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samedi 8 septembre 2018

Échange avec un prof déconnecté de la réalité

Par Jean-Christophe.

À l’occasion de l’une de ces soirées d’été où famille et amis se mélangent gaiement pour partager rosé frais, sardines grillées et lotion anti-moustiques, j’ai fait une rencontre fort instructive.
Cette femme, d’une petite cinquantaine d’années, suivait avec discrétion nos conversations légères : qualité de vie, prestations sociales en France et chez nos voisins nordiques, dont plusieurs convives étaient coutumiers.

Elle fut néanmoins soudainement très concernée lorsque nous avons dévié autour du sujet des sciences, du savoir, et par suite celui de l’enseignement. Mes soupçons d’avoir face à moi un spécimen du corps professoral français s’évaporèrent plus vite que l’eau de la piscine internationale de Brégançon. Son impatience d’en découdre verbalement était de plus en plus visible et – un brin chafouin pour être honnête — je me délectais par avance de ses saillies à venir.

Je n’eus pas à attendre longtemps. Ma compagne étant d’origine estonienne, notre interlocutrice se mit à évoquer spontanément et maladroitement quelques clichés sur ce pays qu’elle n’avait jamais visité. Pour elle comme pour la plupart des Français, l’Estonie est donc un pays issu de l’ex-URSS, situé plus ou moins au nord-est de l’Europe, où la piètre qualité de vie n’a d’égal que l’inexistence des prestations sociales.
Je ne m’étendrai pas plus ici sur les autres clichés régulièrement entendus en France au sujet de ma compagne. Ces derniers ont un mérite inattendu : réunir parfaitement machistes de base et féministes névrosées, arborant leur ignorance sans vergogne.
Bref, une fois ses idées préconçues purgées, et non sans avoir rappelé dans un touchant préambule que la France bénéficie du meilleur système éducatif au monde et des prestations sociales les plus solides, notre amie se mit enfin à questionner ma compagne sur son pays. Lui répondant avec l’humilité et le pragmatisme dont font souvent preuve les Nordiques, cette dernière lui démontra chiffres à l’appui à quel point son erreur était grande, son pays natal jouant aux avant-postes sur l’ensemble des sujets évoqués (puisque grâce à Dieu nous ne parlions pas de football).

La meilleure sécu du monde… n’est pas en France

En 2016, les pays du Nord et de l’Est trustaient les sept premières places du classement de l’OCDE en termes de « générosité » sur le congé maternité, la France étant 23e de l’étude, offrant moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et environ 4,5 fois moins d’équivalent « congé maternité rémunéré à taux plein » que l’Estonie. Las ! Quand la France est respectivement 26e, 27e et 20e du classement mondial du niveau de savoir en mathématiques, en sciences et en lecture, l’Estonie se classe 9e, 3e et 6e… (classement PISA 2015).
Bien évidemment la conversation tourna court. Notre savante du jour s’avoua démoralisée par cette découverte et ces classements si éloignés de son savoir. Probablement un peu vexée aussi de s’être affichée de la sorte, elle quitta peu de temps après la soirée, non sans tuer le suspens : il s’agissait bien d’un professeur de l’enseignement secondaire.

Surtout ne pas généraliser

Pardonnez-moi par avance pour la caricature purement cynique à venir — un amalgame étant par nature exagéré, et je conserve un véritable respect pour ce sacerdoce que constitue l’enseignement — mais la constatation est plus que jamais préoccupante. Elle est même, à mon sens, carrément flippante.
Ai-je envie que le cerveau de mes futurs enfants soit confié à une armée de gauchistes, dont les certitudes et la vision du monde d’un autre âge vont créer plus de freins que d’ouverture ? Ces individus ont pour rôle dans la société de promouvoir et diffuser le savoir. Persuadés de détenir ce dernier, ils opèrent le petit doigt en l’air, le regard dur et les lèvres pincées, un lavage de cerveau qui laissera chez le jeune au mieux du dégoût, au pire une amertume ou une colère difficiles à surmonter sans un environnement familial scandaleusement fertile, privilégié, et donc parfaitement inégalitaire et méchamment bisounours-proof.
Afin d’illustrer un peu plus le problème de fond qui se pose pour pratiquer l’amélioration continue dans l’enseignement à tous les niveaux, je terminerai en vous racontant brièvement l’issue de mes échanges avec le directeur d’une école d’ingénieur privée. Nous évoquions notre collaboration, et la possibilité pour moi d’intervenir en tant qu’enseignant.
La perspective était enthousiasmante, jusqu’à ce qu’il me signifie que pour enseigner notamment l’entreprenariat à de futurs ingénieurs, il me fallait paradoxalement cesser… d’être entrepreneur. Non mais LOL !!! dirait le jeune. Dans un environnement aussi mouvant que l’entreprenariat, n’est-il pas indispensable d’être soi-même dans l’action et confronté à la réalité du terrain pour prétendre transmettre un peu d’expérience et surtout d’énergie positive ? Là encore, le manque de pragmatisme et de vision fait peur, de la part d’un responsable qui plus est.
À une époque où un savoir gigantesque est gratuitement à notre disposition, il me semble qu’une sérieuse réflexion sur la « maintenance préventive » de ce dernier devrait être imposée aux acteurs de l’enseignement pour éviter la momification de leurs neurones avant l’heure. Je ne vois pas d’autre solution pour stopper le triste naufrage du système éducatif français, à quelques exceptions près, et ses conséquences dramatiques à long terme. Le premier échelon d’élévation sur l’échelle du savoir n’est-il pas la prise de conscience de son ignorance ?