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jeudi 30 août 2018

Que se passe-t-il vraiment au Rwanda et au Kivu ?


En dépit d’un total « black-out » de Kigali, des rumeurs font état de combats dans le sud-est du Rwanda. Ils opposeraient les forces loyales au président Kagamé aux FLN (Forces de libération nationale), bras armé du MRCD (Mouvement rwandais pour le changement démocratique). Cette coalition hétérogène formée le 15 juillet dernier rassemblerait les opposants au régime par-delà leurs apparentements ethniques. Elle serait formée par la réunion de minuscules partis dont le PDR de Paul Rusesabagina, le héros du film « Hôtel des Mille Collines », le CNRD de Wilson Iratageka et le RRM de Calliste Sankara. Ce mouvement serait soutenu par l’Ouganda et par le Burundi.
 
D’après nos informations, le général Kayumba Nyamwasa, ancien bras droit de Paul Kagamé actuellement réfugié en Afrique du Sud où il a fait l’objet de deux tentatives d’assassinat de la part des services rwandais, n’aurait pas (encore ?) rejoint le mouvement. Son but est en effet de renverser Paul Kagamé et non d’aider à la prise de pouvoir d’une coalition comportant des Hutu qui ne lui pardonnent pas son rôle supposé dans les massacres de civils lors de la conquête du nord du Rwanda par le FPR en 1994.
Selon le MRCD, la fin du régime Kagamé serait programmée pour quatre grandes raisons :
- Ses responsabilités dans l'assassinat du président Habyarimana. Le mouvement accuse même directement Paul Kagamé en des termes plus que précis : « le génocide est devenu son fonds de commerce alors que c’est lui-même qui en a donné le coup d’envoi le jour où il a abattu l’avion transportant les présidents Habyarimana du Rwanda et Ntaryamira du Burundi » (Sur la question, voir mon livre « Rwanda, un génocide en questions »).
- Les accusations à propos des massacres commis par son armée, tant au Rwanda qu’en RDC,
- Les dissidences au sein même du noyau dur de son régime,
- La volonté des pays de la sous-région de se débarrasser d’un régime qui entretient le désordre chez ses voisins.

En dépit de ces affirmations, le régime Kagamé n’est pas isolé puisqu’il bénéficie de l’appui d’Israël et qu’en dépit d’un certain refroidissement, les Etats-Unis y entretiennent toujours un contingent militaire chargé de la formation des officiers rwandais. Kigali a également tenté une ouverture en direction de la Russie ; sans parler de son insolite et récent rapprochement avec la France illustré par le soutien de Paris à la candidature rwandaise à la tête de la Francophonie. Une décision pour le moins « baroque » car le Rwanda a abandonné le français au profit de l’anglais comme langue officielle…

Si la plus grande prudence s’impose face aux nouvelles parvenant de la région, il n’en demeure pas moins vrai que :

1) Après les guerres des années 1985-2008, une profonde recomposition ethno-politique s’est produite dans la région des Grands Lacs autour de l’Ouganda de Yoweri Museveni et du Rwanda de Paul Kagamé. Cependant, par-delà les solidarités héritées des réalités ethniques (monde Hima-Tutsi), du passé récent (combats communs contre le régime Obote en Ouganda, contre le régime Habyarimana au Rwanda, puis contre le régime Mobutu au Zaïre), ainsi que de la commune appartenance à l’espace anglophone, ces deux pays ont des intérêts contradictoires. La politique du Rwanda dans la partie orientale de la RDC se heurte en effet directement à celle de l’Ouganda dont la priorité est de régler définitivement la question du pétrole du lac Albert où la France est présente à travers la compagnie Elf-Total.

2) Depuis plusieurs années, la RDC et le Rwanda se sont rapprochés, à telle enseigne que plusieurs acteurs régionaux parlent même d’un pacte secret unissant les deux K (Kabila et Kagamé) que certains vont même jusqu’à présenter comme étant cousins… Considérant qu’il n’était pas en mesure de lutter à la fois contre les empiètements de l’Ouganda dans la région du lac Albert, et contre ceux du Rwanda dans le Kivu, le président Kabila aurait fait la part du feu, laissant le nord Kivu au Rwanda à travers ses alliés congolais. En échange de quoi, Kigali lui aurait « rétrocédé » le sud Kivu avec ses propres alliés Banyamulenge. D’où l’insolite ralliement de ces derniers au MRCD…

3) En RDC où, dans le contexte des élections présidentielles, législatives et régionales du 23 décembre 2018, la situation est explosive, la question des gisements d’hydrocarbures du lac Albert avec ses réserves estimées à plusieurs milliards de barils, est au cœur de la campagne. Or, la nappe est située sous les eaux du lac, de part et d’autre de la frontière contestée entre l’Ouganda et la RDC (L’Afrique Réelle n°9, septembre 2010). L’Ouganda qui a un impérieux besoin de cette ressource et qui souhaite donc entrer en négociation avec un partenaire congolais fiable, ne supporte plus les manœuvres déstabilisatrices de Kigali visant à empêcher un règlement sérieux avec Kinshasa. Voilà pourquoi le président  Museveni attend l’élection d’un nouveau président moins « inféodé » au Rwanda.

Pour Kigali, l’ennemi principal est donc le président Ougandais. Or, « étrangement », ces dernières semaines, la presse internationale spécialisée a fait état d’une information non vérifiée selon laquelle les services français auraient informé le président Museveni que Kigali aurait décidé un attentat contre son avion. Si une telle nouvelle était fondée, cela signifierait que la politique française à l’égard du Rwanda aurait brusquement changé et cela, quelques mois à peine après le spectaculaire réchauffement des relations entre les deux pays. Comme, pour la France, le Rwanda n’existe ni économiquement, ni politiquement, iI serait alors légitime de demander si les intérêts pétroliers n’auraient pas motivé une telle éventuelle volte-face.
Pour encore compliquer la situation, la région est au contact de plusieurs zones de fortes turbulences, depuis la RCA jusqu’au Soudan du Sud et bien des acteurs étrangers y jouent leur jeu personnel, à commencer par la Russie, la Chine et Israël.

Les faits étant exposés, comment pouvons-nous les analyser ?
Sans entrer dans les détails, deux hypothèses principales sont en présence. D’une part, la réalité des actuels évènements, donc une grave crise du régime Kagamé ; d’autre part, une vaste manipulation.

Première hypothèse, les faits sont avérés. L’Ouganda qui veut régler la question du pétrole du lac Albert avec un gouvernement congolais fiable a décidé de se débarrasser de Paul Kagamé l’allié du président Kabila. Quant au Burundi hutu, son opposition au Rwanda tutsi est inscrite dans la politique régionale.

- Deuxième hypothèse, nous sommes en présence d’une manipulation. Cette dernière serait orchestrée à la fois par Kigali et par Kinshasa, c’est-à-dire par les deux K (Kagamé et Kabila), afin de permettre le report des élections congolaises et d’abord du scrutin présidentiel auquel le président Kabila ne peut se présenter. Paul Kagamé ne peut en effet accepter que soit élu un président qui fera de la récupération du Kivu un combat d’union nationale car, sans le pillage des richesses de cette région, l’économie rwandaise sombrerait et le régime avec.

Dans cette optique, les « combats » dans le sud du pays seraient donc un prétexte pour, au nom du droit de poursuite contre un mouvement postulé « héritier des génocidaires », être en mesure de porter la guerre en RDC. Or, si l’est de la RDC s’embrasait, les élections du 23 décembre 2018 seraient reportées et le président Kabila resterait donc au pouvoir...

Une situation à suivre en sachant lire à travers les lignes…