Jean-Yves Camus
Propos de Jean-Yves Camus recueillis par L’Humanité, "Le Front national est un objet difficile à appréhender".
Après le premier tour des municipales, peut-on donner crédit à l’idée, avancée par d’aucuns, que s’installerait un tripartisme, avec un Front national occupant sa place aux côtés de l’UMP et du PS ?
Jean-Yves Camus: C’est aller un peu vite en besogne. Une première constatation : il n’y a pas, en France, de bipartisme parfait tel qu’il existait aux États-Unis ou en Grande-Bretagne avant la percée électorale des libéraux-démocrates. Dans notre pays, des divergences de fond peuvent exister entre partis membres d’une même coalition gouvernementale. À gauche comme à droite, les formations dominantes se sont toujours rassemblées avec des partis politiques différents dans un gouvernement, comme aujourd’hui, sur des listes aux élections municipales.
Donc, pas plus de bipartisme que de tripartisme…
On a deux pôles de la vie politique avec des formations dominantes et leurs alliées. Puis, il y a ce que j’appelle le tiers exclu de la vie politique, le FN, qui n’a jamais participé à une coalition de gouvernement. La question est de savoir si, sur la base des résultats aux municipales, il peut se considérer comme le troisième pôle de la vie politique. Depuis le début des années 1990, il est, arithmétiquement, la troisième force politique. Cependant, il reste éloigné de toute coalition et n’est donc pas un parti de gouvernement, ni la troisième force du système politique français.
En 1995, le FN avait 512 listes, contre 597 aujourd’hui. Il ne mobilisait que 3,9 % des exprimés en 1995, contre 4,7 % aujourd’hui. Alors, pourquoi cette place politique et médiatique ?
Effectivement, il faut revenir aux résultats du FN en 1995. Après son échec à la présidentielle de 2007 et aux élections législatives qui ont suivi, 2008 fut une annus horribilis pour le FN. En 1995, le Front national avait conquis des municipalités et atteint un maillage électoral très fort. Sa puissance est assez semblable à celle d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas une constance totale. Il y a une modification de la géographie électorale du FN avec une percée dans des couches nouvelles et sur certains territoires que l’on appelait terres de mission. Le Front national est un objet difficile à appréhender. La psychologie collective continue à considérer que, dans la patrie des droits de l’homme, l’extrême droite est une anomalie de l’histoire. On le ramène, contre toute vraisemblance, au poujadisme. Mais lui n’a duré que cinq ans, alors que le FN est installé dans le paysage politique depuis les européennes de 1984. On est dans une sorte de déni de l’extrême droite qui ne pourrait jamais accéder au pouvoir. Médiatiquement, dès la campagne interne pour sa nouvelle présidence, le FN a construit tout un narratif, pour légitimer Marine Le Pen comme une normalisatrice de son parti, qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant.
À Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Steeve Briois parle d’un vote d’adhésion et non de protestation. Quelle est votre analyse ?
Depuis longtemps, la part d’adhésion l’emporte sur la protestation. L’électeur, sans connaître ligne par ligne le programme du FN comme pour tous les partis, adhère à des concepts clés, comme le fait que l’immigration doit être arrêtée, l’idée qu’il faille répondre au sentiment d’insécurité et une conception de l’identité nationale qui n’est pas celle de l’adhésion volontaire à une terre.
Est-ce une banalisation des thèmes du Front national ?
Une porosité s’exprime sur les trois sujets évoqués plus haut. Pourquoi ? Parce qu’il y a une insécurité culturelle. Non que notre culture et nos repères soient menacés par l’arrivée des étrangers, mais par le fait que la globalisation libérale se fait à une telle vitesse, qu’elle est si inintelligible, qu’il existe un tel consensus autour d’une globalisation libérale comme horizon indépassable, que nombre de nos concitoyens, confrontés à des difficultés économiques et sociales, jugent que la France n’est plus la France. C’est ce discours qu’il faut déconstruire, sans traiter ceux qui votent FN de pestiférés pour toujours à l’extrême, et apporter des réponses politiques et sociales aux inquiétudes.
Après le premier tour des municipales, peut-on donner crédit à l’idée, avancée par d’aucuns, que s’installerait un tripartisme, avec un Front national occupant sa place aux côtés de l’UMP et du PS ?
Jean-Yves Camus: C’est aller un peu vite en besogne. Une première constatation : il n’y a pas, en France, de bipartisme parfait tel qu’il existait aux États-Unis ou en Grande-Bretagne avant la percée électorale des libéraux-démocrates. Dans notre pays, des divergences de fond peuvent exister entre partis membres d’une même coalition gouvernementale. À gauche comme à droite, les formations dominantes se sont toujours rassemblées avec des partis politiques différents dans un gouvernement, comme aujourd’hui, sur des listes aux élections municipales.
Donc, pas plus de bipartisme que de tripartisme…
On a deux pôles de la vie politique avec des formations dominantes et leurs alliées. Puis, il y a ce que j’appelle le tiers exclu de la vie politique, le FN, qui n’a jamais participé à une coalition de gouvernement. La question est de savoir si, sur la base des résultats aux municipales, il peut se considérer comme le troisième pôle de la vie politique. Depuis le début des années 1990, il est, arithmétiquement, la troisième force politique. Cependant, il reste éloigné de toute coalition et n’est donc pas un parti de gouvernement, ni la troisième force du système politique français.
En 1995, le FN avait 512 listes, contre 597 aujourd’hui. Il ne mobilisait que 3,9 % des exprimés en 1995, contre 4,7 % aujourd’hui. Alors, pourquoi cette place politique et médiatique ?
Effectivement, il faut revenir aux résultats du FN en 1995. Après son échec à la présidentielle de 2007 et aux élections législatives qui ont suivi, 2008 fut une annus horribilis pour le FN. En 1995, le Front national avait conquis des municipalités et atteint un maillage électoral très fort. Sa puissance est assez semblable à celle d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas une constance totale. Il y a une modification de la géographie électorale du FN avec une percée dans des couches nouvelles et sur certains territoires que l’on appelait terres de mission. Le Front national est un objet difficile à appréhender. La psychologie collective continue à considérer que, dans la patrie des droits de l’homme, l’extrême droite est une anomalie de l’histoire. On le ramène, contre toute vraisemblance, au poujadisme. Mais lui n’a duré que cinq ans, alors que le FN est installé dans le paysage politique depuis les européennes de 1984. On est dans une sorte de déni de l’extrême droite qui ne pourrait jamais accéder au pouvoir. Médiatiquement, dès la campagne interne pour sa nouvelle présidence, le FN a construit tout un narratif, pour légitimer Marine Le Pen comme une normalisatrice de son parti, qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant.
À Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Steeve Briois parle d’un vote d’adhésion et non de protestation. Quelle est votre analyse ?
Depuis longtemps, la part d’adhésion l’emporte sur la protestation. L’électeur, sans connaître ligne par ligne le programme du FN comme pour tous les partis, adhère à des concepts clés, comme le fait que l’immigration doit être arrêtée, l’idée qu’il faille répondre au sentiment d’insécurité et une conception de l’identité nationale qui n’est pas celle de l’adhésion volontaire à une terre.
Est-ce une banalisation des thèmes du Front national ?
Une porosité s’exprime sur les trois sujets évoqués plus haut. Pourquoi ? Parce qu’il y a une insécurité culturelle. Non que notre culture et nos repères soient menacés par l’arrivée des étrangers, mais par le fait que la globalisation libérale se fait à une telle vitesse, qu’elle est si inintelligible, qu’il existe un tel consensus autour d’une globalisation libérale comme horizon indépassable, que nombre de nos concitoyens, confrontés à des difficultés économiques et sociales, jugent que la France n’est plus la France. C’est ce discours qu’il faut déconstruire, sans traiter ceux qui votent FN de pestiférés pour toujours à l’extrême, et apporter des réponses politiques et sociales aux inquiétudes.
Notes: |
Source : Fragments sur les temps présents : http://tempspresents.com/2014/03/30/pourquoi-votents-ils-front-national/#more-5569