure dans la formulation orthodoxe de la théorie.
Répétons-le : le problème
est d’ordre conceptuel et non pas d’ordre empirique. Les physiciens
n’ont aucune difficulté à se servir de la théorie pour en tirer des
prédictions, et ils savent d’expérience comment délimiter l’appareil de
mesure et le système quantique afin d’obtenir la précision requise. La
mécanique quantique est parfaitement convenable d’un point de vue
pragmatique. Le problème est seulement d’énoncer la théorie clairement,
de façon cohérente et sans ambiguïté.
Ce problème a été appelé
« problème de la mesure » à cause de la formulation qu’il a prise
initialement dans le cadre de l’interprétation orthodoxe : il porte sur
la définition de ce qu’est une mesure. De façon plus générale, le
problème de la mesure consiste à proposer une interprétation
satisfaisante de la mécanique quantique (et, éventuellement, une
nouvelle formulation de la théorie), qui soit en accord avec les
résultats empiriques. Puisque l’interprétation orthodoxe souffre d’un
problème conceptuel, il apparaît légitime d’avancer d’autres
interprétations de la théorie. Aussi le problème de la mesure est-il
généralement tenu pour l’origine de la diversité des interprétations
quantiques.
3. L’interprétation de Bohm
Dans la mécanique quantique
orthodoxe, les prédictions probabilistes sont interprétées comme
reflétant un indéterminisme fondamental, et on considère que l’état
quantique fournit une description complète du système. Une telle
interprétation a longtemps rencontré des résistances. N’est-il pas
possible de dépasser le caractère probabiliste des prédictions, et
d’être capable de prédire assurément le résultat d’une mesure ? Dans ce
but, ne peut-on pas compléter l’état de la mécanique quantique orthodoxe
par d’autres variables « cachées », qui détermineraient ce résultat ?
Alors, les probabilités quantiques seraient seulement le reflet de notre
ignorance vis-à-vis du détail de ces variables additionnelles.
Formulation de la théorie
L’interprétation de Bohm[10]
peut être considérée comme le résultat d’une tentative de compléter la
mécanique quantique orthodoxe. En plus de la fonction d’onde, elle
décrit un système quantique avec des « variables cachées », en
l’occurrence les positions des particules. Ces dernières ont toujours
une valeur précise à chaque instant et elles déterminent le résultat
d’une mesure. La mécanique bohmienne est ainsi déterministe et les
probabilités des prédictions théoriques ne sont que le reflet d’une
ignorance de notre part vis-à-vis de ces variables cachées. Néanmoins,
l’arrangement théorique de ces variables cachées est tel que les
prédictions de la mécanique bohmienne sont exactement les mêmes que
celles de la mécanique quantique orthodoxe. Ainsi, compléter la théorie
avec certaines variables en décrivant une histoire en-dessous du
formalisme orthodoxe, et parvenir à améliorer les prédictions
empiriques, sont deux choses distinctes ; la mécanique bohmienne fait la
première, mais pas la seconde. L’interprétation de Bohm suppose que
l’état quantique, ou la fonction d’onde, évolue toujours selon
l’équation de Schrödinger ; autrement dit, il n’existe pas de postulat
de réduction[11].
L’image bohmienne du monde
Précisons en quoi consiste
l’image du monde selon l’interprétation bohmienne, et tout d’abord ce
que sont les entités qu’elle considère. Il en existe deux types : la
fonction d’onde d’une part, et les particules d’autre part.
La fonction d’onde, tout
d’abord, est considérée dans sa dimension spatiale seulement,
c’est-à-dire comme une fonction qui associe à chaque point de l’espace
un nombre, à un instant donné (un peu comme on peut attribuer à chaque
point de l’espace une température). Cette fonction d’onde est considérée
comme une entité authentiquement physique ; ces nombres en chaque point
de l’espace renvoient à quelque chose de réel et d’objectif, qui existe
bel et bien. La fonction d’onde bohmienne n’a donc rien à voir avec la
simple représentation mathématique, utile dans les calculs, de la
mécanique quantique orthodoxe.
Les particules constituent
la seconde sorte d’entités que l’interprétation bohmienne considère.
Ainsi que l’énonce un manuel de mécanique bohmienne, « chaque fois que
vous dites ‘particule’, pensez-le vraiment ! »[12].
Cela signifie notamment qu’il faut prendre le terme en un sens
traditionnel et classique, comme référant à un objet qui a une position
précise à chaque instant.
Ces particules sont
fondamentales en mécanique quantique bohmienne dans la mesure où toutes
les autres grandeurs mesurables – vitesse ou impulsion, énergie… –
peuvent s’exprimer au moyen de la position des particules. En effet, les
bohmiens insistent sur le fait que toute mesure se ramène toujours in fine
à la détermination de positions : position d’une aiguille d’un
instrument, position d’un atome en sortie d’un appareil de mesure,
position d’un photon sur notre rétine, etc.
L’image bohmienne du monde
est déterministe. D’une part, la fonction d’onde évolue selon l’équation
de Schrödinger, dont on a dit qu’elle est déterministe ; aucun hasard
n’entre en compte, et la fonction d’onde ne subit jamais de projection
aléatoire. D’autre part, la position des particules est donnée par une
équation qui fait intervenir seulement la fonction d’onde, sans aucune
notion de hasard non plus. Pour un électron décrit par l’état | ici
> + | là >, l’interprétation bohmienne affirme que la position de
l’électron a une valeur déterminée (rappelons que l’interprétation
orthodoxe refuse de dire que l’électron a une position dans cet état).
Le fait que l’électron soit véritablement mesuré ici ou là n’est pas dû à
un hasard fondamental.
En revanche, le monde bohmien nous apparaît
indéterministe, car nous n’avons pas accès aux positions des
particules, comme par exemple celle de l’électron lorsqu’il est dans une
superposition spatiale. Sans connaissance de la valeur de ces
positions, nous ne pouvons dire ni où se trouvent exactement les
particules, ni où elles se trouveront à un instant ultérieur. Cependant,
nous ne sommes pas complètement démunis. La fonction d’onde, tout
d’abord, peut être connue précisément. Par ailleurs, la théorie permet
d’affirmer (à partir du postulat de l’équilibre quantique) que la
densité de particules dans l’espace dépend directement de la fonction
d’onde. Autrement dit, si la fonction d’onde est nulle ici, alors il ne
peut pas y avoir de particules, et si elle a une grande valeur là, alors
il y aura plus de chance d’y trouver des particules.
Aussi, les probabilités de
la mécanique quantique prennent avec l’interprétation bohmienne un tout
autre sens qu’avec l’interprétation orthodoxe. Les probabilités
reflètent seulement une ignorance de notre part vis-à-vis d’une histoire
sous-jacente qui détermine le cours des événements. Ne connaissant que
la densité moyenne des particules, nous sommes réduits à fournir des
prédictions moyennes. Comme les probabilités reflètent ici non pas un
hasard objectif, mais une méconnaissance de notre part, on dit qu’elles
sont à interpréter de façon épistémique.
4. L’interprétation des mondes multiples
Une autre interprétation de
la mécanique quantique a les faveurs de nombreux physiciens et
philosophes des sciences. Il s’agit de l’interprétation proposée par
Everett en 1957 et qui est aussi appelée l’interprétation des mondes
multiples (cette dénomination est prise ici pour synonyme d’
« interprétation d’Everett »)[13].
De la mécanique quantique
orthodoxe, l’interprétation everettienne supprime le postulat de
projection de la fonction d’onde lors d’une mesure, et ne garde que
l’équation de Schrödinger. Cette dernière est la seule et vraie équation
du mouvement, à laquelle obéit tout état quantique. Il n’y a plus
d’ambiguïté dans l’application des lois quantiques, ni dans la
définition de ce qu’est une « mesure ».
L’interprétation d’Everett
considère qu’il existe une seule entité fondamentale, l’état ou la
fonction d’onde (de tout l’univers). Cet objet mathématique est
interprété comme une entité physique putative. C’est l’univers lui-même,
en tant qu’il est une fonction d’onde, qui évolue selon l’équation de
Schrödinger.
Une nouveauté radicale est
introduite par l’interprétation d’Everett : certains états quantiques
s’interprètent à l’aide de plusieurs mondes, au sein de cet univers[14].
Considérons un atome décrit par l’état | ici > + | là >, dont on
mesure la position. L’interprétation orthodoxe dit que les deux
résultats possibles que l’on peut obtenir sont « ici » ou « là », et que
l’on en obtient un seul. L’interprétation des mondes multiples, de son
côté, affirme que les deux résultats sont obtenus, chacun dans un monde.
Comme ce résultat dépend du monde auquel on se restreint, cela conduit à
définir les états ou les faits relativement à un observateur – d’où le nom de « formulation de l’état relatif » initialement donné par Everett. Si on parle parfois du résultat d’une mesure, c’est en fait par abus de langage, en omettant de préciser que cela se comprend relativement à un
monde particulier. Pour l’univers dans son ensemble, il n’existe pas de
fait à propos du résultat de mesure de la position de l’atome ; pour
l’univers entier, l’atome n’a pas été mesuré « ici » ou « là ».
Les interactions quantiques
ayant lieu entre les moindres électrons ou atomes suscitent un processus
d’embranchement qui multiplie à chaque instant le nombre de mondes, de
sorte qu’il existe un nombre extraordinairement grand de mondes. Ce qui
existe pour un everettien, c’est donc une myriade de mondes. Dans chacun
de ces mondes, les grandeurs ont toujours des valeurs ; ces mondes sont
donc d’apparence classique, et ils se composent d’objets
(macroscopiques) qui sont dans des états définis. Les différents mondes
évoluent indépendamment les uns des autres. En particulier, les autres
mondes sont inobservables depuis un monde particulier, ce qui explique
pourquoi nous avons toujours l’impression qu’il n’existe qu’un seul
monde.
L’univers everettien est
déterministe. En effet, la fonction d’onde de l’univers obéit à
l’équation de Schrödinger, dont on a dit qu’elle est une équation
déterministe. L’avenir n’est pas incertain, puisque tous les résultats
de mesures possibles se produiront toujours. En revanche, les individus
dans les différents mondes ont des expériences psychologiques
différentes. Le cours du monde leur apparaît indéterministe, dans la
mesure où ils n’ont accès qu’à un seul monde. Pour l’interprétation des
mondes multiples, les probabilités associées aux résultats correspondent
aux paris que peuvent faire les individus. Comme elles n’expriment pas
une connaissance incomplète de leur part, elles ne sont pas subjectives,
mais objectives[15].
Noter que l’interprétation
d’Everett permet à la mécanique quantique de s’appliquer à l’ensemble de
l’univers. Contrairement à l’interprétation orthodoxe, elle ne suppose
pas de division entre un « système », distingué d’un « observateur » qui
constate les résultats de mesures. L’univers everettien n’est pas
séparé entre une partie classique et une partie quantique.
5. Conclusion
La mécanique quantique est
une théorie physique qui admet plusieurs interprétations, lesquelles
dessinent des images du monde radicalement différentes, mais ne peuvent
être distinguées empiriquement. Cela signifie qu’aucune expérience
réalisable ne permettra jamais de trancher entre, par exemple, l’idée
d’un monde déterministe à la Bohm, dans lequel aucun hasard n’intervient
dans le cours des événements, ou l’idée d’un monde indéterministe,
comme le veut l’interprétation orthodoxe, au sein duquel un hasard
fondamental joue un rôle presque à chaque instant. Dès lors que l’image
du monde quantique est prise au sérieux, l’expérience ne permet pas de
trancher la question de savoir si le hasard pur existe ou non dans notre
monde.
Bibliographie
David Z. Albert, Quantum Mechanics and Experience, Cambridge (MA) et London, Harvard University Press, 1992.
Jeffrey Barrett, « Everett’s Relative-State Formulation of Quantum Mechanics », dans dans E. N. Zalta (éd), The Stanford Encyclopedia of Philosophy,, http://plato.stanford.edu/archives/spr2011/entries/qm-everett/, 2011.
John S. Bell, Speakable and Unspeakable in Quantum Mechanics, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
John S. Bell, « Against ‘measurement’», Physics World, août 1990, p. 33-40.
David Bohm, « A Suggested Interpretation of Quantum Theory in terms of ‘Hidden’Variables », Physical Review, 85, 1952, p. 166-193.
Thomas Boyer-Kassem, Qu’est-ce que la mécanique quantique ?, Paris, Vrin, coll. « Chemins Philosophiques », 2015.
Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu et Franck Laloë, Mécanique Quantique, Tome 1, Paris, Hermann, 1973/1998.
Detlef Dürr et Stefan Teufel, Bohmian Mechanics : The Physics and Mathematics of Quantum Theory, Berlin et Heidelberg, Springer-Verlag, 2009.
Sheldon Goldstein, « Bohmian Mechanics », dans E. N. Zalta (éd), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/spr2009/entries/qm-bohm/, 2009
Hugh Everett, « ‘Relative State’Formulation of Quantum Mechanics », Reviews of Modern Physics, 29, 1957, p. 454-462.
Henry Krips, « Measurement in Quantum Theory », dans E. N. Zalta (éd), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/fall2013/entries/qt-measurement/, 2013.
Lev Vaidman, « Many-Worlds Interpretation of Quantum Mechanics », dans dans E. N. Zalta (éd), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/fall2008/entries/qm-manyworlds/, 2008.
David Wallace, « The Quantum Measurement Problem : State of Play », dans D. Rickles (éd.), The Ashgate Companion to Contemporary Philosophy of Physics, Aldershot, Ashgate Publishing, 2008, p. 16-98, disponible en prépublication à http://arxiv.org/abs/0712.0149.
[1] Cet article se limite à la mécanique quantique non-relativiste, c’est-à-dire dans laquelle les effets de la relativité ne
sont pas pris en compte. La théorie qui les prend en compte est la théorie quantique des champs.
sont pas pris en compte. La théorie qui les prend en compte est la théorie quantique des champs.
[2] En français, on consultera par exemple C. Cohen-Tannoudji et al. 1973.
[3]
Les atomes sont des constituants de la matière, de taille environ un
million de fois plus petit qu’un millimètre. On trouve des atomes
d’oxygène, de carbone ou d’azote par exemple. L’origine grecque du mot
« atome » signifie qu’il ne peut être divisé, mais les physiciens se
sont ensuite rendus ce n’est pas exact : un atome se compose d’un noyau
et d’électrons, qui peuvent être séparés.
[4]
De tels états quantiques sont différents d’états classiques d’ignorance
où le physicien attribue une probabilité de 50 % pour ici et 50 % pour
là, car ils permettent par exemple de donner lieu à des interférences.
Cf. par exemple Boyer-Kassem (2015, chap. 3).
[5]
La limite entre les parties classique et quantique du monde n’est pas
définitive ; par exemple, ce qui était considéré comme un appareil de
mesure peut être ensuite traité quantiquement par le physicien, dès lors
qu’une autre partie du monde est considérée classiquement, et joue le
rôle d’un autre appareil de mesure.
[6] Les références classiques sur ce sujet incluent Albert (1992, chap. 4), Bell (1990), Krips (2013), Wallace (2008).
[7] « [IT] is just fine for all practical purposes », J. S. Bell (1990, p. 33).
[8] Bell (1990, p. 35).
[9] Bell (1987, p. 188).
[10]
Sur l’interprétation de Bohm, voir notamment Albert (1992, chap. 7),
Bohm (1952), Dürr et Teufel (2009), Goldstein (2009), Wallace (2008,
sec. 6).
[11]
Après une mesure, l’état bohmien aura-t-il alors une valeur différente
par rapport à l’état orthodoxe ? On montre que, à toutes fins pratiques
et calculatoires, on peut considérer que la fonction d’onde bohmienne
évolue en fait de la même façon que celle de la mécanique quantique
orthodoxe. Cela est à l’origine de l’équivalence empirique entre des
deux interprétations.
[12] Dürr et Teufel (2009, p. v et 7).
[13]
Concernant cette interprétation, voir notamment sur Albert (1992,
chap. 6), Barrett (2011), Everett (1957), Vaidman (2008), Wallace (2008,
sec. 4).
[14]
Les détails mathématiques de ces états ne sont pas présentés ici, en
raison de contraintes d’espace. Nous renvoyons à Boyer-Kassem (2015,
chap. 5).
dimanche 25 novembre 2018
samedi 24 novembre 2018
Terre et Peuple - Table Ronde 2018 : horaires des interventions (le 9 décembre)
Publié le . Publié dans 2018 - XXIII ° Table Ronde de Terre et Peuple
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Rébellion diffusion - Louis Alexandre - Gilets jaunes, ce n'est qu'un début !
Notre rédacteur en chef, Louis Alexandre, revient pour le site Infos-Toulouse sur le mouvement des Gilets Jaunes.
Infos-Toulouse : Le mouvement des gilets jaunes est-il une surprise pour vous ?
Louis Alexandre : Ce n’est une surprise que pour les gens qui vivent coupés des réalités des Français. La hausse des prix des carburants a allumé la mèche, mais le feu couve depuis une vingtaine d’années. La France populaire et périphérique souffre de l’abandon et du mépris des élites. Livrées à elles-même, des zones entière du territoire étaient prêtes à s’engager dans ce mouvement sans précédents.
Louis Alexandre : Ce n’est une surprise que pour les gens qui vivent coupés des réalités des Français. La hausse des prix des carburants a allumé la mèche, mais le feu couve depuis une vingtaine d’années. La France populaire et périphérique souffre de l’abandon et du mépris des élites. Livrées à elles-même, des zones entière du territoire étaient prêtes à s’engager dans ce mouvement sans précédents.
Les têtes pensantes de la Macronie sont coupées du peuple et le parti
présidentiel manque des relais de « l’ancien monde » dans les régions :
les élus locaux et les ex-RG ne faisant rien remonter à Paris, ils n’ont
pas vu venir ce mouvement qui est pour moi le premier d’un genre
nouveau.
Quelle est l’originalité du mouvement ?
À la différence des « bonnets rouges », il est d’envergure nationale et totalement spontané(1).
Je vois trois aspects spécifiques à ce mouvement : l’autonomie, la communauté et l’unité dans la diversité des origines des acteurs.
À la différence des « bonnets rouges », il est d’envergure nationale et totalement spontané(1).
Je vois trois aspects spécifiques à ce mouvement : l’autonomie, la communauté et l’unité dans la diversité des origines des acteurs.
Les
« gilets jaunes » son la preuve qu’une révolte populaire n’a pas besoin
d’être manipulée pour éclater quand les conditions sont réunies.
L’utilisation des réseaux sociaux et la stratégie de blocage des flux de
circulations ( routes, nœuds de communication) et économiques (
raffineries, centres commerciaux) prouvent la force d’une intelligence
collective de notre peuple. Les « gilets jaunes » ne sont pas des
« kassos arrièrés » mais les véritables forces vives de notre pays. Ils
n’ont pas besoin de meneurs ou d’organisations pour connaitre les enjeux
et agir, ils sont largement conscients de leur possibilités. Ils ont
surtout raison de se méfier des syndicats et des partis classiques, les
premiers sont terrorisés à l’idée de perdre leurs rôle d’interlocuteurs
sociaux avec l’État et les seconds veulent tenter de les récupérer.
C’est en conservant leur autonomie et en développant leur propre
stratégie que les « gilets jaunes » peuvent gagner.
La force de ce mouvement c’est aussi son aspect communautaire. Sur les
points de blocages, on retrouve des familles entières des grands parents
aux arrières petits-enfants, des bandes copains et des collègues de
boulots. Les gilets jaunes, de chantier ou de la grande distribution,
sont les marqueurs d’un identité commune de galère, mais aussi de liens
affinitaires forts. On sent une fraternité rarement exprimée de manière
collective. C’est aussi pour cela que le mouvement est largement
sympathique aux Français qui peuvent tous s’identifier à eux et qui
pourraient demain les rejoindre.
L’aspect
le plus important est surtout que ce mouvement unitaire achève le
clivage droite/gauche. C’est le point de rencontre des « populismes hors
les murs ». On retrouve sur les piquets des gens qui votent ou ne
votent plus, mais qui sont tous sensible à l’injustice de la politique
macronnienne. Cette expérience quoi qu’elle devienne, aura permis aux
participants de « faire peuple ». Politiquement, on retrouve les
électeurs FN/RN et ceux de la France Insoumise réunis sur la question
sociale (qui ne les divisent absolument pas à la différence de celle de
l’immigration). Les partis qui tentent de récupérer la chose sont
totalement hors-jeu comme les forces contestataires de l’extrême-gauche
(qui ne se retrouve pas dans les revendications populaires). Si dans une
dizaine d’années un mix de Jean Lasalle et de Dieudonné devait pénétrer
l’Élysée avec Francois Ruffin comme premier ministre, on pourra sans
doute retracer son parcours depuis ce mouvement…
Le mouvement va perdurer selon vous ?
Par sa structuration souple et directement en prise avec la base, il a la capacité à se maintenir. On l’a vu avec la rapidité de son adaptation stratégique. Du blocage statique des routes, une large partie des gilets jaunes prend la direction d’un jeu de chasse à la souris avec les forces de l’ordre autour des raffineries et des centres commerciaux. Ciblant les préfectures, les perceptions des impôts et les péages, ils attaquent l’État dans la collecte de ses revenus.
Par sa structuration souple et directement en prise avec la base, il a la capacité à se maintenir. On l’a vu avec la rapidité de son adaptation stratégique. Du blocage statique des routes, une large partie des gilets jaunes prend la direction d’un jeu de chasse à la souris avec les forces de l’ordre autour des raffineries et des centres commerciaux. Ciblant les préfectures, les perceptions des impôts et les péages, ils attaquent l’État dans la collecte de ses revenus.
Nous verrons ce week-end l’ampleur de la mobilisation, mais ils ont une
capacité de perdurer dans nombre de régions et d’organiser des
convergences avec les agriculteurs ou des grévistes de certaines
entreprises locales.
La
véritable question est de savoir la forme de réponse que va formuler le
gouvernement. Une répression dure conduirait à une résistance forte
dans la population. Laisser pourrir la situation est aussi risqué, le
mouvement prenant de l’assurance et pouvant vite déborder de son cadre.
L’utilisation de provocateurs et d’infiltrés est largement possible,
comme laisser des éléments de l’extrême-gauche autonome agir librement
pour décrédibiliser le mouvement auprès de l’opinion.
Emmanuel Macron est perdant de toute manière dans cette situation. S’il
cède sa crédibilité s’effondre et s’il passe en force on risque de vite
plonger dans une vraie crise sociale.
Quelle est la position de Rébellion sur la suite du mouvement ?
Nous appelons clairement à rejoindre le mouvement et à le soutenir de toutes les manières possibles. J’ai trop souvent entendu dire que les Français étaient passifs, résignés et lâches dans les milieux radicaux « politisés ». Ce mépris arrogant est la marque d’une mouvance qui devrait agir plutôt que parler dans le vent. Les « gilets jaunes » sont la preuve que l’esprit de révolte est toujours vivant dans le cœur de notre peuple.
Nous appelons clairement à rejoindre le mouvement et à le soutenir de toutes les manières possibles. J’ai trop souvent entendu dire que les Français étaient passifs, résignés et lâches dans les milieux radicaux « politisés ». Ce mépris arrogant est la marque d’une mouvance qui devrait agir plutôt que parler dans le vent. Les « gilets jaunes » sont la preuve que l’esprit de révolte est toujours vivant dans le cœur de notre peuple.
(1) : la révolte des « bonnets
rouges » contre les « portiques » de l’écotaxe du gouvernement Hollande
était largement soutenue par le réseau des petits patrons et des élus de
l’Ouest de la France et les syndicats agricoles.
Propos recueillis par Étienne Lafage.
Gilets jaunes. Entretien avec Christophe Guilluy
Il est prévu plus de 1 500 points de blocage. Y a-t-il une homogénéité dans cette contestation ?
Christophe Guilluy.
Oui. A chaque fois, la grogne vient de territoires moins productifs
économiquement, où le chômage est très implanté. Ce sont des zones
rurales, des petites et moyennes villes souvent éloignées des métropoles
: ce que j’appelle la « France périphérique ». Y vivent les classes
moyennes, les ouvriers, les petits salariés, les indépendants, les
retraités. Cette majorité de la population subit depuis vingt à trente
ans une recomposition économique qui l’a desservie.
La grogne contre la hausse des prix des carburants n’est donc qu’une goutte d’eau ?
Leur
colère vient de beaucoup plus loin. Cela fait des années que ces
Français ne sont plus intégrés politiquement et économiquement. Il y a
eu la fermeture des usines puis la crise du monde rural. Le retour à
l’emploi est très compliqué. En plus, ils ont subi la désertification
médicale et le départ des services publics. Idem pour les commerces, qui
quittent les petites villes. Tout cela s’est cristallisé autour de la
question centrale du pouvoir d’achat. Mais le mouvement est une
conséquence de tout ça mis bout à bout.
S’agit-il
d’une énième contestation populaire, comme celle des Bonnets rouges, ou
d’un mouvement qui peut s’ancrer dans la durée ?
Difficile
à dire, mais le ressentiment est gigantesque. Les problèmes sont
désormais sur la table. Et si la contestation des Gilets jaunes ne
perdure pas, un autre mouvement émergera de ces territoires un peu plus
tard car rien n’aura été réglé.
Le dialogue entre ces populations et la classe politique semble coupé...
Oui.
Le monde d’en haut ne parle plus au monde d’en bas. Et le monde d’en
bas n’écoute plus le monde d’en haut. Les élites sont rassemblées dans
des métropoles où il y a du travail et de l’argent. Elles continuent de
s’adresser à une classe moyenne et à une réalité sociale qui n’existent
plus. C’est un boulevard pour les extrêmes.
Les mesures d’accompagnement à la conversion d’un véhicule propre n’ont pas atténué la colère. Que faudrait-il faire ?
Les
réponses du gouvernement sont à côté de la plaque. Les gens ne
demandent pas des solutions techniques pour financer un nouveau
véhicule. Ils attendent des réponses de fond où on leur explique quelle
place ils ont dans ce pays. De nombreux élus ont des projets pour
relancer leur territoire mais ils n’ont pas d’argent. Il faut se
retrousser les manches pour développer ces régions, partir du peuple,
plutôt que de booster en permanence les premiers de cordée.
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