Alexandre Devecchio |
FIGAROVOX/INTERVIEW - A l'approche du premier
tour des municipales, Guillaume Bernard répond au Figarovox au sujet de
la place du FN dans cette élection. Si le parti de Marine Le Pen affiche
un nombre de candidats record, il se pourrait que son succès soit
diminué par l'abstention des électeurs.
Guillaume Bernard est maitre de conférence à l'Institut Catholique d'Etudes Supérieures. Il a également enseigné à Sciences-Po, ainsi qu'à l'Institut Catholique de Paris et à l'IPC.
Après deux semaines marquées par la succession des affaires, la campagne pour les municipales débute enfin à seulement quelques jours du scrutin. Alors que dans ce contexte, les partis traditionnels semblent discrédités, la FN peut-il en profiter? Dans quelle mesure?
Guillaume Bernard: C'est, naturellement, le FN et l'abstention qui devraient tirer partie de cette atmosphère délétère. Le FN devrait en profiter parce qu'il incarne le rejet de la classe politique. Mais, il n'est pas certain qu'il en profite, du moins à plein, car les électeurs, en particulier des catégories populaires, peuvent aussi se réfugier dans un refus de cautionner l'ensemble du système démocratique et donc s'abstenir.
Cela dit, de manière générale - ce que les récentes enquêtes d'opinion ont confirmé - les motivations du vote varient moins en fonction du camp politique en tant que tel qu'en raison de la position, au niveau national, de celui-ci. Pour une élection locale, les électeurs de la majorité préfèrent se positionner en fonction des enjeux locaux, tandis que les électeurs de l'opposition sont plus motivés par des questions nationales. La chose est encore plus vraie pour les électeurs du FN. L'écœurement et la colère peuvent donc conduire à une progression, du moins là où il se présente, du vote FN.
Le mode de scrutin ne lui est d'ailleurs pas défavorable puisqu'au second tour c'est la liste qui arrive en tête, même si elle n'atteint pas la majorité absolue des suffrages exprimés, qui l'emporte. Dans certaines communes où il y aura des triangulaires, cela pourrait lui permettre d'emporter la ville. Outre qu'il semble aussi capable de gagner dans certaines autres - peu il est vrai - dans le cadre d'un duel (et donc, là, de dépasser les 50 % des votants).
La stratégie de réimplantation locale de Marine Le Pen peut-elle porter ses fruits?
A l'évidence, elle a au moins en partie réussi. Le fait de présenter près de 600 listes dont 420 environ dans des villes de plus de 9 000 habitants (un tiers de celles-ci) c'est, déjà, pour ce parti, une première victoire. Il présente plus de 20 000 candidats, ce qui est un nombre extrêmement important étant donné la difficulté sociale d'assumer publiquement un tel engagement. Preuve en est les pressions que certains d'entre eux ont, semble-t-il, subi pour se retirer. En tout cas, cette présentation de listes renoue avec le niveau que le FN avait atteint en 1995 (avant les diverses scissions qu'il a connues et les difficultés financières endurées à la suite des calamiteuses législatives de 2007). Cela lui donne un potentiel de voix, au niveau national, nettement plus important qu'aux dernières municipales: selon certaines projections, cela pourrait être deux à trois fois plus qu'en 2008.
Par ailleurs, son implantation sociogéographique a évolué. Une récente analyse de l'Ifop (Focus, n° 106) avec Le Figaro a montré une assez profonde transformation de la présence des listes FN. Naturellement, il est surtout présent là où ses résultats électoraux sont les plus importants (Paca, Languedoc-Roussillon, Nord-Pas de Calais). Cependant, le FN semble désormais dans l'incapacité de présenter des listes dan les communes de banlieues des grandes métropoles, là où une forte pression migratoire depuis une vingtaine d'années a changé les données démographiques. Une partie de la population a, quand elle en a les moyens, fui ces territoires. L'influence du FN s'est donc déplacée vers les petites et moyennes villes de province, et vers ce qu'il est convenu d'appeler le péri-urbain. Il est extrêmement troublant de constater que ces éléments rejoignent la mise en évidence de l'existence d'un France périphérique qui est, en partie, prête à voter FN, parce qu'elle pâtit de la mondialisation économique et culturelle (vote de réaction) ou parce qu'elle entend s'en prémunir (vote de prévention).
Ces dernières années, le Front national a cherché à se normaliser. Du coup, ne risque-t-il pas d'être également victime de la défiance générale à l'égard de la politique?
Il est certain qu'en se «normalisant», le FN apparaît comme moins différent des autres partis qu'il ne l'était auparavant. Cependant, il reste le seul parti d'envergure (il faut mettre de côté les groupuscules) qui n'a jamais vraiment exercé le pouvoir (hormis dans quelques communes entre, essentiellement, 1995 et 2001). Par ailleurs, même s'il pâtit d'un manque relatif de crédibilité pour exercer le pouvoir, il n'a jamais trempé dans les scandales politico-financiers. Enfin, son programme reste suffisamment distinct des autres (positionnement social par rapport à la droite, positionnement national par rapport à la gauche) pour apparaître comme une alternative alors que, sur bien des points, droite et gauche modérées se rejoignent.
Par conséquent, il est peu probable qu'il soit assimilé au reste de la classe politique. D'ailleurs, le fait que la gauche entende maintenir contre lui le «Front républicain» et que la droite (du moins au niveau national) refuse de passer des alliances avec lui, ne pourrait que confirmer les électeurs qu'il n'est pas comme les autres. Ce qui, jusqu'à présent, était considéré comme un «cordon sanitaire» salutaire pour limiter son influence sur le système partisan pourrait s'inverser et se transformer en un gage sinon de respectabilité du moins de non compromission.
En fait, ce qui risque vraiment d'handicaper ses résultats, c'est le fait qu'il n'a pas réussi à présenter des listes partout où, pourtant, il a déjà fait de très bons scores. Il sera absent de la moitié des villes de plus de 10 000 habitants où, dans certaines, il avait atteint 30 % à la dernière présidentielle.
En d'autres termes, le vote FN est-il toujours «antisystème»?
Guillaume Bernard: Il faut distinguer deux choses, certes connexes, mais différentes: l'organisation politique inscrite dans un système partisan et l'utilisation que les électeurs peuvent en faire. Le FN en tant que parti n'est pas, à strictement parler, antisystème puisqu'il a toujours respecté la règle du jeu des élections. Sont antisystème les mouvements qui refusent de participer au débat politique et utilisent des moyens violents.
En fait, dans la classification des partis, le FN peut être considéré comme un parti d'opposition (en l'occurrence radicale) n'ayant, jusqu'à présent, jamais eu vocation à devenir majoritaire. Ce qui est en train de changer, c'est que, d'une part, l'adhésion d'une partie de plus en plus grandissante de la population (jusqu'au tiers de l'électorat) à ses proposition (en particulier la préférence nationale et le protectionnisme économique et social) et, d'autre part, la porosité entre son électorat et celui de l'UMP (grosso modo, 40 % des sympathisants UMP sont favorables à des accords avec le FN) le transforment en ce que la sociologie politique appelle un parti de gouvernement (même si l'on imagine mal, encore, la coalition à laquelle il serait susceptible de participer). En tout cas, le vote FN est à la conjonction de la protestation et de l'adhésion.
L'abstention peut-elle être le grand vainqueur de ce scrutin? A qui peut-elle profiter?
Avec l'élection présidentielle, les municipales ont toujours été les élections où l'abstention a été la moins élevée. Elle a cependant progressé depuis la fin de la décennie 1970. Elle a été d'environ 21 % en 1977 et en 1983 ; elle a passé la barre des 30 % en 1995 ; elle a été de 35 % en 2008. Il est probable qu'elle sera plus importante encore en 2014. Il est vrai que c'est nettement moins que les 50 % d'abstention aux régionales de 2010 ou les 45 % du second tour des législatives de 2012. Il y a cependant une progression du désintérêt pour la politique même locale et ce désenchantement est d'autant plus grave pour la légitimité des élus que, parmi les hommes politiques, le maire est celui qui, jusqu'à présent, échappait le plus à la défiance.
L'électorat populaire est, en règle générale, celui qui a la plus grande propension à s'abstenir ; cela pourrait donc, sauf en certains endroits où il est particulièrement bien implanté, porter préjudice aux résultats du FN. Mais, de manière générale, ce sont les électeurs du camp majoritaire au niveau national qui, le plus souvent déçus de l'action gouvernementale, se démobilisent le plus. A l'inverse, les électeurs de l'opposition parlementaire sont plus motivés pour prendre leur revanche. Ce phénomène contribue à expliquer l'effet de balancier qui conduit l'opposition à gagner les élections locales, tremplin lui permettant d'envisager la reconquête de l'exécutif national. L'impopularité du chef de l'Etat et du Gouvernement étant à son comble (environ 20 % de satisfaits), il est probable que, même s'il n'entraîne guère une adhésion, l'UMP apparaisse, en comparaison, comme le vainqueur des municipales.
Cela dit, il ne faut pas négliger l'impact des situations locales: le maire sortant, quelle que soit son étiquette, a-t-il ou non déçu? En outre, la composition sociologique des électorat doit être prise en compte. La quasi totalité des observateurs politiques considèrent que le PS est susceptible de tirer son épingle du jeu dans les grandes métropoles (là où les catégories socio-professionnelles supérieures votent pour ce parti), ce qui permettra de relativiser sa vraisemblable défaite au niveau national. Enfin, les triangulaires pourraient également limiter la débâcle socialiste.
Guillaume Bernard est maitre de conférence à l'Institut Catholique d'Etudes Supérieures. Il a également enseigné à Sciences-Po, ainsi qu'à l'Institut Catholique de Paris et à l'IPC.
Après deux semaines marquées par la succession des affaires, la campagne pour les municipales débute enfin à seulement quelques jours du scrutin. Alors que dans ce contexte, les partis traditionnels semblent discrédités, la FN peut-il en profiter? Dans quelle mesure?
Guillaume Bernard: C'est, naturellement, le FN et l'abstention qui devraient tirer partie de cette atmosphère délétère. Le FN devrait en profiter parce qu'il incarne le rejet de la classe politique. Mais, il n'est pas certain qu'il en profite, du moins à plein, car les électeurs, en particulier des catégories populaires, peuvent aussi se réfugier dans un refus de cautionner l'ensemble du système démocratique et donc s'abstenir.
Cela dit, de manière générale - ce que les récentes enquêtes d'opinion ont confirmé - les motivations du vote varient moins en fonction du camp politique en tant que tel qu'en raison de la position, au niveau national, de celui-ci. Pour une élection locale, les électeurs de la majorité préfèrent se positionner en fonction des enjeux locaux, tandis que les électeurs de l'opposition sont plus motivés par des questions nationales. La chose est encore plus vraie pour les électeurs du FN. L'écœurement et la colère peuvent donc conduire à une progression, du moins là où il se présente, du vote FN.
Le mode de scrutin ne lui est d'ailleurs pas défavorable puisqu'au second tour c'est la liste qui arrive en tête, même si elle n'atteint pas la majorité absolue des suffrages exprimés, qui l'emporte. Dans certaines communes où il y aura des triangulaires, cela pourrait lui permettre d'emporter la ville. Outre qu'il semble aussi capable de gagner dans certaines autres - peu il est vrai - dans le cadre d'un duel (et donc, là, de dépasser les 50 % des votants).
La stratégie de réimplantation locale de Marine Le Pen peut-elle porter ses fruits?
A l'évidence, elle a au moins en partie réussi. Le fait de présenter près de 600 listes dont 420 environ dans des villes de plus de 9 000 habitants (un tiers de celles-ci) c'est, déjà, pour ce parti, une première victoire. Il présente plus de 20 000 candidats, ce qui est un nombre extrêmement important étant donné la difficulté sociale d'assumer publiquement un tel engagement. Preuve en est les pressions que certains d'entre eux ont, semble-t-il, subi pour se retirer. En tout cas, cette présentation de listes renoue avec le niveau que le FN avait atteint en 1995 (avant les diverses scissions qu'il a connues et les difficultés financières endurées à la suite des calamiteuses législatives de 2007). Cela lui donne un potentiel de voix, au niveau national, nettement plus important qu'aux dernières municipales: selon certaines projections, cela pourrait être deux à trois fois plus qu'en 2008.
Par ailleurs, son implantation sociogéographique a évolué. Une récente analyse de l'Ifop (Focus, n° 106) avec Le Figaro a montré une assez profonde transformation de la présence des listes FN. Naturellement, il est surtout présent là où ses résultats électoraux sont les plus importants (Paca, Languedoc-Roussillon, Nord-Pas de Calais). Cependant, le FN semble désormais dans l'incapacité de présenter des listes dan les communes de banlieues des grandes métropoles, là où une forte pression migratoire depuis une vingtaine d'années a changé les données démographiques. Une partie de la population a, quand elle en a les moyens, fui ces territoires. L'influence du FN s'est donc déplacée vers les petites et moyennes villes de province, et vers ce qu'il est convenu d'appeler le péri-urbain. Il est extrêmement troublant de constater que ces éléments rejoignent la mise en évidence de l'existence d'un France périphérique qui est, en partie, prête à voter FN, parce qu'elle pâtit de la mondialisation économique et culturelle (vote de réaction) ou parce qu'elle entend s'en prémunir (vote de prévention).
Ces dernières années, le Front national a cherché à se normaliser. Du coup, ne risque-t-il pas d'être également victime de la défiance générale à l'égard de la politique?
Il est certain qu'en se «normalisant», le FN apparaît comme moins différent des autres partis qu'il ne l'était auparavant. Cependant, il reste le seul parti d'envergure (il faut mettre de côté les groupuscules) qui n'a jamais vraiment exercé le pouvoir (hormis dans quelques communes entre, essentiellement, 1995 et 2001). Par ailleurs, même s'il pâtit d'un manque relatif de crédibilité pour exercer le pouvoir, il n'a jamais trempé dans les scandales politico-financiers. Enfin, son programme reste suffisamment distinct des autres (positionnement social par rapport à la droite, positionnement national par rapport à la gauche) pour apparaître comme une alternative alors que, sur bien des points, droite et gauche modérées se rejoignent.
Par conséquent, il est peu probable qu'il soit assimilé au reste de la classe politique. D'ailleurs, le fait que la gauche entende maintenir contre lui le «Front républicain» et que la droite (du moins au niveau national) refuse de passer des alliances avec lui, ne pourrait que confirmer les électeurs qu'il n'est pas comme les autres. Ce qui, jusqu'à présent, était considéré comme un «cordon sanitaire» salutaire pour limiter son influence sur le système partisan pourrait s'inverser et se transformer en un gage sinon de respectabilité du moins de non compromission.
En fait, ce qui risque vraiment d'handicaper ses résultats, c'est le fait qu'il n'a pas réussi à présenter des listes partout où, pourtant, il a déjà fait de très bons scores. Il sera absent de la moitié des villes de plus de 10 000 habitants où, dans certaines, il avait atteint 30 % à la dernière présidentielle.
En d'autres termes, le vote FN est-il toujours «antisystème»?
Guillaume Bernard: Il faut distinguer deux choses, certes connexes, mais différentes: l'organisation politique inscrite dans un système partisan et l'utilisation que les électeurs peuvent en faire. Le FN en tant que parti n'est pas, à strictement parler, antisystème puisqu'il a toujours respecté la règle du jeu des élections. Sont antisystème les mouvements qui refusent de participer au débat politique et utilisent des moyens violents.
En fait, dans la classification des partis, le FN peut être considéré comme un parti d'opposition (en l'occurrence radicale) n'ayant, jusqu'à présent, jamais eu vocation à devenir majoritaire. Ce qui est en train de changer, c'est que, d'une part, l'adhésion d'une partie de plus en plus grandissante de la population (jusqu'au tiers de l'électorat) à ses proposition (en particulier la préférence nationale et le protectionnisme économique et social) et, d'autre part, la porosité entre son électorat et celui de l'UMP (grosso modo, 40 % des sympathisants UMP sont favorables à des accords avec le FN) le transforment en ce que la sociologie politique appelle un parti de gouvernement (même si l'on imagine mal, encore, la coalition à laquelle il serait susceptible de participer). En tout cas, le vote FN est à la conjonction de la protestation et de l'adhésion.
L'abstention peut-elle être le grand vainqueur de ce scrutin? A qui peut-elle profiter?
Avec l'élection présidentielle, les municipales ont toujours été les élections où l'abstention a été la moins élevée. Elle a cependant progressé depuis la fin de la décennie 1970. Elle a été d'environ 21 % en 1977 et en 1983 ; elle a passé la barre des 30 % en 1995 ; elle a été de 35 % en 2008. Il est probable qu'elle sera plus importante encore en 2014. Il est vrai que c'est nettement moins que les 50 % d'abstention aux régionales de 2010 ou les 45 % du second tour des législatives de 2012. Il y a cependant une progression du désintérêt pour la politique même locale et ce désenchantement est d'autant plus grave pour la légitimité des élus que, parmi les hommes politiques, le maire est celui qui, jusqu'à présent, échappait le plus à la défiance.
L'électorat populaire est, en règle générale, celui qui a la plus grande propension à s'abstenir ; cela pourrait donc, sauf en certains endroits où il est particulièrement bien implanté, porter préjudice aux résultats du FN. Mais, de manière générale, ce sont les électeurs du camp majoritaire au niveau national qui, le plus souvent déçus de l'action gouvernementale, se démobilisent le plus. A l'inverse, les électeurs de l'opposition parlementaire sont plus motivés pour prendre leur revanche. Ce phénomène contribue à expliquer l'effet de balancier qui conduit l'opposition à gagner les élections locales, tremplin lui permettant d'envisager la reconquête de l'exécutif national. L'impopularité du chef de l'Etat et du Gouvernement étant à son comble (environ 20 % de satisfaits), il est probable que, même s'il n'entraîne guère une adhésion, l'UMP apparaisse, en comparaison, comme le vainqueur des municipales.
Cela dit, il ne faut pas négliger l'impact des situations locales: le maire sortant, quelle que soit son étiquette, a-t-il ou non déçu? En outre, la composition sociologique des électorat doit être prise en compte. La quasi totalité des observateurs politiques considèrent que le PS est susceptible de tirer son épingle du jeu dans les grandes métropoles (là où les catégories socio-professionnelles supérieures votent pour ce parti), ce qui permettra de relativiser sa vraisemblable défaite au niveau national. Enfin, les triangulaires pourraient également limiter la débâcle socialiste.
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