Robert STEUCKERS:
Défis postmodernes : entre Faust et Narcisse
Notre culture européenne est le produit d'une pseudomorphose, disait Spengler.
D'une pseudomorphose, c-à-d. d'un télescopage entre un mental
autochtone, initial, inné, et un mental greffé, chronologiquement
postérieur, acquis. L'inné, pour Spengler, c'est le mental "faustien".
L'affrontement de l'inné et de l'acquis
L'acquis,
c'est le mental "magique", théocentrique, né au Proche-Orient. Pour la
pensée magique, le moi s'incline respectueusement devant la substance
divine, comme l'esclave se courbe devant son maître. Dans le cadre de
cette religiosité, l'individu se laisse guider par la force divine,
incluse en lui par le baptême ou l'initiation. Rien de tel pour l'esprit
faustien vieil-européen, selon Spengler. L'homo europeanus, lui,
malgré le vernis magique/chrétien qui recouvre sa pensée, déploie une
religiosité volontariste et anthropocentrique. Le bien pour lui, ce
n'est pas de se laisser guider passivement par Dieu, c'est bien plutôt
affirmer et réaliser sa volonté. "Pouvoir vouloir", tel est le fondement
ultime de la religiosité autochtone européenne. Dans le christianisme
médiéval, cette religiosité volontariste transparaît, perce la croûte du
"magisme" importé du Proche-Orient.
Dès
l'an mille, dans l'art et les épopées littéraires, ce volontarisme
dynamique apparaît progressivement, couplé à un sens de l'espace infini,
vers lequel peut et veut se déployer le moi faustien. À la notion d'un
espace clos, où le moi se trouve enfermé, s'oppose donc une notion
d'espace infini, vers lequel se projette un moi aventureux.
Du monde "clos" à l'univers infini
Pour le philosophe américain Benjamin Nelson (1), le sens vieil-hellénique de la physis,
avec tout le dynamisme qu'il implique, triomphe dès la fin du XIIIe
siècle, grâce à l’averroïsme, détenteur de la sagesse empirique des
Grecs (et d'Aristote en particulier). Progressivement, l'Europe passera
du "monde clos" à l'univers infini. L'empirisme et le nominalisme
prennent le relais d'une scolastique strictement discursive, répétitive
et enfermante. La renaissance, avec Copernic et Bruno (le martyr
tragique du Campo dei Fiori), renonce au géocentrisme sécurisant pour
proclamer que l'univers est infini, intuition essentiellement faustienne
selon les critères énoncés par Spengler.
Dans le 2nd volume de son Histoire de la Pensée Occidentale, J-F. Revel (2), qui officiait naguère au Point et y illustrait malheureusement l'idéologie occidentaliste américanocentrée, écrit avec beaucoup de pertinence : "On
conçoit sans peine que l'éternité et l'infinité de l'univers énoncées
par Bruno aient pu faire aux hommes cultivés d'alors l'effet
traumatisant d'un passage de la vie intra-utérine au vaste et cruel
courant d'air d'un tourbillon glacial et sans limite".
La
peur "magique", l'angoisse suscitée par l'effondrement d'une certitude
dorlotante, celle du géocentrisme, provoquera la mort cruelle de Bruno,
mais sera, en somme, une épouvantable apothéose... Rien ne réfutera plus
l’héliocentrisme, ni la théorie de l'infinitude des espaces sidéraux.
Pascal dira, résigné, avec l'accent du regret : "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie".
Du logos théocratique à la raison figée
Pour
remplacer le "logos théocratique" de la pensée magique, la pensée
bourgeoise naissante et triomphante va élaborer une pensée centrée sur
la raison, une raison abstraite devant laquelle il faudra s'incliner
comme le Proche-Oriental s'inclinait devant son dieu. L'adepte
"bourgeois" de cette "petite raison étriquée", vertueux et calculateur,
soucieux de juguler les élans de son âme ou de son esprit, retrouve
ainsi un: finitude confortable, un espace clos et sécurisant. Le
rationalisme de ce type humain vertueux n'est pas le rationalisme
aventureux, audacieux, ascétique et créateur décrit par Max Weber (3)
qui éduque l'intériorité à affronter précisément cette infinitude
affirmée par Giordano Bruno (4).
Dès la fin de la Renaissance, 2 modernités se juxtaposent
Le
rationalisme étriqué dénoncé par Sombart (5) va régenter les cités en
rigidifiant les pensées politiques, en corsetant les pulsions activistes
constructives. Le rationalisme proprement faustien et conquérant,
décrit par Max Weber, va propulser l'humanité européenne hors de ses
limites territoriales initiales, va donner l'impulsion majeure à toutes
les sciences du concret.
Dès la fin de la
Renaissance, nous découvrons donc, d'une part, une modernité rigide et
moraliste, sans élan, et, d'autre part, une modernité aventureuse,
conquérante, créatrice, tout comme nous aujourd'hui, au seuil d'une
post-modernité molle ou d'une post-modernité fulgurante, impavide
et potentiellement innovante. En posant ce constat de l’ambiguïté des
termes "rationalisme", "rationalité", "modernité" et "post-modernité",
nous entrons de plain-pied dans le domaine des idéologies politiques
voire des Weltanschauungen militantes.
La rationalisation pleine de morgue vertueuse, celle décrite par Sombart dans son célèbre portrait du "bourgeois",
engendre les messianismes mous et mièvres, les grands récits
tranquillisants des idéologies contemporaines La rationalisation
conquérante décrite par Max Weber, elle, suscite les grandes découvertes
scientifiques et l'esprit méthodique, raffinement ingénieux de la
conduite de la vie et maîtrise croissante du monde extérieur.
Cette
option conquérante possède également son revers : elle désenchante le
monde, l’assèche, le schématise à outrance. En se spécialisant dans l'un
ou l'autre domaine de la technique, de la science ou de l'esprit, en
s'y investissant totalement, les "faustiens" d'Europe et d'Amérique du
Nord aboutissent souvent à un nivellement des valeurs, à un relativisme
qui tend à la médiocrité parce qu'il nous fait perdre le sens du
sublime, de la mystique tellurique et qu'il isole de plus en plus les
individus. En notre siècle, la rationalité mise en exergue par Weber, si
positive au départ, a culbuté dans l'américanisme quantitativiste et
machiniste qui, instinctivement, cherchera, en compensation, un
supplément d'âme dans le charlatanisme religieux alliant le prosélytisme
le plus délirant et les bondieuseries les plus larmoyantes.
Tel
est le sort du "faustisme" quand il est coupé de ses mythes fondateurs,
de sa mémoire la plus ancienne, de son humus le plus profond et le plus
fécond. Cette césure, c'est indéniablement le résultat de la
pseudomorphose, de la greffe "magique" sur le corps faustien/européen,
greffe qui a échoué. Le "magisme" n'a pu immobiliser le perpétuel élan
faustien ; il l'a - et c'est plus dangereux - amputé de ses mythes et de
sa mémoire, le condamnant à la stérilité par assèchement, comme l'ont
constaté Valéry, Rilke, Duhamel, Céline, Drieu, Morand, Maurois,
Heidegger ou encore Abellio.
Rationalité conquérante, rationalité moralisante, dialectique des Lumières, "grands récits" de Lyotard
La
rationalité conquérante, si elle est arrachée à ses mythes fondateurs, à
son humus ethno-identitaire, à son indo-européanité matricielle,
retombe, même après les assauts les plus impétueux, inerte, vidée de sa
substance, dans les rets du petit rationalisme calculateur et dans
l'idéologie terne des "Grands Récits". Pour Jean-François Lyotard (6),
la "modernité", en Europe, c'est essentiellement le "Grand Récit" des
Lumières, dans lequel le héros du savoir travaille paisiblement et
moralement à une bonne fin éthico-politique : la paix universelle, où
plus aucun antagonisme ne subsistera. La "modernité" de Lyotard
correspond à la fameuse "Dialectique de l'Aufklärung" ou "Dialectique
des Lumières" de Horkheimer et Adorno (7), figures de proue de la
célèbre "École de Francfort". Dans leur optique, le travail de l'homme
de science ou l'action de l'homme politique, doivent se soumettre à une
raison raisonnable, à un corpus éthique, à une instance morale fixe et
immuable, à un catéchisme qui freine leurs élans, qui limite leur fougue
faustienne. Pour Lyotard, la fin de la modernité, donc l’avènement de
la "post-modernité", c'est l'incrédulité progressive, sournoise,
fataliste, ironique, persiflante à l'égard de ce métarécit. Incrédulité
qui signifie soit un possible retour du Dionysiaque, de l'irrationnel,
du charnel, des zones troubles et troublantes de l'âme humaine révélées
par Bataille ou Caillois, comme l'envisagent et l’espèrent le professeur
Maffesoli (8), de l'Université de Strasbourg, et l'Allemand Bergfleth
(9), jeune philosophe non-conformiste ; soit un retour tout aussi
possible du Faustien, d’un esprit comparable à celui qui nous a légué le
gothique flamboyant, d’une rationalité conquérante qui aurait récupéré
sa mythologie dynamique vieille-européenne, comme nous l’explique G.
Faye dans Europe et Modernité (10).
Le métarécit s'enkyste...
Avec
l'installation, l'enkystement, dans nos mentalités du "métarécit" des
Lumières, apparaissent progressivement les grandes idéologies laïques
occidentales, le libéralisme idolâtrant la "main invisible" (11) ou le
marxisme avec son déterminisme pesant et sa métaphysique de l’histoire,
contestés dès l'aube de ce siècle par les figures les plus sublimes du
socialisme militant européen, dont Georges Sorel (12). Avec Giorgio
Locchi (13), qui appelle le "métarécit" tantôt "idéologue" tantôt
"science", nous pensons que ce complexe "métarécit/idéologie/science" ne
suscite plus de consensus que par contrainte, puisqu'il y a des
résistances sourdes (not. en art, en musique par ex. [14]) ou une
désuétude générale du dispositif métanarratif de légitimation dans son
ensemble.
Le métarécit libéral-lliuministe
résiste encore et toujours aujourd'hui par la contrainte ou par le
matraquage médiatique. Mais dans la sphère de la pensée immédiate, des
poésies, de la musique, de l'art ou des lettres, ce métarécit ne dit
plus rien, ne suscite plus rien, ne mobilise plus aucun grand esprit
depuis 100 ou 150 ans. Déjà le modernisme littéraire de la fin du XIXe
s. exprime une diversité de langages, une hétérogénéité d’éléments, une
sorte de chaos désordonné qu'analyse le "physiologue" Nietzsche (15) et
que Hugo von Hoffmannstahl appelle die Welt der Bezuge (le monde des relations).
Ces interrelations omniprésentes et surdéterminantes nous signalent que
le monde ne s'explique pas par un simple récit tout propret ni ne se
laisse régenter par une instance morale désincarnée. Mieux : elles nous
signalent que nos Cités, nos peuples, ne peuvent exprimer toutes leurs
potentialités vitales dans le cadre d'une idéologie déterminée et
instituée une fois pour toutes pour toute ni conserver indéfiniment les
institutions issues (les corpus doctrinaux dérives du "métarécit des
Lumières". La présence anachronique du métarécit constitue un frein au
développement de notre continent dans tous les domaines : scientifique
(informatique et biotechnologie [16]), économique (maintien des dogmes
libéraux au sein de la CEE), militaire (fétichisme d’un monde bipolaire
et servilité à l'égard des USA, paradoxalement ennemis économiques),
culturel (matraquage médiatique en faveur d'un cosmopolitisme qui
élimine la spécificité faustienne et vise à l’avènement d'un grand
village convivial à l'échelle du globe, régenté par les principes des
"sociétés froides" à la manière des Bororos chers à Lévi-Strauss [17]).
Refuser le néo-ruralisme, le néo-pastoralisme…
Le
désordre confus du modernisme littéraire de la fin du XIXe s. a eu son
aspect positif, son rôle : celui de constituer ce magma qui, petit à
petit, deviendra producteur d'un nouvel assaut faustien (18). C'est
Weimar, le Weimar-arène où se déroulait l'affrontement créateur et
fécond de l'expressionnisme (19), du néo-marxisme et de la "révolution conservatrice"
(20), qui nous léguera, avec Ernst Jünger, une idée de la modernité
post-métanarrative (ou post-modernité, si l'on appelle "modernité" la
Dialectique des Lumières, théorisée postérieurement par l'École de
Francfort). Le modernisme, avec la confusion qu'il inaugure, due à
l'abandon progressif de la pseudo-scientificité des Lumières, correspond
quelque peu au nihilisme constaté par Nietzsche. Nihilisme qui doit
être surmonté, dépassé, mais non par un retour sentimental, voire niais,
au passé révolu. Le nihilisme ne se dépasse pas par le wagnérisme
théâtral, fulminait Nietzsche, comme aujourd'hui, l'effondrement du
"grand récit" marxiste ne se dépasse pas par un néo-primitivisme
pseudo-rustique (21).
Chez Jünger, le Jünger des Orages d'Acier, du Travailleur et d'Eumeswil, on ne trouve nulle référence au mysticisme du
terroir : rien qu'une admiration sobre pour la pérennité paysanne,
indifférente aux bouleversements historiques. Jünger nous signale la
nécessité d'un équilibre : s'il y a refus total du rural, du terroir, de
la dimension stabilisante de la Heimat, le futurisme
constructiviste faustien n'aura plus de socle, de base de départ, de
zone de repli. En revanche, si l'accent est trop placé sur le socle
initial, le socle-tremplin, sur la niche écologique originaire du peuple
faustien, celui-ci, en s’encroûtant dans sphère-cocon, se prive d'un
rayonnement universel, se rend aveugle à l'appel du monde, refuse de
s’élancer vers le réel dans toute sa plénitude, "exotique" compris. Le
repli frileux sur le territoire premier confisque au faustisme sa force
de diffusion et relègue son "peuple porteur" au niveau de celui du
"paysan éternel anhistorique" décrit par Spengler et par Eliade (22).
L'équilibre consiste à puiser (dans le fond du terroir premier) et à diffuser (vers le monde extérieur).
En
dépit de toutes les nostalgies "organiques", ruralistes ou
pastoralistes, en dépit de leur beauté esthétique, sereine, idyllique,
qui nous rappelle Horace ou Virgile, la Technique et le Travail sont
désormais les essences de notre monde post-nihiliste. Rien n'échappe
plus à la technique, à la technicité, à la mécanique ou à la machine :
ni le paysan qui ouvre avec son tracteur ni le prêtre qui branche un
micro pour donner plus d'impact à son homélie.
L’ère de la "Technique"
La Technique mobilise totalement (Totale Mobilmachung)
et projette les individus dans une infinitude inquiétante, où ils ne
sont plus que petits rouages interchangeables (les mitrailleuses,
constate le guerrier Ernst Jünger, fauchent les vaillants et les peureux
dans la plus pure égalité). Comme dans la guerre totale de matériel,
annoncée dès les batailles de char de 1917, sur le front de France. Le
"Moi" faustien perd son intraversion pour se noyer dans un tourbillon
d’agir incessant. Ce moi, après avoir façonné les flèches en dentelles
de pierre du gothique flamboyant, a soit basculé dans le quantitativisme
américain soit hésité, désorienté, pris dans le magma informatif, dans
l’avalanche de faits concrets du XXe s. Ce fut son nihilisme, son
blocage, son indécision due à un subjectivisme exacerbé, un patinage
dans la boue désordonnée des faits. En franchissant la "ligne", disent
Heidegger et Jünger (23), la monade faustienne (celle dont nous parlait
Leibniz [24]) annule son subjectivisme et retrouve la puissance pure, le
dynamisme pur, dans l’univers de la Technique. Avec l’approche
jüngérienne, la boucle se referme : à l’univers clos du "magisme" se
substitue le petit monde inauthentique du bourgeois, sécuritaire,
frileux, confit dans sa sphère d’utilitarisme et à l’univers dynamique
du "faustisme" se substitue un stade Technique, dépouillé cette fois de
tout subjectivisme.
La Technique jüngérienne
balaye la modernité factice du métarécit des Lumières, l’hésitation des
littératures modernistes de la fin du XIXe siècle et le trompe-l’œil du
wagnérisme et du néo-pastoralisme. Mais cette modernité jüngérienne,
toujours incomprise depuis la parution de Der Arbeiter en 1932, est demeurée lettre morte.
De Babbit au paradoxe sartrien
En
1945, le débat idéologique est remis au diapason des idéologies
victorieuses : le libéralisme à l’américaine (l'idéologie de M. Babitt
[25]) ou le marxisme sous la forme d’un métarécit soi-disant
désembourgeoisé. Les grands récits reviennent à la charge, traquent
toute philosophie ou démarche "irrationaliste" (26), instaurent une
police des pensées et provoquent, finalement, en agitant l’épouvantail
d’une barbarie rampante, une ère du vide. Sartre, avec sa vogue
existentialiste parisienne, doit être analysé à la lumière de cette
restauration. Sartre, fidèle à son "athéisme", à son refus de
privilégier une valeur, ne croit pas aux fondements du
libéralisme ou du marxisme, il n’institue pas, au fond, le métarécit
(dans sa variante la plus récente : le marxisme vulgaire des partis
communistes [27]) comme une vérité mais comme un impératif catégorique "indépassable"
pour lequel il convient de militer, si l’on ne veut pas être un
"salaud", c-à-d. un de ces êtres abjects qui vénèrent des "ordres
pétrifiés" (28). C'est là tout le paradoxe du sartrisme : d'un côte, il
nous exhorte à ne pas adorer d' "ordres pétrifiés", ce qui est
proprement faustien, et, d'un autre côté, il nous ordonne d'adorer
"magiquement" un "ordre pétrifié", celui du marxisme vulgaire, déjà
démonté par Sombart ou De Man. Le consensus, dans les années 50, âge
d'or du sartrisme, est donc bel et bien une contrainte morale, une
obligation dictée par une pensée de plus en plus médiatisée. Mais un
consensus par contrainte, par obligation de croire sans discuter, n'est
pas un consensus éternel : d’où l l'oubli contemporain du message
sartrien, avec ses outrances et ses exagérations.
L'anti-humanisme révolutionnaire de mai 68
Avec
Mai 68, phénomène de génération, l'humanisme, label du métarécit, est
battu en brèche par les interprétations françaises de Nietzsche, Marx et
Heidegger (29). L'humanisme est une illusion "petite-bourgeoise",
proclament universitaires et vulgarisateurs agissant dans le sillage de
la révolte étudiante. Contre l'Occident, réceptacle géopolitique du
métarécit des Lumières, le 68tard joue à monter sur les barricades,
prend parti, parfois avec un romantisme naïf, pour toutes les luttes des
années 70 : celle du Vietnam spartiate en lutte contre l'impérialisme
américain, celle des combattants latino-américain ("Che"), du Basque, de
l'Irlandais patriote ou encore du Palestinien.
Le
faustisme combatif, ne pouvant plus s'exprimer à travers des modèles
autochtones se transpose dans l'exotisme : il s'asiatise, s'arabise,
s'africanise ou s'indianise. Mai 68, en soi, par son ancrage résolu dans
la grande politique, par son éthos du guérillero, par son option
combattante, revêt malgré tout une dimension autrement plus importante
que le blocage crispé du sartrisme ou que la grande régression
néo-libérale actuelle. À droite, Jean Cau, en écrivant son beau livre
sur Che Guevara (30) a parfaitement saisi cette problématique, que la
droite, tout aussi crispée sur ses dogmes et ses souvenirs que la
gauche, n'avait pas voulu apercevoir.
Avec ce
soixante-huitardisme-là, combattant et politisé, conscient des grands
enjeux économiques et géopolitiques de la planète, ont brûlé, dans
l'esprit public français, les derniers feux de l'histoire, avant la
grande assomption dans la posthistoire et le postpolitique que
représente le narcissisme néo-libéral contemporain.
La traduction des écrits de l’ "École de Francfort" annonce l’avènement du narcissisme néo-libéral
La
1ère phase de l'assaut néo-libéral contre l'anti-humanisme politique de
Mai 68, ce fut la redécouverte des écrits de l’École de Francfort, née
en en Allemagne avant l’avènement du national-socialisme, arrivée à
maturité pendant l'exil californien d'Adorno, d'Horkheimer et de Marcuse
et érigée en objet de vénération dans l’après-guerre ouest-allemand
(31). Dans un petit ouvrage, concis et fondamental pour comprendre la
dynamique de notre de notre temps, Dialektik der Aufklärung,
Horkheimer et Adorno nous signalent l'existence, dans la pensée
occidentale, de 2 "raisons", que, dans le sillage de Spengler et de
Sombart, nous serions tenté de nommer "raison faustienne" et "raison
magique". La 1ère est, pour les 2 anciens exilés en Californie, le pôle
négatif du "complexe raison" dans la civilisation occidentale : cette
raison-là est purement "instrumentale", elle sert à accroître la
puissance personnelle de celui qui s'en sert. Elle est la raison
scientifique, la raison qui dompte les forces de l’univers et les met au
service d’un chef ou d’un peuple, d’un parti ou d’un État. Elle est
prométhéenne et non point narcissique / orphique, disait, dans cette
optique, Herbert Marcuse (32). Pour Horkheimer, Adorno et Marcuse, c’est
ce type des rationalité qu'avait théorisé Max Weber...
La
"raison magique", selon notre terminologie généalogique spenglérienne,
en revanche, c’est, pour en brosser vite l’aspect général, celle du
métarécit découvert par Lyotard. Elle est une instance morale qui dicte
une conduite éthique, allergique à toute expression de puissance. Donc, à
toute manifestation de l’essence du politique (33). En France, la
redécouverte de cette théorie horkheimerienne et adornorienne de la
raison, vers la fin des années 70, a inauguré l’ère de dépolitisation,
ce qui, par déconnexion généralisée à l'endroit de l'histoire concrète
et tangible, aboutira à l’ "ère du vide" si bien décrite par le
professeur grenoblois Gilles Lipovetsky (34). À la suite de
l'effervescence militante de mai 68, G. Lipovetsky perçoit, avec
beaucoup de pertinence, les nouvelles attitudes mentales du
post-68tardisme : apathie, indifférence (également au métarécit dans sa
forme brute), désertion (des partis politiques, surtout des PC),
désyndicalisation, narcissisme, etc. Pour Lipovetsky, cette démission et
cette résignation généralisées constituent une aubaine. C'est la
garantie, explique-t-il, que la violence reculera, donc qu'aucun "total
"totalitarisme", rouge, noir ou brun, ne prendra le pouvoir. Cette
convivialité psy, doublée d'une indifférence narcissique aux autres,
constitue le propre de l'âge "post-moderne".
Il y a plusieurs définitions possibles de la "post-modenité"
En
revanche, si nous percevons - convention de vocabulaire inverse à celle
de Lipovetsky - la "modernité" ou le "modernisme" comme expressions du
métarécit, donc comme freins à l'élan faustien, la post-modernité sera
nécessairement un retour au politique, un rejet du fixisme para-magique
et du soupçon anti-politique, surgis après mai 68, dans le sillage des
spéculations sur la "raison instrumentale" et la "raison objective"
décrites par Horkheimer et Adorno.
La complexité
de la problématique "post-moderne" ne permet pas de donner une et une
seule définition de la "post-modernité". Il n’existe pas UNE
post-modernité, qui, toute seule, pourrait revendiquer l'exclusivité. Au
seuil du XXIe siècle, se juxtaposent, en jachère, DIVERSES
post-modernités, divers modèles sociaux post-modernes potentiels, chacun
basé sur des valeurs foncièrement antagonistes, prêtes à s’affronter.
Les post-modernités diffèrent, dans leur langage ou dans leur "look",
des idéologies qui les ont précédées ; elles renouent néanmoins avec les
valeurs éternelles, immémoriales, qui leur sont sous-jacentes. Comme le
politique entre dans la sphère historique par des affrontements
binaires, opposant des clans adverses avec exclusion des tiers
minoritaires, osons évoquer la possible dichotomie de l’avenir : une
post-modernité néo-libérale, occidentale et américaine et
américanomorphe contre une post-modernité fulgurante, faustienne et
nietzschéenne.
"Génération morale" et "ère du vide"
La
post-modernité néo-libérale, c'est celle qu’annonce, triomphant et
follement messianique, un Laurent Joffrin dans son bilan de la révolte
étudiante de décembre 1986 (cf. Un coup de jeune, Arlea, 1987). Pour Joffrin, qui avait pronostiqué il y a 2 ou 3 ans (35) la mort de la gauche hard,
du prolétarisme militant, décembre 86 est le signe avant-coureur d'une
"génération morale", alliant, dans ses cerveaux, le gauchisme mou, un
peu collectiviste par paresse intellectuelle, et l’égoïsme néo-libéral,
narcissique et postpolitique. Le modèle social de cette société
hédoniste, axée sur la praxis marchande, que Lipovetsky a décrit dans L'ére du vide.
Vide politique, vide intellectuel, et désert posthistorique : telles
sont les caractéristiques de l'espace bloqué, de l'horizon bouché,
bouche, propre au néo-libéralisme contemporain. Cette post-modernité-là
constitue, pour le grand espace européen, qui doit advenir pour que nous
ayons un avenir viable, un blocage inquiétant, où le lent pourrissement
annoncé par le chômage de masse et la démographie déclinante exerceront
leurs ravages, sous les lumignons blafards des illusions consuméristes,
du gigantesque fictionnisme publicitaire, sous les néons des enseignes
vantant les mérites d'un photographe d’un photocopieur japonais ou d'une
compagnie aérienne américaine.
En revanche, la
post-modernité qui refusera le vieux métarécit anti-politique des
Lumières, avec ses avatars et ses métastases, renouera avec l'insolence
nietzschéenne ou l'idéal métallique d’un Jünger, qui franchira la
"ligne" comme nous l'exhorte Heidegger qui sortira du dandysme stériles
des périodes de nihilisme, la post-modernité qui recourrera à
l'aventureux, en déployant concrètement un programme politique audacieux
impliquant le rejet des blocs, la construction d’une économie
auto-centrée en Europe, en luttant farouchement et sans concessions
contre toutes les vieilleries religieuses et idéologiques, en
développant les grands axes d'une diplomatie indépendante de l’avis de
Washington, la post-modernité, qui réalisera ce programme volontaire et
négateur des négations de la posthistoire, celle-ci aura notre pleine
adhésion.
Par cette allocution, j'ai voulu
prouver qu'il y avait une continuité dans l’affrontement entre
"faustisme" et que cette continuité antagonistique se répercute dans le
débat actuel sur les post-modernités. L'Occident américano-centré centre
est le havre des "magismes", avec son cosmopolitisme et ses sectes
moonistes ou autres qui exigent l'obéissance aveugle (36). L’Europe,
héritière d’un faustisme maintes fois tarabusté par la pensée "magique",
se réaffirmera par une post-modernité qui récapitulera les thèmes
indicibles, récurrents mais toujours neufs, de la fausticité intrinsèque
de la psyché européenne.
NOTES :
- Benjamin Nelson, Der Ursprung der Moderne, Vergleichende Studien zum Zivilisationsprozess, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1986.
- Jean-François Revel, Histoire de la pensée occidentale, tomeII, La philosophie pendant la science (XVe, XVIe et XVIIe siècles), Stock, 1970. Cf. également le maître-ouvrage d'Alexandre Koyré : Du monde clos à l'univers infini, Gal., 1973.
- Cf. Julien Freund, Max Weber, PUF, 1969.
- Paul-Henri Michel, La cosmologie de Giordano Bruno, Hermann, 1962.
- Cf. essentiellement : Werner Sombart, Le Bourgeois. Contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne, Payot, Paris, 1966.
- Jean-François Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Minuit, 1979.
- Max Horkheimer, Theodor Adomo, Diaektik der Aufklârung. Philosophische Fragmente, Fischer, Frankfurt a.M., 1969-1980. Cf. également : Pierre Zima, L'école de Francfort. Dialectique de la particularité, éd. Universitaires, 1974. Michel Crozon, Interroger Horkheimer et Arno Victor Nielsen, Adorno, le travail artistique de la raison in : Esprit, Mai 1978.
- Cf. principalement : Michel Maffesoli, L'ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l'orgie, Méridiens, 1982, repris en Livre de Poche/biblio-essais. Pierre Brader, Michel Maffesoli : saluons le grand retour de Dionysos in Magazine-Hebdo n°54 (21 sept. 1984).
- Cf. Gerd Bergfleth et al., Zur Kritik der Palavernden Aujklärung, Matthes & Seitz, München, 1984. Bergfleth publie dans cette remarquable petite anthologie 4 textes assassins pour le ronron "moderno-francfortiste" : 1) Zehn Thesen zur Vernunftkritik ; 2) Der geschundene Marsyas ; 3) Über linke Ironie ; 4) Die zynische Aufklärung. Cf. également R. Steuckers, G. Bergfleth : enfant terrible de la scène philosophique allemande in Vouloir n°27, mars 1986. Dans ce même numéro, lire aussi : M. Kamp, Bergfleth : critique de la raison palabrante et Une apologie de la révolte contre les programmes insipides de la révolution conformiste. Voir encore : M. Froissard, Révolte, irrationnel, cosmicité et... pseudo-antisémitisme in Vouloir n°40-42, juil-août 1987.
- Guillaume Faye, Europe et Modernité, Eurograf, Méry/Liège, 1985.
- Sur le fondement théologique de la doctrine de la "main invisible" : cf. Hans Albert, Modell-Platonismus. Der neoklassische Stil des ökonomischen Denkens in kritischer Beleuchtung in Ernst Topitsch (Hrsg.), Logik der Sozialwissenschaften, Kiepenheuer & Witsch, Köln/Berlin, 1971.
- La bibliographie française sur Georges Sorel est abondante. Néanmoins, on déplorera qu'une biographie et une analyse aussi précieuse que celle de Michael Freund n'ait jamais été traduite : Michael Freund, G. Sorel, Der revolutionäre Konservatismus, Vittorio Klostermann, Frankfurt a.M., 1972.
- Cf. G. Locchi, Histoire et société : critique de Lévi-Strauss in Nouvelle Ecole n°17, mars 1972. G. Locchi, L'histoire in Nouvelle Ecole n°27-28, janv. 1976.
- Cf. G. Locchi, L' "idée de la musique" et le temps de l'histoire in Nouvelle École n°30, nov. 1978, Vincent Samson, Musique, métaphysique et destin in Orientations n°9, sept. 1987.
- Cf. Helmut Pfotenhauer, Die Kunst als Physiologie. Nietzsches äesthetische Theorie und literarische Produktion, J.B. Metzler, Stuttgart, 1985. Cf. à propos du livre de Pfotenhauer : Robert Steuckers, Regards nouveaux sur Nietzsche in Orientations n°9.
- Les bio-technologies et les innovations les plus récentes de la bio-cybernétique, appliquées au fonctionnement des sociétés humaines, remettent fondamentalement en question les assises théoriques mécanicistes du "Grand Récit" des Lumières. Des législations moins rigides, souples parce qu'adaptées aux ressorts profonds de la psychologie et de la physiologie humaines, redonneraient un dynamisme à nos sociétés et les mettraient au diapason des innovations technologiques. Le Grand Récit, toujours présent malgré son anachronisme, bloque l'évolution de nos sociétés ; la pensée de Habermas, qui refuse catégoriquement d'inclure dans sa démarche les découvertes épistémologiques d'un Konrad Lorenz par ex., illustre parfaitement la rigidité proprement réactionnaire du néo-Aufklärung francfortiste et de la dérivation néo-libérale actuelle. Pour se rendre compte du glissement qui s’opère malgré la réaction libérale-francfortiste, on lira les travaux du bio-cybernéticien allemand Frédéric Vester : 1) Unsere Welt - ein vernetztes System, dtv, n°l0118, München, 1983 (2e éd.) ; 2) Neuland des Denkens. Vom technokratischen zum kybernetischen Zeitalter, DVA, Stuttgart, 1980. La rénovation de la pensée sociale holiste (ganzheitlich) par la biologie moderne, nous la trouvons not. chez Gilbert Probst, Selbst-Organisation, Ordnungsprozesse in sozialen Systemen aus ganzheitlicher Sicht, Paul Parey, Berlin, 1987.
- G. Locchi, art. cit., voir note (13).
- Pour aborder la question du modernisme littéraire au XIXe s., se référer à : M. Bradbury, J. McFarlane (ed.), Modernism 1890-1930, Penguin, 1976.
- Cf. Paul Raabe, Expressionismus. Der Kampf um eine literarische Bewegung. Utile anthologie des principaux manifestes expressionnistes.
- Armin Mohler, La Révolution Conservatrice en Allemagne 1918-1932, Pardès. Se référer principalement au texte A3 intitulé Leitbilder (idées directrices).
- Cf. Gérard Raulet, Mantism and the Post-Modern Conditions et Claude Karnoouh, The Lost Paradise of Regionalism : The Crisis of Post-Modernity in France in Telos n°67, mars 1986.
- Cf. Oswald Spengler, Le déclin de l'Occident. Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle, Gal., 1948 ; pour la définition du "paysan anhistorique", voir t. 2, p. 90. Cf. M. Eliade, Le sacré et le profane, Gal., 1965 ; voir surtout le chap. III, La sacralité de la nature et la religion cosmique, p. 98 sq. Pour l'agencement de cette vision du "paysan" dans la querelle contemporaine du néo-paganisme, voir : Richard Faber, Einleitung : "Pagan" und Neo-Paganismus. Versuch einer Begriffsklärung in : Richard Faber & Renate Schlesier, Die Restauration der Gôtter. Antike Religion und Neo-Paganismus, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1986, pp. 10 à 25. Ce texte a été recensé en français par Robert Steuckers, Le paganisme vu de Berlin in Vouloir n°28/29, avr. 1986, pp. 5-7.
- Sur la question de la "ligne" chez Jünger et Heidegger, cf. W. Kaempfer, Ernst Jünger, Metzler, Sammlung Metzler, Band 20l, Stuttgart, 1981, p. 119 à 129. Cf. aussi J. Evola, Devant le "mur du temps" in Explorations. Hommes et problèmes, p. 183-194, Pardès. Profitons aussi de cette note pour rappeler que, contrairement à une idée reçue, Heidegger ne rejette pas la technique de manière réactionnaire, ne la considérant même pas comme dangereuse en elle-même. Le danger tient au mystère de son essence non pensée, empêchant l’homme de revenir à un dévoilement plus originel et d’entendre l’appel d’une vérité plus initiale. Si l’âge de la technique apparaît comme la figure achevée de l’Oubli de l’être, où la détresse propre à la pensée se manifeste comme absence de détresse dans la sécurisation et l’objectivation de l’étant, il est aussi cet extrême péril à partir duquel est pensable le relèvement comme possibilité d’un autre commencement une fois la métaphysique de la subjectivité achevée.
- Pour juger de l’importance de Leibniz dans le développement de la pensée organique allemande, cf. F.M. Barnard, Herder's Social and Political Thought. From Enlightenment to Nationalism, Clarendon Press, Oxford 1965, p. 10-12.
- Sinclair Lewis, Babbit, Livre de Poche/biblio, 1984.
- Le classique des classiques dans la condamnation de l’ "irrationalisme", c’est la somme de Georg Lukàcs, La Destruction de la Raison, éd. de l’Arche (2 vol.), 1958. Ce livre se veut une sorte de discours de la méthode de la dialectique Aufklärung-Gegenaufklärung, rationalisme-irrationalisme. La technique de l’amalgame, propre à ce qui apparaît avec le recul bel et bien comme un pamphlet stalinien, cherche à compromettre de larges secteurs de la culture allemande et européenne, de Schelling au néo-thomisme, accusés d‘avoir préparé et favorisé le phénomène nazi. Il s’agit là d’une vision paranoïaque de la culture.
- Pour saisir l’irrationalité foncière de l’adhésion de Sartre au communisme, on lira Thomas Molnar, Sartre, philosophie de la contestation, La Table Ronde, 1969.
- Cf. R.-M. Alberes, Jean-Paul Sartre, éd. Universitaires, 1964, p. 54 à 71.
- En France, la polémique visant un rejet définitif de l’anti-humanisme 68tard et de ses assises philosophiques nietzschéennes, marxiennes et heideggeriennes, se retrouve dans L. Ferry & A. Renaut, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain (Gal., 1985), et son pendant 68-86. Itinéraires de l’individu (Gal., 1987). Contrairement aux thèses défendues dans le 1er de ces 2 ouvrages, l’essayiste Guy Hocquenghem dans Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary Club (Albin Michel, 1986) déplorait l'assimilation de l’hyperpolitisme 68tard dans la vague néo-libérale contemporaine. Dans une optique nettement moins polémique et dans le souci de restituer le débat tel qu'il est sur le plan de l'abstraction philosophique, on lira : Eddy Borms, Humanisme -kritiek in het hedendaagse Franse denken, SUN, Nijmegen, 1986.
- Jean Cau, ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre, polémiste classé à "droite", polisson qui prend régulièrement à partie les manies et giries des conformistes bien-pensants, n'avait pas hésite à rendre hommage à Che Guevara et à lui consacrer un livre. Les "rigides" de la gauche bourgeoise avaient alors parlé d'un "détournement de cadavre" ! Les admirateurs rigido-droitistes de Cau, eux, n'ont pas davantage retenu la leçon : le Nicaragua sandiniste, qu'admiraient pourtant Abel Bonnard et le "fasciste" américain Lawrence Dennis, reste pour ces messieurs-dames une émanation du Malin.
- Cf. dans ce n° l'article de Hans-Christof Kraus, Habermas sur la défensive.
- Cf. A. Vergez, Marcuse, PUF, 1970.
- Julien Freund, Qu'est-ce que la politique ?, Seuil, 1967. Cf G. Faye, La problématique moderne de la raison ou la querelle de la rationalité in Nouvelle Ecole n°41, nov. 1984.
- G. Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gal., 1983. Peu après le colloque de Bruxelles, au cours duquel le texte ci-dessus a servi d'allocution, G. Lipovetsky publiait un 2nd ouvrage qui renforçait son option : L'Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes(Gal, 1987). Contre cette option "narcissique", protestaient presque simultanément François-Bernard Huyghe et Pierre Barbés dans La soft-idéologie, Laffont, 1987. Inutile de préciser que mes propos rejoignent, en gros, ceux de ces 2 derniers essayistes.
- Cf. Laurent Joffrin, La gauche en voie de disparition. Comment changer sans trahir ?, Seuil, 1984.
- Cf. Furio Colombo, Il dio d’America. Religione, ribellione e nuova destra, Arnoldo Mondadori ed., Milano, 1983.