Jean-Pierre Chevènement ♦
Ancien ministre et fondation de Res Republica
Aujourd’hui tout se gère à l’aune de la « communication ». Monsieur Hulot était pour le Président Macron une splendide prise médiatique. Il a plutôt une bonne tête. Depuis Ushuaia, l’émission qui l’a rendu célèbre, il jouit de la faveur de l’opinion. De surcroît, Monsieur Hulot n’est pas vraiment un « Vert ». Il était là pour permettre au gouvernement de gérer cette petite frange de l’opinion qui met la notion vague d’écologie au sommet de ses priorités.
Soyons clairs : que les questions environnementales et la préservation des biens communs à toute l’humanité (eau, air, sol, etc…) soient d’une importance primordiale, je suis le premier à en convenir. Mais il en va tout autrement de l’idéologie des Verts qui est une forme de millénarisme : depuis 1945, l’humanité a substitué à son horizon le mythe de la catastrophe en lieu et place de celui du progrès. En réaction au nazisme, le philosophe allemand Hans Jonas a inventé le « principe de précaution ». Ce principe, inscrit dans notre Constitution, n’a rien de scientifique. Un gouvernement qui voudrait l’appliquer pleinement ne devrait pas se borner à abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Il lui faudrait fermer toutes les usines non seulement nucléaires mais chimiques, renoncer aux grands projets d’infrastructures, multiplier les conflits avec les agriculteurs et les entrepreneurs à force de réglementations tracassières. Tel n’était pas l’état d’esprit de Monsieur Hulot. Depuis qu’on sait qu’il ne trouvait plus le sommeil, l’opinion s’interrogeait : que cachait depuis six mois ce chantage public et permanent à la démission ? Comment se terminerait ce ballet d’hésitations ? Sur quel grand sujet le ministre choisirait-il de tomber ?
Depuis quelques jours, on respire : ce n’était que la chasse et la présence d’un « lobbyste » à l’Élysée ! Comme si les politiques ne passaient pas une grande partie de leur temps à écouter – et d’ailleurs à juste titre – les représentants des intérêts particuliers, leur tâche étant de faire prévaloir, in fine, l’intérêt général.
Ainsi, la chasse n’était, pour le ministre, qu’un prétexte. En réalité, Monsieur Hulot gère au plus près son « capital médiatique ». L’écologie politique est un fonds de commerce et la concurrence est rude : même Jean-Luc Mélenchon vient d’annoncer avoir découvert le problème de l’eau : chaude ou froide, il ne précise pas…
Dans toute cette affaire, je ne vois guère le souci de l’État. Monsieur Hulot donne à Emmanuel Macron un coup dont il se relèvera. En quoi l’avait-il mérité, sinon d’en avoir fait son ministre de l’Écologie ?
Quelle est, sur le fond, la question qui justifie la décision de Monsieur Hulot ? Je n’en vois qu’une, à vrai dire, c’est la place du nucléaire dans l’approvisionnement énergétique de la France. En démissionnant à la radio, le ministre s’est lâché : il a incriminé le nucléaire, « cette folie inutile, économiquement et techniquement, dans laquelle on s’entête ».
Nicolas Hulot sait très bien qu’Emmanuel Macron, à juste titre, juge totalement irréaliste l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans l’électricité produite en France en 2025. L’objectif en question a été fixé dans le programme du PS de 2011. C’est François Hollande qui l’a fait passer dans la loi, en 2015. Cet « objectif » est complètement démagogique, purement électoraliste et contraire à l’intérêt du pays.
Le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes qui rendent nécessaire de maintenir le nucléaire, source permanente, la moins chère et la moins polluante.
On voit ce que coûte aux Allemands la décision de Madame Merkel, en 2011, de renoncer au nucléaire : ils doivent recourir au charbon et acquitter, s’agissant des particuliers, une facture d’électricité près de deux fois supérieure à celle payée par les ménages français. S’engager dans cette voie serait, de surcroît pour notre pays, un terrible gâchis industriel ! Voit-on que la Chine, l’Inde, la Russie, la Grande-Bretagne, le Japon même après Fukushima, aient renoncé au nucléaire ?
Tout au contraire ! Rosatom en Russie a un carnet de commande à l’exportation de 33 projets de centrales. Tout cela était à notre portée, si la main de l’État n’avait pas tremblé sous la pression du lobby écologiste.
Depuis des décennies, notre industrie nucléaire s’étiole. Elle perd ses savoir-faire. Il faut dire que la dernière centrale construite, celle de Civaux a été décidée en 1981 et inaugurée en 1999, il y a vingt ans !
Voilà le « mal français » : depuis des décennies nos élites ont fait le choix de laisser s’effilocher le tissu industriel.
On en voit le résultat : une balance commerciale déficitaire de près de 70 milliards d’euros en 2017 quand l’Allemagne affiche un excédent de 254 milliards ! Comment, dans ces conditions, remettre la France « au centre du jeu européen » ? Notre seul vrai problème est celui de notre compétitivité. Le solde de notre balance commerciale n’a cessé de se dégrader depuis 2003. Le déficit énergétique (38 milliards d’euros en 2017) s’ajoute au déficit manufacturier (plus de 30 milliards).
Or, l’hostilité viscérale au nucléaire est le noyau, si je puis dire, de l’idéologie des Verts, fondamentalement réactionnaire et technophobe.
Le choix du nucléaire est un choix de longue portée, une affaire de générations.
Un rapport commandé par Nicolas Hulot préconise de construire six EPR à partir de 2025 pour une entrée en service en 2035. Le centre d’enfouissement des déchets ultimes de Bure dans la Meuse n’entrera en service que dans la décennie 2040. Or le centre de Bure concentre déjà l’hostilité violente des Verts, à l’échelle européenne ! Et cela ne fait que commencer !
L’avenir d’un atout industriel majeur de la France est ainsi l’objet d’un bras de fer entre d’une part une minorité de décideurs qui se refusent à brader l’héritage des générations en même temps que l’avenir du pays, et d’autre part une petite minorité extrémiste (à peine 3% des électeurs) qui entend prendre en otage l’opinion, à travers un système politico-médiatique dont l’indépendance de la France est devenue le cadet des soucis. Sur ce dossier vital, Nicolas Hulot n’avait pas la capacité de trancher en homme d’État.
Tel est l’éclairage de fond qui donne sens à sa démission : d’un côté les fantasmes d’une idéologie millénariste, de l’autre le souci de maintenir la France dans l’Histoire. Monsieur Hulot a bien raison de dire : « Je ne pouvais plus me mentir ! ». Il y avait, en effet, de quoi perdre le sommeil pour un l’homme d’État qui sans doute sommeillait en lui ! Si cette hypothèse d’une contradiction intenable pour Monsieur Hulot, ministre, s’avérait exacte, alors il faudrait lui dire sincèrement : Bonnes vacances, Monsieur Hulot ! ».
Source
Ancien ministre et fondation de Res Republica
Dans toute démission, dans celle de Monsieur Hulot comme dans d’autres, il y a la forme et il y a le fond. La forme en a surpris plus d’un, à commencer sans doute par le Président de la République.
Puis-je rappeler un souvenir ? A deux reprises, sur la politique industrielle et sur la guerre du Golfe, François Mitterrand m’a demandé de surseoir à ma démission de plusieurs jours et même de plusieurs semaines. « Vous n’allez pas démissionner la nuit, comme Rocard ? » m’avait-il ainsi interrogé le 29 janvier 1991. Nous sommes convenus que la passation de pouvoirs à l’Hôtel de Brienne se ferait le surlendemain et François Mitterrand connaissait ma décision depuis le 7 décembre 1990 !Aujourd’hui tout se gère à l’aune de la « communication ». Monsieur Hulot était pour le Président Macron une splendide prise médiatique. Il a plutôt une bonne tête. Depuis Ushuaia, l’émission qui l’a rendu célèbre, il jouit de la faveur de l’opinion. De surcroît, Monsieur Hulot n’est pas vraiment un « Vert ». Il était là pour permettre au gouvernement de gérer cette petite frange de l’opinion qui met la notion vague d’écologie au sommet de ses priorités.
Soyons clairs : que les questions environnementales et la préservation des biens communs à toute l’humanité (eau, air, sol, etc…) soient d’une importance primordiale, je suis le premier à en convenir. Mais il en va tout autrement de l’idéologie des Verts qui est une forme de millénarisme : depuis 1945, l’humanité a substitué à son horizon le mythe de la catastrophe en lieu et place de celui du progrès. En réaction au nazisme, le philosophe allemand Hans Jonas a inventé le « principe de précaution ». Ce principe, inscrit dans notre Constitution, n’a rien de scientifique. Un gouvernement qui voudrait l’appliquer pleinement ne devrait pas se borner à abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Il lui faudrait fermer toutes les usines non seulement nucléaires mais chimiques, renoncer aux grands projets d’infrastructures, multiplier les conflits avec les agriculteurs et les entrepreneurs à force de réglementations tracassières. Tel n’était pas l’état d’esprit de Monsieur Hulot. Depuis qu’on sait qu’il ne trouvait plus le sommeil, l’opinion s’interrogeait : que cachait depuis six mois ce chantage public et permanent à la démission ? Comment se terminerait ce ballet d’hésitations ? Sur quel grand sujet le ministre choisirait-il de tomber ?
Depuis quelques jours, on respire : ce n’était que la chasse et la présence d’un « lobbyste » à l’Élysée ! Comme si les politiques ne passaient pas une grande partie de leur temps à écouter – et d’ailleurs à juste titre – les représentants des intérêts particuliers, leur tâche étant de faire prévaloir, in fine, l’intérêt général.
Ainsi, la chasse n’était, pour le ministre, qu’un prétexte. En réalité, Monsieur Hulot gère au plus près son « capital médiatique ». L’écologie politique est un fonds de commerce et la concurrence est rude : même Jean-Luc Mélenchon vient d’annoncer avoir découvert le problème de l’eau : chaude ou froide, il ne précise pas…
Dans toute cette affaire, je ne vois guère le souci de l’État. Monsieur Hulot donne à Emmanuel Macron un coup dont il se relèvera. En quoi l’avait-il mérité, sinon d’en avoir fait son ministre de l’Écologie ?
Quelle est, sur le fond, la question qui justifie la décision de Monsieur Hulot ? Je n’en vois qu’une, à vrai dire, c’est la place du nucléaire dans l’approvisionnement énergétique de la France. En démissionnant à la radio, le ministre s’est lâché : il a incriminé le nucléaire, « cette folie inutile, économiquement et techniquement, dans laquelle on s’entête ».
Nicolas Hulot sait très bien qu’Emmanuel Macron, à juste titre, juge totalement irréaliste l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans l’électricité produite en France en 2025. L’objectif en question a été fixé dans le programme du PS de 2011. C’est François Hollande qui l’a fait passer dans la loi, en 2015. Cet « objectif » est complètement démagogique, purement électoraliste et contraire à l’intérêt du pays.
Le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes qui rendent nécessaire de maintenir le nucléaire, source permanente, la moins chère et la moins polluante.
On voit ce que coûte aux Allemands la décision de Madame Merkel, en 2011, de renoncer au nucléaire : ils doivent recourir au charbon et acquitter, s’agissant des particuliers, une facture d’électricité près de deux fois supérieure à celle payée par les ménages français. S’engager dans cette voie serait, de surcroît pour notre pays, un terrible gâchis industriel ! Voit-on que la Chine, l’Inde, la Russie, la Grande-Bretagne, le Japon même après Fukushima, aient renoncé au nucléaire ?
Tout au contraire ! Rosatom en Russie a un carnet de commande à l’exportation de 33 projets de centrales. Tout cela était à notre portée, si la main de l’État n’avait pas tremblé sous la pression du lobby écologiste.
Depuis des décennies, notre industrie nucléaire s’étiole. Elle perd ses savoir-faire. Il faut dire que la dernière centrale construite, celle de Civaux a été décidée en 1981 et inaugurée en 1999, il y a vingt ans !
Voilà le « mal français » : depuis des décennies nos élites ont fait le choix de laisser s’effilocher le tissu industriel.
On en voit le résultat : une balance commerciale déficitaire de près de 70 milliards d’euros en 2017 quand l’Allemagne affiche un excédent de 254 milliards ! Comment, dans ces conditions, remettre la France « au centre du jeu européen » ? Notre seul vrai problème est celui de notre compétitivité. Le solde de notre balance commerciale n’a cessé de se dégrader depuis 2003. Le déficit énergétique (38 milliards d’euros en 2017) s’ajoute au déficit manufacturier (plus de 30 milliards).
Or, l’hostilité viscérale au nucléaire est le noyau, si je puis dire, de l’idéologie des Verts, fondamentalement réactionnaire et technophobe.
Le choix du nucléaire est un choix de longue portée, une affaire de générations.
Un rapport commandé par Nicolas Hulot préconise de construire six EPR à partir de 2025 pour une entrée en service en 2035. Le centre d’enfouissement des déchets ultimes de Bure dans la Meuse n’entrera en service que dans la décennie 2040. Or le centre de Bure concentre déjà l’hostilité violente des Verts, à l’échelle européenne ! Et cela ne fait que commencer !
L’avenir d’un atout industriel majeur de la France est ainsi l’objet d’un bras de fer entre d’une part une minorité de décideurs qui se refusent à brader l’héritage des générations en même temps que l’avenir du pays, et d’autre part une petite minorité extrémiste (à peine 3% des électeurs) qui entend prendre en otage l’opinion, à travers un système politico-médiatique dont l’indépendance de la France est devenue le cadet des soucis. Sur ce dossier vital, Nicolas Hulot n’avait pas la capacité de trancher en homme d’État.
Tel est l’éclairage de fond qui donne sens à sa démission : d’un côté les fantasmes d’une idéologie millénariste, de l’autre le souci de maintenir la France dans l’Histoire. Monsieur Hulot a bien raison de dire : « Je ne pouvais plus me mentir ! ». Il y avait, en effet, de quoi perdre le sommeil pour un l’homme d’État qui sans doute sommeillait en lui ! Si cette hypothèse d’une contradiction intenable pour Monsieur Hulot, ministre, s’avérait exacte, alors il faudrait lui dire sincèrement : Bonnes vacances, Monsieur Hulot ! ».
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