L’étrange coup d’État du 7 novembre 1917 n’a pas été aussi sanglant que la mémoire communiste s’est plu à l’enjoliver. Selon l’universitaire Éric Aunoble, l’assaut du palais d’Hiver par les bolcheviks n’en fut pas réellement un. Tout au plus « un encerclement avec une série d’ultimatums des rouges ». Le bilan est moins lourd qu’à la répétition de la révolution de février : il ne fait que 6 morts et 50 blessés. Il y en eut près de 1.500 quelques mois plus tôt.
L’un des premiers objectifs des nouveaux dirigeants qui placent Lénine à leur tête est de mettre un terme à la guerre avec l’Allemagne. Ils demandent à Trotski, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, de proposer aux Alliés et aux empires d’Europe centrale une paix générale. Seuls l’Empire allemand et l’Autriche-Hongrie donnent suite au télégramme envoyé le 8 novembre. Un armistice signé le 15 décembre débouche plus tard, le 3 mars 1918, sur la signature du traité de Brest-Litovsk, avec pour conséquence de redéployer deux millions de soldats allemands sur le front occidental.
Il s’agit, ensuite, d’appliquer à la lettre la théorie marxiste de la lutte des classes et ses démembrements. Afin de maîtriser les esprits et les élites, Lénine décide de museler la presse. Dès le 7 novembre, plusieurs journaux sont interdits, comme la Retch (La Parole), Dien (Le Jour) ou encore Birjévyié Viédomosti (La Gazette de la Bourse), considérés comme trop bourgeois. Le décret sur la terre est la deuxième mesure prise par les bolcheviks. Ce n’est ni plus ni moins qu’une collectivisation. En effet, la propriété privée du sol est abolie : la terre ne peut être ni vendue, ni achetée, ni hypothéquée. L’État soviétique s’approprie le sol et le sous-sol. Minerais, pétrole, charbon tombent dans l’escarcelle des Soviets. S’inspirant de la Révolution française, les nouveaux maîtres du pays confisquent et nationalisent les domaines des grands propriétaires fonciers et de l’Église, avec tous leurs bâtiments et dépendances, ainsi que le cheptel mort ou vif. Bien entendu, le clergé, la noblesse et la grande bourgeoisie ne sont pas indemnisés. Les terres et le cheptel des petits paysans et des cosaques sont aussi confisqués mais ils sont indemnisés. Les banques et l’industrie sont aussi nationalisées… sans indemnité. Le mois de décembre voit l’application de nombreuses mesures : les logements des classes moyennes sont partagés avec les ouvriers ou les agriculteurs ; les affaires des petits commerçants sont confisquées et données à leurs employés ; les officiers sont réduits en esclavage. Le mariage civil est officialisé en décembre 1917, faisant du mariage religieux une vieille tradition, un vestige du passé.
C’est le 20 décembre 1917 qu’une police politique, la Tchéka, est créée par Félix Dzerjinski (1877-1926) pour combattre les ennemis du nouveau régime. Et Dieu sait s’ils sont nombreux puisqu’aux élections à l’Assemblée constituante de janvier 1918, les bolcheviks ne recueillent que 25 % des voix. Qu’importe, cette assemblée est dissoute, le parti de Lénine rebaptisé Parti communiste. Il détient tous les rouages du pouvoir, même une partie de l’armée après la création de l’Armée rouge, en janvier 1918, par Trotski, montée de toutes pièces pour repousser les armées tsaristes. Lénine va ainsi pouvoir mater la guerre civile qui ravage le pays et faire entrer la Russie dans trois quarts de siècle de dictature.