En dépit d’un total « black-out »
de Kigali, des rumeurs font état de combats dans le sud-est du Rwanda. Ils opposeraient
les forces loyales au président Kagamé aux FLN (Forces de libération
nationale), bras armé du MRCD (Mouvement rwandais pour le changement
démocratique). Cette coalition hétérogène formée le 15 juillet dernier
rassemblerait les opposants au régime par-delà leurs apparentements ethniques.
Elle serait formée par la réunion de minuscules partis dont le PDR de Paul
Rusesabagina, le héros du film « Hôtel des Mille Collines », le CNRD de
Wilson Iratageka et le RRM de Calliste Sankara. Ce mouvement serait
soutenu par l’Ouganda et par le Burundi.
D’après nos informations, le
général Kayumba Nyamwasa, ancien bras droit de Paul Kagamé actuellement réfugié
en Afrique du Sud où il a fait l’objet de deux tentatives d’assassinat de la
part des services rwandais, n’aurait pas (encore ?) rejoint le mouvement.
Son but est en effet de renverser Paul Kagamé et non d’aider à la prise de
pouvoir d’une coalition comportant des Hutu qui ne lui pardonnent pas son rôle supposé
dans les massacres de civils lors de la conquête du nord du Rwanda par le FPR
en 1994.
Selon le MRCD, la fin du régime
Kagamé serait programmée pour quatre grandes raisons :
- Ses responsabilités dans
l'assassinat du président Habyarimana. Le mouvement accuse même directement
Paul Kagamé en des termes plus que précis : « le génocide est
devenu son fonds de commerce alors que c’est lui-même qui en a donné le coup
d’envoi le jour où il a abattu l’avion transportant les présidents Habyarimana
du Rwanda et Ntaryamira du Burundi » (Sur la question, voir mon livre
« Rwanda, un génocide en questions »).
- Les accusations à propos
des massacres commis par son armée, tant au Rwanda qu’en RDC,
- Les dissidences au sein
même du noyau dur de son régime,
- La volonté des pays de la
sous-région de se débarrasser d’un régime qui entretient le désordre chez ses
voisins.
En dépit de ces
affirmations, le régime Kagamé n’est pas isolé puisqu’il bénéficie de l’appui d’Israël
et qu’en dépit d’un certain refroidissement, les Etats-Unis y entretiennent
toujours un contingent militaire chargé de la formation des officiers rwandais.
Kigali a également tenté une ouverture en direction de la Russie ; sans
parler de son insolite et récent rapprochement avec la France illustré par le
soutien de Paris à la candidature rwandaise à la tête de la Francophonie. Une
décision pour le moins « baroque » car le Rwanda a abandonné le
français au profit de l’anglais comme langue officielle…
Si la plus grande prudence
s’impose face aux nouvelles parvenant de la région, il n’en demeure pas moins
vrai que :
1) Après les guerres des
années 1985-2008, une profonde recomposition ethno-politique s’est produite
dans la région des Grands Lacs autour de l’Ouganda de Yoweri Museveni et du
Rwanda de Paul Kagamé. Cependant, par-delà les solidarités héritées des
réalités ethniques (monde Hima-Tutsi), du passé récent (combats communs contre
le régime Obote en Ouganda, contre le régime Habyarimana au Rwanda, puis contre
le régime Mobutu au Zaïre), ainsi que de la commune appartenance à l’espace
anglophone, ces deux pays ont des intérêts contradictoires. La politique du
Rwanda dans la partie orientale de la RDC se heurte en effet directement à
celle de l’Ouganda dont la priorité est de régler définitivement la question du
pétrole du lac Albert où la France est présente à travers la compagnie
Elf-Total.
2) Depuis plusieurs années,
la RDC et le Rwanda se sont rapprochés, à telle enseigne que plusieurs acteurs
régionaux parlent même d’un pacte secret unissant les deux K (Kabila et Kagamé)
que certains vont même jusqu’à présenter comme étant cousins… Considérant qu’il
n’était pas en mesure de lutter à la fois contre les empiètements de l’Ouganda
dans la région du lac Albert, et contre ceux du Rwanda dans le Kivu, le
président Kabila aurait fait la part du feu, laissant le nord Kivu au Rwanda à
travers ses alliés congolais. En échange de quoi, Kigali lui aurait
« rétrocédé » le sud Kivu avec ses propres alliés Banyamulenge. D’où
l’insolite ralliement de ces derniers au MRCD…
3) En RDC où, dans le
contexte des élections présidentielles, législatives et régionales du 23
décembre 2018, la situation est explosive, la question des gisements
d’hydrocarbures du lac Albert avec ses réserves estimées à plusieurs milliards
de barils, est au cœur de la campagne. Or, la nappe est située sous les eaux du
lac, de part et d’autre de la frontière contestée entre l’Ouganda et la RDC (L’Afrique Réelle n°9, septembre 2010).
L’Ouganda qui a un impérieux besoin de cette ressource et qui souhaite donc entrer
en négociation avec un partenaire congolais fiable, ne supporte plus les
manœuvres déstabilisatrices de Kigali visant à empêcher un règlement sérieux
avec Kinshasa. Voilà pourquoi le président
Museveni attend l’élection d’un nouveau président moins
« inféodé » au Rwanda.
Pour Kigali, l’ennemi principal est donc le
président Ougandais. Or, « étrangement », ces dernières semaines, la
presse internationale spécialisée a fait état d’une information non vérifiée
selon laquelle les services français auraient informé le président
Museveni que Kigali aurait décidé un attentat contre son avion. Si une
telle nouvelle était fondée, cela signifierait que la politique française à
l’égard du Rwanda aurait brusquement changé et cela, quelques mois à peine
après le spectaculaire réchauffement des relations entre les deux pays. Comme,
pour la France, le Rwanda n’existe ni économiquement, ni politiquement, iI
serait alors légitime de demander si les intérêts pétroliers n’auraient pas motivé
une telle éventuelle volte-face.
Pour encore compliquer la
situation, la région est au contact de plusieurs zones de fortes turbulences,
depuis la RCA jusqu’au Soudan du Sud et bien des acteurs étrangers y jouent
leur jeu personnel, à commencer par la Russie, la Chine et Israël.
Les faits étant exposés,
comment pouvons-nous les analyser ?
Sans entrer dans les
détails, deux hypothèses principales sont en présence. D’une part, la réalité
des actuels évènements, donc une grave crise du régime Kagamé ; d’autre
part, une vaste manipulation.
- Première hypothèse, les faits sont avérés.
L’Ouganda qui veut régler la question du pétrole du lac Albert avec un
gouvernement congolais fiable a décidé de se débarrasser de Paul Kagamé l’allié
du président Kabila. Quant au Burundi hutu, son opposition au Rwanda tutsi est
inscrite dans la politique régionale.
- Deuxième hypothèse, nous sommes en présence
d’une manipulation. Cette dernière serait orchestrée à la fois par Kigali et
par Kinshasa, c’est-à-dire par les deux K (Kagamé et Kabila), afin de permettre
le report des élections congolaises et d’abord du scrutin présidentiel auquel le
président Kabila ne peut se présenter. Paul Kagamé ne peut en effet accepter
que soit élu un président qui fera de la récupération du Kivu un combat d’union
nationale car, sans le pillage des richesses de cette région, l’économie
rwandaise sombrerait et le régime avec.
Dans
cette optique, les « combats » dans le sud du pays seraient donc un
prétexte pour, au nom du droit de poursuite contre un mouvement postulé
« héritier des génocidaires », être en mesure de porter la guerre en
RDC. Or, si l’est de la RDC s’embrasait, les élections du 23 décembre 2018
seraient reportées et le président Kabila resterait donc au pouvoir...