Il y a des héros pour de vrai, pour de bon.
J’admets volontiers que, encore récemment, l’intervention d’un ex-boxeur français, Tarik Sahibeddine, pour maîtriser un forcené sur le vol Munich-Paris est digne d’éloge et je suis même prêt à ne pas mégoter sur le terme de héros. Celui-ci mériterait, tout de même, d’être clairement explicité mais on peut, sans se tromper, proposer un partage essentiel à opérer entre les situations de crise – à quelque endroit qu’elles surgissent – et une quotidienneté sans trouble ni danger. Les premières sont susceptibles de faire naître spontanément chez certains des dépassements de soi et la seconde n’exige rien d’autre que d’être soi le plus tranquillement du monde.
Depuis quelques mois, pourtant, je suis étonné par la prolifération des héros réels ou prétendus. Que leurs proches n’hésitent pas à qualifier d’héroïques des attitudes parfois courageuses, certes, mais ordinaires de tel ou tel, je peux le comprendre. Mais que, médiatiquement, on suive ce chemin en forçant également le trait est plus discutable. La banalisation de ce qu’implique être un héros est, malgré les apparences, un très mauvais signe pour notre société.
D’abord, cette surabondance trop souvent artificielle démontre combien notre sécurité et la sûreté de chacun sont si peu officiellement assurées qu’il faille systématiquement que des personnalités inspirées par leur solidarité ou leur altruisme viennent compenser les carences du quadrillage régalien et policier.
Ensuite, on n’est pas loin, à force, d’éprouver de la dérision face à des comportements montés en épingle qui auraient constitué leurs auteurs en héros ; alors que, par rapport à des audaces véritables, ils apparaissent presque comme le minimum qu’on doit à autrui et à la conscience de soi. Trop de faux héros sont en train de tuer les authentiques et je crains que cette hypertrophie ne soit pas le fait du hasard : quand on célèbre abusivement les actes de bravoure, étiquetés extraordinaires alors qu’à l’examen ils sont ordinaires, qu’on aurait pu peut-être les accomplir et qu’on serait même gêné alors de se voir hissé sur un pavois, il y a la manifestation d’une surabondance et d’une hypocrisie très préoccupantes.
J’en suis même à me demander si, un jour, notre niveau d’humanité n’aura pas à ce point baissé que nous n’en viendrons pas à glorifier des actes que nous ne savons plus accomplir. Le héros, bientôt, sera celui qui se lève devant une femme, qui n’insultera pas son contradicteur lors d’un débat et ne souhaitera pas la liberté d’expression que pour soi. Le héros, demain, sera celui qui, dans le quotidien, affichera une exemplarité infiniment facile à observer. On va voir se multiplier, médiatiquement consacrés, une théorie de héros qui ne bénéficieront de cette aura qu’à cause de la médiocrité d’un quotidien que les valeurs fondamentales ont déserté.
Trop de héros et pas assez d’intégrité. Les premiers sont de plus en plus l’arbre sublimé ou surestimé qui cache une forêt d’où la seconde est absente.
L’intégrité que j’évoque appellerait aussi bien la dignité d’une Françoise Nyssen ne se vantant pas de n’avoir jamais songé à démissionner que la rectitude d’un gouvernement ne se réfugiant pas derrière des arguties tellement anciennes pour justifier des sauvegardes ministérielles que l’honnêteté ne devrait pas permettre.
On a d’autant plus de héros à profusion qu’on n’est plus capable, dans le champ social, politique, judiciaire ou culturel, d’être le seul héros qui vaille : celui de soi-même. On n’a pas assez d’intégrité, plus assez de morale, on trouve des argumentations raffinées pour échapper à la dure loi de la responsabilité, de sa responsabilité. On préfère demeurer faussement contrit que s’assumer la tête haute.
L’éthique personnelle, l’exemplarité politique se délitent.
Heureusement qu’il y a des héros qui nous consolent ou nous rassurent. Comme ils se multiplient, dans la quotidienneté discrète comme dans les fureurs de l’actualité, et qu’on les révère, pourquoi irait-on s’encombrer d’une vertu, d’une excellence qu’ils ont prises en charge ?
Extrait de : Justice au SingulierJ’admets volontiers que, encore récemment, l’intervention d’un ex-boxeur français, Tarik Sahibeddine, pour maîtriser un forcené sur le vol Munich-Paris est digne d’éloge et je suis même prêt à ne pas mégoter sur le terme de héros. Celui-ci mériterait, tout de même, d’être clairement explicité mais on peut, sans se tromper, proposer un partage essentiel à opérer entre les situations de crise – à quelque endroit qu’elles surgissent – et une quotidienneté sans trouble ni danger. Les premières sont susceptibles de faire naître spontanément chez certains des dépassements de soi et la seconde n’exige rien d’autre que d’être soi le plus tranquillement du monde.
Depuis quelques mois, pourtant, je suis étonné par la prolifération des héros réels ou prétendus. Que leurs proches n’hésitent pas à qualifier d’héroïques des attitudes parfois courageuses, certes, mais ordinaires de tel ou tel, je peux le comprendre. Mais que, médiatiquement, on suive ce chemin en forçant également le trait est plus discutable. La banalisation de ce qu’implique être un héros est, malgré les apparences, un très mauvais signe pour notre société.
D’abord, cette surabondance trop souvent artificielle démontre combien notre sécurité et la sûreté de chacun sont si peu officiellement assurées qu’il faille systématiquement que des personnalités inspirées par leur solidarité ou leur altruisme viennent compenser les carences du quadrillage régalien et policier.
Ensuite, on n’est pas loin, à force, d’éprouver de la dérision face à des comportements montés en épingle qui auraient constitué leurs auteurs en héros ; alors que, par rapport à des audaces véritables, ils apparaissent presque comme le minimum qu’on doit à autrui et à la conscience de soi. Trop de faux héros sont en train de tuer les authentiques et je crains que cette hypertrophie ne soit pas le fait du hasard : quand on célèbre abusivement les actes de bravoure, étiquetés extraordinaires alors qu’à l’examen ils sont ordinaires, qu’on aurait pu peut-être les accomplir et qu’on serait même gêné alors de se voir hissé sur un pavois, il y a la manifestation d’une surabondance et d’une hypocrisie très préoccupantes.
J’en suis même à me demander si, un jour, notre niveau d’humanité n’aura pas à ce point baissé que nous n’en viendrons pas à glorifier des actes que nous ne savons plus accomplir. Le héros, bientôt, sera celui qui se lève devant une femme, qui n’insultera pas son contradicteur lors d’un débat et ne souhaitera pas la liberté d’expression que pour soi. Le héros, demain, sera celui qui, dans le quotidien, affichera une exemplarité infiniment facile à observer. On va voir se multiplier, médiatiquement consacrés, une théorie de héros qui ne bénéficieront de cette aura qu’à cause de la médiocrité d’un quotidien que les valeurs fondamentales ont déserté.
Trop de héros et pas assez d’intégrité. Les premiers sont de plus en plus l’arbre sublimé ou surestimé qui cache une forêt d’où la seconde est absente.
L’intégrité que j’évoque appellerait aussi bien la dignité d’une Françoise Nyssen ne se vantant pas de n’avoir jamais songé à démissionner que la rectitude d’un gouvernement ne se réfugiant pas derrière des arguties tellement anciennes pour justifier des sauvegardes ministérielles que l’honnêteté ne devrait pas permettre.
On a d’autant plus de héros à profusion qu’on n’est plus capable, dans le champ social, politique, judiciaire ou culturel, d’être le seul héros qui vaille : celui de soi-même. On n’a pas assez d’intégrité, plus assez de morale, on trouve des argumentations raffinées pour échapper à la dure loi de la responsabilité, de sa responsabilité. On préfère demeurer faussement contrit que s’assumer la tête haute.
L’éthique personnelle, l’exemplarité politique se délitent.
Heureusement qu’il y a des héros qui nous consolent ou nous rassurent. Comme ils se multiplient, dans la quotidienneté discrète comme dans les fureurs de l’actualité, et qu’on les révère, pourquoi irait-on s’encombrer d’une vertu, d’une excellence qu’ils ont prises en charge ?