Michel Lhomme, philosophe, politologue ♦
Avant de démissionner de ses fonctions de premier Ministre, Manuel Valls avait eu un geste significatif : il avait supprimé par décret du 1er janvier le dispositif coûteux des emplois aidés qui n’avaient en rien solutionné le problème du chômage en France. Lui aussi pensait à l’ubérisation comme alternative économique de sortie de crise ?
Le cabinet de conseil BCG avait publié en début d’année une étude sur le poids économique de la filière VTC à la demande d’Uber. L’impact y était particulièrement net en Île-de-France, qui concentre 90 % de l’activité des VTC . Tout l’été dernier et grâce au VTC, j’avais sillonné Paris et sa banlieue en taxi. Il n’était pas question de le faire auparavant pour des raisons budgétaires. A chaque fois, je suis tombé sur des garçons de banlieues plutôt courageux, tous issus de l’immigration mais souvent en pleine galère. Selon l’étude en question, les véhicules de transport avec chauffeur (VTC) ont créé plus de 20.000 emplois en 2016 et pourraient en générer des dizaines de milliers d’autres d’ici à 2022 si les pouvoirs publics ne brident pas cet essor avec l’idée que se profile une réglementation plus stricte.
Ce message, Uber, le leader du secteur, le martèle depuis des années et il connaît bien son modèle : il l’a importé d’Afrique et d’Amérique du Sud. C’est le modèle péruvien : professeur ou instituteur dans la journée et taxi lors des pauses ou la nuit. A Lima, il y a même une expression urbaine pour cela : « me voy a taxiar ». C’est exactement le modèle économique à venir pour les banlieues : « taxiar », travailler à n’en plus finir pour gagner trop peu ou encore moins.
La filière VTC représentait 800 millions d’euros en 2016, contre 15 millions seulement en 2013. C’est une croissance foudroyante restée cantonnée à l’Île-de-France mais qui représentent déjà 2 % du PIB francilien et 6 % de sa croissance. L’effet emploi dans la région est encore plus marqué : en juin 2016, 22.000 personnes exerçaient l’activité de chauffeur privé en Île-de-France et dans les grandes agglomérations françaises. Surtout, les VTC représentent 15 % des créations nettes d’emploi au premier semestre 2016, la proportion atteignant même 25 % en Île-de-France. Ce chiffre n’a effectivement rien à voir avec les emplois aidés de François Hollande dont on parlait au début et rend donc obsolètes tous les dispositifs de formation payée par Pôle Emploi et souvent soutenus par les syndicats. Entre 8.000 et 11.000 chauffeurs de banlieue ont déclaré qu’ils étaient auparavant sans activité, dont environ un tiers depuis plus d’un an. Les chauffeurs VTC sont ainsi devenus les porte-parole du libéralisme, le portrait vivant de la politique économique française des banlieues. A terme, on estime que la filière VTC pourrait peser 3,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, représenter 80.000 chauffeurs professionnels (certains étant à la fois taxis et VTC), et générer 1,3 milliard d’euros de recettes fiscales supplémentaires, essentiellement par la TVA.
A contrario, le développement du modèle VTC a totalement grignoté l’activité des taxis officiels. Ces derniers ont vu leur activité baisser de 15 % depuis 2013. Comme chacun le sait, les taxis parisiens qui avaient largement abusés auparavant par leurs tarifs et leurs comportements reçoivent à juste titre la monnaie de leur pièce. Ils ont d’ailleurs fait amende honorable et se sont réorganisés en étant enfin au service de la clientèle. Il était temps ! Ainsi, oui, nous préférons les VTC.
Pourtant quel est le bilan réel pour ces jeunes ?
Alors qu’un taxi parvenait, il y a quelques années à un salaire approximatif de 3500 euros, le revenu d’un chauffeur VTC indépendant se situe aujourd’hui en moyenne entre 1.400 et 1.600 euros net pour un temps plein et ce pour des journées à rallonge où le chauffeur doit payer la propre location de sa voiture et surtout sa couverture sociale. Au total, il ne lui reste souvent en fait que 800 euros pour vivre, les chauffeurs VTC ont ainsi souvent dénoncés ce qu’ils considèrent comme un «esclavage moderne».
Le modèle économique VTC demeure pourtant le seul modèle économique du nouveau Président, flexibilité et dérégulation du travail, modèle qui incite de fait à l’informalité. De fait, Uber c’est aussi une manière de traiter cyniquement la question immigrée par le trafic: l’ubérisation prône la débrouille, le traitement par le bas du problème social, la sous-prolétarisation territoriale et ethnique.