Pierre Selas
Je veux
dénoncer les écorchures imposées à l’enfant dans la gestation pour
autrui. Fabriquer un bébé pour un autre, c’est se hasarder à générer
chez ce petit de la souffrance et de la pathologie relationnelle.
Dans le débat sur les
mères porteuses, je suis frappée qu’un intervenant est systématiquement
oublié : l’enfant. Dans la gestation pour autrui (GPA), il s’agit
apparemment d’une simple affaire de désir d’enfant, de générosité, de
solidarité entre couples et entre femmes… et aussi d’argent. Que dire,
que penser du développement in utero du petit être humain embryon dans
le ventre d’une mère porteuse ? Que ressent ce petit enfant qui est
remis/vendu à la naissance aux parents d’intention qui ont soit fourni
eux-mêmes les gamètes, soit ont fait appel à un ou des donneurs
externes ? Sur base des acquis en sciences humaines et en neurosciences,
que peut-on présumer comme effets durables sur l’enfant ainsi projeté
dans la vie ?
Le terreau de base
Il me semble essentiel
de considérer les enjeux majeurs que représentent pour l’enfant à
naître les circonstances de conception, de gestation et de naissance. De
nombreuses démonstrations issues des neurosciences mettent en lumière
l’importance biopsychologique et cognitive de cette période prénatale
pour l’enfant. Ces étapes de vie représentent le terreau de base dans
lequel seront ensemencées les premières expériences sensorielles,
relationnelles et émotionnelles inconscientes, à connotation soit
d’unité, de tendresse, de joie et de sérénité, soit de distance ou de
confusion affective ; voire, de stress extrême entre autres, lié à
l’angoisse de séparation.
Faciliter ou organiser
une maternité/parentalité éclatée de la conception à la naissance
charge l’enfant d’un bagage psycho-affectif empreint de ruptures et le
marque d’une filiation brouillée.
Hormis les
circonstances de conception d’un enfant, déjà influentes sur son
devenir, si celui-ci est séparé de sa mère de naissance même durant
quelques heures, il est touché en plein cœur dans son besoin de
continuité, de stabilité et de sécurité de base. Comme cela s’est
produit pour Amélie, 6 ans. Son petit cœur restait écorché et à vif
suite à une césarienne et une séparation de naissance de quelques
heures. C’est comme si ses grosses colères répétitives à chaque
contrariété cachaient un cri tragique répétitif : « Maman, pourquoi m’as-tu abandonnée ? J’ai encore souvent si peur ! Sans toi, je crois mourir ! » (1)
En effet, toute situation qui impose au nouveau-né, même
involontairement, la séparation avec la mère qui l’a porté neuf mois,
entraîne chez lui selon le contexte et à des degrés divers, une blessure
d’abandon qui peut aller jusqu’à une angoisse de mort. Le bébé il est
vrai, se « sent » exister à partir de la présence en qualité et en
quantité de sa mère, qu’il connaît de tous ses sens déjà depuis
plusieurs mois et à laquelle il s’est attaché !
Le réflexe de l’attachement
Si une femme, une
mère, quelle qu’en soit la raison, peut décider de ne pas s’attacher au
bébé qu’elle attend, l’enfant lui, ne le peut pas. Le processus qui crée
ce lien d’attachement du bébé vers la mère, relève d’un « réflexe »
programmé de survie. Il s’agit bien d’un mécanisme biophysiologique et
psychologique, incontournable et incontestable. Aucun contrat entre des
parents d’intention et une mère porteuse, aucune pensée d’adulte qui
désire de tout son cœur l’enfant attendu à distance, n’a le pouvoir de
diminuer ou d’effacer cette expérience humaine d’attachement
gestationnel qui se tisse tout en finesse et en subtilité chez le fœtus,
et s’avère fondamentale pour son devenir. Qui, un jour ou l’autre, ne
revient pas à ces fondements-là, pour mieux se comprendre ?
Le procédé procréatif
propre à la GPA, expose de facto le jeune enfant à une dissociation
entre la dimension génétique, corporelle et éducative. Pour la plupart
des psychologues et pédopsychiatres, il s’agit bien d’un contexte
d’origine susceptible d’entraîner chez celui-ci un bouleversement
sensoriel et intrapsychique, au risque d’altérer la fondation de son
identité.
Des chercheurs ont
filmé des nouveau-nés et ont observé par exemple que le nourrisson
ensommeillé s’agite lorsqu’on place tout près de son visage un coton
imprégné de l’odeur d’une femme qui lui est étrangère et par contre,
s’apaise et se rendort rapidement quand il reconnaît l’odeur de sa maman
(1). Ces tout-petits attestent de leur compétence à discriminer qui est
leur mère (odeur, voix, toucher, intuition profonde) et qui ne l’est
pas. Nul ne peut les tromper et toute expérience de rupture maternelle
aussi précoce qu’une séparation de naissance, porte atteinte à leur
sentiment de sécurité de base et à leur intégrité existentielle.
La rupture volontaire
Autre sujet à
discussion, quant au rapprochement à faire ou non avec l’adoption (1).
L’histoire de Julio, 48 ans, est à ce titre éloquente : il doit
fréquemment composer avec les grosses colères de son fils de 12 ans. Il
se souvient des siennes au même âge et de son opposition permanente à
ses parents d’adoption sur qui il rejetait systématiquement la cause du
moindre mal-être. Aujourd’hui il se sent apaisé et partage une belle
complicité avec eux. Un travail psychologique lui a permis de mieux
conscientiser combien à l’époque il rejetait à tort, sur ses parents
d’adoption, sa révolte de fond liée à une permanente angoisse de
séparation. Il a petit à petit conscientisé que ceux-ci, qui n’y étaient
pour rien, avaient au contraire cherché par l’adoption à l’entourer de
ce qu’il avait perdu par les aléas de la vie.
Ainsi, la blessure la
plus profonde que l’enfant issu de GPA aura sans doute à résoudre et qui
n’existe pas chez l’enfant adopté, c’est de réaliser que ce sont ses
parents qui ont eux-mêmes créé la situation de rupture avec la mère de
naissance. Ce conflit intrapsychique est susceptible de sourdre en lui
toute une vie, avec des questionnements identitaires et existentiels.
Dans le débat autour de la GPA, il est essentiel de remettre le petit
enfant au cœur du débat. Tout nouveau-né n’est-il pas un « petit sans voix » ?
Sortons l’enfant de l’ombre, en vue de dénoncer les écorchures
potentielles de base qui lui sont imposées dans la GPA ! Car
« fabriquer » un enfant pour autrui, c’est se hasarder à générer de la
souffrance et de la pathologie relationnelle chez l’enfant concerné.
(1) Extrait du
livre « Un cri secret d’enfant… Attachement mère-enfant, mémoires
précoces, séparation, abandon », Ed. Les acteurs du savoir, Anne Schaub
(Préface du professeur Marcel Frydman).
Anne Schaub, psychothérapeute