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lundi 1 mai 2017

Génocides, famines, guerres… Dieu abandonne t-il les hommes ?


Cadavres d'Arméniens : photo prise par l'Église apostolique arménienne et transmise à Henry Morgenthau, 1915, près d'Ankara. © Wikipedia

Une émission récente diffusée sur France 2, "Dieu où étais-tu ?", pose cette question fondamentale, source de beaucoup d’incompréhension. Des évêques orientaux y répondent.

À l’occasion du 102e anniversaire de la commémoration du génocide arménien, le 24 avril, qui fait également mémoire du génocide assyrien, France 2 a posé à des évêques cette simple question : « Dieu où étais-tu? ». L’émission interroge sur la réaction face au mal, sur la relation de l’homme à Dieu dans de telles situations ou encore sur la place de la foi et son rôle chez un peuple menacé. Quand des millions de personnes disparaissent, sur ordre humain, la tentation est grande de voir dans la tragédie un abandon de la part de Dieu. 

Trois évêques chrétiens orientaux n’ont pas eu peur d’y répondre et de rappeler ce que signifie être chrétien en vue de la vie éternelle. Eux aussi ont connu le doute et la colère, mais leurs paroles sont lumineuses et pleines de paix. Elles peuvent aider, sinon à comprendre, du moins à se réconcilier avec la prière.

Entre 1,2 et 1,5 millions de personnes ont disparu lors du génocide arménien entamé le 24 avril 1915, poussant une population à l’exil ; entre 6 et 8 millions au moment de « la Grande famine », connue sous le nom d’ « Holodomor », en 1932 en Ukraine ; un attentat à la cathédrale de Bagdad tue 46 fidèles en pleine messe dominicale. Comment réagit-on face à cela ? Où est donc l’espérance en Dieu ? Où se situe le combat contre le mal et pour la vie ?

« À la sacristie, j’ai dit à mes fidèles d’être forts. On meurt devant Dieu, à l’église, c’est quelque chose de grand »

Mgr Kuteimi, syriaque catholique, ancien curé de Notre-Dame du Perpétuel Secours à Bagdad est survivant de l’attentat du 31 octobre 2010. « Au début, j’étais en colère, je me demandais ce qu’on avait fait, se souvient-il. Puis après, quand on est plus calme on voit les choses autrement. Il n’y a pas que le matériel, il y a les choses surnaturelles, proches de Dieu. À la sacristie j’ai dit à mes fidèles d’être forts. On meurt devant Dieu, à l’église, c’est quelque chose de grand. N’oublions pas que le Christ est mort un vendredi, trois jours après c’est la résurrection, c’est la joie, la nouvelle vie. Après vendredi il y a toujours le dimanche. »

« Je pense que c’est la question la plus difficile, déclare Mgr Borys Gudziak, évêque de l’Église gréco-catholique ukrainienne en France. C’est une question qui conduit beaucoup de personnes à l’athéisme : si Dieu n’est pas intervenu, c’est peut-être qu’il n’existe pas. Ou encore, pas un véritable athéisme, mais un rejet de Dieu : « Oui Dieu existe, mais je ne veux pas accepter ce qu’Il est, parce qu’Il n’est pas intervenu. » Mgr Hovhanessian, primat de l’Église arménienne apostolique en France, est descendant de rescapés du génocide arménien. « Pour moi, poser la question “Dieu où étais-tu?” n’est pas forcément un signe de manque de foi, explique-t-il, mais bien plus une prière qui, en d’autres termes, signifie : “Dieu, je sais que tu es là. Mais daignes faire quelque chose. Sauve ton peuple“ ».

La souffrance est-elle la faute de Dieu?

L’évêque arménien revient aux Écritures afin de poursuivre sa réflexion. « Dans le premier livre de la Bible, dans la Genèse, Dieu nous dit qu’en conséquence du péché d’Adam, Dieu se sépare de nous. Ce monde est un monde pécheur et, d’une certaine manière, Satan y règne de manière temporaire jusqu’au jour du jugement que Dieu choisira qui sera un jour de condamnation et de re-création. Jusqu’à ce jour, ce monde baigne dans le péché et il en porte les conséquences que sont le mal et la méchanceté (…) c’est un monde pécheur, un monde où la volonté de Dieu ne règne pas. Demain, d’autres persécutions peuvent encore survenir. Jésus lui-même l’a prophétisé : « Ils vont vous persécuter, vous renier, vous amener en jugement et même ceux qui vous tueront penseront avoir accompli une grande chose ».
« Dieu laisse le diable faire ce qu’il veut, afin que nous soyons parfaitement libres, rappelle l’évêque de l’Église gréco-catholique, et que nous puissions adopter, accepter, tout ce que nous avons envie d’accepter, d’adopter et de vivre. Si nous voulons suivre le mal, que nous suivions le mal. Si nous voulons suivre le bien, que nous suivions le bien. Nous nous plaignons parce que nous souffrons. Mais est-ce la faute de Dieu ? La raison de la grande souffrance et le sacrifice de tant de personnes a d’abord un fondement dans l’histoire des décisions humaines. Des gens ont planifié ces choses, des gens sont responsables, ils ont pris des décisions, ont signé des documents, ont voté. » Et de résumer : « Je crois que le grand mal est souvent le fruit de la collaboration de beaucoup de personnes. Des millions d’êtres humains ne peuvent pas être tués par une seule personne. »

Homme pécheur ou Dieu absent ? Le droit à une prière politiquement incorrecte

Le Primat de l’Église arménienne croit à l’importance de la foi pour soutenir un peuple. Sa grand-mère, qui a vécu l’exil du génocide arménien, lui racontait : « Chaque nuit, nous les jeunes filles nous nous rassemblions avec nos mères pour prier. » Certains pourraient s’étonner d’une telle ferveur à un moment si critique, peut-être source de désespoir. À la question : « Où es-tu mon Dieu? Pourquoi suis-je tout seul, pourquoi ne m’aides-tu pas? », Mgr Hovhanessian n’y voit pas une dénonciation, mais plutôt « l’expression d’une certitude qu’Il doit et qu’Il va nous aider ». « Nous les Arméniens, à chaque fois qu’on essaiera de nous massacrer, nous nous relèverons et nous continuerons de vivre ».

« Une des raisons pour laquelle on ne peut pas parler du grand mal c’est parce que nous le nions, assure Mgr Gudziak. Nous nions le péché. C’est un sujet qui n’est pas politiquement correct. Nous nions l’existence du diable, et nous perdons avec le temps le langage pour faire face aux questions relevant du mal véritable ». Il avoue alors humblement : « Ce qui est très important pour moi, et me donne l’espérance qui est la mienne, lorsque je me pose ces questions devant ces icônes, souvent quotidiennement, est le fait qu’on ne nous a pas laissé seuls avec notre mal, avec notre péché, y compris lors des génocides du XXe siècle ». « Le Seigneur est entré dans notre vie et dans notre mort, et sur la croix il a pris le péché du monde. Lui-même répète le verset du psaume 22 : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné? » Je pense qu’il savait. Je pense qu’il nous déléguait à nous une certaine liberté de poser cette question, de ne pas être politiquement correct dans notre prière, de faire face à la réalité du mal et de dire : « Je ne sais pas. Seigneur pourquoi n’es-Tu pas ici? » Donc, nous devons prier le psaume 22. »

Il invite à voir la grande victoire d’une mort vécue dans la foi et à « nous réconcilier avec la réalité de la mort, car pour ceux d’entre nous qui croyons à la résurrection, la mort n’est qu’un passage. Et alors nous pourrons dire avec Paul : “Mort, où est ton aiguillon ?“ ».

Le massacre de l’homme par l’homme restera toujours un mystère à la mesure humaine, et pourtant, la dimension spirituelle est sans doute la seule à pouvoir répondre à cette folie.

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