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samedi 8 octobre 2016

L’illusion des baisses d’impôt


François Hollande baisse l’impôt sur le revenu. Le prochain président fera sans doute de même. Pourtant, cet impôt n’a jamais autant rapporté. Rien d’étonnant dans un pays qui ne maîtrise toujours pas sa dépense publique.

Oyez, oyez, braves gens ! Dans sa magnificence, le seigneur de Hollande va encore diminuer la taille ! Réjouissez-vous, sujets du beau royaume de France ! Le seigneur qui aspire à lui succéder l'an prochain fera de même ! Des dizaines de milliards d'euros en moins, des millions de foyers déjà exonérés par le vicomte de Balladur il y a déjà près d'un quart de siècle, d'autres millions ou parfois les mêmes exonérés par ce bon Monsieur de Hollande ces dernières années. Relèvement du plancher, abaissement du plafond, hausse de la décote, indexation du barème, ajustement des tranches, élargissement des niches : rassurez-vous, votre tour viendra d'une manière ou d'une autre. Au rythme des promesses, vous n'aurez bientôt plus de taxes à payer.

Ainsi va la France à l'approche des élections. Ses gouvernants ne cessent de tripatouiller l'impôt sur le revenu, qui rapporte pourtant moins que dans tous les autres pays avancés - à peine plus de 3% du PIB contre une moyenne dépassant 8% dans les pays de l'OCDE. Passionné de la chose fiscale, François Hollande a battu un record en la matière. Il a touché à l'impôt sur le revenu chaque année de son quinquennat - avec d'abord la création d'une tranche à 45% et le gel du barème, puis des baisses pour les foyers les moins aisés. Mais il n'est pas le seul. Depuis vingt ans, l'exécutif a changé le barème une année sur deux! Sauf en 2012-2013, les mouvements ont tous été à la baisse. Sans compter les autres ajustements - Nicolas Sarkozy n'avait pas touché au barème à part un gel politiquement malencontreux en fin de mandat, mais il avait créé de nouvelles niches (heures supplémentaires, intérêts d'emprunt, renforcement du boucler fiscal). 

Et pourtant, les Français souffriraient d'un ras-le-bol fiscal. Et pourtant, l'impôt sur le revenu n'a jamais rapporté autant, moitié plus qu'il y a sept ans. Etrange histoire... sauf à admettre l'évidence. Une évidence toute simple qu'il faut pourtant rappeler, et qui dépasse largement le seul impôt sur le revenu : il n'y aura pas de baisse durable de l'impôt sans baisse durable de la dépense. Or la dépense publique ne baisse pas durablement, absorbant toujours plus de la moitié des richesses produites dans le pays. Le seigneur est donc condamné à muter en saigneur les nuits de pleine lune...
Le gouvernement ne fera que 40 des 50 milliards d'euros d'économies qu'il avait promis de faire en trois ans. Encore s'agit-il d'économies par rapport à une tendance haussière, et non à un niveau de départ. Dans ses dernières prévisions, le gouvernement affirme que « depuis 2013, les dépenses publiques rapportées au PIB baissent continûment ». Mais pour en faire la preuve, il retient l'indicateur plus favorable (dépense publique hors crédit d'impôt). Et il oublie les outils employés. 

Car pour empêcher la dépense de monter, les pouvoirs publics ont manié trois outils : le taux, la faux et le rabot. Le taux d'intérêt d'abord, qui leur permet d'emprunter beaucoup moins cher et d'alléger ainsi de plusieurs milliards d'euros par an les intérêts qu'ils doivent rembourser. (dans les comptes de la nation, les intérêts versés par les administrations publiques ont baissé de 10 milliards d'euros entre 2012 et 2015). La faux ensuite qui passe dans les investissements publics, en particulier dans les collectivités locales (la formation brute de capital fixe des administrations publiques est passée depuis 2012 de 4% à 3,5% du PIB, soit encore une dizaine de milliards d'euros en moins). Le rabot enfin, qui enlève chaque année quelques copeaux de l'action publique sans jamais la réorganiser. Mais les taux d'intérêt finiront par remonter. Il faudra investir. Et les dépenses trop comprimées ne demandent qu'à repartir à la moindre occasion budgétaire ou politique, comme le montre le relâchement de l'effort à l'approche de l'élection présidentielle (mesures pour l'emploi et la jeunesse, embauche de fonctionnaires, augmentation des salaires dans le public...). Ces dernières années, la dépense publique a été ralentie, contenue, mais non maîtrisée. 

Et rien n'indique que cela va changer. A gauche, la réflexion sur la question semble peu avancée - c'est un euphémisme. A droite, les programmes pour la primaire des Républicains donnent des indications intéressantes. Tous les candidats annoncent des baisses d'impôts accompagnées d'une forte réduction des dépenses publiques, qui correspond à un souhait exprimé dans les sondages (quatre Français sur cinq y seraient favorables). Mais au-delà du recul de l'âge de la retraite, aucun candidat n'insiste sur les deux conditions de la réussite, qui sont aussi deux mots qui fâchent. La productivité d'abord, un mot qui pouvait suffire il y a quelques années à faire claquer la porte par une délégation syndicale lors d'une négociation sur la fonction publique. L'évaluation et la réorganisation ensuite. Dans toutes les entreprises, le numérique bouscule hiérarchies et structures alors que le traitement de l'information n'est pas au coeur de leur métier. Renault manipule encore des tôles, Danone du lait. En revanche, l'essentiel de l'action publique consiste à traiter des informations - les recueillir, les agréger, les hiérarchiser, les analyser, les diffuser. Les nouvelles technologies devraient y être un levier formidable. Et certaines activités aujourd'hui publiques devraient à l'évidence basculer dans le privé. Pratiquement aucun politique n'ose en parler.
Résultat : la promesse restera promesse. « Ils annoncent tous 100 milliards d'euros ou presque de dépenses en moins, constate le conseiller économique d'un des candidats à la primaire. Mais les programmes ne sont pas assez précis. Si celui qui emporte la primaire puis l'élection arrive à faire 50 milliards d'économies, ça sera le bout du monde. Or ce n'est même pas le tiers du surcroît de dépenses publiques en France par rapport à la moyenne européenne. » Oyez oyez, braves gens : la baisse d'impôts est une illusion. 

Jean-Marc Vittori