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mercredi 1 novembre 2017

Comment l’écologie est-elle conçue à l’extrême droite ?



Par Stéphane François

Dans les milieux de l’écologie politique, l’écologisme d’extrême droite n’est souvent perçu qu’en termes d’infiltration. En fait, les divers courants d’extrême droite se sont ouverts à la question écologique par diverses voies et selon une pluralité de raisons que l’on peut rapidement résumer.
Quant aux questions de l’écologie, il y a une évolution importante de la Nouvelle droite. On passe au mieux d’un scepticisme, au pire d’un rejet, de celle-ci dans les années 1970/1980 à un discours écologiste structuré à la fin des années 1980. 

Ce discours n’est pas de circonstance : il est trop bien structuré, et surtout trop constant depuis une vingtaine d’année. En outre, il y a eu des militants du GRECE qui sont également des militants écologistes. Il y a eu des liens, par exemple, avec le MEI d’Antoine Waechter, comme Laurent Ozon qui fut, en 1998, désigné par les instances du Mouvement Écologiste Indépendant comme responsable de communication pour la campagne des Européennes de 1999.

La pensée écologique devient importante au GRECE à compter du milieu des années 1980, il s’agit d’une conséquence d’une lecture d’Heidegger et d’autres auteurs de la Révolution Conservatrice allemande des années 1920 et 1930, et de ses héritiers, tel l’Allemand Hennig Eichberg, qui deviendra dans les années 1980 un militant écologiste. Auparavant dominait au sein du GRECE plutôt un discours faisant l’apologie de la science et de la technique. Dans les années 1970 Alain de Benoist avait des mots très durs sur les écologistes, assimilés à des hippies coupés de la réalité. Cette évolution est liée à une autre, capitale dans l’évolution du GRECE : le tournant antimoderne et antioccidental qui voit le renouvellement doctrinal de la Nouvelle Droite, l’Occident incarnant l’acculturation et l’américanisation des mœurs. Hostile au matérialisme, au capitalisme et à la mondialisation, le GRECE, a alors pour ennemis la société de consommation et les États-Unis. C’est le deuxième corpus doctrinal qui correspond à la période chronologique allant grosso modo de 1979 à 1989.

Les références sont alors partiellement renouvelées : Heidegger donc, mais également René Guénon, Julius Evola, les auteurs de la Révolution Conservatrice allemande (Spengler, Jünger, Niekisch, Schmitt), des universitaires comme Georges Dumézil ou Mircea Eliade, mais aussi des anthropologues comme Robert Jaulin (et son concept d’« ethnocide ») et Claude Lévi-Strauss. Durant la seconde moitié des années 1980, les non-conformistes des années 1930 (dont les personnalistes chrétiens) sont redécouverts et intégrés aux références doctrinales. Teddy Golsmith est lu et commenté dès le début des années 1990, tout comme les auteurs décroissants et les localistes américains. Rousseau est lu aussi, mais plus tardivement : les articles le concernant datent surtout du début des années 2000. Rudolf Steiner et l’anthroposophie ne sont guère cités. La bibliothèque néo-droitière fait désormais une part importante aux penseurs critiques de la modernité et de la technique.

D’ailleurs, à compter de 1993, Alain de Benoist publia plusieurs articles sur l’écologie, parus principalement dans Éléments (« La nature et sa “valeur intrinsèque” », « Les enjeux de l’écologie », « Sur les deux écologies », « Écologie et religion », « La nécessaire rupture », « Objectif décroissance. Avant que la Terre ne devienne invivable… », « Quand il n’y aura plus de pétrole ») qui furent réunis en ouvrage en 2007 (Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout).

Le renouvellement est aussi permis par des auteurs moins engagés dans des polémiques que les auteurs du GRECE des années 1970, tel Thibault Isabel, l’actuel responsable de Krisis (la revue fondée par Alain de Benoist il y a vingt ans). Il s’intéresse depuis longtemps à la fois aux questions écologiques, à la notion de progrès et aux sociétés de la modernité finissante. C’est un auteur prolifique à la pensée dense, qui s’inscrit dans la continuité de la pensée de Jean-Claude Michéa. Un point important à préciser : il ne vient pas de l’extrême droite, mais de milieux anarchisants. Dans les années 1990 il y avait également Laurent Ozon, alors animateur de la revue Le recours aux forêts. Ozon dirigea même une collection chez Le Sang de la terre, un éditeur réputé dans le milieu écologiste. Il est devenu par la suite une figure importante de la mouvance identitaire, aujourd’hui assez isolé. 

L’apport de l’écologie a aussi à voir avec le souci de dialoguer avec les autres champs idéologiques et au renouvellement de la pensée géopolitique. Le GRECE soutient depuis le début des années 1980 un « tiers-mondisme de droite » qui a permis un dialogue avec certains animateurs de la Revue du MAUSS, Serge Latouche et Alain Caillé. Ce dernier s’est vite éloigné voyant une récupération du MAUSS, effective. Serge Latouche a continué de dialoguer et les publications du GRECE le citent encore. Il y a eu également un dialogue fécond avec Waechter et Goldsmith entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Aujourd’hui, ces références sont minorées au profit de leur intérêt pour les thèses de Jean-Claude Michéa et pour le « populisme de gauche ». 

La diffusion des thèses écologistes de la Nouvelle Droite s’est ensuite faite assez naturellement car on retrouve des membres du GRECE parmi les militants identitaires (Vial, Mabire, Roudier, Santamaria, Millau, etc.). L’association Terre & Peuple a été fondée par des militants (Pierre Vial, Jean Haudry et Jean Mabire) qui ont quitté le GRECE, en désaccord avec le discours différentialiste d’Alain de Benoist. Ils sont alors partis au FN avant de suivre la scission mégrétiste. Ils soutenaient au contraire l’idée inverse d’une affirmation ethnique, qu’on retrouvera par la suite dans les discours identitaires. En fait, ces personnes incarnaient l’aile völkisch du GRECE : enracinement, racisme, écologie, éloge des communautés, paganisme, attachement au folklore, etc.

En quittant le GRECE, ces militants ont pris dans leurs bagages une partie de la doctrine gréciste, dont l’écologie identitaire, qu’ils ont transmise aux autres groupuscules – de plus, il faut aussi avoir à l’esprit que les publications/positions du GRECE sont lues et commentées par des groupes aux thèses parfois éloignées de la Nouvelle Droite.

Dans cette périphérie politique, il fat citer les cas de Dun et de la revue Réfléchir & Agir. L’ex SS Robert Dun (pseudonyme de Maurice Martin) est de plus en plus oublié, y compris à l’extrême droite. Il n’y a plus guère que Terre & Peuple et Réfléchir & Agir qui y font encore référence. Pourtant, il a été un pionnier de l’écologie (de tendance völkisch) au sein de l’extrême droite. Il a eu des liens avec le GRECE : il a publié dans les années 1980 au Labyrinthe, la maison d’édition de la Nouvelle Droite, une traduction de Nietzsche qu’il a traduit et commenté (Robert Dun (traduction et commentaires de), Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Livre-club du labyrinthe, 1983), mais il était plus proche de la tendance identitaire de celui-ci (incarnée par Vial, Mabire, Haudry, etc.) et de la librairie Ogmios (il y publia en 1986 dans sa maison d’édition –Avalon– une traduction du Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg sous le pseudonyme d’Adler von Scholle) que de Benoist et de la tendance différentialiste. 

Il a longtemps été un intellectuel isolé professant un paganisme écologique, identitaire et raciste. L’équipe de Réfléchir & Agir se réclame de lui. Certes, c’est une petite revue, mais elle existe depuis près de vingt ans (elle en est à son 55ème numéro, consacré au « nationalisme blanc »). Elle a fondé sa propre maison d’édition, Auda Isarn, qui sort quelques livres par an. De fait, Dun est surtout une référence chez les néonazis et les néo-völkisher français, qui sont parfois les mêmes.

La revendication d’un souci écologiste ne se limite toutefois pas aux milieux païens. 

Mais l’idée d’un écologisme englobant l’être humain et ses normes a été intégrée surtout par des cercles catholiques. La jonction se fait sur plusieurs points doctrinaux : anti-occidentalisme, décroissance, différentialisme, sacralisation de la nature (alors que Benoist a toujours mis en avant le fameux article de Lynn White sur l’origine chrétienne de l’arraisonnement du monde, sans parler de leur utilisation des thèses d’Eugen Drewermann), rejet de la théorie du genre, rejet de la PMA, de la marchandisation du monde et des corps, etc. Il y a non seulement un respect mutuel, mais aussi une fascination de ces jeunes gens pour l’intellectuel Alain de Benoist et ses thèses.

On n’est pas dans la même logique que celle mise en place par les soraliens : les néo-droitiers ne font guère références à l’agro-écologie et ne sombrent pas un conspirationnisme antipharmaceutique, bien que parfois Alain de Benoist estime que notre époque est trop médicalisée. Cela vient peut-être du fait que certains grécistes historiques étaient des cadres importants dans des entreprises de ce secteurs ; au-delà de cela, il faut prendre en compte le fait que le GRECE n’a jamais fait ni dans le conspirationnisme, ni dans la pensée antiscientifique (dite « alternative »).

Concernant la « Nouvelle écologie » du FN, elle n’a rien à voir avec celle que le GRECE a formulé dans les années 1990-2000 : elle reste très superficielle et très productiviste, là où Alain de Benoist propose de rompre avec le productivisme occidental. En effet, la Nouvelle Droite a théorisé une forme de décroissance identitaire (rejet du productivisme et du prométhéisme technicien, constat de la fin de la civilisation du pétrole, éloge de la frugalité, « valeur intrinsèque de la nature », fin de l’anthopocentrisme, idée de co-appartenance de l’homme et du cosmos, etc.). .

L’écologie apparaît dans des programmes du FN au début des années 1990, dans une optique identitaire, sous l’impulsion de Bruno Mégret. Il s’agissait alors de donner une direction nouvelle au FN, en montrant qu’il était soucieux de préserver l’environnement. Cela apparaît lors du congrès de Nice où l’écologie est mise en avant. Toutefois, l’écologie était comprise dans un sens identitaire, sous l’influence de la Nouvelle Droite. Pour les responsables frontistes de l’époque être écologiste, c’est vouloir préserver le milieu nécessaire à la survie de l’épanouissement des espèces vivantes. Dans cette optique, les véritables écologistes sont ceux qui prennent en compte l’immigration comme un facteur déterminant de déséquilibre culturels et/ou ethnique. À la suite de la scission mégrétiste, la thématique est mise de côté. En réalité, le parti frontiste part de loin sur ces questions. En 2010 encore, Jean-Marie Le Pen considérait l’écologie comme un passe-temps de « bobo »…

L’intérêt du Front national pour l’écologie est donc très récent : son programme présidentiel de 2012 était quasiment silencieux sur cette question : il ne défendait qu’une forme de protection de la faune, de la flore et des paysages… Enfin, le FN se montrait sceptique vis-à-vis des énergies renouvelables. Ce n’est guère mieux avec les dernières positions de ce parti, pourtant considérées comme écologistes par ses membres. Le programme actuel va à l’encontre des valeurs écologiques : nucléaire, exploitation du gaz de schiste, etc. Il s’agit plutôt d’une forme de développement durable, sans volonté de rupture civilisationnelle. Une politique considérée comme une impasse par les écologistes d’extrême droite car ne rompant pas avec le modèle productiviste issu des Lumières. L’écologie, au FN, n’est qu’un badigeon « vert ». Ce parti reste profondément productiviste et classique dans ses options économiques