Consacrer plusieurs centaines de millions d’euros pour faire rouler des TGV à 200 KM/H, c’est dilapider l’argent des contribuables, selon Nicolas Bouzou économiste, directeur et fondateur d’Asterès.
Le « sauvetage » de l'usine Alstom de
Belfort constitue un tel fiasco qu'on se demande s'il n'a pas été pensé
par un pédagogue génial qui aurait voulu donner un exemple de ce à quoi
peut aboutir l'ingérence de l'Etat en matière industrielle quand elle
est à côté de la plaque de bout en bout.
Ce
sauvetage est d'abord une bouffonnerie économique. Que l'Etat mobilise
500 millions d'euros sans compter l'énergie du Gouvernement et de
l'administration pour empêcher le déplacement géographique (et non pas
la suppression) de 400 emplois relève d'une erreur de connaissance et
d'analyse gravissime. En effet, tous les spécialistes du marché du
travail répètent que l'économie française détruit environ 10 000 emplois
par jour. Quand, dans le même temps, d'autres entreprises, ou les mêmes
mais dans d'autres postes, en recréent un peu plus de 10 000, le
chômage baisse. Quand elles en recréent un peu moins, le chômage monte.
Ainsi, pour le bien-être du pays, seul le solde entre les créations et
les destructions d'emplois importe. A la limite, que des emplois
disparaissent est plutôt signe de bonne santé économique, à partir du
moment, bien évidemment, où le marché du travail fonctionne suffisamment
bien pour que ces pertes soient plus que compensées. Autrement-dit,
penser que l'on va faire diminuer le chômage en empêchant des emplois de
disparaître est un contresens. Ce contresens est encore plus flagrant
dans la période actuelle qui se caractérise par un mouvement de
destruction-créatrice d'une ampleur inédite à l'échelle de la planète.
Là où les Américains et les Chinois prennent des positions fortes,
parfois incités par des politiques publiques astucieuses, dans la
génomique, l'intelligence artificielle, la robotique ou la conquête
spatiale, nous forçons la SNCF, déjà dans une situation financière
précaire, à utiliser des trains dont elle n'a visiblement pas besoin
sinon elle les aurait achetés elle-même.
Ce
sauvetage est ensuite une bouffonnerie financière. Dépenser des
centaines de millions d'euros pour faire circuler des TGV à 200 km/h
revient à dilapider l'argent des contribuables, y compris celui des
demandeurs d'emplois qui, eux, ne manifestent jamais et sont les
premières victimes de ces politiques débiles. Avec une somme 10 ou même
100 fois moins importante, on aurait pu abonder le compte personnel
formation des salariés concernés en leur proposant une reconversion
sérieuse et durable. Au lieu de ça, on préfère les rendormir le temps
d'une campagne présidentielle en utilisant l'argent des Français. C'est
faire montre d'un bien grand mépris à leur égard.
Enfin,
ce sauvetage est une bouffonnerie juridique. Même si l'Etat pense
contourner la procédure des appels d'offre, on imagine mal que, vu les
sommes engagés, le droit de la concurrence ne s'applique pas. En outre,
ce type d'actions protectionnistes nous expose forcément à des mesures
de rétorsion pour des marchés similaires à l'étranger.
Mais
il serait trop facile de concentrer la totalité des tirs sur le
Gouvernement. En effet, ce à quoi nous invite cette lamentable affaire,
c'est à réfléchir enfin sérieusement à la pertinence de
l'Etat-actionnaire. Car ce que nous vendent à longueur de pages et de
discours les thuriféraires de l'Etat stratège, du Front de Gauche en
Front National en passant, au parti socialiste, par les nostalgiques du
programme commun et, chez les Républicains, aux gaullistes opiniâtres,
ne se vérifie pas dans les faits. Au lieu d'avoir une vision
industrielle claire à long terme, l'Etat actionnaire
s'empêtre entre la poursuite de plusieurs objectifs, certains élevés et
industriels, d'autres bas et politiciens. Le résultat, c'est que malgré
la présence capitalistique de l'Etat dans un nombre élevé
d'entreprises, notre pays est l'un des plus désindustrialisés de l'OCDE
et notre présence dans les secteurs d'avenir dont j'ai parlé plus haut
est minime.
Nicolas Bouzou / directeur d'Asterès