Dans la bataille à laquelle se livrent les grandes places financières européennes depuis le référendum du 23 juin 2016, c'est bien un tournant qui vient de se produire.
L'information est passée quasiment inaperçue, noyée dans le maelstrom politique
provoqué mi-juillet par la tentative de Theresa May de reprendre la
main sur le dossier du Brexit. Vue du sommet des tours du coeur
financier de Londres, elle est pourtant d'une importance capitale. Et
pour cause, le projet de compromis bancal de Downing Street ne fait plus de la défense de la City une priorité,
alors que les discussions avec Bruxelles entrent dans la dernière ligne
droite. En clair, que le Brexit soit « hard » ou « soft », les
établissements financiers présents à Londres pourraient bien perdre leur
accès privilégié à l'un des principaux bassins d'épargne de la planète
qui est accessoirement aussi l'un de ses grands poumons économiques.
« Lâchage »
Alors, bien sûr, le scénario de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne peut encore nous réserver bien des surprises au cours des quelque sept mois qui nous séparent de la date butoir du 29 mars 2019. Mais dans la bataille à laquelle se livrent les grandes places financières européennes depuis le référendum du 23 juin 2016, c'est bien un tournant qui vient de se produire. Au moment où les grands acteurs internationaux installés dans la City finalisent leur « contingency plans » les plans de poursuite de leur activité post-Brexit, ce « lâchage » résonne comme un appel à faire ses valises pour rejoindre le Continent.
Cet appel n'a d'ailleurs pas tardé à être
entendu. Dès hier, Deutsche Bank a ainsi annoncé qu'il allait déplacer
de Londres à Francfort « une grande partie » de son clearing de taux en
euros. Et même s'il ne s'agit que de déplacer des ordinateurs et pas des
hommes, cette délocalisation d'une activité clef pour la stabilité
financière montre bien que l'idée que, dans le monde de l'après-29 mars,
il sera quasiment impossible pour une place offshore d'avoir la haute
main sur les activités financières de la zone euro se répand à grande
vitesse. Il y a donc fort à parier que les rapatriements d'activités sur
le continent vont se multiplier désormais. Le goutte-à-goutte de ces
derniers mois va se transformer en un flux continu. Pas de quoi sonner
le glas de la City et de ses 400.000 salariés, mais assez pour donner raison à Christine Lagarde
qui invitait récemment les autorités européennes à se préparer à
« l'arrivée massive d'entreprises financières » en provenance de
Londres.
Paris fait la course en tête
Paris
est évidemment bien placé pour bénéficier de cette nouvelle donne. Elle
fait déjà la course en tête avec un peu plus de 3.000 banquiers
transférés des bords de la Tamise vers ceux de la Seine. Mais La Défense
a peu de chances de devenir la City des années 2020. D'abord, parce que
l'écosystème fruit de quarante ans de leadership financier mettra du
temps avant de se dégrader complètement. Ensuite, parce que l'Europe
continentale dispose de plusieurs autres centres financiers (Francfort,
Luxembourg, Dublin, Amsterdam), qui entendent tous jouer leur carte à
fond. Enfin, parce qu'une part non négligeable des naufragés du Brexit
sera inévitablement rapatriée à Wall Street, le siège des véritables seigneurs de la City , les banques américaines.
François Vidal