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lundi 31 mars 2014

Réponse à un question posée sur facebook : du pessimisme au sujet de la situation actuelle


Philippe Delbauvre

Réponse à un question posée sur facebook : du pessimisme au sujet de la situation actuelle
Cher Arnaud (1),

Vous considérant comme homme de valeur, je ne peux vous répondre à la question que vous m'avez posé sur facebook par l'intermédiaire d'une simple formule lapidaire. Je ne sais quel est votre âge et ne vous le demande pas. Pour ma part, je suis né un premier avril – dès l'origine donc subversif – en l'an de grâce 1964. Ma génération, qui suit celle qualifiée par les sociologues de « Mitterrand », fut appelée par ces mêmes spécialistes de « bof ». Vous croyant beaucoup plus jeune que moi, je crois bon de vous indiquer ce qui la caractérisait et la caractérise toujours. Alors que la génération précédente (1956/1963) était politisée et pas uniquement à gauche comme on pourrait le croire de prime abord, la mienne, imprégnée déjà par le positivisme sans avoir pris la peine de lire Auguste Comte, répondait « bof » à toutes les questions, y compris les plus importantes. Quoique née en 1961, donc de la génération précédente, Mylène Farmer ne s'est pas trompée en chantant « Génération désenchantée » (2): d'où le positivisme de ma génération …

Puisqu'on finit par apprendre - pourquoi avoir autant tardé avant que le fait ne devienne consensuel ? (3) - que le communisme était mortifère, c'était une voie que ma génération très majoritairement abandonna. Agé de 17 ans en 1981, j'ai pu voir la gauche, qualifiée à l'époque par les droitards de socialo-communiste, arriver au pouvoir, après 23 ans d'absence. Et comme beaucoup, pour ceux de ma génération, comme de ceux de celles qui précédèrent, la déception fut de mise.

Loin de moi l'idée de ne considérer qu'en noir cette présence au pouvoir (1981/1986). Le problème fut à l'époque que la gauche dans ses actions, ne réussit qu'en se niant. A titre d'exemple, la gauche d'avant 1981 est, dans sa très grande majorité, antimilitariste, ce au point pratiquement de proposer dans son programme pour l'élection présidentielle de 1981, de réduire le nombre de mois passés sous les drapeaux de douze à six. On connaît la suite : fut inventé par la gauche quelques années plus tard le Vsl (volontariat service long) permettant de passer un an de plus sous les drapeaux. Autre exemple, qui va d'ailleurs de pair avec l'antimilitarisme initial, la fibre écologiste très développée à gauche. Et là encore fut le grand revirement qui se concrétisa avec mort d'homme, par le sabotage du Rainbow Warrior, navire écologiste … Il y eut aussi le passage dès 1983 d'une économie de type dirigiste (socialiste au sens exact du terme) à une économie libérale, ce au point que le gouvernement de l'époque, toujours constitué d'une alliance entre socialistes et communistes, bénéficia des félicitations de Raymond Barre, très libéral premier ministre de Giscard, portant aussi la casquette de ministre des finances.

On comprend donc mieux la désillusion des uns et des et des autres : le côté « bof » a donc, lui aussi, une explication. A quoi bon se passionner en effet pour la droite ou la gauche, sachant que la politique menée est majoritairement la même ? Un autre aspect est à prendre en considération : le retour en force du capitalisme – en partie en raison de l'échec patent du communisme partout où il fut appliqué - qui se traduisit politiquement par les élections de Thatcher comme de Reagan. La déferlante, en terme de mue psychologique, toucha aussi les Français, toutes générations confondues. Si le cap du million de chômeurs fut franchi, malgré la promesse de Pierre Mauroy alors premier ministre, bien des Français considérèrent qu'en se bougeant personnellement, ils parviendraient à s'en sortir. D'où l'individualisme des années quatre-vingt, conséquence aussi de la fin du crédit octroyée naguère aux politiques. On sait comment cette décennie finit : par la sortie de la firme Renault de la voiture familiale intitulée « Espace », symbolique du fait « cocooning ». C'est à la fin des années quatre-vingt et au début des années 90 que les Français se rendent compte que l'individualisme n'est pas la solution face aux problèmes majeurs qui touchent la France, d'où le repli vers la valeur sure que constitue la Famille. C'est à cette même période d'ailleurs que les sociologues cessent de qualifier la société française à l'aide du terme « individualiste » pour la qualifier désormais de « tribaliste ».

Pourquoi ai-je échappé à la société de mon époque et à son formatage générationnel ? Probablement en raison d'une éducation atypique qui fut celle dispensée aux personnes nées avant la seconde guerre mondiale. D'où l'appartenance au monde « Vieille France » et à ses valeurs. Très jeune, on m'apprit qu'en aucun cas il ne fallait badiner avec l'idée de Patrie ou celle d'Armée. Toujours, on m'indiqua que mon destin personnel, mes ambitions égoïstes, devant le bien commun se devaient de s'effacer. Cette éducation, vous l'imaginez bien, fit de moi sachant mon appartenance générationnelle, un paria. Je me souviens que lorsque plus âgé j'entamais ma troisième formation de niveau bac+5, les deux premières étant scientifiques, cette fois ci en philosophie, ils furent nombreux à me dire que « ça ne présentait pas d'intérêt », « ça ne servait à rien ». Encore une fois le positivisme : pourquoi selon eux, avec une formation d'ingénieur, métier prestigieux aux yeux de la plupart des Français, bien rémunéré de surcroît, et avec beaucoup de propositions d'emploi, j'allais m'embarrasser à étudier la métaphysique ?

L'idéalisme de l'éducation que j'ai reçue, m'a poussé, jeune (1978), à m'intéresser au Front National. Et c'est dès 1979 que je commence à lire avec beaucoup d'intérêt, aussi bien Rivarol que la revue Eléments. Et de faire du prosélytisme. On imagine les conséquences pour moi à une époque où l'état d'esprit ambiant n'était pas du tout celui d'aujourd'hui. Rappelons par exemple qu'à cette époque, le très modéré Jacques Chirac est qualifié de « fasciste », certains y croyant vraiment... L'ayant vu à l'oeuvre pendant douze ans au plus haut sommet de l'Etat, on ne peut que tirer la conclusion suivante : ou il n'était pas fasciste, ou le fascisme, ça n'est vraiment pas grand chose ….

Votre question Arnaud, m'interrogeait sur mon pessimisme. Il est vrai qu'ayant vu les problèmes majeurs bien avant les autres, j'ai très longtemps enragé de ne pas voir mes compatriotes s'engager, se mobiliser. Si je ne m'inquiète pas par trop de certains problèmes mis en exergue dans la mouvance, je sais par l'intermédiaire de la lecture de revues économiques pourtant d'obédience capitaliste, que l'avenir, pour les Européens mais aussi de façon plus générale les Occidentaux, est assez sombre. Ma préoccupation majeure à l'échelle planétaire n'est autre que l'Asie qui, bien longtemps après que l'on l'est annoncé, s'éveille. Il n'est pas impossible – et c'est ce que prévoient les économistes – qu'elle parvienne à tout balayer sur son passage, transformant ainsi l'Europe en friche civilisationnelle.

Je sais pour avoir lu Charles Maurras que « tout désespoir en politique » est une sottise ». Et les dernières élections municipales en constituent un exemple. Sait-on que la progression du Front National par rapport à 2008 est de l'ordre de 80% ? Ce n'est donc pas un simple succès, une simple victoire : c'est un tremblement de terre. Par voie de conséquence, même si tant de Français ont mis du temps avant de se mettre en route, il y a aujourd'hui nouvelle donne avec accélération de l'histoire. Je ne suis plus esseulé comme ce fut le cas voici 35 ans.




"Sous moi donc cette troupe s'avance,
Et porte sur le front une mâle assurance.
Nous partîmes cinq cents; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !"
 
 

Notes

(1) Arnaud de Robert est porte parole du Mas.

(2) http://www.youtube.com/watch?v=O0h__CRA5RI

(3) C'est très probablement la conséquence de l'absence de positivisme, doublé d'idéalisme au sens trivial du terme, qui en est la probable explication.