Charles-Antoine Thomas*
La problématique des banlieues constitue depuis trente ans LA question sécuritaire. Depuis les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1979 jusqu’aux embuscades sanglantes de 2007 et 2010, la situation a connu une dégradation dont le tournant majeur se situe en 2005 lors de l’insurrection généralisée entraînant la mise en œuvre de l’état d’urgence. Depuis, l’usage d’armes à feu sur les forces de l’ordre se banalise comme à Villiers-le-Bel en 2007 ou à Persan-Beaumont en 2016.
Ce phénomène s’inscrit, en outre, dans une tendance mondiale. Toutes les grandes métropoles connaissent cette problématique avec des réalités propres aux pays émergents (favelas au Brésil) ou du tiers-monde (maras au Salvador, gangs du Nigeria, narcotrafiquants en Colombie…) qui apparaissent et se développent sur le territoire national.
La situation est telle qu’il faut revisiter totalement nos modes de fonctionnement et de compréhension du problème. Face à des zones en apartheid développant des valeurs contraires et possédant une culture et des idiomes différents de ceux en usage dans notre pays, il faut accepter de parler d’une reconquête et recourir aux leçons des grands anciens, comme Lyautey ou Gallieni, redécouvertes à l’occasion du surge en Irak ou de la guerre en Afghanistan. Cette approche globale (2) ou intégrale(3) est une grille de réflexion qui, à partir d’une approche transverse et non plus exclusivement sécuritaire, permet de comprendre que l’objectif final est la population et non pas les délinquants.
Des événements récurrents et inquiétants (4) en matière de sécurité intérieure nous imposent aujourd’hui de revisiter notre réflexion stratégique de sécurité nationale à la lumière de ce précepte.
Nous assistons, en effet, à la radicalisation d’un phénomène apparu il y a trente ans qui peut se définir comme la sécession criminelle et l’apparition de zones dissidentes dans les États. Cette situation est un facteur de porosité stratégique, de fragilité politique et de préemption opératives en période de crise sans possibilité de sortie de conflit par la voie de la négociation politique. Cette « insurrection criminelle » prend corps dans la problématique des zones urbaines hors contrôle (ZUHC) que l’on trouve dans la plupart des grands ensembles bâtis : quartiers sensibles en France, favelas au Brésil, ghettos aux États-Unis…
L’actualité et la pensée stratégique occidentale focalisent sur la notion d’affrontement civilisationnel et énergétique en partant du principe, relatif et critiquable selon nous, de l’homogénéité sociale et nationale. L’approche criminelle de la menace se limite généralement aux phénomènes mafieux (5) qui représentent in fine, au regard des moyens et des réalités politiques, un risque stratégique maîtrisable (6).
L’analyse du phénomène de dissidence criminelle et des actions corrélatives de guérilla urbaine nous amène au constat d’une menace stratégique majeure pour notre pays. Face à cette perspective, seule une approche globale avec une réflexion poussée sur l’objectif pertinent à rechercher est de nature à constituer une réponse pragmatique. À cet effet, la grille de lecture développée dans les principes généraux de contre insurrection peut nous aider à déterminer des axes de réflexions visant à définir une stratégie politico-sécuritaire.
L’état de dissidence de ces zones (cités, bidonvilles, ghettos ou favelas) est la conséquence de trois facteurs que sont traditionnellement l’origine de la population, l’environnement urbain et le rapport existant entre ces ensembles et la société. En effet, la typologie des habitants (immigration, exode rural, pauvreté, exclusion) de ces zones constitue le déterminant fondamental dont va découler l’environnement architectural et les relations bâties entre ces groupes et le reste du corps social.
Il faut admettre que les échecs récurrents des différents plans d’intégration ou de résolution de la question (plan Marshall pour les banlieues par exemple) et la dégradation de la situation sécuritaire dans ces zones depuis 2005 (France, Jamaïque, Brésil…) nous amènent à définir ce phénomène comme une situation d’apartheid de fait. Il existe une volonté plus ou moins structurée de ces groupes territoriaux de conduire leur propre développement ou, a minima, leur mode de vie quotidien en excluant toutes ingérences extérieures. Ils possèdent une culture propre (sociologie de la sous culture banlieue, des gangs US ou sud-américains) et un sens profond de la territorialité et de l’identité induite (règlement de compte, front uni contre les forces de sécurité, marquage de frontières…). Ils articulent leur mode de fonctionnement autour de la captation de la plus-value (prédation par des raids) et/ou de la maîtrise des flux de création de celle-ci (narcotrafic). Moderne dans son mode d’expression, ce système du fait de l’origine mondialisée des occupants se traduit par une insertion dans la globalisation des échanges (recueil de go-fast du Maroc, filières mexicaines et colombiennes aux États-Unis, etc.).
La population, se sentant délaissée par les pouvoirs publics locaux (collectivités locales, bailleurs sociaux, éducation…) ne voit plus dans l’expression de l’État qu’un acteur répressif vite considéré comme illégitime.
Elle se tourne alors de manière plus ou moins volontaire vers les proto-réseaux criminels pour leur garantir sécurité et revenus.
In fine, ces zones grises deviennent des espaces hors contrôle. Ils permettent à tous groupes ou individus possédant un certain capital de développer des affaires criminelles ou de servir de sites refuges à des entités terroristes.
La radicalisation et la concrétisation de menaces terroristes sont en quelque sorte un aboutissement d’un processus de déterritorialisation. Issus pour la plupart du même substrat que les délinquants avec lesquels ils ont une grande porosité (de par leurs parcours ou activités délictuelles), les apprentis terroristes trouvent dans ces zones ce dont ils ont besoin : discrétion, matériels (tout n’est que question de prix) et complicité. Ces zones refuges peuvent également servir de théâtre d’opération par une récupération de violences urbaines à leur profit en acceptant un affrontement armé direct.
La seconde étape se caractérise par une action résolue des groupes criminels sur les transports visant l’isolement de ces zones. Le mode opératoire est le harcèlement conduisant à l’interruption partiel ou total des dessertes (7). Véritable objectif de souveraineté, la maîtrise des flux constitue la première étape ouverte de possession territoriale.
Enfin, la dernière phase est constituée lorsque l’ordre criminel (8) se substitue à l’état de droit, généralement à l’issue d’un temps marqué par le désintéressement ou des revers multiples de l’État. C’est dans ce contexte que l’intervention des forces de sécurité à l’occasion d’opérations de police judiciaire est considérée comme une agression extérieure et donne lieu à de véritables séquences de guérilla urbaine (9) . L’identité de la zone est également revivifiée à l’occasion d’émeutes faisant suite à des accidents mortels de la circulation mettant en cause des véhicules de police ou à des actions de celle-ci (10). À ce niveau la reconquête purement sécuritaire de ces zones est inenvisageable sans un engagement massif des pouvoirs publics avec des risques sécuritaires et politiques majeurs (11).
Le triptyque découplage-isolement-substitution constitue dès lors une grille de lecture permettant de situer l’état économique et sécuritaire d’une zone.
Tout d’abord, il présente une réelle menace au regard de son modèle et de son pacte social. Cette dissidence inscrite dans la durée d’une partie du territoire sous domination de réseaux criminels traduit une incapacité de l’État à promouvoir et défendre son système de valeurs. La dérive progressivement structurelle vers un modèle de développement séparé (apartheid) rend tout retour en arrière pacifique impossible. La réaction première des services de l’État se limite souvent à des opérations répressives ou à des quadrillages offensifs pénalisant en premier lieu la population et en la criminalisant la faisant ainsi basculer du côté de la dissidence. Notons que ce processus est parfaitement similaire aux problématiques de contre-insurrection. En outre, l’absence d’accompagnement économique réellement volontariste et de processus de légitimisation de la posture de l’État (dénigrement voire campagne de relativisation institutionnelle de sa propre légitimité historique (12) renforce la pertinence de l’offre des réseaux criminels en direction des populations sous forme de revenus directs (guetteurs, passeurs, revendeurs, garde du corps) et indirects (aides aux familles, blanchiment).
Ensuite, la multiplication de zones hors de contrôle constitue une menace stratégique majeure trop peu analysée aujourd’hui (13). Ces plaques urbaines en périphérie des métropoles et jouxtant les axes structurants de communication desservant les centres apparaissent peu à peu comme des ceintures concentriques non sécurisées. Elles peuvent être définies comme des ruptures considérables dans la géographie de la défense et de la sécurité nationale. Ce sont de véritables frontières intérieures. Leur porosité avérée aux menaces extérieures (grand trafic, terrorisme (14), pandémie(15)) et leur rôle de zones refuges inviolables en sont les caractéristiques sécuritaires. Ces dernières, si elles sont problématiques en temps de paix, deviennent rédhibitoires en période de crise. Ces espaces hors de contrôle reliés entre eux via des réseaux humains (familles, clans, ethnies, groupes criminels) et technologiques (16) (internet, téléphonie, Facebook) constituent dès lors des menaces sur les arrières de notre système de défense et de sécurité. Le processus d’apartheid et de polycentrisme criminel précédemment décrit conduit à une impossible négociation dans une hypothèse d’union nationale face à une crise majeure.
Enfin, conséquence logique, la situation sécuritaire et ses implications politiques aboutissent à une hypothèque importante dès le temps normalisé des forces de sécurité. Les impératifs de restriction budgétaire (directives européennes du temps de travail, dissolution d’unités de forces mobiles, suremploi des forces) entraînent une attrition des effectifs engageables dans ces zones avec une difficulté à développer une vision stratégique dans la durée. La période de crise (hors hypothèse peu probable de mobilisation) avec, à périmètre constant de forces, des missions de protection renforcée conduit à une aporie stratégique menant de fait à l’abandon de certaines zones du territoire national. Dès lors, une insurrection partielle ou générale entraînera une préemption d’effectifs pour rétablir un semblant d’ordre. Ce phénomène préjudiciable à la cohérence du dispositif d’ensemble de protection et de résolution de la crise ouvre des brèches dangereuses. La rupture n’est pas une hypothèse mais une réalité. Les forces de réserve de police générale (compagnies républicaines de sécurité, gendarmerie mobile) sont entièrement consommées par des missions et des crises devenues le cadre normal de vie de la France : état d’urgence, migrations, ZAD, conflits sociaux…
À l’inverse des cas classiques de subversion, il n’y a pas dans la dissidence criminelle d’interlocuteur unique ou de structure monopolistique. Nous nous inscrivons dans une situation d’oligopole. En effet, nous sommes confrontés à la présence de plusieurs groupes ou bandes qui, fortement territorialisés, se partagent les trafics et les revenus induits. Ce phénomène implique également des luttes violentes entre gangs avec une large possibilité d’action psychologique pour entraîner des affrontements internes (17). La jeunesse des auteurs implique également d’orienter l’action de réinsertion dans une gamme de 10-16 ans et la prévention sur les 5-10 ans.
La conséquence structurelle est dès lors l’impossible négociation avec des représentants pour une sortie de crise. Dans un cadre classique de « guerre » subversive, la permanence de la recherche d’une solution négociée est la norme (18). Dans le cadre de la dissidence criminelle, aucun rétablissement de l’ordre social n’est possible avec les acteurs de cette sécession. Il faut donc trouver des interlocuteurs crédibles, volontaires et ayant un poids local fort.
L’élimination des organisateurs de la sédition est ici impossible. La destruction physique est inenvisageable dans un système démocratique et comporterait des conséquences politiques dangereuses. La solution de la mise à l’écart par emprisonnement est inefficace car elle repose sur une politique pénale souvent laxiste faute de moyens, permissive en raison de la complexité administrative et de l’immunité des mineurs et temporaire compte tenu de la surpopulation carcérale. Dès lors, vouloir résoudre cette problématique en faisant porter l’effort unique sur l’interpellation et l’incarcération des auteurs est un leurre. Les criminels ne peuvent constituer l’objectif final mais seulement des cibles intermédiaires.
La notion du temps diffère également du schéma classique de la contre-guérilla. Dans celui-ci, le temps est une contrainte qu’il faut inverser. Commençant généralement par un acte déclencheur (20), le temps va permettre aux insurgés de se renforcer et de construire les conditions de la victoire finale (21). Dans le cadre de la dissidence criminelle, le temps n’a pas de sens. L’absence de visées politiques des groupes criminels est fondamentale. Seul le statu quo de l’inviolabilité de leur territoire importe à ces individus. En France, l’enkystement depuis 1981 de cités et l’état de délabrement avancé des infrastructures urbaines et sociales conduisent à une constance du temps. Il est simplement marqué par des émeutes consécutives à des mobilisations de force suite à un décès imputé à la police ou bien à une opération judiciaire. Dès lors, point essentiel, le temps ne joue pas contre nous, c’est une donnée neutre si l’on arrive à la découpler de l’agenda politico-électoral.
Enfin, la répartition dans l’espace de zones de non-droit aux superficies variables (d’un bloc d’immeubles à des ensembles urbains de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’habitants) avec des logiques de contamination et de porosité nous impose une approche pragmatique. En effet, vouloir régler d’emblée la problématique des grands blocs nous conduira inéluctablement à l’échec. L’embrasement sera ingérable et les conséquences politiques trop importantes. Il faut mieux viser dans un premier temps une action périphérique progressive sur des zones maîtrisables plus restreintes qui par homothétie vont « convaincre » du bien fondé de la démarche de l’État. Cela permet d’aborder dans une seconde phase la reconquête et la normalisation de plus grands ensembles limitrophes.
L’action des pouvoirs publics (État et collectivités) doit être influencée par la tradition de l’école française de la tâche d’huile chère à Gallieni et à Lyautey. Réussir la reconquête ne tient donc plus exactement dans l’incarcération d’auteurs mais dans l’émergence et la consolidation d’une vie économique locale, garante d’emplois et d’intégration.
Il faut donc amener ces populations à avoir une existence politique qui les rend aptes à faire ce choix.
L’imposition d’un état de droit exogène aux préoccupations des populations est totalement stérile. Consommatrice en personnels, dangereuse sur le plan sécuritaire et aléatoire politiquement, cette option est à écarter vigoureusement.
Il apparaît, dès lors, opportun de constituer par zones géographiques administratives de référence des « tasks force » opérationnelles sous l’égide du représentant de l’État ou de son délégué. En charge du règlement de la question, il pourrait se voir attribuer des pouvoirs élargis (« administrateur exceptionnel ») sur l’ensemble des administrations déconcentrées. Personnellement responsable, coordonnateur des actions municipales et intercommunales, bâtisseur autant que policier ou éducateur, il incarnerait la volonté de l’État et son pacte social rénové.
Il regrouperait autour de lui des magistrats spécialisés, des représentants des différents organismes publics décentralisés et déconcentrés. Il aurait, tout le temps de son action, l’obsession du développement économique et de l’intégration démocratique d’une population immigrée dénuée de droit de vote.
Son action pourrait se dérouler sur cinq ans. La première année serait dédiée à la connaissance parfaite du milieu (action de renseignement multiple, création de fichiers croisés, cartographie des populations), sa pénétration par des agents infiltrés et la préparation d’opérations de police judiciaire. Durant cette phase, seraient créées dans ces quartiers des écoles de la République visant la normalisation et l’épanouissement des enfants. On s’attacherait également à préparer la montée en puissance du plan de redressement économique. La planification d’une gouvernance partagée devrait être engagée par la création de structures légitimes de concertation et de représentation.
Les deux années suivantes poursuivraient la destruction des réseaux criminels par des actions de police et des opérations psychologiques (saisie des avoirs criminels, destruction publique des biens des délinquants, radio locale de propagande…) et l’application volontariste des mesures d’ordre économique.
Les deux dernières années se résumeraient alors à la normalisation et à l’accompagnement.
La création sous couvert de l’ANRU (22) de centres de développement intégrés et sécurisés sera une priorité. Véritables havres de paix, ils s’articulent autour d’un poste de police tenu le jour par des îlotiers connus des populations car logés gratuitement sur place dans des résidences sécurisées (type brigade de gendarmerie) et la nuit par des unités mixtes (forces mobiles/territoriaux). Jouxtant ce « point d’appui », on trouvera, outre les services publics de proximité (poste, services municipaux), les acteurs économiques essentiels (supermarché, boulangerie, coiffeur, restauration, crèche, cabinet médical, écrivain public) et les intervenants sociaux (centre médico-social, Caf).
La création et le développement d’écoles de la République par transformation de l’existant avec une vocation interministérielle (Éducation nationale, ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Ville, de la Santé…) seront conduits. Ces écoles reposeront sur une pédagogie adaptée visant l’apprentissage accéléré et traditionnel de la langue française et développant l’amour de la République et de l’histoire du pays. Ce processus sera rendu efficace par la mise en œuvre d’un règlement interne strict et le port d’une blouse uniforme afin de gommer les signes extérieurs de richesse. Dans la périphérie seront implantés ou transformés des pensionnats gratuits d’optimisation des parcours scolaires afin de relancer l’ascenseur social et le modèle de méritocratie républicaine. Enfin, la promotion volontariste de l’enseignement technique dès douze ans avec pour cible une intégration dans le monde de l’artisanat à forte valeur ajoutée (plomberie, travaux publics, métiers d’art…).
Le désenclavement total de ces territoires constituera une priorité. Il reposera sur deux actions parallèles qui sont d’une part la sanctuarisation absolue des transports publics et le développement de sociétés privées de micro-transport (taxi, shutlle…). Dans les deux cas, des structures mixtes public-privé embauchant des habitants des cités s’occuperont, sous tutelle des forces de l’ordre, de la sécurité citoyenne de ces modes de transport.
Il faut, dans un premier temps, instaurer une véritable gouvernance locale sortant de la pseudo-représentation de leaders autoproclamés, d’associations douteuses ou de personnalités radicalisées. Cela passe, malgré la non-détention de la citoyenneté pour une grande partie de la population, par l’élection démocratique (croisée avec la cartographie exacte des habitants) de conseils d’immeubles et de quartiers. Ceux-ci désigneront une assemblée territoriale locale, interlocutrice du représentant de l’État et des maires. Un « droit de vote local (23)» sera donné dès seize ans sans autre condition que celle de la résidence. Cette mesure doit s’accompagner d’un suivi attentif pour éviter toute dérive communautariste.
Il importe ensuite de développer via une banque solidaire le microcrédit (taux à 0 %). Le but est d’inciter les habitants à réaliser des projets professionnels locaux (artisanat, aide à la personne) ou d’équipement des ménages. La création et le partage des richesses induit ainsi que le sentiment de propriété conduiront in fine les habitants à considérer les criminels comme des menaces et non des aides à la vie courante.
Enfin, la création de zones franches absolues en liaison avec les partenaires sociaux (Medef, syndicats, fédération des artisans, CGPME (24)…) doit permettre un développement économique dynamique. Les entreprises présentes seront exemptées de toutes charges sociales employeurs et d’impôt sur le bénéfice pour cinq ans renouvelables à la condition d’embaucher des habitants des quartiers (25). Celles souhaitant s’installer bénéficieront des mêmes conditions sous réserve de recruter 50 % de ses employés dans les quartiers avec un ratio de 25 % parmi les cadres.
Une politique de tolérance zéro sera menée en continu
Elle est basée sur une connaissance fine des populations locales (26) et une action préalable de renseignement judiciaire et d’infiltration des réseaux criminels. Cette répression intégrera une forte dimension psychologique par l’usage généralisé de la saisie des avoirs criminels avec des destructions publiques ou des ventes des objets de luxe appartenant aux délinquants (voitures de luxe par exemple). L’humiliation des chefs de gangs sera recherchée en toutes circonstances via des actions psychologiques (27). Il faut disposer de forces de sécurité irréprochables et motivées par des avantages professionnels et financiers (logement gratuit sécurisé, primes spéciales…).
Trois mécanismes de financement sont envisageables.
Les saisies des avoirs criminels réalisées dans la zone seront entièrement reversées à ce fonds. Hautement rentables les premières années, elles comportent un volet psychologique puissant. Le transfert de ressources fiscales d’État et des collectivités liées à l’habitat et aux cotisations sociales « employés » sera promu. Enfin, les ministères et les collectivités locales parties prenantes abonderont ce fonds à hauteur d’une partie des montants initialement dédiés à l’action dans ces zones.
Ce budget n’a pas vocation à reconstruire des ensembles urbains, mais seulement à permettre aux populations de les transformer par elles-mêmes.
Les zones de non-droit ne sont en aucune façon une fatalité, mais un défi démocratique et économique. Ne pas agir de manière globale conduit à créer des espaces stratégiques poreux en période de crise grave ou de conflit. L’hypothèque sur l’avenir général de la Nation est telle que les solutions « tout sécuritaire » ou d’assistanat public ne sont au mieux que des palliatifs temporaires, au pire des accélérateurs de délitement. Il y a là un enjeu vital de souveraineté territoriale et de développement social et économique.
La problématique des banlieues constitue depuis trente ans LA question sécuritaire. Depuis les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1979 jusqu’aux embuscades sanglantes de 2007 et 2010, la situation a connu une dégradation dont le tournant majeur se situe en 2005 lors de l’insurrection généralisée entraînant la mise en œuvre de l’état d’urgence. Depuis, l’usage d’armes à feu sur les forces de l’ordre se banalise comme à Villiers-le-Bel en 2007 ou à Persan-Beaumont en 2016.
Aujourd’hui, malgré l’esprit volontariste de la politique sécuritaire conduite depuis dix ans, quelle est la réalité en France ?
On dénombre à ce jour plus de 150 quartiers ou cités, regroupant de 5 000 à 100 000 personnes, que l’on peut considérer comme étant en tension et difficilement contrôlables en cas de crise. Ces zones sont livrées à une dissidence criminelle. Elle se traduit par une délinquance d’oppression particulièrement violente qui a substitué son propre modèle de société et de culture, véritable syncrétisme de cultures issues du tiers-monde et d’anarcho-capitalisme, aux valeurs de la République. Vivant du trafic de stupéfiants (1), de la contrefaçon, de la traite des êtres humains et des vols à main armée, cette criminalité dure développe de véritables manœuvres de guérilla dès que les forces de sécurité tentent de reprendre en main les quartiers. L’impossibilité de se maintenir longtemps au sein d’une population « étrangère » dans ces quartiers, qui sont de fait des enclaves, rend caduque à ce jour toute tentative de résolution des conflits.Ce phénomène s’inscrit, en outre, dans une tendance mondiale. Toutes les grandes métropoles connaissent cette problématique avec des réalités propres aux pays émergents (favelas au Brésil) ou du tiers-monde (maras au Salvador, gangs du Nigeria, narcotrafiquants en Colombie…) qui apparaissent et se développent sur le territoire national.
La situation est telle qu’il faut revisiter totalement nos modes de fonctionnement et de compréhension du problème. Face à des zones en apartheid développant des valeurs contraires et possédant une culture et des idiomes différents de ceux en usage dans notre pays, il faut accepter de parler d’une reconquête et recourir aux leçons des grands anciens, comme Lyautey ou Gallieni, redécouvertes à l’occasion du surge en Irak ou de la guerre en Afghanistan. Cette approche globale (2) ou intégrale(3) est une grille de réflexion qui, à partir d’une approche transverse et non plus exclusivement sécuritaire, permet de comprendre que l’objectif final est la population et non pas les délinquants.
À partir de ce constat, véritable révolution intellectuelle pour les forces de sécurité intérieure, toute une série de mesures est envisageable
La globalisation de notre environnement économique et sécuritaire constitue à ce jour le postulat de la géopolitique contemporaine. Dès lors cela impose d’agir dans la profondeur stratégique dans ses dimensions géographiques, spatiales et numériques afin de répondre aux menaces protéiformes. Néanmoins tout cela est conditionné par un prérequis invariable depuis l’Antiquité. En effet, Thucydide dans les Guerres du Péloponnèse le définit comme la maîtrise et la cohésion totale de la Cité, préalable à tout mouvement vers un ennemi extérieur. Conduire une action offensive en laissant se développer des zones d’insécurité multiples sur ses arrières est un facteur de fragilité conduisant inéluctablement à la défaite ou à la paralysie.Des événements récurrents et inquiétants (4) en matière de sécurité intérieure nous imposent aujourd’hui de revisiter notre réflexion stratégique de sécurité nationale à la lumière de ce précepte.
Nous assistons, en effet, à la radicalisation d’un phénomène apparu il y a trente ans qui peut se définir comme la sécession criminelle et l’apparition de zones dissidentes dans les États. Cette situation est un facteur de porosité stratégique, de fragilité politique et de préemption opératives en période de crise sans possibilité de sortie de conflit par la voie de la négociation politique. Cette « insurrection criminelle » prend corps dans la problématique des zones urbaines hors contrôle (ZUHC) que l’on trouve dans la plupart des grands ensembles bâtis : quartiers sensibles en France, favelas au Brésil, ghettos aux États-Unis…
L’actualité et la pensée stratégique occidentale focalisent sur la notion d’affrontement civilisationnel et énergétique en partant du principe, relatif et critiquable selon nous, de l’homogénéité sociale et nationale. L’approche criminelle de la menace se limite généralement aux phénomènes mafieux (5) qui représentent in fine, au regard des moyens et des réalités politiques, un risque stratégique maîtrisable (6).
L’analyse du phénomène de dissidence criminelle et des actions corrélatives de guérilla urbaine nous amène au constat d’une menace stratégique majeure pour notre pays. Face à cette perspective, seule une approche globale avec une réflexion poussée sur l’objectif pertinent à rechercher est de nature à constituer une réponse pragmatique. À cet effet, la grille de lecture développée dans les principes généraux de contre insurrection peut nous aider à déterminer des axes de réflexions visant à définir une stratégie politico-sécuritaire.
Qu’est-ce que la dissidence criminelle ?
La dissidence criminelle recoupe deux notions complémentaires : la sédition et la sécession crapuleuse. La sédition se définit comme le refus de la reconnaissance de l’autorité de l’État, première phase avant la sécession. Cette dernière se caractérise par un mode de développement en marge de la société avec comme but ultime la maîtrise de sources de richesse illégales sans contrepartie productive directe.L’état de dissidence de ces zones (cités, bidonvilles, ghettos ou favelas) est la conséquence de trois facteurs que sont traditionnellement l’origine de la population, l’environnement urbain et le rapport existant entre ces ensembles et la société. En effet, la typologie des habitants (immigration, exode rural, pauvreté, exclusion) de ces zones constitue le déterminant fondamental dont va découler l’environnement architectural et les relations bâties entre ces groupes et le reste du corps social.
Il faut admettre que les échecs récurrents des différents plans d’intégration ou de résolution de la question (plan Marshall pour les banlieues par exemple) et la dégradation de la situation sécuritaire dans ces zones depuis 2005 (France, Jamaïque, Brésil…) nous amènent à définir ce phénomène comme une situation d’apartheid de fait. Il existe une volonté plus ou moins structurée de ces groupes territoriaux de conduire leur propre développement ou, a minima, leur mode de vie quotidien en excluant toutes ingérences extérieures. Ils possèdent une culture propre (sociologie de la sous culture banlieue, des gangs US ou sud-américains) et un sens profond de la territorialité et de l’identité induite (règlement de compte, front uni contre les forces de sécurité, marquage de frontières…). Ils articulent leur mode de fonctionnement autour de la captation de la plus-value (prédation par des raids) et/ou de la maîtrise des flux de création de celle-ci (narcotrafic). Moderne dans son mode d’expression, ce système du fait de l’origine mondialisée des occupants se traduit par une insertion dans la globalisation des échanges (recueil de go-fast du Maroc, filières mexicaines et colombiennes aux États-Unis, etc.).
La population, se sentant délaissée par les pouvoirs publics locaux (collectivités locales, bailleurs sociaux, éducation…) ne voit plus dans l’expression de l’État qu’un acteur répressif vite considéré comme illégitime.
Elle se tourne alors de manière plus ou moins volontaire vers les proto-réseaux criminels pour leur garantir sécurité et revenus.
In fine, ces zones grises deviennent des espaces hors contrôle. Ils permettent à tous groupes ou individus possédant un certain capital de développer des affaires criminelles ou de servir de sites refuges à des entités terroristes.
La radicalisation et la concrétisation de menaces terroristes sont en quelque sorte un aboutissement d’un processus de déterritorialisation. Issus pour la plupart du même substrat que les délinquants avec lesquels ils ont une grande porosité (de par leurs parcours ou activités délictuelles), les apprentis terroristes trouvent dans ces zones ce dont ils ont besoin : discrétion, matériels (tout n’est que question de prix) et complicité. Ces zones refuges peuvent également servir de théâtre d’opération par une récupération de violences urbaines à leur profit en acceptant un affrontement armé direct.
Un processus de sédition connu
Le processus de sécession criminelle s’articule autour de trois phases. La première se définit comme le découplage économique et social progressif (cités-dortoirs) ou immédiat (bidonvilles) de ces zones du reste de la société. Durant cette période, l’exclusion et la pauvreté favorisent l’émergence (cités) ou l’importation (bidonvilles) de proto-réseaux criminels.La seconde étape se caractérise par une action résolue des groupes criminels sur les transports visant l’isolement de ces zones. Le mode opératoire est le harcèlement conduisant à l’interruption partiel ou total des dessertes (7). Véritable objectif de souveraineté, la maîtrise des flux constitue la première étape ouverte de possession territoriale.
Enfin, la dernière phase est constituée lorsque l’ordre criminel (8) se substitue à l’état de droit, généralement à l’issue d’un temps marqué par le désintéressement ou des revers multiples de l’État. C’est dans ce contexte que l’intervention des forces de sécurité à l’occasion d’opérations de police judiciaire est considérée comme une agression extérieure et donne lieu à de véritables séquences de guérilla urbaine (9) . L’identité de la zone est également revivifiée à l’occasion d’émeutes faisant suite à des accidents mortels de la circulation mettant en cause des véhicules de police ou à des actions de celle-ci (10). À ce niveau la reconquête purement sécuritaire de ces zones est inenvisageable sans un engagement massif des pouvoirs publics avec des risques sécuritaires et politiques majeurs (11).
Le triptyque découplage-isolement-substitution constitue dès lors une grille de lecture permettant de situer l’état économique et sécuritaire d’une zone.
Des conséquences stratégiques sous-estimées
Outre le coût économique, humain et social, le déficit en termes de crédibilité politique pour l’État est insoutenable. En effet, pour une Nation se voulant souveraine, l’existence de zones entières hors de contrôle et regroupant plusieurs centaines de milliers d’habitants constitue un désaveu fort et ce à plusieurs titres.Tout d’abord, il présente une réelle menace au regard de son modèle et de son pacte social. Cette dissidence inscrite dans la durée d’une partie du territoire sous domination de réseaux criminels traduit une incapacité de l’État à promouvoir et défendre son système de valeurs. La dérive progressivement structurelle vers un modèle de développement séparé (apartheid) rend tout retour en arrière pacifique impossible. La réaction première des services de l’État se limite souvent à des opérations répressives ou à des quadrillages offensifs pénalisant en premier lieu la population et en la criminalisant la faisant ainsi basculer du côté de la dissidence. Notons que ce processus est parfaitement similaire aux problématiques de contre-insurrection. En outre, l’absence d’accompagnement économique réellement volontariste et de processus de légitimisation de la posture de l’État (dénigrement voire campagne de relativisation institutionnelle de sa propre légitimité historique (12) renforce la pertinence de l’offre des réseaux criminels en direction des populations sous forme de revenus directs (guetteurs, passeurs, revendeurs, garde du corps) et indirects (aides aux familles, blanchiment).
Ensuite, la multiplication de zones hors de contrôle constitue une menace stratégique majeure trop peu analysée aujourd’hui (13). Ces plaques urbaines en périphérie des métropoles et jouxtant les axes structurants de communication desservant les centres apparaissent peu à peu comme des ceintures concentriques non sécurisées. Elles peuvent être définies comme des ruptures considérables dans la géographie de la défense et de la sécurité nationale. Ce sont de véritables frontières intérieures. Leur porosité avérée aux menaces extérieures (grand trafic, terrorisme (14), pandémie(15)) et leur rôle de zones refuges inviolables en sont les caractéristiques sécuritaires. Ces dernières, si elles sont problématiques en temps de paix, deviennent rédhibitoires en période de crise. Ces espaces hors de contrôle reliés entre eux via des réseaux humains (familles, clans, ethnies, groupes criminels) et technologiques (16) (internet, téléphonie, Facebook) constituent dès lors des menaces sur les arrières de notre système de défense et de sécurité. Le processus d’apartheid et de polycentrisme criminel précédemment décrit conduit à une impossible négociation dans une hypothèse d’union nationale face à une crise majeure.
Enfin, conséquence logique, la situation sécuritaire et ses implications politiques aboutissent à une hypothèque importante dès le temps normalisé des forces de sécurité. Les impératifs de restriction budgétaire (directives européennes du temps de travail, dissolution d’unités de forces mobiles, suremploi des forces) entraînent une attrition des effectifs engageables dans ces zones avec une difficulté à développer une vision stratégique dans la durée. La période de crise (hors hypothèse peu probable de mobilisation) avec, à périmètre constant de forces, des missions de protection renforcée conduit à une aporie stratégique menant de fait à l’abandon de certaines zones du territoire national. Dès lors, une insurrection partielle ou générale entraînera une préemption d’effectifs pour rétablir un semblant d’ordre. Ce phénomène préjudiciable à la cohérence du dispositif d’ensemble de protection et de résolution de la crise ouvre des brèches dangereuses. La rupture n’est pas une hypothèse mais une réalité. Les forces de réserve de police générale (compagnies républicaines de sécurité, gendarmerie mobile) sont entièrement consommées par des missions et des crises devenues le cadre normal de vie de la France : état d’urgence, migrations, ZAD, conflits sociaux…
Caractéristiques stratégiques de la dissidence criminelle
Cette dissidence présente six traits fondamentaux dont l’étude préalable est incontournable. Ces caractéristiques sont la notion d’oligopole criminel, d’absence de sortie de crise négociée, d’impossible élimination des auteurs, de logique de peur-séduction parmi la population, de maîtrise temporelle et d’atomisation spatiale.À l’inverse des cas classiques de subversion, il n’y a pas dans la dissidence criminelle d’interlocuteur unique ou de structure monopolistique. Nous nous inscrivons dans une situation d’oligopole. En effet, nous sommes confrontés à la présence de plusieurs groupes ou bandes qui, fortement territorialisés, se partagent les trafics et les revenus induits. Ce phénomène implique également des luttes violentes entre gangs avec une large possibilité d’action psychologique pour entraîner des affrontements internes (17). La jeunesse des auteurs implique également d’orienter l’action de réinsertion dans une gamme de 10-16 ans et la prévention sur les 5-10 ans.
La conséquence structurelle est dès lors l’impossible négociation avec des représentants pour une sortie de crise. Dans un cadre classique de « guerre » subversive, la permanence de la recherche d’une solution négociée est la norme (18). Dans le cadre de la dissidence criminelle, aucun rétablissement de l’ordre social n’est possible avec les acteurs de cette sécession. Il faut donc trouver des interlocuteurs crédibles, volontaires et ayant un poids local fort.
L’élimination des organisateurs de la sédition est ici impossible. La destruction physique est inenvisageable dans un système démocratique et comporterait des conséquences politiques dangereuses. La solution de la mise à l’écart par emprisonnement est inefficace car elle repose sur une politique pénale souvent laxiste faute de moyens, permissive en raison de la complexité administrative et de l’immunité des mineurs et temporaire compte tenu de la surpopulation carcérale. Dès lors, vouloir résoudre cette problématique en faisant porter l’effort unique sur l’interpellation et l’incarcération des auteurs est un leurre. Les criminels ne peuvent constituer l’objectif final mais seulement des cibles intermédiaires.
Perspectives de lutte
Les populations résidant dans ces zones sont par essence des groupes vulnérables, peu ou mal considérés et s’estimant délaissés par l’État. De manière similaire aux phénomènes subversifs, la grande majorité n’est pas favorable aux groupes criminels. La déstructuration des cellules familiales, le chômage et l’absence de perspectives d’avenir entraînent une main mise des criminels sur ces quartiers dont ils sont eux-mêmes issus. Instaurant la peur (19), ils exercent également une séduction forte sur les mineurs et permettent à ces quartiers de vivre. Il apparaît donc essentiel de considérer la population comme l’objectif de la politique de reconquête. Au lieu d’encourager l’assistanat par des transferts sociaux, il faut conduire cette population à une réelle émancipation et lui permettre de construire un avenir et un pacte social rénové avec l’État. Cela passe par l’emploi, l’éducation et la promotion de la démocratie locale.La notion du temps diffère également du schéma classique de la contre-guérilla. Dans celui-ci, le temps est une contrainte qu’il faut inverser. Commençant généralement par un acte déclencheur (20), le temps va permettre aux insurgés de se renforcer et de construire les conditions de la victoire finale (21). Dans le cadre de la dissidence criminelle, le temps n’a pas de sens. L’absence de visées politiques des groupes criminels est fondamentale. Seul le statu quo de l’inviolabilité de leur territoire importe à ces individus. En France, l’enkystement depuis 1981 de cités et l’état de délabrement avancé des infrastructures urbaines et sociales conduisent à une constance du temps. Il est simplement marqué par des émeutes consécutives à des mobilisations de force suite à un décès imputé à la police ou bien à une opération judiciaire. Dès lors, point essentiel, le temps ne joue pas contre nous, c’est une donnée neutre si l’on arrive à la découpler de l’agenda politico-électoral.
Enfin, la répartition dans l’espace de zones de non-droit aux superficies variables (d’un bloc d’immeubles à des ensembles urbains de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’habitants) avec des logiques de contamination et de porosité nous impose une approche pragmatique. En effet, vouloir régler d’emblée la problématique des grands blocs nous conduira inéluctablement à l’échec. L’embrasement sera ingérable et les conséquences politiques trop importantes. Il faut mieux viser dans un premier temps une action périphérique progressive sur des zones maîtrisables plus restreintes qui par homothétie vont « convaincre » du bien fondé de la démarche de l’État. Cela permet d’aborder dans une seconde phase la reconquête et la normalisation de plus grands ensembles limitrophes.
Objectif ultime recherché et architecture de la stratégie de reconquête. Quel objectif recherché pour quelle situation sociale et sécuritaire espérée ?
L’objectif ultime recherché consiste à faire en sorte que les populations de ces zones se normalisent par elles-mêmes et « expulsent » les groupes criminels. Cela passe par la prise de conscience d’un avenir meilleur avec le corps national que contre celui-ci. Cette stratégie ne repose pas à la base sur une logique exclusivement sécuritaire, mais sur une véritable politique de reconquête acceptée, choisie et commune de ces territoires de vie.L’action des pouvoirs publics (État et collectivités) doit être influencée par la tradition de l’école française de la tâche d’huile chère à Gallieni et à Lyautey. Réussir la reconquête ne tient donc plus exactement dans l’incarcération d’auteurs mais dans l’émergence et la consolidation d’une vie économique locale, garante d’emplois et d’intégration.
Il faut donc amener ces populations à avoir une existence politique qui les rend aptes à faire ce choix.
L’imposition d’un état de droit exogène aux préoccupations des populations est totalement stérile. Consommatrice en personnels, dangereuse sur le plan sécuritaire et aléatoire politiquement, cette option est à écarter vigoureusement.
Il apparaît, dès lors, opportun de constituer par zones géographiques administratives de référence des « tasks force » opérationnelles sous l’égide du représentant de l’État ou de son délégué. En charge du règlement de la question, il pourrait se voir attribuer des pouvoirs élargis (« administrateur exceptionnel ») sur l’ensemble des administrations déconcentrées. Personnellement responsable, coordonnateur des actions municipales et intercommunales, bâtisseur autant que policier ou éducateur, il incarnerait la volonté de l’État et son pacte social rénové.
Il regrouperait autour de lui des magistrats spécialisés, des représentants des différents organismes publics décentralisés et déconcentrés. Il aurait, tout le temps de son action, l’obsession du développement économique et de l’intégration démocratique d’une population immigrée dénuée de droit de vote.
Son action pourrait se dérouler sur cinq ans. La première année serait dédiée à la connaissance parfaite du milieu (action de renseignement multiple, création de fichiers croisés, cartographie des populations), sa pénétration par des agents infiltrés et la préparation d’opérations de police judiciaire. Durant cette phase, seraient créées dans ces quartiers des écoles de la République visant la normalisation et l’épanouissement des enfants. On s’attacherait également à préparer la montée en puissance du plan de redressement économique. La planification d’une gouvernance partagée devrait être engagée par la création de structures légitimes de concertation et de représentation.
Les deux années suivantes poursuivraient la destruction des réseaux criminels par des actions de police et des opérations psychologiques (saisie des avoirs criminels, destruction publique des biens des délinquants, radio locale de propagande…) et l’application volontariste des mesures d’ordre économique.
Les deux dernières années se résumeraient alors à la normalisation et à l’accompagnement.
Propositions concrètes et mode de financement : Propositions concrètes pour une reconquête territoriale
On retiendra schématiquement les trois piliers du concept d’approche globale (comprehensive approach) tel que les militaires l’appliquent dans leurs opérations de stabilisation et de gestion de crise. Ces éléments structurants sont la sécurité, la gouvernance et le développement économique et humain dont la combinaison croisée permettra la reconquête territoriale. Celle-ci reposera alors sur cinq actions majeures.La création sous couvert de l’ANRU (22) de centres de développement intégrés et sécurisés sera une priorité. Véritables havres de paix, ils s’articulent autour d’un poste de police tenu le jour par des îlotiers connus des populations car logés gratuitement sur place dans des résidences sécurisées (type brigade de gendarmerie) et la nuit par des unités mixtes (forces mobiles/territoriaux). Jouxtant ce « point d’appui », on trouvera, outre les services publics de proximité (poste, services municipaux), les acteurs économiques essentiels (supermarché, boulangerie, coiffeur, restauration, crèche, cabinet médical, écrivain public) et les intervenants sociaux (centre médico-social, Caf).
La création et le développement d’écoles de la République par transformation de l’existant avec une vocation interministérielle (Éducation nationale, ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Ville, de la Santé…) seront conduits. Ces écoles reposeront sur une pédagogie adaptée visant l’apprentissage accéléré et traditionnel de la langue française et développant l’amour de la République et de l’histoire du pays. Ce processus sera rendu efficace par la mise en œuvre d’un règlement interne strict et le port d’une blouse uniforme afin de gommer les signes extérieurs de richesse. Dans la périphérie seront implantés ou transformés des pensionnats gratuits d’optimisation des parcours scolaires afin de relancer l’ascenseur social et le modèle de méritocratie républicaine. Enfin, la promotion volontariste de l’enseignement technique dès douze ans avec pour cible une intégration dans le monde de l’artisanat à forte valeur ajoutée (plomberie, travaux publics, métiers d’art…).
Le désenclavement total de ces territoires constituera une priorité. Il reposera sur deux actions parallèles qui sont d’une part la sanctuarisation absolue des transports publics et le développement de sociétés privées de micro-transport (taxi, shutlle…). Dans les deux cas, des structures mixtes public-privé embauchant des habitants des cités s’occuperont, sous tutelle des forces de l’ordre, de la sécurité citoyenne de ces modes de transport.
L’incitation à la prise en main par les populations de leur avenir est un axe majeur
Trois politiques seront engagées.Il faut, dans un premier temps, instaurer une véritable gouvernance locale sortant de la pseudo-représentation de leaders autoproclamés, d’associations douteuses ou de personnalités radicalisées. Cela passe, malgré la non-détention de la citoyenneté pour une grande partie de la population, par l’élection démocratique (croisée avec la cartographie exacte des habitants) de conseils d’immeubles et de quartiers. Ceux-ci désigneront une assemblée territoriale locale, interlocutrice du représentant de l’État et des maires. Un « droit de vote local (23)» sera donné dès seize ans sans autre condition que celle de la résidence. Cette mesure doit s’accompagner d’un suivi attentif pour éviter toute dérive communautariste.
Il importe ensuite de développer via une banque solidaire le microcrédit (taux à 0 %). Le but est d’inciter les habitants à réaliser des projets professionnels locaux (artisanat, aide à la personne) ou d’équipement des ménages. La création et le partage des richesses induit ainsi que le sentiment de propriété conduiront in fine les habitants à considérer les criminels comme des menaces et non des aides à la vie courante.
Enfin, la création de zones franches absolues en liaison avec les partenaires sociaux (Medef, syndicats, fédération des artisans, CGPME (24)…) doit permettre un développement économique dynamique. Les entreprises présentes seront exemptées de toutes charges sociales employeurs et d’impôt sur le bénéfice pour cinq ans renouvelables à la condition d’embaucher des habitants des quartiers (25). Celles souhaitant s’installer bénéficieront des mêmes conditions sous réserve de recruter 50 % de ses employés dans les quartiers avec un ratio de 25 % parmi les cadres.
Une politique de tolérance zéro sera menée en continu
Elle est basée sur une connaissance fine des populations locales (26) et une action préalable de renseignement judiciaire et d’infiltration des réseaux criminels. Cette répression intégrera une forte dimension psychologique par l’usage généralisé de la saisie des avoirs criminels avec des destructions publiques ou des ventes des objets de luxe appartenant aux délinquants (voitures de luxe par exemple). L’humiliation des chefs de gangs sera recherchée en toutes circonstances via des actions psychologiques (27). Il faut disposer de forces de sécurité irréprochables et motivées par des avantages professionnels et financiers (logement gratuit sécurisé, primes spéciales…).
Mode de financement
Confronté aux réductions budgétaires communes à tous les États, la question du financement de cette stratégie est essentielle. Un fonds de développement solidaire sera créé à cet effet. Il couvrira une partie des frais de sécurisation (28), le fonctionnement des écoles de la République et le processus de microcrédit.Trois mécanismes de financement sont envisageables.
Les saisies des avoirs criminels réalisées dans la zone seront entièrement reversées à ce fonds. Hautement rentables les premières années, elles comportent un volet psychologique puissant. Le transfert de ressources fiscales d’État et des collectivités liées à l’habitat et aux cotisations sociales « employés » sera promu. Enfin, les ministères et les collectivités locales parties prenantes abonderont ce fonds à hauteur d’une partie des montants initialement dédiés à l’action dans ces zones.
Ce budget n’a pas vocation à reconstruire des ensembles urbains, mais seulement à permettre aux populations de les transformer par elles-mêmes.
Les zones de non-droit ne sont en aucune façon une fatalité, mais un défi démocratique et économique. Ne pas agir de manière globale conduit à créer des espaces stratégiques poreux en période de crise grave ou de conflit. L’hypothèque sur l’avenir général de la Nation est telle que les solutions « tout sécuritaire » ou d’assistanat public ne sont au mieux que des palliatifs temporaires, au pire des accélérateurs de délitement. Il y a là un enjeu vital de souveraineté territoriale et de développement social et économique.
- Colonel , Commandant la gendarmerie du Val-d’Oise
- 4,5 tonnes de résine de cannabis sont nécessaires chaque jour
pour la demande de Paris intra muros. Un chouf du 93 gagne en moyenne 1
500 € par mois, tandis qu’un dealer moyen de quartier peut espérer entre
5 000 et 10 000 € mensuels. La tête de réseau local (cités) doit
pouvoir compter sur des revenus de 25 000 à 40 000 €.
- Vocable issu de la terminologie de l’Otan.
- Adaptation plus fine de l’approche globale par les Colombiens qui ont dû faire face aux terroristes et aux narcotrafiquants.
Émeutes urbaines généralisées en France en 2005, embuscade de Villiers-le-Bel en 2007 (40 blessés par balle à la CRS 43, 150 policiers blessés au total entre le 25 et le 27 novembre 2007), embuscades à l’arme automatique à Grenoble en 2010, découvertes de nombreuses caches d’armes de guerre en France en 2009 dans les cités sensibles (AK47, RPG7). - Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2008.
- Il y a une tradition politique d’interaction avec les systèmes mafieux pour la réalisation d’objectifs stratégiques : débarquement de Sicile en 1943, alliance avec les Hoa Hao en 1946, élimination des brigadistes des BR en Italie par des contrats avec la mafia, relations entre le Guomindang et les triades, trafic de stupéfiants et financement des mouvements de lutte anti-communiste (1946-1975 en Indochine) ou contre les talibans (seigneurs de la guerre en Afghanistan).
- Cf. les événements de Tremblay-en-France en 2010.
- Ce qui doit nous inciter à réfléchir sur la notion même de zones tranquilles. Est-ce le fait d’un climat serein ou d’une maîtrise totale de l’espace et des populations par les réseaux criminels ou plus préoccupant par des organisations fondamentalistes ? 8
- Les événements de Tremblay et de Grenoble en 2010 illustrent ce phénomène.
- Point de départ des émeutes généralisées de novembre 2005 à partir du décès de deux jeunes gens dans un transformateur EDF suite à une course poursuite avec les policiers de la DDSP 93, idem pour Villiers-le-Bel en 2007 et Persan-Beaumont en 2016.
- Les opérations d’interpellation d’un trafiquant de stupéfiants dans un bidonville de Jamaïque en 2010 ont donné lieu à deux jours de combats de rue.
- Focalisation sur les aspects les plus négatifs de l’histoire du pays dans les manuels scolaires, actes de repentance historique, relativisation des principes fondateurs…
- Exception faite du général Desportes, ancien directeur du CID.
- Les banlieues lyonnaises ont constitué des zones refuges pour les groupes du GIA dans les années 90 (affaire Kelkal).
- Retour de la tuberculose, éradiquée en France depuis cinquante ans, dans les cités des Mureaux à la fin des années 90.
- L’origine de la généralisation des émeutes de novembre 2005 tient dans la « compétition » entre cités quant au nombre de voitures brûlées et ce via des défis lancés par internet.
- Procédé largement utilisé par la police de Los Angeles et de Sao Paulo pour assainir les quartiers
- Principe classique retenu par les auteurs contemporains comme Trinquier et Gallula.
- Cf. la lutte de l’ONG « Ni pute, ni soumise ». La Toussaint Rouge de 1954 pour la guerre d’Algérie par exemple.
- Afghanistan 1989, Viet Nâm 1975…
- Agence nationale de rénovation urbaine.
- Ce droit de vote local ne s’inscrit pas dans le débat du droit de vote aux élections municipales pour les étrangers. Il n’a pas d’impact sur la désignation des membres du Sénat et ne s’inscrit pas dans une logique de commune, cette dernière n’étant pas le périmètre de notre action (trop grande ou trop petite).
- Confédération générale des petites et moyennes entreprises et industries
- Avec la mise en place d’une grille d’exemption fiscale liée au nombre d’emplois créés.
- Création d’un groupe d’analyse inter-services avec l’élaboration d’un fichier sous contrôle de la Cnil regroupant les éléments de l’Insee, du fisc, des bailleurs, des CMS, de la Dass (CMU). Création de radios locales humoristiques et musicales gérées par les jeunes des quartiers avec comme but la dérision des criminels.
- En particulier location de véhicules banalisés, moyens vidéos, balises GPS, paiement des informateurs, etc