Il est prévu plus de 1 500 points de blocage. Y a-t-il une homogénéité dans cette contestation ?
Christophe Guilluy.
Oui. A chaque fois, la grogne vient de territoires moins productifs
économiquement, où le chômage est très implanté. Ce sont des zones
rurales, des petites et moyennes villes souvent éloignées des métropoles
: ce que j’appelle la « France périphérique ». Y vivent les classes
moyennes, les ouvriers, les petits salariés, les indépendants, les
retraités. Cette majorité de la population subit depuis vingt à trente
ans une recomposition économique qui l’a desservie.
La grogne contre la hausse des prix des carburants n’est donc qu’une goutte d’eau ?
Leur
colère vient de beaucoup plus loin. Cela fait des années que ces
Français ne sont plus intégrés politiquement et économiquement. Il y a
eu la fermeture des usines puis la crise du monde rural. Le retour à
l’emploi est très compliqué. En plus, ils ont subi la désertification
médicale et le départ des services publics. Idem pour les commerces, qui
quittent les petites villes. Tout cela s’est cristallisé autour de la
question centrale du pouvoir d’achat. Mais le mouvement est une
conséquence de tout ça mis bout à bout.
S’agit-il
d’une énième contestation populaire, comme celle des Bonnets rouges, ou
d’un mouvement qui peut s’ancrer dans la durée ?
Difficile
à dire, mais le ressentiment est gigantesque. Les problèmes sont
désormais sur la table. Et si la contestation des Gilets jaunes ne
perdure pas, un autre mouvement émergera de ces territoires un peu plus
tard car rien n’aura été réglé.
Le dialogue entre ces populations et la classe politique semble coupé...
Oui.
Le monde d’en haut ne parle plus au monde d’en bas. Et le monde d’en
bas n’écoute plus le monde d’en haut. Les élites sont rassemblées dans
des métropoles où il y a du travail et de l’argent. Elles continuent de
s’adresser à une classe moyenne et à une réalité sociale qui n’existent
plus. C’est un boulevard pour les extrêmes.
Les mesures d’accompagnement à la conversion d’un véhicule propre n’ont pas atténué la colère. Que faudrait-il faire ?
Les
réponses du gouvernement sont à côté de la plaque. Les gens ne
demandent pas des solutions techniques pour financer un nouveau
véhicule. Ils attendent des réponses de fond où on leur explique quelle
place ils ont dans ce pays. De nombreux élus ont des projets pour
relancer leur territoire mais ils n’ont pas d’argent. Il faut se
retrousser les manches pour développer ces régions, partir du peuple,
plutôt que de booster en permanence les premiers de cordée.