Contre-choc, fiscal, fin des 35 heures, coupes drastiques dans les dépenses:pour n’avoir pas fait les réformes qu’il fallait lorsqu’ils étaient au pouvoir, les dirigeants de droite multiplient les annonces martiales. Trop tard ?
La droite française a un gros complexe, celui de n’avoir pas fait les
réformes quand elle était au pouvoir. Son obsession est de se
rattraper. Cette fois-ci, c’est décidé : en mai 2017, elle prendra les
rênes avec un programme clair, les électeurs auront voté, l’onction du
suffrage universel s’imposera ensuite aux inévitables conflits dans la
rue. « L’autorité » sera le maitre mot.
Le Projet du parti Les Républicains promet ainsi d’y aller fort et ce qu’annoncent séparément les candidats à la Primaire encore plus fort : le «contre-choc fiscal » pour effacer les impôts levés par la gauche mais aussi par le couple Sarkozy-Fillon à partir de 2010 ; la fin des 35 heures pour les avoir conservées de 2002 à 2012; des coupes drastiques dans les dépenses de 100 milliards d’euros pour les avoir grossi allégrement lorsque le RPR-UMP était au pouvoir. Le Projet paraît ainsi faire – enfin – ce que les autres pays ont fait depuis longtemps, la Grande-Bretagne depuis Margaret Thatcher, l’Allemagne depuis Gerhard Schröder.
Ce Projet soulève un doute légitime de crédibilité. Alors que les mini-réformes de François Hollande ont galvanisé les syndicats conservateurs, CGT et FO, et mis des centaines de milliers de personnes dans les rues, alors que la gauche va vouloir se reconstruire « dans la lutte pour la défense du modèle social », que va-t-il se passer avec les maxi-réformes annoncées : fin des régimes spéciaux de retraite, suppression de 300 ou 500 000 fonctionnaires, baisse des allocations de toutes sortes, notamment chômage, fin de l’ISF, etc. Et s’il y a un mort dans les manifs, deux morts, cinq Malik Oussekine (1) ? Comment « l’autorité » se sentira-t-elle ?
Mais le Projet soulève aussi, et parallèlement, une interrogation de fond : est-il encore temps d’être libéral-austère dans la période post-libérale qui s’ouvre ? La droite française n’arrive-t-elle pas trop tard et à côté des enjeux du temps ? Se trompe-t-elle d’époque ? Quand on voit Theresa May, la première femme Premier ministre outre-Manche depuis Thatcher, tourner le dos au libéralisme et vanter l’intervention de l’Etat, la question est légitime. Certes, on peut répliquer que les Anglais seraient allés « trop loin » dans le libéralisme et les Français pas assez. C’est vrai. Mais la question est plus profonde.
En Grande-Bretagne d’abord où David Cameron avait, lui, beaucoup plus qu’un programme austère-libéral, il avait une vision. La Big Society devait laisser la place à la société civile, l’Etat diminue fortement ses fonctions sociales mais elles sont reprises par des associations plus efficaces sur le terrain. Cette Big idée a échoué comme le démontre le vote Brexit, les inégalités sont trop grandes et persistantes. Theresa May le constate et en revient à l’Etat. On peut dire que ce virage idéologique majeur a un objectif politique interne de contrer les populistes de l’UKIP, c’est sûrement exact. Mais économiquement, il fait entrer la droite anglaise dans la phase post-libérale ouverte par la crise de 2008. Le marché, plaide la Conservateur Theresa May, a des défaillances. La droite française qui découvre sur le tard que « tout va partir des entreprises » ferait bien de méditer.
Le deuxième trait de l’époque qui vient est la « stagnation séculaire ». Il n’en est pas question dans le Projet. Les candidats de droite semblent tous penser comme naturel un retour à la croissance. Il suffit de libérer les entreprises, d’alléger leurs charges. Ils ne prévoient certes pas un PIB en gain de 3% l’an, ils n’évoquent que 2% mais ils escomptent plus. Et si la croissance de la France ne dépassait désormais plus 1% ? C’est son potentiel au regard de la faiblesse technologique du pays (manque de robots, manque de compétences), de son vieillissement et aussi de l’atonie mondiale, « la nouvelle médiocrité » comme Christine Lagarde du FMI décrit cette conjoncture planétaire en prévoyant qu’elle risque de durer longtemps.
La foi de la droite dans une croissance retrouvée est fondamentale puisqu’elle est la condition de la politique budgétaire très à l’ancienne : des baisses d’impôts suivies d’une croissance qui gonfle les recettes et diminue le déficit dans un deuxième temps. Sans croissance, ce plan est à l’eau. La droite aura à nouveau creusé le déficit. Les conséquences sont incalculables sur les taux d’intérêt mais sont prévisibles sur les relations franco-allemandes : l’espoir de renouer les liens pour relancer l’Europe seront ruinés.
Le troisième trait de la France 2017 est le retour à l’équilibre des comptes sociaux. Le trou de la sécu aura disparu en 2017, dit la ministre Marisol Touraine. Si elle manipule un peu les chiffres, l’opinion va retenir que la droite s’attaque au modèle social inutilement. Pourquoi repousser encore l’âge de la retraite si le système est excédentaire ? Pourquoi sabrer un système à l’équilibre ? Il faudra bien affûter les arguments. Mais la leçon est plus vaste : l’Etat social français est sans doute trop généreux mais son vrai défaut est son manque d’efficacité. C’est tout le tort de la droite de regarder encore les dépenses avec l’oeil budgétaire (toujours trop) et non avec l’oeil mais économique (est-ce bon pour la croissance ?). Le travail est de passer de la logique du rabot, encore à la base du Projet de LR, à celle de l’évaluation une à une des dépenses, travail de dentelle, neuf, considérable, dans une administration française réticente. France Stratégie qui a engagé cet examen (2), conclut qu’il faut couper beaucoup mais réinvestir aussi dans la petite enfance, la compétence des actifs, la transition énergétique, le numérique.
De l’autorité ? Il en faudra. Mais aussi cette humble obstination d’un Bénédictin pour remettre l’Etat français, euro par euro, au bon service du pays.
(1) étudiant mort en décembre 1986 lors d’une manifestation contre une réforme universitaire dont le projet sera en conséquence retiré par Jacques Chirac.
(2) 2017-2027 Enjeux pour une décennie. France Stratégie
Les Echos
Le Projet du parti Les Républicains promet ainsi d’y aller fort et ce qu’annoncent séparément les candidats à la Primaire encore plus fort : le «contre-choc fiscal » pour effacer les impôts levés par la gauche mais aussi par le couple Sarkozy-Fillon à partir de 2010 ; la fin des 35 heures pour les avoir conservées de 2002 à 2012; des coupes drastiques dans les dépenses de 100 milliards d’euros pour les avoir grossi allégrement lorsque le RPR-UMP était au pouvoir. Le Projet paraît ainsi faire – enfin – ce que les autres pays ont fait depuis longtemps, la Grande-Bretagne depuis Margaret Thatcher, l’Allemagne depuis Gerhard Schröder.
Ce Projet soulève un doute légitime de crédibilité. Alors que les mini-réformes de François Hollande ont galvanisé les syndicats conservateurs, CGT et FO, et mis des centaines de milliers de personnes dans les rues, alors que la gauche va vouloir se reconstruire « dans la lutte pour la défense du modèle social », que va-t-il se passer avec les maxi-réformes annoncées : fin des régimes spéciaux de retraite, suppression de 300 ou 500 000 fonctionnaires, baisse des allocations de toutes sortes, notamment chômage, fin de l’ISF, etc. Et s’il y a un mort dans les manifs, deux morts, cinq Malik Oussekine (1) ? Comment « l’autorité » se sentira-t-elle ?
Mais le Projet soulève aussi, et parallèlement, une interrogation de fond : est-il encore temps d’être libéral-austère dans la période post-libérale qui s’ouvre ? La droite française n’arrive-t-elle pas trop tard et à côté des enjeux du temps ? Se trompe-t-elle d’époque ? Quand on voit Theresa May, la première femme Premier ministre outre-Manche depuis Thatcher, tourner le dos au libéralisme et vanter l’intervention de l’Etat, la question est légitime. Certes, on peut répliquer que les Anglais seraient allés « trop loin » dans le libéralisme et les Français pas assez. C’est vrai. Mais la question est plus profonde.
En Grande-Bretagne d’abord où David Cameron avait, lui, beaucoup plus qu’un programme austère-libéral, il avait une vision. La Big Society devait laisser la place à la société civile, l’Etat diminue fortement ses fonctions sociales mais elles sont reprises par des associations plus efficaces sur le terrain. Cette Big idée a échoué comme le démontre le vote Brexit, les inégalités sont trop grandes et persistantes. Theresa May le constate et en revient à l’Etat. On peut dire que ce virage idéologique majeur a un objectif politique interne de contrer les populistes de l’UKIP, c’est sûrement exact. Mais économiquement, il fait entrer la droite anglaise dans la phase post-libérale ouverte par la crise de 2008. Le marché, plaide la Conservateur Theresa May, a des défaillances. La droite française qui découvre sur le tard que « tout va partir des entreprises » ferait bien de méditer.
Le deuxième trait de l’époque qui vient est la « stagnation séculaire ». Il n’en est pas question dans le Projet. Les candidats de droite semblent tous penser comme naturel un retour à la croissance. Il suffit de libérer les entreprises, d’alléger leurs charges. Ils ne prévoient certes pas un PIB en gain de 3% l’an, ils n’évoquent que 2% mais ils escomptent plus. Et si la croissance de la France ne dépassait désormais plus 1% ? C’est son potentiel au regard de la faiblesse technologique du pays (manque de robots, manque de compétences), de son vieillissement et aussi de l’atonie mondiale, « la nouvelle médiocrité » comme Christine Lagarde du FMI décrit cette conjoncture planétaire en prévoyant qu’elle risque de durer longtemps.
La foi de la droite dans une croissance retrouvée est fondamentale puisqu’elle est la condition de la politique budgétaire très à l’ancienne : des baisses d’impôts suivies d’une croissance qui gonfle les recettes et diminue le déficit dans un deuxième temps. Sans croissance, ce plan est à l’eau. La droite aura à nouveau creusé le déficit. Les conséquences sont incalculables sur les taux d’intérêt mais sont prévisibles sur les relations franco-allemandes : l’espoir de renouer les liens pour relancer l’Europe seront ruinés.
Le troisième trait de la France 2017 est le retour à l’équilibre des comptes sociaux. Le trou de la sécu aura disparu en 2017, dit la ministre Marisol Touraine. Si elle manipule un peu les chiffres, l’opinion va retenir que la droite s’attaque au modèle social inutilement. Pourquoi repousser encore l’âge de la retraite si le système est excédentaire ? Pourquoi sabrer un système à l’équilibre ? Il faudra bien affûter les arguments. Mais la leçon est plus vaste : l’Etat social français est sans doute trop généreux mais son vrai défaut est son manque d’efficacité. C’est tout le tort de la droite de regarder encore les dépenses avec l’oeil budgétaire (toujours trop) et non avec l’oeil mais économique (est-ce bon pour la croissance ?). Le travail est de passer de la logique du rabot, encore à la base du Projet de LR, à celle de l’évaluation une à une des dépenses, travail de dentelle, neuf, considérable, dans une administration française réticente. France Stratégie qui a engagé cet examen (2), conclut qu’il faut couper beaucoup mais réinvestir aussi dans la petite enfance, la compétence des actifs, la transition énergétique, le numérique.
De l’autorité ? Il en faudra. Mais aussi cette humble obstination d’un Bénédictin pour remettre l’Etat français, euro par euro, au bon service du pays.
(1) étudiant mort en décembre 1986 lors d’une manifestation contre une réforme universitaire dont le projet sera en conséquence retiré par Jacques Chirac.
(2) 2017-2027 Enjeux pour une décennie. France Stratégie
Les Echos