« Les moralistes ressemblent aux chimistes. Ils préparent des remèdes pour les autres, et s’en servent rarement. »
(Pigault-Lebrun – « L’homme à projets »)
Dans le premier tome de ses « Mémoires » (éditions Muller) récemment paru, Jean-Marie Le Pen évoque, de nouveau, la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. Il a fallu pas plus à certains journalistes, emmitouflés dans leur bure de moralistes, de s’intéresser soudainement à « la question », dans l’attente de la petite phrase scandaleuse bien juteuse qui les propulserait aux nues de la gloire médiatique.
Sur cette torture pratiquée –on l’oublie trop souvent- dans le but exclusif d’obtenir des renseignements permettant la mise hors d’état de nuire de dangereux criminels ou visant à neutraliser des bombes prêtes à exploser, JMLP s’explique :
« L’armée française revenait d’Indochine. Là-bas, elle avait vu des violences horribles qui passent l’imagination et font paraître l’arrachage d’un ongle pour presque humain. (…) Cette horreur, notre mission était d’y mettre fin. Alors, oui, l’armée française a bien pratiqué « la question » pour obtenir des informations durant la bataille d’Alger, mais les moyens qu’elle y employa furent les moins violents possibles. Y figuraient les coups, la gégène et la baignoire, mais nulle mutilation, rien qui touche à l’intégrité physique.»
Le 26 février, Interrogé au micro de RTL sur son éventuelle participation à la torture si on le lui avait ordonné, il répondait :
« Sans doute. J’aurais fait mon devoir, préférant la vie d’une petite fille innocente à celle d’un tueur qui pose la bombe. Les consignes qui étaient données étaient d’éradiquer à n’importe quel prix la menace terrible que faisait peser le terrorisme, qui a fait des centaines de morts, de blessés et de mutilés, dont personne ne parle. Et c’était justement à la recherche de ces réseaux de bombes qu’un certain nombre de procédés ont été utilisés, beaucoup plus humains que de déchiqueter les jambes d’une petite fille. »
Il n’en fallut pas plus pour que cette justification de la torture entraînât la réaction d’un journaliste : « Comme à son habitude, le président d’honneur du Front national s’est fait remarquer par des propos particulièrement polémiques. »
En quoi ces propos sont-ils « polémiques » ?…
Dans « Mille et une pensées », Philippe Bouvard écrivait : « Le propre du moraliste est de tenir pour immorales les saletés qu’il a toujours rêvé de faire »…
Dans cette guerre sale, bestiale, cruelle et écœurante, l’ennemi (FLN) n’était pas franc et ne s’embarrassait pas de scrupules… Il était partout à la fois et on ne le voyait nulle part. Ce n’était pas un adversaire loyal, ne s’attaquant qu’aux militaires ou à leur matériel ; tout au contraire, ces terroristes étaient des criminels de droit commun, des gangsters de l’espèce la plus ignoble, et leur gang avait ses ramifications secrètes dans toutes les classes de la société française. Il fallait donc agir rapidement et impitoyablement à leur endroit et, pour cela, utiliser des moyens appropriés, fussent-ils, eux aussi, révolutionnaires.
Cependant, c’est grâce au silence et au secret dont ils s’entouraient que ces tueurs pouvaient opérer et porter les coups les plus dévastateurs. Le secret rompu permettrait de les interpeller et mettre la main sur les bombes, les armes de toute sorte, interdirait toute velléité d’attentat. C’était donc au secret qu’il fallait s’attaquer si l’on voulait éviter un bain de sang…
Mais comment s’y prendre ?
Imaginons être en face d’un homme pris alors qu’il vient de déposer une bombe et qui, seul, sait en quel lieu, à quelle heure elle explosera, tuant et mutilant à jamais des dizaines et des dizaines d’innocents. Si cet homme, s’enfermant dans son secret ne veut rien dire quand on l’interroge humainement, réglementairement, alors, que faut-il faire ? Et il faut faire vite car le temps presse ! Quelque part dans la ville, le tic-tac s’égrène lentement et c’est pour de nombreux êtres humains, une question de vie ou de mort. A tout prix il faut désarmer ce bandit, le faire parler quels que soient les moyens afin qu’il livre son secret… et de toutes les méthodes, seule la torture paraît être la plus efficace et, surtout, la plus rapide. C’est ça ou se contenter de ramasser des innocents déchiquetés par la bombe qui va exploser dans un instant et de les conduire à la morgue.
En Algérie, l’armée française dut, pour faire face au danger sans cesse croissant du terrorisme et afin de le mieux combattre, utiliser les mêmes arguments que l’ennemi : La torture.
Par celle-ci, cependant –et par elle seule- elle arriva à prévenir le harcèlement imminent d’un poste, l’embuscade tendue à une patrouille, l’explosion d’une bombe dans un stade, un café ou un cinéma, l’attaque d’une ferme, l’enlèvement ou l’assassinat d’une personne.
On a fait à ce sujet, au lendemain de la « bataille d’Alger », le procès de la torture. Si ses plus violents proscripteurs n’avaient pas été animés, souvent, plus par des arrière-pensées politiques que par des sentiments humanitaires, leurs appels auraient eu une autre résonance. Mais combien songeaient à condamner en même temps, et peut-être d’abord, la cause : Le terrorisme ignoble et aveugle ?
Durant ce conflit, les « moralistes à la conscience pure » n’ont eu de cesse de vilipender les parachutistes français pour leurs « opérations de police musclées » lors de cette bataille en leur opposant la « charité chrétienne ».
Mais où est la « charité chrétienne » dans ces visions apocalyptiques : Visages lacérés où les yeux manquaient, nez et lèvres tranchés, gorges béantes, corps mutilés, alignements de femmes et d’enfants éventrés, la tête fracassée, le sexe tailladé dont les tueurs du FLN se repaissaient avec un plaisir sadique ?
La révolution, la lutte pour l’indépendance de son pays justifient-elles de telles abominations ? « On dirait que les moralistes ont envie que les gens soient malheureux, afin de donner respectivement raison à leurs sentences » écrivait Charles Dantzig dans son « Dictionnaire égoïste de la littérature française »…
Les âmes chagrines disent que la conscience se révolte au spectacle de certains crimes. Hier, le FLN ; aujourd’hui, l’Etat Islamique et ses séides… Dans les deux cas, nous avons été -et sommes, de nouveau- en présence du plus monstrueux florilège du crime qui puisse se concevoir. Les images qui représentent les milliers d’hommes égorgés, les visages mutilés au couteau, les têtes tranchées, les fillettes violées ou déchiquetées par les bombes, les femmes lapidées ou vitriolées, reculent les limites assignées à l’horreur. Cependant, ces atrocités, répliques de tant d’autres commises en Algérie ne révoltent pas les consciences contre les criminels mais contre ceux qui les pourchassent et tentent de les neutraliser…
La conscience se corrompt dans ces contradictions parce que pardonnant là (l’assassin) et condamnant ici (le soldat), elle cesse d’être conscience pour se faire complice. La supercherie naît de ce qu’elle continue à se parer des attributs de la conscience et exige d’être reconnue comme telle. La complicité dissimulée sous le vocabulaire de la conscience, c’est la subversion. Les mots deviennent fausse monnaie.
José Castano
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