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vendredi 23 juin 2017

Trump et la préparation de l’offensive contre l’Iran. Phase 1 : Isoler le Qatar

Michel Lhomme, philosophe, politologue 

L’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Libye, le Yémen, Maurice et les Maldives: ces huit pays ont annoncé  la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusant Doha de déstabiliser la région et de soutenir le « terrorisme ».

Cette crise diplomatique est la plus grave depuis la création en 1981 du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar.
L’Arabie Saoudite a donc rompu ses relations avec Doha. Mais derrière les accusations de soutien aux Frères musulmans et à l’État islamique, cette décision vise surtout à affaiblir l’activisme diplomatique de l’émirat et à raviver les tensions avec l’Iran. Cette décision marque à la fois la grande déchirure entre les pays arabes sunnites et l’offensive américano-occidentale à venir, condition du grand Israël à construire.
L’Arabie Saoudite accuse le Qatar de soutenir le «terrorisme» alors que le captagon fabriqué en Bulgarie est directement acheminé en Arabie Saoudite et que ce pays est en train de rayer de la carte la population civile du Yémen dans l’indifférence quasi générale.

Doha a dénoncé une décision «injustifiée» et «sans fondement» parce qu’il faut chercher plus loin.

Les raisons de la crise entre le Qatar et l’Arabie Saoudite ne tiennent pas au dit “soutien qatari” apporté aux terroristes islamiques en Libye, en Syrie, au Yémen ou en Irak mais bel et bien au rapprochement du Qatar avec l’Iran. Ce que les pays du Golfe sunnites et alliés contre-nature d’Israël ne peuvent tolérer plus longtemps, Trump leur ayant sans doute réexpliquer dernièrement un peu plus clairement l’objectif de la recomposition territoriale en cours (Syrie, Yémen, Territoires palestiniens). Le Qatar est le seul pays membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui maintient des relations normales avec Téhéran.

Alors quelles conclusions pourrions-nous maintenant tirer de la récente rencontre entre Donald Trump et les élites politiques saoudiennes ?

Premièrement, une vente massive d’armes qui satisfait l’État profond américain (le complexe militaro-industriel, Trump s’avérant finalement un très bon président !) alors que l’implication de l’Arabie saoudite dans l’attentat du onze septembre avait été clairement établi.

Deuxièmement, la formation d’une nouvelle alliance militaire, une sorte d’« Otan arabe » dans le but de contenir l’Iran et pour l’un des membres de cette alliance le plus extrémiste d’en abattre radicalement le régime.
Sur la question du financement du terrorisme, le Qatar est surtout lié à l’ancien réseau d’Al-Qaïda en Syrie et en Afrique, l’Arabie saoudite (principal allié des États-Unis, d’Israël, de la France et de la Grande-Bretagne dans la région) finançant et armant de son côté le terrorisme islamiste du califat (le logo Daesh). Une investigation récente publiée par le think tank étatsunien Institute of Gulf Affairs a justement révélé que la nationalité la plus répandue au sein de l’État islamique est la nationalité saoudienne. Cette étude révèle aussi que plus de 400 étudiants saoudiens aux États-Unis ont rejoint les camps de l’État islamique avec la bénédiction de l’Arabie Saoudite et la complicité des services secrets américains .
Cette rupture diplomatique  peut être considérée  comme une victoire d’Israël qui réalise ainsi un de ses plus grands rêves : détruire la cohésion arabe et le Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCGP). C’est en réalité l’ordre saoudo-israélo-américain qui s’impose et qu”il s’agit de faire régner à Doha comme à Bahreïn (répression des émeutes du printemps 2016, de janvier et mai 2017).
Au Bahreïn, pays insolite dans le Golfe car à majorité chi’ite, la police n’a pas hésité à tirer sur la foule pour mater la reprise des manifestations. Le pouvoir du Bahreïn a été totalement revigoré par le soutien de l’administration Trump, les autorités bahreïnies semblant du coup avoir complètement opté pour le démantèlement de l’opposition réformiste dans l’archipel.
Ce mercredi 31 mai, un tribunal a prononcé la dissolution de l’Action démocratique nationale, communément appelée Waad, formation de gauche qui constituait jusqu’alors la dernière force dissidente populaire autorisée dans le petit royaume du Golfe. Avec cette mise au ban définitive de l’opposition civile, le pouvoir confirme sa fuite en avant dans la répression à l’encontre de toute opposition politique. Bahreïn, littéralement « les deux mers », est un petit pays insulaire d’Arabie situé près de la côte ouest du golfe Persique. L’essentiel de l’archipel est constitué par l’île de Bahreïn. Celle-ci est reliée à l’Arabie Saoudite par un pont et l‘autoroute du roi Fahd à l’ouest. L’Iran se situe à environ 200 kilomètres au nord et le golfe de Bahreïn sépare l’île de la péninsule du Qatar au sud-est.
Mais l’île est surtout une base stratégique américaine, celle de l’État-major de la Vème flotte américaine alignée dans le Golfe persique. C’est donc très chaleureusement que le nouveau président américain Donald Trump s’est affiché aux côtés du roi de Bahreïn Hamad ben Issa al-Khalifa, pour le féliciter  lors du sommet d’une cinquantaine de pays sunnites à Riyad, le 20 mai dernier.
Syrie, Bahreïn, Qatar sur fond d’atrocités au Yémen, l’ordre américain a repris de plus belle au Proche-Orient. La chasse saoudienne effectue quotidiennement des bombardements aveugles sur les villes et villages du Yémen. La grande presse occidentale ne les dénonce pas, restant étrangement muette sur la destruction de l’un des pays les plus pauvres de la planète, une destruction sans commune mesure avec le soit disant « boucher d’Assad ».
En définitive, la rupture avec le Qatar est une mise sous tutelle qui intervient quinze jours après le sommet de Ryad où Donald Trump a exhorté les pays du Golfe arabo-persique à lutter contre le terrorisme (sous-entendu l’Iran), formant un Otan arabe anti-iranien. Rompant avec la politique d’ouverture de son prédécesseur, Trump y avait d’ailleurs clairement désigné Téhéran comme «  le fer de lance du terrorisme mondial  ».

Outre la question iranienne, il y a aussi, derrière la rétorsion diplomatique contre le Qatar, le dossier égyptien du dictateur pro-américain Al-Sissi.

Le régime égyptien est en réalité soutenu à bout de bras par l’économie saoudienne mais continue  de se battre contre les organisations armées issues des Frères musulmans, protégées et financées par le Qatar, véritable terre d’asile pour ses chefs. L’exaspération du président égyptien après les violents attentats contre les Coptes aurait donc aussi été déterminante derrière cette mise au ban du Qatar, lieu d’une future coupe du monde de football bien compromise.
Les difficultés intérieures de l’Égypte déstabilisée par le fondamentalisme musulman ont permis d’élever d’un cran la lutte fratricide entre les deux puissances sunnites actives, les deux capitales du terrorisme. Le djihad est aujourd’hui instrumentalisé politiquement par les deux camps.

L’élite politique française, avide des pétrodollars qataris à n’en plus finir, risque  d’être  gênée aux entournures par tous ces revirements. C’est la rançon à payer quand tous les dirigeants politiques se sont couchés sans scrupule et de façon éhontée pour gagner une paix en banlieue qu’ils n’auront pas.
On perçoit bien, dans ces explosions d’alliances, que le terrorisme et son financement ne sont  que les instruments d’une géopolitique, à la confluence des intérêts occidentaux et de ceux des pays du Golfe au Moyen-Orient, un mélange de grande politique, de petite politique, de stratégie du choc et de tactique du chaos sur fond de montée du rêve ottoman.

Erdogan, lui, n’a pas vraiment apprécié la décision unilatérale du Conseil de Coopération du Golfe, l’orientant de plus en plus à faire le grand saut en politique internationale après sa mise au pas martiale à l’intérieur.