Jean-Yves Camus, « Capitalisme de connivence : une critique conservatrice des choix économiques du Parti républicain », note pour l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, janvier 2018.
Le capitalisme de connivence, en anglais crony capitalism,
suscite à la fois les critiques de la gauche radicale et des
économistes libertariens qui sont les maîtres à penser d’un des courants
du mouvement conservateur et du Parti républicain américain, représenté
notamment par le sénateur Rand Paul. Alors que le marxisme le considère
comme une notion faussée qui méconnaît l’essence même du système
capitaliste, les libertariens croient, à l’instar de Ludwig von Mises,
que le capitalisme de connivence est une anomalie par rapport au
fonctionnement du marché pur et parfait et qu’il apparaît quand, dans
« l’État interventionniste, le succès d’une entreprise ne dépend plus
d’une manière cruciale du fait qu’elle soit dirigée de façon à
satisfaire au mieux et au meilleur prix les besoins des consommateurs »,
de sorte qu’il « est bien plus important d’entretenir de bonnes
relations avec les factions politiques exerçant le contrôle, et que les
interventions s’exercent dans un sens favorable et non défavorable à
l’entreprise ».
Le simplisme des diatribes contre
l’interpénétration du monde politique et du « grand capital », les
déclinaisons complotistes du thème, hier des « 200 familles », hier et
aujourd’hui de la « finance apatride », n’enlèvent rien à la nécessité
d’étudier un phénomène qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une
réflexion sur la nature de la démocratie et l’impact politique et social
de l’accroissement des inégalités, travail entrepris entre autres par
Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Nécessaire à la compréhension du débat
politique américain, le même exercice intéresse aussi les Européens : il
donne en particulier des orientations sur la manière dont les
populistes et les droites radicales sont en permanente tension entre,
d’un côté, la réduction des prérogatives de l’État et de la dépense
publique, de l’autre la volonté de prendre en compte la demande de
protection à laquelle l’État peut répondre sur le plan des fonctions
régaliennes et du social.
Au moment où Donald Trump a réussi à faire
voter son plan de réforme fiscale, il n’est pas sans intérêt, donc, de
décrypter le débat qui agite, depuis sa campagne présidentielle, le très
hétérogène conservatisme américain sur une question essentielle :
vainqueur grâce à la mobilisation des classes ouvrière et moyenne
blanches, en raison de son discours nativiste comme de la paupérisation
croissante de sa base électorale, Trump est-il vraiment leur héraut ?
Son administration travaille-t-elle pour ceux que l’éditorialiste Sam
Francis, figure essentielle du renouveau conservateur appelait les
« Middle American Radicals ».