Dans les milieux de l’écologie politique,
l’écologisme d’extrême droite n’est souvent perçu qu’en termes
d’infiltration. En fait, les divers courants d’extrême droite se sont
ouverts à la question écologique par diverses voies et selon une
pluralité de raisons que l’on peut rapidement résumer.
Quant aux questions de
l’écologie, il y a une évolution importante de la Nouvelle droite. On
passe au mieux d’un scepticisme, au pire d’un rejet, de celle-ci dans
les années 1970/1980 à un discours écologiste structuré à la fin des
années 1980.
Ce discours n’est pas de
circonstance : il est trop bien structuré, et surtout trop constant
depuis une vingtaine d’année. En outre, il y a eu des militants du GRECE
qui sont également des militants écologistes. Il y a eu des liens, par
exemple, avec le MEI d’Antoine Waechter, comme Laurent Ozon qui fut, en
1998, désigné par les instances du Mouvement Écologiste Indépendant
comme responsable de communication pour la campagne des Européennes de
1999.
La pensée écologique
devient importante au GRECE à compter du milieu des années 1980, il
s’agit d’une conséquence d’une lecture d’Heidegger et d’autres auteurs
de la Révolution Conservatrice allemande des années 1920 et 1930, et de
ses héritiers, tel l’Allemand Hennig Eichberg, qui deviendra dans les
années 1980 un militant écologiste. Auparavant dominait au sein du GRECE
plutôt un discours faisant l’apologie de la science et de la technique.
Dans les années 1970 Alain de Benoist avait des mots très durs sur les
écologistes, assimilés à des hippies coupés de la réalité. Cette
évolution est liée à une autre, capitale dans l’évolution du GRECE : le
tournant antimoderne et antioccidental qui voit le renouvellement
doctrinal de la Nouvelle Droite, l’Occident incarnant
l’acculturation et l’américanisation des mœurs. Hostile au matérialisme,
au capitalisme et à la mondialisation, le GRECE, a alors pour ennemis
la société de consommation et les États-Unis. C’est le deuxième corpus
doctrinal qui correspond à la période chronologique allant grosso modo de 1979 à 1989.
Les références sont
alors partiellement renouvelées : Heidegger donc, mais également René
Guénon, Julius Evola, les auteurs de la Révolution Conservatrice
allemande (Spengler, Jünger, Niekisch, Schmitt), des universitaires
comme Georges Dumézil ou Mircea Eliade, mais aussi des anthropologues
comme Robert Jaulin (et son concept d’« ethnocide ») et Claude
Lévi-Strauss. Durant la seconde moitié des années 1980, les
non-conformistes des années 1930 (dont les personnalistes chrétiens)
sont redécouverts et intégrés aux références doctrinales. Teddy Golsmith
est lu et commenté dès le début des années 1990, tout comme les auteurs
décroissants et les localistes américains. Rousseau est lu aussi, mais
plus tardivement : les articles le concernant datent surtout du début
des années 2000. Rudolf Steiner et l’anthroposophie ne sont guère cités.
La bibliothèque néo-droitière fait désormais une part importante aux
penseurs critiques de la modernité et de la technique.
D’ailleurs, à compter de 1993, Alain de Benoist publia plusieurs articles sur l’écologie, parus principalement dans Éléments
(« La nature et sa “valeur intrinsèque” », « Les enjeux de
l’écologie », « Sur les deux écologies », « Écologie et religion », « La
nécessaire rupture », « Objectif décroissance. Avant que la Terre ne
devienne invivable… », « Quand il n’y aura plus de pétrole ») qui furent
réunis en ouvrage en 2007 (Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout).
Le renouvellement est
aussi permis par des auteurs moins engagés dans des polémiques que les
auteurs du GRECE des années 1970, tel Thibault Isabel, l’actuel
responsable de Krisis
(la revue fondée par Alain de Benoist il y a vingt ans). Il s’intéresse
depuis longtemps à la fois aux questions écologiques, à la notion de
progrès et aux sociétés de la modernité finissante. C’est un auteur
prolifique à la pensée dense, qui s’inscrit dans la continuité de la
pensée de Jean-Claude Michéa. Un point important à préciser : il ne
vient pas de l’extrême droite, mais de milieux anarchisants. Dans les
années 1990 il y avait également Laurent Ozon, alors animateur de la
revue Le recours aux forêts. Ozon dirigea même une collection chez Le Sang de la terre, un éditeur réputé dans le milieu écologiste. Il est devenu par la suite une figure importante de la mouvance identitaire, aujourd’hui assez isolé.
L’apport de l’écologie a
aussi à voir avec le souci de dialoguer avec les autres champs
idéologiques et au renouvellement de la pensée géopolitique. Le GRECE
soutient depuis le début des années 1980 un « tiers-mondisme de droite »
qui a permis un dialogue avec certains animateurs de la Revue du MAUSS,
Serge Latouche et Alain Caillé. Ce dernier s’est vite éloigné voyant
une récupération du MAUSS, effective. Serge Latouche a continué de
dialoguer et les publications du GRECE le citent encore. Il y a eu
également un dialogue fécond avec Waechter et Goldsmith entre la fin des
années 1990 et le début des années 2000. Aujourd’hui, ces références
sont minorées au profit de leur intérêt pour les thèses de Jean-Claude
Michéa et pour le « populisme de gauche ».
La diffusion des thèses
écologistes de la Nouvelle Droite s’est ensuite faite assez
naturellement car on retrouve des membres du GRECE parmi les militants
identitaires (Vial, Mabire, Roudier, Santamaria, Millau, etc.).
L’association Terre & Peuple a été fondée par des militants (Pierre
Vial, Jean Haudry et Jean Mabire) qui ont quitté le GRECE, en désaccord
avec le discours différentialiste d’Alain de Benoist. Ils sont alors
partis au FN avant de suivre la scission mégrétiste. Ils soutenaient au
contraire l’idée inverse d’une affirmation ethnique, qu’on retrouvera
par la suite dans les discours identitaires. En fait, ces personnes incarnaient l’aile völkisch du GRECE : enracinement, racisme, écologie, éloge des communautés, paganisme, attachement au folklore, etc.
En quittant le GRECE,
ces militants ont pris dans leurs bagages une partie de la doctrine
gréciste, dont l’écologie identitaire, qu’ils ont transmise aux autres
groupuscules – de plus, il faut aussi avoir à l’esprit que les
publications/positions du GRECE sont lues et commentées par des groupes
aux thèses parfois éloignées de la Nouvelle Droite.
Dans cette périphérie politique, il fat citer les cas de Dun et de la revue Réfléchir & Agir.
L’ex SS Robert Dun (pseudonyme de Maurice Martin) est de plus en plus
oublié, y compris à l’extrême droite. Il n’y a plus guère que Terre
& Peuple et Réfléchir & Agir qui y font encore référence.
Pourtant, il a été un pionnier de l’écologie (de tendance völkisch)
au sein de l’extrême droite. Il a eu des liens avec le GRECE : il a
publié dans les années 1980 au Labyrinthe, la maison d’édition de la
Nouvelle Droite, une traduction de Nietzsche qu’il a traduit et commenté
(Robert Dun (traduction et commentaires de), Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Livre-club du labyrinthe, 1983),
mais il était plus proche de la tendance identitaire de celui-ci
(incarnée par Vial, Mabire, Haudry, etc.) et de la librairie Ogmios (il y
publia en 1986 dans sa maison d’édition –Avalon– une traduction du Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg sous le pseudonyme d’Adler von Scholle) que de Benoist et de la tendance différentialiste.
Il a longtemps été un intellectuel isolé professant un paganisme écologique, identitaire et raciste. L’équipe de Réfléchir & Agir se réclame de lui. Certes, c’est une petite revue, mais elle existe depuis près de vingt ans (elle en est à son 55ème
numéro, consacré au « nationalisme blanc »). Elle a fondé sa propre
maison d’édition, Auda Isarn, qui sort quelques livres par an. De fait,
Dun est surtout une référence chez les néonazis et les néo-völkisher français, qui sont parfois les mêmes.
La revendication d’un souci écologiste ne se limite toutefois pas aux milieux païens.
Mais l’idée d’un
écologisme englobant l’être humain et ses normes a été intégrée surtout
par des cercles catholiques. La jonction se fait sur plusieurs points
doctrinaux : anti-occidentalisme, décroissance, différentialisme,
sacralisation de la nature (alors que Benoist a toujours mis en avant le
fameux article de Lynn White sur l’origine chrétienne de
l’arraisonnement du monde, sans parler de leur utilisation des thèses
d’Eugen Drewermann), rejet de la théorie du genre, rejet de la PMA, de
la marchandisation du monde et des corps, etc. Il y a non seulement un
respect mutuel, mais aussi une fascination de ces jeunes gens pour
l’intellectuel Alain de Benoist et ses thèses.
On n’est pas dans la
même logique que celle mise en place par les soraliens : les
néo-droitiers ne font guère références à l’agro-écologie et ne sombrent
pas un conspirationnisme antipharmaceutique, bien que parfois Alain de
Benoist estime que notre époque est trop médicalisée. Cela vient
peut-être du fait que certains grécistes historiques étaient des cadres
importants dans des entreprises de ce secteurs ; au-delà de cela, il
faut prendre en compte le fait que le GRECE n’a jamais fait ni dans le
conspirationnisme, ni dans la pensée antiscientifique (dite
« alternative »).
Concernant la « Nouvelle
écologie » du FN, elle n’a rien à voir avec celle que le GRECE a
formulé dans les années 1990-2000 : elle reste très superficielle et
très productiviste, là où Alain de Benoist propose de rompre avec le
productivisme occidental. En effet, la Nouvelle Droite a théorisé une
forme de décroissance identitaire (rejet du productivisme et du
prométhéisme technicien, constat de la fin de la civilisation du
pétrole, éloge de la frugalité, « valeur intrinsèque de la nature », fin
de l’anthopocentrisme, idée de co-appartenance de l’homme et du cosmos,
etc.). .
L’écologie apparaît dans des programmes du FN au
début des années 1990, dans une optique identitaire, sous l’impulsion de
Bruno Mégret. Il s’agissait alors de donner une direction nouvelle au
FN, en montrant qu’il était soucieux de préserver l’environnement. Cela
apparaît lors du congrès de Nice où l’écologie est mise en avant.
Toutefois, l’écologie était comprise dans un sens identitaire, sous
l’influence de la Nouvelle Droite. Pour les responsables frontistes de
l’époque être écologiste, c’est vouloir préserver le milieu nécessaire à
la survie de l’épanouissement des espèces vivantes. Dans cette optique,
les véritables écologistes sont ceux qui prennent en compte
l’immigration comme un facteur déterminant de déséquilibre culturels
et/ou ethnique. À la suite de la scission mégrétiste, la thématique est
mise de côté. En réalité, le parti
frontiste part de loin sur ces questions. En 2010 encore, Jean-Marie Le
Pen considérait l’écologie comme un passe-temps de « bobo »…
L’intérêt du Front
national pour l’écologie est donc très récent : son programme
présidentiel de 2012 était quasiment silencieux sur cette question : il
ne défendait qu’une forme de protection de la faune, de la flore et des
paysages… Enfin, le FN se montrait sceptique vis-à-vis des énergies
renouvelables. Ce n’est guère mieux avec les dernières positions de ce
parti, pourtant considérées comme écologistes par ses membres. Le
programme actuel va à l’encontre des valeurs écologiques : nucléaire,
exploitation du gaz de schiste, etc. Il s’agit plutôt d’une forme de
développement durable, sans volonté de rupture civilisationnelle. Une
politique considérée comme une impasse par les écologistes d’extrême
droite car ne rompant pas avec le modèle productiviste issu des
Lumières. L’écologie, au FN, n’est qu’un badigeon « vert ». Ce parti
reste profondément productiviste et classique dans ses options
économiques