De Bernard Lugan :
"Alors
qu’ils sont inscrits dans la longue durée, les conflits africains sont
paradoxalement analysés à travers une trilogie idéologique étroitement
contemporaine : « déficit de développement », absence de « bonne
gouvernance » et manque de démocratie.
Prisonniers
de ces trois concepts européocentrés, journalistes et « experts » sont
incapables de prendre la véritable mesure des crises africaines.
Emblématiques à cet égard, les exemples de l’Ituri et du Mali sont
étudiés dans ce numéro de l’Afrique Réelle.
En Ituri, le 13 juillet 2018, l’ONU a dénoncé des « violences barbares » commises, entre autres, par les miliciens Lendu. Quinze
ans après l’opération française Artemis (juin à septembre 2003), en
dépit de la présence de plusieurs milliers de casques bleus, et après
les procès devant la CPI de La Haye de chefs miliciens impliqués dans
les massacres des années 2000, tout a donc recommencé…
Comment
aurait-il d’ailleurs pu en être autrement quand les tueries
inter-ethniques y sont d’abord la reprise de mouvements précoloniaux ?
La lutte pour les richesses naturelles n’est en effet pas la cause des
actuels massacres, mais un facteur aggravant se surimposant à la longue
durée historique régionale.
Voilà
donc pourquoi aucun intervenant extérieur ne pourra régler la question
de l’Ituri puisque c'est celle des relations séculaires entre les Lendu,
les Héma, les Alur et les Bira. Voilà également pourquoi le « remède »
électoral y sera sans effet.
Au Mali, les jihadistes ont perdu leurs sanctuaires sous les coups de boutoir de l’armée française. Contraints
de réduire leurs capacités d’action, pourchassés nuit et jour et
incapables de lancer des opérations coordonnées d’ampleur notable, il ne
leur reste plus que le terrorisme. Ayant
échoué à constituer un califat régional, eux qui voulaient dépasser les
ethnies, sont tout au contraire contraints d’enraciner leur survie sur
elles. Mais, ce faisant, ils ont réveillé les chaînes de solidarités et
d’inimitiés séculaires dont ils se trouvent désormais prisonniers…
A
supposer que les jihadistes soient définitivement éliminés, aucune paix
durable ne sera pour autant instaurée au Mali puisque le problème de
fond, celui de l’incompatibilité nord-sud, n’y sera pas réglé. Tous
semblent avoir oublié qu’en 2012, c’est en effet sur la permanence de
l’irrédentisme touareg que s’est opportunément greffé
l’islamo-jihadisme.
En
Ituri comme au Mali et en bien d’autres parties de l’Afrique, les
interventions étrangères sont sans issue. Parce qu'elles ne sont pas en
mesure de régler la question de la cohabitation de populations que tout
sépare et qui sont condamnées à vivre ensemble dans des Etats
artificiels. Elles peuvent donc éteindre des incendies, mais, comme
elles sont incapables de s'attaquer à leurs causes, tout est donc
toujours à recommencer..."