Par un enseignant en colère
Le bateau n’en finit pas de couler, et les ministres ne savent plus que faire pour colmater les brèches. Depuis bientôt dix ans, le cancer qui ronge l’Éducation nationale est connu de tous et égrené au fil des différents rapports : il y a de moins en moins de monde pour y travailler.
Au concours : moins de candidats que de postes à pourvoir. Dans les ESPE, des démissions qui ont été multipliées par deux entre 2014 et 2018. Au long d’une carrière : accroissement des démissions des professeurs, sans que le chiffre ne soit rendu public. À cela s’ajoutent les départs à la retraite, et en pré-retraite. Chacun l’aura compris : si les personnes qui partent ne sont pas compensées par des arrivants, il y aura de plus en plus de classes sans professeurs.
Le 2 août, Jean-Michel Blanquer a annoncé son nouveau plan pour lutter contre cette désertion : revoir la formation des enseignants. Encore un plan, diront les intéressés, qui ne croient plus en rien et de moins en moins à l’école de la République.
Tutorat des futurs enseignants, aide à la reconversion professionnelle pour permettre à ceux qui sont en entreprise de devenir enseignants, favoriser la formation continue, primes pour les enseignants des établissements difficiles, pré-recrutement des enseignants en licence pour les former sur deux ans jusqu’au master. Des vieilles recettes qui ne résoudront rien, car cela s’attaque aux conséquences, mais pas aux causes.
Ainsi, les académies recrutent de plus en plus de contractuels. En 2017, ceux-ci ont représenté 20% des professeurs et assistants d’éducation. Et même eux viennent à manquer. Des étudiants qui ont raté le CAPES en juillet dernier se sont vu proposer quelques jours plus tard d’intégrer des établissements publics comme contractuels. Dans ce cas-là, à quoi bon maintenir encore un concours ? Autant donner la possibilité aux établissements de recruter directement leurs professeurs en fonction de leurs besoins.
Pourquoi cette difficulté à recruter ? Cela paraît évident : des élèves de plus en plus violents, une administration stalinienne qui traque les déviants idéologiques, l’élimination de tous ceux qui ne pensent pas comme l’Éducation nationale. Traditionnellement, c’étaient les enfants de professeurs qui devenaient à leur tour professeur. Or ceux-ci dissuadent leur progéniture de faire le même métier qu’eux. Il n’y a donc plus personne, et cela va s’amplifier.
Dans un bon lycée public de province, un professeur de mathématiques de TS très apprécié de ses élèves. 55 ans, donc beaucoup d’expérience et de savoir-faire. Un professeur très demandé, car préparant bien ses élèves aux classes préparatoires. Inspection de celui-ci. Avis négatif des inspecteurs. Motif : les cours ne sont pas assez ludiques.
Dans un collège privé d’une grande ville de l’Ouest. Inspection en décembre d’un professeur de français en troisième. L’inspecteur demande au professeur combien de livres ont lu les élèves, et combien ils doivent en lire au cours de l’année. Réponse du professeur : trois livres depuis septembre et trois autres sont prévus jusqu’à juin. Réponse de l’inspecteur : je vous interdis de faire lire des livres à vos élèves. Il y a des collèges où les élèves ne lisent pas. Si vous faites lire vos élèves, vous créez une inégalité entre eux et les autres. Je reviendrai vous inspecter en mai. Si vous avez fait lire vos élèves, je vous mettrai un avis négatif. L’inspecteur est effectivement revenu en mai.
Dans un lycée public parisien. Un professeur qui débute une thèse à la Sorbonne est envoyé l’année de son début de thèse dans un lycée au fond de l’Essonne pour qu’il ait beaucoup de transports et qu’il ne puisse pas faire sa thèse. L’Inspection déteste les jeunes professeurs qui font des thèses et qui ont des velléités de travailler ensuite à l’université. Leurs notations pédagogiques sont systématiquement mauvaises, voire négatives, afin de les casser et de briser leurs ambitions. De nombreux autres exemples appuient cela.
Un professeur d’histoire dans un lycée public du sud de la France. Pour avoir répondu aux questions d’un journaliste dans la PQR et avoir dit que les programmes d’histoire étaient plus vides aujourd’hui qu’il y a dix ans, il subit une inspection trois jours après la parution de l’entretien. Note très défavorable de l’inspecteur avec ce commentaire : je reviendrai vous inspecter dans un an. Si, pendant un an, vous n’avez rien publié, je vous mettrai une bonne note pour compenser celle-ci. Sinon, vous aurez une mauvaise note.
On pourrait multiplier les exemples. Les bons professeurs sont régulièrement envoyés dans des collèges difficiles pour les briser. Ceux qui, durant la formation en ESPE, émettent des doutes ou des réserves sur les méthodes pédagogiques enseignées sont notés de façon négative, voire voient leur année non validée, et doivent donc refaire une nouvelle année d’ESPE. Cela finit par se savoir, notamment dans le monde étudiant. On comprend alors que de moins en moins de personnes envisagent de suivre cette carrière. Et donc que le plan de Jean-Michel Blanquer ne servira pas à grand-chose.
Le bateau n’en finit pas de couler, et les ministres ne savent plus que faire pour colmater les brèches. Depuis bientôt dix ans, le cancer qui ronge l’Éducation nationale est connu de tous et égrené au fil des différents rapports : il y a de moins en moins de monde pour y travailler.
Au concours : moins de candidats que de postes à pourvoir. Dans les ESPE, des démissions qui ont été multipliées par deux entre 2014 et 2018. Au long d’une carrière : accroissement des démissions des professeurs, sans que le chiffre ne soit rendu public. À cela s’ajoutent les départs à la retraite, et en pré-retraite. Chacun l’aura compris : si les personnes qui partent ne sont pas compensées par des arrivants, il y aura de plus en plus de classes sans professeurs.
Empilement des réformes, sans succès
Depuis 2008, les ministres cherchent donc à renforcer l’attractivité du métier. Ils ont tout essayé : prime pour enseigner dans les écoles difficiles, rénovation de la formation des enseignants (Vincent Peillon avait remplacé les IUFM par les ESPE), promesses d’aides, de suivi, de préceptorat pour les jeunes professeurs. Rien n’y a fait. François Hollande n’a jamais réussi à recruter les milliers de personnels qu’il avait promis, faute de candidats.Le 2 août, Jean-Michel Blanquer a annoncé son nouveau plan pour lutter contre cette désertion : revoir la formation des enseignants. Encore un plan, diront les intéressés, qui ne croient plus en rien et de moins en moins à l’école de la République.
Tutorat des futurs enseignants, aide à la reconversion professionnelle pour permettre à ceux qui sont en entreprise de devenir enseignants, favoriser la formation continue, primes pour les enseignants des établissements difficiles, pré-recrutement des enseignants en licence pour les former sur deux ans jusqu’au master. Des vieilles recettes qui ne résoudront rien, car cela s’attaque aux conséquences, mais pas aux causes.
Un plan Blanquer inutile
Le nouveau plan Blanquer ne donnera rien parce qu’il ne s’attaque pas aux causes de cette désertion. Rien contre la violence à l’école et contre les enseignants. Rien pour favoriser la liberté pédagogique des professeurs. Ceux-ci sont donc résignés. Ceux qui le peuvent partent. Ceux qui sont trop âgés ou trop usés pour partir attendent la retraite. Ils sont tellement désabusés qu’ils n’ont même plus l’ardeur de manifester, ce qui n’est pas forcément bon signe.Ainsi, les académies recrutent de plus en plus de contractuels. En 2017, ceux-ci ont représenté 20% des professeurs et assistants d’éducation. Et même eux viennent à manquer. Des étudiants qui ont raté le CAPES en juillet dernier se sont vu proposer quelques jours plus tard d’intégrer des établissements publics comme contractuels. Dans ce cas-là, à quoi bon maintenir encore un concours ? Autant donner la possibilité aux établissements de recruter directement leurs professeurs en fonction de leurs besoins.
Pourquoi cette difficulté à recruter ? Cela paraît évident : des élèves de plus en plus violents, une administration stalinienne qui traque les déviants idéologiques, l’élimination de tous ceux qui ne pensent pas comme l’Éducation nationale. Traditionnellement, c’étaient les enfants de professeurs qui devenaient à leur tour professeur. Or ceux-ci dissuadent leur progéniture de faire le même métier qu’eux. Il n’y a donc plus personne, et cela va s’amplifier.
Éducation nationale : choses vues
Le lecteur qui ne fréquente pas le milieu de l’Éducation nationale ne peut pas imaginer le niveau de coercition que cette administration a atteint. Chefaillons tatillons, jalousie, esprits bornés et petits qui cherchent à étendre au maximum leur pouvoir minuscule. Les professeurs qui veulent faire leur travail honnêtement souffrent de cet état d’esprit. Les meilleurs partent ou ne viennent pas. Seuls restent ceux qui ont l’esprit assez malléable pour se conformer au moule. Ce qui n’augure rien de bon pour les années à venir. Quelques anecdotes, bien réelles, de mésaventures arrivées à de bons professeurs, pour aider à comprendre ce qu’est devenu ce ministère :Dans un bon lycée public de province, un professeur de mathématiques de TS très apprécié de ses élèves. 55 ans, donc beaucoup d’expérience et de savoir-faire. Un professeur très demandé, car préparant bien ses élèves aux classes préparatoires. Inspection de celui-ci. Avis négatif des inspecteurs. Motif : les cours ne sont pas assez ludiques.
Dans un collège privé d’une grande ville de l’Ouest. Inspection en décembre d’un professeur de français en troisième. L’inspecteur demande au professeur combien de livres ont lu les élèves, et combien ils doivent en lire au cours de l’année. Réponse du professeur : trois livres depuis septembre et trois autres sont prévus jusqu’à juin. Réponse de l’inspecteur : je vous interdis de faire lire des livres à vos élèves. Il y a des collèges où les élèves ne lisent pas. Si vous faites lire vos élèves, vous créez une inégalité entre eux et les autres. Je reviendrai vous inspecter en mai. Si vous avez fait lire vos élèves, je vous mettrai un avis négatif. L’inspecteur est effectivement revenu en mai.
Dans un lycée public parisien. Un professeur qui débute une thèse à la Sorbonne est envoyé l’année de son début de thèse dans un lycée au fond de l’Essonne pour qu’il ait beaucoup de transports et qu’il ne puisse pas faire sa thèse. L’Inspection déteste les jeunes professeurs qui font des thèses et qui ont des velléités de travailler ensuite à l’université. Leurs notations pédagogiques sont systématiquement mauvaises, voire négatives, afin de les casser et de briser leurs ambitions. De nombreux autres exemples appuient cela.
Un professeur d’histoire dans un lycée public du sud de la France. Pour avoir répondu aux questions d’un journaliste dans la PQR et avoir dit que les programmes d’histoire étaient plus vides aujourd’hui qu’il y a dix ans, il subit une inspection trois jours après la parution de l’entretien. Note très défavorable de l’inspecteur avec ce commentaire : je reviendrai vous inspecter dans un an. Si, pendant un an, vous n’avez rien publié, je vous mettrai une bonne note pour compenser celle-ci. Sinon, vous aurez une mauvaise note.
On pourrait multiplier les exemples. Les bons professeurs sont régulièrement envoyés dans des collèges difficiles pour les briser. Ceux qui, durant la formation en ESPE, émettent des doutes ou des réserves sur les méthodes pédagogiques enseignées sont notés de façon négative, voire voient leur année non validée, et doivent donc refaire une nouvelle année d’ESPE. Cela finit par se savoir, notamment dans le monde étudiant. On comprend alors que de moins en moins de personnes envisagent de suivre cette carrière. Et donc que le plan de Jean-Michel Blanquer ne servira pas à grand-chose.