Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Armin Mohler et la «Révolution Conservatrice»
(2ième partie)
par Luc PAUWELS
Dans
notre numéro 59/60 de novembre-décembre 1989, Robert Steuckers avait
analysé la première partie de l'introduction théorique d'Armin Mohler.
Au même moment, Luc Pauwels, directeur de la revue Teksten, Kommentaren
en Studies (in nr. 55, 2de trimester 1989), se penchait sur le même
maître-ouvrage de Mohler et mettait l'accent sur la seconde partie
théorique, notamment sur la classification des différentes écoles de ce
mouvement aux strates multiples. Nous ne reproduisons pas ci-dessous
l'entrée en matière de Pauwels, car ce serait répéter en d'autres mots
les propos de Steuckers. En revanche, le reste de sa démonstration
constitue presque une sorte de suite logique à l'analyse parue dans
notre n°59/60.
Débuts et contenu
Les
premiers balbutiements de la Révolution Conservatrice, écrit Mohler,
ont lieu lors de la Révolution française: «Toute révolution suscite en
même temps qu'elle la contre-révolution qui tente de l'annihiler. Avec
la Révolution française, advient victorieusement le monde qui, pour la
Révolution Conservatrice représente l'adversaire par excellence.
Définissons provisoirement ce monde comme celui qui refuse de mettre
l'immuable de la nature humaine au centre de tout et croit que l'essence
de l'homme peut être changée. La Révolution française annonce ainsi la
possibilité d'un progrès graduel et estime que toutes les choses,
relations et événements sont explicables rationnellement; de ce fait,
elle essaie d'isoler chaque chose de son contexte et de la comprendre
ainsi pour soi».
Mohler nous rappelle ensuite un malentendu tenace, que l'on rencontre
très souvent lorsque l'on évoque la Révolution Conservatrice. Un
malentendu qui, outre la confusion avec le fascisme et le
national-socialisme, lui a infligé beaucoup de tort: c'est l'idée
erronée qui veut que tout ce qui est (ou a été) fait et dit contre la
Révolution française, son idéologie et ses conséquences, relève de la
Révolution Conservatrice.
La Révolution de
1789 a dû faire face, à ses débuts, à deux types d'ennemis qui ne sont
en aucune manière des précurseurs de la Révolution Conservatrice.
D'abord, il y avait ses adversaires intérieurs, qui estimaient que les
résultats de la Révolution française et/ou de son idéologie égalitaire
étaient insuffisants. Cette opposition interne a commencé avec Gracchus
Babeuf (1760-1797), adepte d'«Egalité parfaite» (la majuscule est de
lui), qui voulait supprimer toutes les formes de propriété privée et
espérait atteindre l'«Egalité des jouissances». Sa tentative de coup
d'Etat, appelée la «Conjuration des Egaux», fut tué dans l'œuf et
l'aventure se termina en parfaite égalité le 27 mai 1797... sous le
couperet de la guillotine.
Toutes
les tendances qui puisent leur inspiration dans l'égalitarisme de
Babeuf et qui, sur base de ces idées, critiquent la Révolution
française, n'ont rien à voir, bien entendu, avec la Révolution
Conservatrice (RC). Elles appartiennent, pour être plus précis, aux
traditions du marxisme et de l'anarchisme de gauche.
Ensuite,
la Révolution française, dès ses débuts, a eu affaire à des groupes qui
la combattaient pour maintenir ou récupérer leurs positions sociales
(matérielles ou non), que les Jacobins menaçaient de leur ôter ou
avaient détruites. Les adeptes de la RC ont toujours eu le souci de
faire la différence entre leur propre attitude et cette position; ils
ont qualifié l'action qui en découlait, écrit Mohler, de
«restauratrice», de «réactionnaire», d'«altkonservativ»
(«vieille-conservatrice»), etc. Mais, au cours du XIXième siècle, les
tenants de la RC (qui ne porte pas encore son nom, ndt) et les
«Altkonservativen» font face à un ennemi commun, ce qui les force trop
souvent à forger des alliances tactiques avec les réactionnaires, à se
retrouver dans le même camp politique. Ainsi, la différence essentielle
qui sépare les uns des autres devient moins perceptible pour les
observateurs extérieurs. Dans les rangs mêmes de la RC, on s'aperçoit
des ambiguïtés et le discours s'anémie. Pour les RC de pure eau, ces
alliances et ces ambiguïtés auront trop souvent des conséquences
fatales. Mohler nous l'explique: «Car, à la RC, n'appartiennent
—comme le couplage paradoxal des deux mots l'indique— que ceux qui
s'attaquent aux fondements du siècle du progrès sans simplement vouloir
une restauration de l'Ancien Régime».
Sous
sa forme pure, la RC est toujours restée au stade de la formulation
théorique. Rauschning, lui aussi, décrit ce caractère composite dans son
ouvrage intitulé précisément Die Konservative Revolution:
«Le mouvement opposé, qui se dresse contre le développement des idées
révolutionnaires, a amorcé sa croissance au départ de stades initiaux
embrouillés et semi-conscients, pour atteindre ce que nous nommons, avec
Hugo von Hoffmannstahl, la RC. Elle représente le renversement complet
de la tendance politique actuelle. Mais ce contre-mouvement n'a pas
encore trouvé d'incarnation pure, adaptée à lui-même. Il participe aux
tentatives d'instaurer des modèles d'ordre totalitaire et césariste ou à
des essais plattement réactionnaires. C'est pour toutes ces raisons,
précisément, qu'il reste confus et brouillon...».
Sur
base de cette constatation, Mohler observe que toute description
cohérente du processus de maturation de la RC se mue automatiquement en
une véritable histoire des idées. Si on cherche à la décrire comme une
partie intégrante de la réalité politique, elle déchoit en un événement
subalterne ou marginal. De ce fait, il ne faut pas donner des limites
trop exiguës à la RC: elle déborde en effet sur d'autres mouvements,
d'autres courants de pensée. Et vu le flou de ces limites, flou dû à la
très grande hétérogénéité des choses que la RC embrasse, des choses qui
font irruption dans son champs, Mohler est obligé de tracer une
démarcation arbitraire afin de bien circonscrire son sujet. Il
s'explique: «Au sens large, le terme "Révolution Conservatrice" englobe
un ensemble de transformations s'appuyant sur un fondement commun, des
transformations qui se sont accomplies ou qui s'annoncent, et qui
concerne tous les domaines de l'existence, la théologie comme par
exemple les sciences naturelles, la musique comme l'urbanisme, les
relations interfamiliales comme les soins du coprs ou la façon de
construire une machine. Dans notre étude, nous nous bornerons à donner
une définition exclusivement politique au terme; notre étude se
limitant à l'histoire des idées, nous désignons par "Révolution
Conservatrice" une certaine pensée politique».
Les pères fondateurs, les précurseurs et les parrains
Une pensée politique, une Weltanschauung, implique qu'il y ait des penseurs. Mohler les appelle les Leitfiguren,
les figures de proue, que nous nommerions par commodité les
«précurseurs». Mohler souligne, dans la seconde partie de son ouvrage,
inédite dans les premières éditions, que l'intérêt pour les précurseurs
s'est considérablement amplifié. Les figures qui ont donné à la RC sa
plus haute intensité spirituelle et psychique, ses penseurs les plus
convaincants et aussi ses incarnations humaines les plus irritantes ont
désormais trouvé leurs biographes et leurs analystes».
Si
l'on parle de «père fondateur», il faut évidemment citer Friedrich
Nietzsche (1844-1900), reconnu par les amis et les ennemis comme
l'initiateur véritable du phénomène intellectuel et spirituel de la RC. A
côté de lui, le penseur français, moins universellement connu, Georges
Sorel (1847-1922)... Nous reviendrons tout à l'heure sur ces deux
personnages centraux.
Au
second rang, une génération plus tard, nous trouvons le «trio» (ainsi
que le nomme Mohler): Carl Schmitt (1888-1985), Ernst Jünger (°1895) et
Martin Heidegger (1889-1976). Mohler cite ensuite toute une série de
penseurs dont l'influence sur la RC est sans doute moins directe mais
non moins intense. Les parrains non-allemands sont essentiellement des
sociologues et des historiens du début de notre siècle qui, très tôt,
avaient annoncé le crise du libéralisme bourgeois: les Italiens
Vilfredo Pareto (1848-1923) et Gaëtano Mosca (1858-1941), l'Allemand
Robert(o) Michels (1876-1936), installé en Italie, l'Américain d'origine
norvégienne Thorstein Veblen (1857-1929). L'Espagne nous a donné Miguel
de Unamuno (1864-1936) puis, une génération plus tard, José Ortega y
Gasset (1883-1956). La France, elle, a donné le jour à Maurice Barrès
(1862-1923).
Quelques-uns
de ces penseurs revêtent une double signification pour notre propos:
ils sont à la fois «parrains» de la RC en Allemagne et partie intégrante
dans les initiatives conservatrices-révolutionnaires qui ont animé la
scène politico-idéologiques dans nos propres provinces.
Parmi
les «parrains» allemands de la RC, Mohler compte le compositeur Richard
Wagner (1813-1883), les poètes Gerhart Hauptmann (1862-1946) et Stefan
George (1868-1933), le psychologue Ludwig Klages (1872-1956) et, bien
sûr, Thomas Mann (1875-1955), Gottfried Benn (1896-1956) et
Freidrich-Georg Jünger (1898-1977), le frère d'Ernst.
D'autres
parrains allemands sont à peine connus dans nos provinces; Mohler les
cite: les poètes Konrad Weiss (1880-1940) et Alfred Schuler (1865-1923),
les écrivains Rudolf Borchardt (1877-1945) et Léopold Ziegler
(1881-1958), un ami d'Edgar J. Jung, connu surtout pour son livre Volk, Staat und Persönlichkeit
(«Peuple, Etat et personnalité»; 1917). Enfin, il y a Max Weber
(1864-1920), le plus grand sociologue que l'Allemagne ait connu, célèbre
dans le monde entier mais pas assez pratiqué dans nos cercles
non-conformistes.
La RC dans d'autres pays
Pour
Mohler, la RC est «un phénomène politique qui embrasse toute l'Europe
et qui n'est pas encore arrivé au bout de sa course». Dans la préface à
la première édition de son ouvrage, nous lisons que la RC est «ce
mouvement de rénovation intellectuelle qui tente de remettre de l'ordre
dans le champs de ruines laissé par le XIXième siècle et cherche à
créer un nouvel ordre de la vie. Mais si nous ne sélectionnons que la
période qui va de 1918 à 1932, nous pouvons quand même affirmer que la
RC commence déjà au temps de Goethe et qu'elle s'est déployée sans
interruption depuis lors et qu'elle poursuit sa trajectoire aujourd'hui
sur des voies très diverses. Et si nous ne présentons ici que la partie
allemande du phénomène, nous n'oublions pas que la RC a touché la
plupart des autres pays européens, voire certains pays
extra-européens».
Mohler
réfute la thèse qui prétend que la RC est un phénomène exclusivement
allemand. Il suffit de nommer quelques auteurs pour ruiner cet opinion,
explique Mohler. Quelques exemples: en Russie, Dostoievski (1821-1881),
le grand écrivain, chaleureux nationaliste et populiste russe; les
frères Konstantin (1917-1860) et Ivan S. Axakov (1823-1886). En France,
Georges Sorel (1847-1922), le social-révolutionnaire le plus original
qui soit, et Maurice Barrès (1862-1923). Ensuite, le philosophe, homme
politique et écrivain espagnol Miguel de Unamuno (1864-1936),
l'économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923), célèbre
pour sa théorie sur l'émergence et la dissolution des élites. En
Angleterre, citons David Herbert Lawrence (1885-1930) et Thomas Edward
Lawrence (1888-1935), qui fut non seulement le mystérieux «Lawrence
d'Arabie» mais aussi l'auteur des Seven Pillars of Wisdom, de The Mint, etc.
Cette
liste pourrait être complétée ad infinitum. Bornons-nous à nommer
encore T.S. Eliot et le grand Chesterton pour la Grande-Bretagne et
Jabotinski pour la diaspora juive. Tous ces noms ne sont choisis qu'au
hasard, dit Mohler, parmi d'autres possibles.
Dans
les Bas Pays de l'actuel Bénélux, on observe un contre-mouvement
contre les effets de la Révolution française dès le début du XIXième
siècle. En Hollande, les conservateurs protestants se donnèrent le nom
d'«antirévolutionnaires», ce qui est très significatif. Guillaume Groen
van Prinsterer (1801-1876) et Abraham Kuyper (1837-1920) donnèrent au
mouvement antirévolutionnaire et au parti du même nom (ARP, depuis
1879) une idéologie corporatiste et organique de facture nettement
populiste-conservatrice (volkskonservatief). Conrad Busken Huet (1826-1886), prédicateur, journaliste et romancier, infléchit son mouvement, Nationale Vertoogen,
contre le libéralisme, héritier de la Révolution française. Son ami
Evert-Jan Potgieter (1808-1875) qui, en tant qu'auteur et co-auteur de De Gids,
avait beaucoup de lecteurs, évolua, lui aussi, dans sa critique de la
société, vers des positions conservatrices-révolutionnaires; il
décrivait ses idées comme participant d'un «radicalisme conservateur» (konservatief radikalisme).
Après
la première guerre mondiale, aux Pays-Bas, les idéaux
conservateurs-révolutionnaires avaient bel et bien pignon sur rue et se
distinguaient nettement du conservatisme confessionnel. Ainsi, le Dr.
Emile Verviers, qui enseignait l'économie politique à l'Université de
Leiden, adressa une lettre ouverte à la Reine, contenant un programme
assez rudimentaire d'inspiration conservatrice-révolutionnaire. Sur
base de ce programme rudimentaire, une revue vit le jour, Opbouwende Staatkunde
(Politologie en marche). Le philosophe et professeur Gerard Bolland
(1854-1922) prononça le 28 septembre 1921 un discours inaugural à
l'Université de Leiden, tiré de son ouvrage De Tekenen des Tijds (Les signes du temps), qui lança véritablement le mouvement conservateur-révolutionnaire aux Pays-Bas et en Flandre.
Dans
les lettres néerlandaises, dans la vie intellectuelle des années 20 et
30, les tonalités et influences conservatrices-révolutionnaires
étaient partout présentes: citons d'abord la figure très contestée
d'Erich Wichman sans oublier Anton van Duinkerken, Gerard Knuvelder,
Menno ter Braak, Hendrik Marsman et bien d'autres. En Flandre, la
tendance conservatrice-révolutionnaire ne se distingue pas facilement du
Mouvement Flamand, du nationalisme flamand et du courant
Grand-Néerlandais: la composante national(ist)e de la RC domine et
refoule facilement les autres. Hugo Verriest et Cyriel Verschaeve, deux
prêtres, doivent être mentionnés ici (1), de même qu'Odiel Spruytte
(1891-1940), un autre prêtre peu connu mais qui fut très influent,
surtout parce qu'il était un brillant connaisseur de l'œuvre de
Nietzsche (2). En dehors du mouvement flamand, il convient de
mentionner le leader socialiste Henri De Man (3), le Professeur Léon
van der Essen (4) et Robert Poulet, récemment décédé et auteur, entre
autres, de La Révolution est à droite (5). Sans oublier le Baron Pierre Nothomb (6), chef des Jeunesses Nationales et Charles Anciaux de l'Institut de l'Ordre Corporatif (7).
Les
noms de Lothrop Stoddard et de Madison Grant, défenseurs soucieux de
l'identité de la race blanche, de James Burnham, théoricien de The Managerial Revolution, mais aussi auteur du The Suicide of the West et de The War we are in,
montrent que les Etats-Unis aussi ont contribué à la RC. Dans les
grands bouleversements qui affectent depuis quelques dizaines d'années
l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine, on peut, explique Mohler,
trouver des phénomènes apparentés: «Notamment le mélange,
caractéristique de la RC, de lutte pour la libération nationale, de
révolution sociale et de rédécouverte de sa propre identité».
Le
mouvement ouvrier péroniste en Argentine, avec Juan et Evita Perón,
constitue, sur ce chapitre, un exemple d'école. Plus nettement marquée
encore est l'œuvre du révolutionnaire chinois, le Dr. Sun Ya-Tsen
(1866-1925), fondateur du Kuo-Min-Tang, qui, dans son livre Les trois principes du peuple (8), prêche explicitement pour le nationalisme, la révolution sociale et la voie chinoise vers la démocratie.
Mohler
pose un constat: le fait que la Révolution française a mis en branle un
contre-mouvement conservateur dont le point focal a été l'Allemagne,
indique clairement que nous avons affaire à un phénomène de dimensions
au moins européennes; «L'accent mis sur l'élément allemand dans la RC
mondiale se justifie sur certains plans. Mêmes les expressions non
allemandes de cette révolution intellectuelle contre les idées de 1789
s'enracinent dans ce chapitre de l'histoire des idées en Allemagne, qui
s'étend de Herder au Romantisme. En Allemagne même, cette révolte a
connu sa plus forte intensité».
L'un
des facteurs qui a le plus contribué à l'européanisation générale de la
RC est sans conteste la large diffusion des œuvres et des idées de
Nietzsche. Armin Mohler tente de ne pas englober Nietzsche dans la RC,
mais démontre de façon convaincante que sans Nietzsche, le mouvement
n'aurait pas acquis ses Leitbilder
(«images directrices») typiques et communes. Son influence s'est faite
sentir dans les Bas Pays, notamment chez le jeune August Vermeylen (9)
et, d'après H.J. Elias (10), sur toute une génération d'étudiants de
l'Athenée d'Anvers, parmi lesquels nous découvrons Herman van den
Reeck, Max Rooses, Lode Claes et d'autres figures célèbres. La
philosophie de Nietzsche a permis qu'éclosent dans toute l'Europe des
courants d'inspiration conservatrice-révolutionnaire.
Le
Normand Georges Sorel, le second «père fondateur» de la RC selon Mohler
(11), est toutefois resté inconnu dans nos régions. Cet ingénieur et
philosophe n'a pratiquement jamais été évoqué dans notre
entre-deux-guerres (12). A notre connaissance, la seule publication
néerlandaise qui parle de lui est l'étude de J. de Kadt sur le fascisme
italien; elle date de 1937 (13). On dit qu'il aurait exercé une
influence discrète sur Joris van Severen (14) mais son meilleur
biographe, Arthur de Bruyne (15), dont le travail est pourtant très
fouillé, ne mentionne rien.
Les groupes «völkisch»
Nous
ne devons pas concevoir la RC comme un ensemble monolithique. Elle a
toujours été plurielle, contradictoire, partagée en de nombreuses
tendances, mouvements et mentalités souvent antagonistes. Mohler
distingue cinq groupes au sein de la RC; leurs noms allemands sont: les Völkischen, les Jungkonservativen et les Nationalrevolutionäre, dont les tendances idéologiques sont précises et distinctes. Ensuite, il y a les Bündischen et la Landvolkbewegung,
que Mohler décrit comme des dissidences historiques concrètes qui n'ont
produit des idéologies spécifiques que par la suite. Cette
classification en cinq groupes de la RC allemande n'est pas aisément
transposable dans les autres pays. Partout, on trouve certes les mêmes
ingrédients mais en doses et mixages chaque fois différents. Cette
prolixité rend évidemment l'étude de la RC très passionnante.
Le premier groupe, celui des Völkischen, met l'idée de l'«origine» au centre de ses préoccupations. Les mots-clefs sont alors, très souvent, le peuple (Volk), la race, la souche (Stamm) ou la communauté linguistique. Et chacun de ces mots-clefs conduit à l'éclosion de tendances völkische très différentes les unes des autres. Dans la foule des auteurs allemands de tendance völkische,
signalons-en quelques-uns qui ont été lus et appréciés à titres
divers chez nous, de manière à ce que le lecteur puisse discerner plus
aisément la nature du groupe que par l'intermédiaire d'une longue
démonstration théorique: Houston Stewart Chamberlain, Adolf Bartels,
Hans F.K. Günther, Ernst Bergmann, Erich et Mathilde Ludendorff, Herman
Wirth et Erwin Guido Kolbenheyer.
Chez nous, quand la tendance völkische est évoquée, l'on songe tout de suite à Cyriel Verschaeve qui y a indubitablement sa place. Les mots-clefs volk (peuple) et taal
(langue) peuvent toutefois nous induire en erreur car l'ensemble du
mouvement flamand a pris pour axes ces deux vocables. Une fraction
seulement de ce mouvement peut être considérée comme appartenant à la
tendance völkische, notamment une partie de l'orientation grande-néerlandaise qui, explicitement, plaçait le «principe organique de peuple» (organische volksbeginsel),
théorisé par Wies Moens (16), ou le «principe national-populaire»,
au-dessus de toutes autres considérations politiques et/ou
philosophiques. Nous songeons à Wies Moens lui-même et à la revue Dietbrand, à Ferdinand Vercnocke, à Robrecht de Smet et sa Jong-Nederlandse Gemeenschap (Communauté Jeune-Néerlandaise), à l'aile dite Jong-Vlaanderen (Jeune-Flandre) de l'activisme (17), à l'anthropologue Dr. Gustaaf Schamelhout (18), etc.
Au sein de la tendance völkische a toujours coexisté, chez nous, une tradition basse-allemande (nederduits), à laquelle appartenaient Victor Delecourt et Lodewijk Vlesschouwer (qui participait, e.a., à la revue De Broederhand), le Aldietscher
(Pan-Thiois) Constant Jacob Hansen (1833-1910) (19) et le germanisant
plus radical encore Pol de Mont (1857-1931), qui déjà avant la première
guerre mondiale avait développé son propre corpus völkisch.
Le groupe des Jungkonservativen
A rebours de volks (völkisch), le terme de jungkonservativ (jongkonservatief) n'a jamais, à ma connaissance, été utilisé dans nos provinces. En Allemagne, démontre Mohler, le terme jungkonservativ est le vocable classique qu'ont utilisé les fractions du mouvement conservateur qui, par l'adjonction de l'adjectif «jeune» (jung), voulaient se démarquer du conservatisme antérieur, purement «conservant» et réactionnaire, l'Altkonservativismus. Les Jungkonservativen
s'opposent, en esprit et sur la scène politique, au monde légué par
1789 et tirent de cette opposition des conséquences résolument
révolutionnaires. Les grandes figures du Jungkonservativismus,
également connue hors d'Allemagne, sont notamment Oswald Spengler
(20), Arthur Moeller van den Bruck (21), Othmar Spann, Hans Grimm et
Edgar J. Jung.
Le peuple et la langue, concepts-clefs des Völkischen, ne sont certes pas niés par les Jungkonservativen,
encore moins méprisés. Mais pour eux, ces concepts ne sont pas
pertinents si l'on veut construire un ordre: ils conduisent à la
constitution d'Etats nationaux fermés, monotone, comparables aux Etats
d'inspiration jacobine. De plus, ces Etats précipitent l'Europe,
continent qui n'a que peu de frontières linguistiques et ethniques
précises, dans des conflits frontaliers incessants, dans des querelles
d'irrédentisme, des guerres balkaniques. En pervertissant le principe völkisch,
ils provoquent une extrême intolérance à l'encontre des minorités
ethniques et linguistiques à l'intérieur de leurs propres frontières. De
tels débordements, l'histoire en a déjà assez connus.
Le mot-clef pour les Jungkonservativen est dès lors le Reich. L'idée de Reich,
prisée également dans les Bas Pays, n'implique pas un Etat fermé à
peuple unique ni un Etat créé par un peuple conquérant sachant manier
l'épée. Le Reich est une
forme de vivre-en-commun propre à l'Europe, né de son histoire, qui
laisse aux souches ethniques et aux peuples, aux langues et aux régions,
leurs propres identités et leurs propres rythmes de développement, mais
les rassemble dans une structure hiérarchiquement supérieure. Dans ce
sens, explique Mohler, l'Etat de Bismarck et celui de Hitler ne peuvent
être considérés comme des avatars de l'idée de Reich.
Ce sont des formes étatiques qui oscillent entre l'Etat-Nation de type
jacobin et l'Etat-conquérant impérialiste à la Gengis Khan.
En langue néerlandaise, Reich peut parfaitement se traduire par rijk.
Dans d'autres langues, le mot allemand est souvent traduit à la hâte
par des mots qui n'ont pas le même sens: «Empire» suggère trop la
présence d'un empereur; «Imperium» fait trop «impérialiste»;
«Commonwealth» suggère une association de peuples beaucoup plus lâche.
Mentionnons encore trois particularités qui nous donnerons une image plus complète du groupe jungkonservativ. D'abord, l'influence chrétienne est la plus prononcée dans ce groupe. L'idée médiévale de Reich est perçue par quelques-uns de ces penseurs jungkonservativ
comme essentiellement chrétienne, qualité qui demeurera telle,
affirment-ils, même si l'idée doit connaître encore des avatars
historiques. Les Jungkonservativen
chrétiens perçoivent la catholitas comme une force fédératrice des
peuples, comme une sorte de ciment historique. Pour eux, cette catholitas ne semble donc pas un but en soi mais un instrument au service de l'idée de Reich.
Ensuite, ces Jungkonservativen
cutlivent une nette tendance à peaufiner leur pensée juridique, à
ébaucher des structures et des ordres juridiques idéaux. C'est en tenant
compte de cet arrière-plan que le deuxième concept-clef de la sphère jungkonservative,
en l'occurrence l'idée d'ordre, prend tout son sens. En dehors de
l'Allemagne, c'est incontestablement ce concept-là qui a été le plus
typique. Mohler écrit, à ce propos: «L'unité, à laquelle songent les Jungkonservativen (...) englobe une telle prolixité d'éléments, qu'elle exige une mise en ordre juridique».
Enfin, troisièmement, les Jungkonservativen sont les plus «civilisés» de la planète RC et, pour leurs adversaires, les plus «bourgeois». Après eux viennent les Völkischen,
qui passent pour des philologues mystiques ou des danseurs de danses
populaires, et les Nationaux-Révolutionnaires, qui font figures de dinamiteros exaltés. Des cinq groupes, les Jungkonservativen
sont les seuls, dit Mohler, qui ne s'opposent pas de manière
irréconciliable à l'environnement politique établi, soit à la
République de Weimar. Ils sont restés de ce fait des interlocuteurs
acceptés. Entre eux et les adversaires de la RC, les ponts n'ont pas été
totalement coupés, malgré les césures profondes qui séparaient à
l'époque les familles intellectuelles.
Dans les Bas Pays, plusieurs figures de la vie intellectuelle étaient apparentées au courant jungkonservativ.
Songeons à Odiel Spruytte qui, malgré son ancrage profond dans le
Mouvement Flamand, restait un défenseur typique de l'«universalisme»
d'Othmar Spann (22). Aux Pays-Bas, citons Frederik Carel Gerretsen,
historien, poète (sous le pseudonyme de Geerten Gossaert) et homme
politique (actif, entre autres, dans la Nationale Unie).
Lorque l'on recherche les traces de l'idéologie jungkonservative
dans nos pays, il faut analyser et étudier les concepts de solidarisme
et de personnalisme: les tenants de cette orientation doctrinale
appartenaient très souvent à la démocratie chrétienne. Les «navetteurs»
qui oscillaient entre la démocratie chrétienne et la RC, version jungkonservative, étaient légion.
Le Jungkonservativ
le plus typé, le seul à peu près qui ait vraiment fait école chez nous,
c'est Joris van Severen. Chez lui, les concepts-clefs d'«ordre» et
d'«élite» sont omniprésents; sa pensée est juridico-structurante, ce
qui le distingue nettement des nationalistes flamands aux démarches
protestataires et friands de manifestations populaires. Autre affinité
avec les Jungkonservativen:
sa tendance à chercher des interlocuteurs dans l'aile droite de
l'établissement... Mais ce qui est le plus étonnant, c'est la
similitude entre sa pensée de l'ordre et l'idée de Reich des Jungkonservativen
de l'ère weimarienne: Joris van Severen refuse la thèse «une langue,
un peuple, un Etat» et part en quête d'un modèle historique plus
qualitatif, reflet d'un ordre supérieur, mais très éloigné de l'Etat
belge de type jacobin, qui, pour lui, était aussi inacceptable. Dans
cette optique, ce n'est pas un hasard qu'il se soit référé aux anciens
Pays-Bas, dans leur forme la plus traditionnelle, celle du «Cercle de
Bourgogne» du Reich
de Charles-Quint. Jacques van Artevelde (23) en avait lancé l'idée au
Moyen Age et elle avait tenu jusqu'en 1795. L'argumentation qu'a
développé Joris van Severen pour étayer son idéal grand-néerlandais dans
le sens des Dix-Sept Provinces historiques (24), et contre toutes les
tentatives de créer un Etat sur une base exclusivement linguistique, est
au fond très semblable à celle qu'avait déployé Edgar J. Jung lorsqu'il
polémiquait avec les Völkischen pour défendre l'idée de Reich. A la fin des années 30, van Severen parlait de plus en plus souvent du «Dietse Rijk» (de l'Etat thiois; du Regnum
thiois), utilisant dans la foulée le vieux terme de Dietsland (Pays
Thiois) (25) pour bien marquer la différence qui l'opposait aux
«nationalistes linguistiques» (26).
Les nationaux-révolutionnaires
Le
troisième groupe, celui des nationaux-révolutionnaires, est un produit
typique de la «génération du front» en Allemagne. Il est plus difficile
à cerner pour nous, dans les Bas Pays. De plus, la plupart des auteurs
nationaux-révolutionnaires sont peu connus chez nous. Friedrich
Hielscher, Karl O. Paetel, Arthur Mahraun, pour ne nommer que les plus
connus d'entre eux, sont très souvent ignorés, même par les politologues
les plus chevronnés. D'autres, en revanche, sont beaucoup plus
célèbres. Mais cette célébrité, ils l'ont acquise pendant une autre
période et pour d'autres activités que leur engagement
national-révolutionnaire. Ainsi, Ernst von Salomon acquit sa grande
notoriété pour ses romans à succès. Otto et Gregor Strasser, à la fin de
leur carrière, ont été connus du monde entier parce qu'ils ont été les
compagnons de route de Hitler, avant de s'opposer violemment à lui et,
pour Gregor, de devenir sa victime. Ernst Niekisch, lui, est souvent
considéré à tort comme un communiste parce qu'après la guerre il a
enseigné à Berlin-Est (27). Mais cette notoriété, due à des faits et
gestes posés en dehors de l'engagement politique, fait que les
nationaux-révolutionnaires sont en général très mal situés. On les
considère comme des «nazis de gauche», ce qui est inexact dans la
plupart des cas, sauf peut-être pour Gregor Strasser, assassiné sur
ordre de Hitler en 1934. Ou bien on les considère comme des communistes
sans carte du parti, ce qui n'est vrai que pour quelques-uns d'entre
eux.
En
réalité, l'attitude nationale-révolutionnaire est le fruit d'une
étincelle jaillie du choc entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite.
Les étincelles ne meurent pas si l'on parvient, grâce à elles, à
allumer un foyer: ce que voulaient les nationaux-révolutionnaires. Ils
considéraient plus ou moins les Völkischen comme des romantiques et des «archéologues» et les Jungkonservativen
comme des individus qui voulaient construire du neuf avant que les
ruines n'aient été balayées. Evacuer les ruines, mieux, contribuer
énergiquement au déclin rapide du monde bourgeois, dénoncer la décadence
capitaliste: voilà ce que les nationaux-révolutionnaires comprenaient
comme leur tâche. Pour la mener à bien, ils présentait un curieux
cocktail de passion sauvage et de froideur sans illusions, produit de
leur expérience du front.
Mohler
cite une phrase typique de Franz Schauwecker, figure de proue du
«nationalisme soldatique»: «L'Allemand se réjouit de ses déclins parce
qu'ils sont le rajeunissement». La gauche comme la droite sont dépassées
pour les nationaux-révolutionnaires. Ils voulaient dépasser la gauche
sur sa gauche et la droite sur sa droite. Pour eux, Staline était un
conservateur et Hitler un libéral. Ce que les temps nouveaux
apporteront, ils ne le savent pas trop: «mouvement», tel est le premier
mot-clef. Le deuxième, c'est la «nation», celle qui est née dans les
tranchées. Schauwecker décrit comment la réalité et la foi, comment
l'instinct et la profondeur de la pensée, la nature et l'esprit ont
fusionné. «Dans cette unité, la nation était soudainement présente».
C'est cela pour eux, le nationalisme: la société allemande sans classes.
Au
Pays-Bas, il y a eu une figure nationale-révolutionnaire bien typée:
Erich Wichman (1890-1929), surnommé souvent avec mépris le «premier
fasciste néerlandais», alors qu'il est très difficile de coller
l'étiquette de fasciste (si l'on entend par fasciste, cette sorte de
militaires d'opérette chaussés de belles bottes bien cirées) sur ce
représentant impétueux de la bohème hollandaise, au visage déformé par
un oeil de verre. Les noms des groupuscules qu'il a fondé De Rebelse Patriotten (Les Patriotes Rebelles), De Anderen (Les Autres), De Rapaljepartij
(Le Parti de la Racaille) trahissent tous l'élan oppositionnel et le
défi adressé à «tout ce qui est d'hier», assortis d'un résidu de foi
nationale. A son ami, le Dr. Hans Bruch, il écrivit ces phrases
révélatrices: «Je n'ai pas besoin de vous dire que, moi comme vous, nous
souhaitons que les Pays-Bas et Orange soient au-dessus de tout! Mais...
ce cri de guerre ne peut plus être un cri de guerre parce qu'il a été
répété a satiété, éculé, galvaudé et usé par les nationalistes de
vieille mouture; par de gros bonshommes tout gras affublés de
moustaches tombantes, qui remplissent des salles de réunion pour se
plaindre, se lamenter et se consumer en jérémiades parce que notre
nation, hélas, n'a jamais eu assez de sentiment national. (...) Et
nous, les combatifs, nous ne pouvons rien avoir en commun avec eux! Car,
nous, nous ne voulons pas nous plaindre, mais agir. Mais nous ne
voulons pas non plus pousser des cris de joie, car nous savons qu'en
tant que peuple nous n'avons encore rien - nous avons la ferme volonté
de mettre un terme définitif à notre misère!» (28).
La
prose de Wichman, en violence et en radicalisme, ne cède en rien
devant les phrases de Franz Schauwecker ou d'autres
nationaux-révolutionnaires: «Tout, aujourd'hui, est cérébralisé et
calculé. Il n'y a plus place en ce monde pour l'aventure, l'imprévu,
l'élasticité, la fantaisie et la «démonie». La raison raisonnante la
plus bête garde seule droit au chapitre. Dieu s'est mis à vivre peinard.
Cette époque est morte, sans âme, sans foi, sans art, sans amour. (...)
Ce n'est plus une époque, c'est une phase de transition mais qui peut
nous dire vers où elle nous mène? Si tout devient autrement que nous le
voulons — et pourquoi cela ne deviendrait-il pas autrement? On pourra
une fois de plus nous appeler "les fous". Tout acte peut être folie, est
en un certain sens une folie. Et celui qui craint d'être appelé un
"fou", d'être un "fou", celui qui craint d'être une part vivante d'un
tout vivant, celui qui ne veut pas "servir", celui qui ne veut pas être
"facteur" en invoquant sa précieuse "personnalité" et ainsi faire en
sorte qu'advienne un monde contraire à ses pensées, celui qui a peur
d'être un «lépreux de l'esprit», qui ne veut être "particule", qui ne
veut être ni une feuille dans le vent ni un animal soumis à la nécessité
ni un soldat dans une tranchée ni un homme armé d'un gourdin et d'un
revolver sur la Piazza del Duomo (ou sur le Dam); celui qui ne commence
rien sans apercevoir déjà la fin, qui ne fait rien pour ne pas
commettre de sottise: voilà le véritable âne! On ne possède rien que
l'on ne puisse jeter, y compris soi-même et sa propre vie. C'est
pourquoi, il serait peut-être bon de nous débarrasser maintenant de
cette "République des Camarades", de cette étable de "mauvais bergers".
Oui, avec violence, oui, avec des "moyens illégaux"! C'est par des
phrases que le peuple a été perverti, ce n'est pas par des phrases qu'il
guérira (Multatuli) (29). Donc, répétons-le: aux armes!».
Le
type du national-révolutionnaire a également fait irruption sur la
scène politique flamande, surtout dans les tumultueuses années 20.
Notamment dans le groupe Clarté
et dans sa nébuleuse, qui voulaient forger un front unitaire
révolutionnaire regroupant les frontistes flamands (30), les
communistes, les anarchistes et les socialistes minoritaires. On hésite
toutefois à ranger des individus dans cette catégorie car l'engagement
proprement national-révolutionnaire n'a quasi jamais été qu'une phase de
transition: quelques flamingants radicaux ont tenté de trouver une
synthèse personnelle entre, d'une part, un engagement nationaliste
flamand et, d'autre part, une volonté de lutte sociale-révolutionnaire.
Après une hésitation, longue ou courte selon les individualités, cette
synthèse a débouché sur un national-socialisme plus proche du sens
étymologique du mot que de la NSDAP, encore peu connue à l'époque. Chez
d'autres, la synthèse conduisit à un engagement résolument à gauche, à
un socialisme voire un communisme teinté de nationalisme flamand.
Boudewijn
Maes (1873-1946) est sans doute l'une des figures les plus hautes en
couleurs du microcosme «national-révolutionnaire» flamand. Ce
nationaliste flamand libre-penseur (vrijzinnig)
avait lutté contre les activistes pendant la première guerre mondiale
parce qu'ils étaient trop bourgeois à son goût. Après 1918, il les
défendit parce qu'il était animé d'un sens aigu de la justice et parce
qu'il s'estimait solidaire du combat national flamand. Aussi parce
qu'il voyait en eux des victimes de l'«Etat bourgeois» belge et donc des
révolutionnaires potentiels. En 1919, il est élu au Parlement belge sur
les listes du Frontpartij. Il y restera seulement deux ans. Dans des groupuscules toujours plus petits, notamment au sein d'un Vlaams-nationaal Volksfront,
il illustra un radicalisme pur, dont il ne faut pas exagérer la portée,
et par lequel il voulait dépasser les socialistes et les communistes
sur leur gauche. Plus tard, il passa au socialisme et mourut communiste
flamand.
A propos des deux derniers groupes de la RC allemande, nous pouvons être brefs. Les Bündischen, héritiers des célèbres Wandervögel,
constituent un phénomène typique dans l'histoire du mouvement de
jeunesse allemand, lequel a véritablement alimenté tous les cénacles de
la RC. Notre mouvement de jeunesse flamand, depuis Rodenbach (31), en
passant par l'Algemeen Katholiek Vlaams Studentenverbond (AKVS) (32), jusqu'au Diets Jeugdverbond, n'est pas comparable aux Bündischen
sur le plan idéologique: la majeure partie des affiliés à l'AKVS, à
ses successeurs et à ses émules, est restée, des années durant, fidèle à
une sorte de tradition völkische
catholisante. D'autres noyauteront l'aile droite de la démocratie
chrétienne flamande. Cette communauté de tradition forme aujourd'hui
encore le lien entre les groupes nationalistes flamands et certains
cénacles du parti catholique. C'est l'idéologie de base que partagent
notamment un journal comme De Standaard et les animateurs du pélérinage annuel à la Tour de l'Yser (IJzerbedevaart).
La Landvolkbewegung
fut une révolte paysanne, brève mais violente, qui secoua le
Slesvig-Holstein entre 1928 et 1932. On peut tracer des parallèles entre
des événements analogues qui se sont produits au Danemark et en France
mais, dans nos régions, nous n'apercevons aucun phénomène de même
nature. Mohler lui-même, dans son Ergänzungsband (cf. références infra) de 1989, revient sur sa classification antérieure des strates de la RC en cinq groupes: la Landvolkbewegung
a été de trop courte durée, trop peu chargée d'idéologie et trop
dépendante d'orateurs issus d'autres groupes de la RC (surtout des
nationaux-révolutionnaires) pour constituer à égalité un cinquième
groupe.
Le fascisme défini par les Staliniens
Mohler
note que la littérature secondaire concernant la RC parue depuis 1972
(année de parution de la seconde édition de son maître-ouvrage) est
devenue de plus en plus abondante et imprécise. La raison de cet état de
choses: la propagation de la conception stalinienne du fascisme, y
compris dans les milieux universitaires. «Cette conception, qui a
l'élasticité du caoutchouc, est en fait un concept de combat, contenant
tout ce que le stalinisme perçoit comme ennemi de ses desseins, jusque
et y compris les sociaux-démocrates. Lorsque l'on parlait jadis du
national-socialisme de Hitler ou du fascisme de Mussolini, on savait de
quoi il était question. Mais le «fascisme allemand» peut tout désigner:
la NSDAP, les Deutsch-Nationalen, la CDU, le capitalisme, Strauß comme Helmut Schmidt - et c'est précisément cette confusion qui est le but. Et bien sûr, la RC, elle aussi, aboutit dans cette énorme marmite».
Cette
confusion a débouché d'abord sur une littérature tertiaire traitant du
fascisme et dépourvue de toute valeur historique, ensuite sur des
petits opuscules apologétiques qui «désinforment» en toute conscience.
Prenons un exemple pour montrer comment le concept illimité de fascisme,
propre au vocabulaire stalinien, s'est répandu dans le langage courant
au cours des années 70 et 80: l'écrivain néerlandais Wim Zaal écrit un
livre qui connaitra deux éditions, avec un titre chaque fois différent
pour un contenu grosso modo identique. Ce changement de titre est
révélateur. En 1966, l'ouvrage est titré De Herstellers
(Les Restaurateurs). Il traite de plusieurs aspects de l'idéologie
conservatrice-révolutionnaire aux Pays-Bas. La définition qu'il donne de
cette idéologie n'est pas tout à fait juste mais elle a le mérite de ne
pas être ambiguë et parfaitement concise; nous lui reprocherions de
réduire l'univers conservateur-révolutionnaire à celui des adeptes de
l'«ordre naturel», ce qui n'est pas le cas car d'autres traditions
intellectuelles l'ont alimenté. Ecoutons sa définition: «Ce que visait
le mouvement restaurateur, c'était précisément de restaurer l'ordre
naturel du vivre-en-commun et de le débarrasser des maux que lui avait
infligés les forces révolutionnaires à partir de 1780. Toutes les
conséquences de ces révolutions n'étaient pas perverses mais leurs
principes l'étaient». La seconde édition (remaniée) du livre paraît en
1973: elle traite du même sujet mais change de titre: De Nederlandse fascisten (Les fascistes néerlandais).
De
Gorbatchev au Pape Jean-Paul II, de Reagan à Khomeiny, y a-t-il une
figure de proue du monde politique ou de l'innovation idéologique qui
n'ait jamais été traité de «fasciste» par l'un ou l'autre de ses
adversaires? Dans de telles conditions, ne doit-on pas considérer que le
mot est désormais vide de toute signification, du moins pour ce qui
concerne le récepteur. En revanche, dans le chef de l'émetteur, le
message est très clair; celui qui traite un autre de «fasciste», veut
dire: «J'entends vous discriminer sur le plan intellectuel»; en d'autres
mots: «Je refuse tout dialogue».
Ni
dans cet article ni dans le travail de Mohler, le fait de dénoncer cet
usage élastique du terme «fascisme» ne constitue pas une tentative
d'évacuer du débat les rapports historiques réels qui ont existé entre,
d'une part, la RC et, d'autre part, le fascisme ou le
national-socialisme. La pensée révolutionnaire-conservatrice ne peut
être purement et simplement réduite au rôle de «précurseur» de
l'idéologie fasciste. ce serait trop facile et grotesque. A ce propos,
Mohler écrit: «Tous ceux qui critiquent les idées de 1789 courent le
risque de se voir étiquettés par les protagonistes de ces idées
révolutionnaires de "pères fondateurs du fascisme" (ou du "nazisme")
(...) D'Héraclite à Maître Eckehart, en passant par Paracelse et Luther,
Frédéric le Grand, Hamann et Zinzendorf, pour aboutir à Schopenhauer et
Kierkegaard, on peut, dans la foulée, construire les arbres
généalogiques du fascisme les plus fantasmagoriques».
En
réalité, parmi les protagonistes des idées
conservatrices-révolutionnaires, on trouvera les appréciations et les
attitudes les plus diverses vis-à-vis du fascisme, tant en Allemagne que
dans nos pays. La prudence et la précision s'imposent. Quelques figures
de la RC se sont en effet converties très vite et avec beaucoup
d'enthousiasme au nazisme, comme, par exemple, un Alfred Bäumler ou un
Ernst Kriek, ou, chez nous, un Herman van Puymbroeck (33), futur
rédacteur-en-chef de Volk en Staat.
D'autres ont vu leur enthousiasme s'évanouir rapidement, mais trop tard
pour échapper à la mort: l'exemple de Gregor Strasser, assassiné le 30
juin 1934, un jour avant Edgar J. Jung, qui avait, lui, combattu le
national-socialisme dès le début et avec la plus grande énergie. Thomas
Mann et Karl Otto Paetel choisirent d'émigrer, tout comme Otto
Strasser et Hermann Rauschning. Le national-révolutionnaire dur et pur,
ennemi de Hitler, Hartmut Plaas, mourra en 1944 dans un camp de
concentration tout comme l'avocat liégeois Paul Hoornaert, grand
admirateur de Mussolini et chef de la Légion Nationale.
Pour d'autres encore, la collaboration mena à un ultime engagement dans la Waffen-SS,
dont ils ne revinrent jamais; pour citer deux exemples, l'un flamand,
l'autre néerlandais: Reimond Tollenaere (1909-1942) et Hugo Sinclair de
Rochemont (1901-1942). Au cours de cette même année 1942, la
collaboration était déjà un passé bien révolu pour un Henri De Man ou un
Arnold Meijer, ex-chef du Zwart Front
néerlandais. Quant à Tony Herbert, jadis figure symbolique de tout ce
qui comptait à droite en Flandre dans les années 30, il était déjà
entré de plein pied dans la résistance. Dans la véritable résistance à
Hitler, derrière l'attentat du 20 juillet 1944, se profile une quantité
de figures issues de la RC, notamment de la Brigade Ehrhardt,
comme l'Amiral Wilhelm Canaris, le Général Hans Oster voire l'écrivain
Ernst Jünger. Quant à l'homme qui, en 1945, dans le tout dernier numéro
de Signal, la revue de
propagande allemande qui paraissait dans la plupart des langues
européennes pendant la guerre, publia un article pathétique pour marquer
la fin du IIIième Reich, était une figure de la RC: Giselher Wirsing,
issu du Tat-Kreis (34). En 1948, il participera à la fondation du journal Christ und Welt, dont il deviendra le rédacteur en chef en 1954 et le restera jusqu'à sa mort en 1975 (35).
Les
noms que nous venons de citer ne constituent pas des exceptions. Loin
de là. Tous répondent en quelque sorte à la règle. Mais comment
expliquer à quelqu'un qui a été élevé sous l'égide du concept stalinien
de fascisme, ou a reçu un enseignement universitaire marqué par ce
concept, que c'est un fait historiquement attesté que dès le début de
l'année 1933, le citoyen néerlandais Jan Baars (36), chef de l'Algemene Nederlandse Fascistenbond (ANFB;
= Ligue Générale des Fascistes Néerlandais), envoie un télégramme à
Hitler pour protester contre la persécution des Juifs (37). Le 30
janvier 1933, le jour où Hitler arriva au pouvoir, un autre télégramme
partit de Hollande. Non pas envoyé par Jan Baars mais par l'association
des étudiants catholiques d'Amsterdam, le cercle Thomas Aquinas. C'était un télégramme de félicitations. Précisons-le. Au cas où vous ne l'auriez pas deviné.
Luc PAUWELS.
(texte
paru dans la revue anversoise Teksten, Kommentaren en Studies, nr. 55,
2de Trimester 1989; adresse: DELTAPERS v.z.w., Postbus 4, B-2110
Wijnegem).
(1) cfr. Arthur De Bruyne, Cyriel Verschaeve - Hendrik De Man, West-Pocket, 4-5, De Panne, 1969.
Jos Vinks, Cyriel Verschaeve, de Vlaming, De Roerdomp, Brecht/Antwerpen, 1977.
Hugo
Verriest (1840-1922) fut l'élève de Guido Gezelle au couvent
théologique de Roeselare (Roulers). Nommé prêtre en 1864. Enseigne à
Bruges, Roeselare, Ypres, Heule. Curé à Wakken, commune de la famille de
Joris van Severen en 1888. Exerça une influence prépondérante sur le
mouvement étudiant nationaliste d'Albrecht Rodenbach (la fameuse
Blauwvoeterij).
A
son sujet, lire: Luc Delafortrie, Reinoud D'Haese, Noël Dobbelaere,
Antoon Van Severen, Rudy Pauwels, Dr. R. Bekaert, Hugo Verriest - Joris
Van Severen, Komitee Wakken, Wakken, 1984.
(2)
Frank Goovaerts, «Odiel Spruytte. Een vergeten
konservatief-revolutionnair denker in Vlaanderen», in Teksten,
kommentaren en studies, nr. 55/1989.
(3) Sur De Man en français: André Philip, Henri De Man et la crise doctrinale du socialisme, Librairie universitaire J. Gambier, Paris, 1928.
Revue européenne des sciences sociales, Cahiers Vilfredo Pareto, Tome XII, 1974, n°31 («Sur l'œuvre de Henri De Man»).
Michel Brelaz, Henri De Man. Une autre idée du socialisme, Ed. des Antipodes, Genève, 1985.
En guise d'introduction générale: Robert Steuckers, «Henri De Man», in Etudes et Recherches, GRECE, Paris, n°3, 1984.
En anglais: Peter Dodge, Beyond Marxism. The Faith and Works of Hendrik De Man, M. Nijhoff, The Hague (NL), 1966.
(4) Léon van der Essen, Pages d'histoire nationale et européenne, Les Œuvres/Goemare, Bruxelles, 1942.
Léon van der Essen, Alexandre Farnèse et les origines de la Belgique moderne, 1545-1592, Office de publicité, Bruxelles, 1943.
Léon van der Essen, Pour mieux comprendre notre histoire nationale, Charles Dessart éd., s.d.
(5) Robert Poulet, La Révolution est à droite. Pamphlet, Denoël et Steele, Paris, 1934.
(6) Frederic Kiesel, Pierre Nothomb, Pierre de Meyere éd., Paris/Bruxelles, 1965.
(7) Charles Anciaux, L'Etat corporatif. Lois et conditions d'un régime corporatif en Belgique, ESPES, Bruxelles, 1942.
(8) Dr. Sun Ya-Tsen, The Three Principles of the People, China Publishing Company, Taipei R.O.C., 1981.
(9)
August Vermeylen, écrivain flamand, né à Bruxelles en 1872 et mort à
Uccle en 1945. Etudie à Bruxelles, Berlin et Vienne. Il enseignera à
Bruxelles et à Gand. Sera démis de ses fonctions par les autorités
allemandes en 1940. Influence de Baudelaire et du mouvement décadent
français mais défenseur de la langue néerlandaise. Co-fondateur de la
revue littéraire Van Nu en Straks. Individualiste anarchisant à ses
débuts, il évoluera vers un socialisme communautaire, justifié par un
panthéisme dynamique. Son œuvre la plus célèbre est De wandelende Jood
(Le Juif errant), illustrant la quête de la vérité en trois phases: la
jouissance sensuelle, l'ascèse et le travail.
(10) Hendrik J. Elias, Geschiedenis van de Vlaamse Gedachte,
4 delen, Uitg. De Nederlandse Boekhandel, Antwerpen, 1971. Ces quatre
volumes retracent l'histoire intellectuelle du mouvement flamand et
recense minutieusement les influences diverses qu'il a subies, notamment
celles venues des Pays-Bas, d'Allemagne et de Scandinavie. Ces ouvrages
sont indispensables pour comprendre les lames de fond non seulement de
l'histoire flamande mais aussi de l'histoire belge.
(11)
Mohler se réfère surtout au livre de Michael Freund, Georges Sorel. Der
revolutionäre Konservatismus (V. Klostermann, Frankfurt a.M., 1972).
De même qu'aux passage que consacre Carl Schmitt à Sorel dans Die
geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (1926),
aujourd'hui disponible en français sous le titre de Démocratie et
Parlementarisme (Seuil, 1988).
(12)
Sorel a exercé une incontestable influence sur le philosophe martyr
José Streel (1910-1946), idéologue du rexisme et auteur, entre autres,
de La Révolution du XXième siècle (Nouvelle Société d'Edition,
Bruxelles, 1942). Dans cet ouvrage concis, on repère aussi l'influence
prépondérante de Péguy, Maurras et De Man. Sur José Streel, lire ce
qu'en écrit Bernard Delcord, «A propos de quelques "chapelles"
politico-littéraires en Belgique (1919-1945)», in Cahiers du Centre de
Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre
mondiale/Bijdragen van het Navorsings- en Studiecentrum voor de
Geschiedenis van de Tweede Wereldoorlog, Bruxelles, Ministère de
l'Education nationale/Ministerie van Onderwijs, Archives Générales du
Royaume - Algemeen Rijksarchief, Place de Louvain 4 (b.19), Bruxelles,
1986. On lira de même toutes les remarques que formule à son sujet le
Prof. Jacques Willequet dans La Belgique sous la botte, résistances et
collaborations, 1940-1945, Ed. Universitaires, Paris, 1986. Signalons
aussi que José Streel fut l'un des artisans de l'accord Rex-VNV,
règlant, dans le cadre de la collaboration, le problème linguistique
belge.
(13) J. De Kadt, Het fascisme en de nieuwe vrijheid, N.V. Em. Querido's Uitgevers-Maatschappij, Amsterdam, 1939.
(14) Sur Joris Van Severen, lire: L. Delafortrie, Joris Van Severen en de Nederlanden, Oranje-Uitgaven, Zulte, 1963.
Jan Creve, Recht en Trouw. De Geschiedenis van het Verdinaso en zijn milities, Soethoudt, Antwerpen, 1987.
(15) Arthur De Bruyne, Joris Van Severen, droom en daad, De Roerdomp, Brecht/Antwerpen, 1961-63.
(16)
Le poète Wies Moens (1898-1982) fut un activiste (un «collaborateur»)
pendant la première guerre mondiale. Il étudia à l'Université de Gand de
1916 à 1918. Il purgera quatre ans de prison pour ses sympathies
nationalistes. Il fondera les revues Pogen
(1923-25) et Dietbrand (1933-40). En 1945, il est condamné à mort mais
trouve refuge aux Pays-Bas pour échapper à ses bourreaux. Il fut le
principal représentant de l'expressionnisme flamand et entretint des
liens avec Joris Van Severen, avant de rompre avec lui.
Cfr. Erik Verstraete, Wies Moens, Orion, Brugge, 1973.
(17)
L'activisme est la collaboration germano-flamande pendant la première
guerre mondiale. A ce propos, lire: Maurits van Haegendoren, Het
aktivisme op de kentering der tijden, Uitgeverij De Nederlanden,
Antwerpen, 1984.
(18)
Frank Goovarts, «Dr. G. Schamelhout, antropologie en Vlaamse Beweging»,
in Teksten, kommentaren en studies, nr. 42, 1985. Le Dr. G. Schamelhout
peut être considéré comme un élève de Georges Vacher de Lapouge. Il
s'est intéressé également aux ethnies européennes.
(19) Le mouvement pan-thiois (Alldietscher Beweging)
visait à unir toutes les «tribus» basses-allemandes, soit néerlandaises
et allemandes du nord, en forgeant un Etat qui aurait rassemblé les
Pays-Bas, la Belgique (avec les départements français du Nord et du
Pas-de-Calais), la Prusse, le Hanovre, le Oldenbourg, etc. La langue de
cet Etat aurait été une synthèse entre le néerlandais actuel et les
dialectes bas-allemands. A ce sujet, lire: Ludo Simons, Van Duinkerke
tot Königsberg. Geschiedenis van de Alldietsche Beweging, Orion, Brugge, 1980.
(20)
Sur Spengler, l'ouvrage en français le plus complet est celui de
Gilbert Merlio, Oswald Spengler, témoin de son temps, Akademischer
Verlag Hans-Dieter Heinz, Stuttgart, 1982 (deux volumes).
(21)
Sur Arthur Moeller van den Bruck, l'ouvrage en français le plus complet
est celui de Denis Goeldel, Moeller van den Bruck (1876-1925), un
nationaliste contre la révolution, Peter Lang, Frankfurt a.M./Bern, 1984.
(22)
Deux livres récents sur Spann: Walter Becher, Der Blick aufs Ganze. Das
Weltbild Othmar Spanns, Universitas, München, 1985.
J. Hanns Pichler (Hg.), Othmar Spann oder die Welt als Ganzes, Böhlau, Wien, 1988.
(23)
Pour comprendre le mouvement d'unité dans les Bas Pays au Moyen Age,
lire Léon Vanderkinderen, Le siècle des Artevelde. Etudes sur la
civilisation morale et politique de la Flandre et du Brabant, J. Lebègue & Cie, Bruxelles, 1907.
(24)
Les dix-sept provinces regroupent les pays suivants dans l'optique de
Joris Van Severen et de ses adeptes de jadis et d'aujourd'hui: la Frise,
le Groningue, la Drenthe, l'Overijssel, le Pays de Gueldre, le Pays
d'Utrecht, la Hollande, la Zélande, le Brabant, le Limbourg (Limbourg
historique, Limbourg belge, soit l'ex-Comté de Looz, Limbourg
néerlandais contemporain), le Pays de Liège, le Pays de Namur, le
Luxembourg (Grand-Duché, Luxembourg belge et Pays de
Thionville/Diedenhofen), le Hainaut, la Flandre, l'Artois et la
Picardie.
(25)
Le terme néerlandais de «Dietsland» se traduit en français par «Pays
Thiois». Le long de la frontière linguistique, en Pays de Liège, on
trouve également la forme «tixhe», typique de l'ancienne graphie
liégeoise. On parle également de «Lorraine thioise» pour désigner la
partie allemande de la Lorraine.
(26)
Van Severen semble être le seule représentant de la RC dans nos pays à
avoir utiliser et revendiquer le terme de
«conservateur-révolutionnaire». C'était dans un article du 23 juillet
1932, paru dans De West-Vlaming. Cité par Arthur De Bruyne, op. cit., p. 140.
Rappelons
qu'une querelle demeure sous-jacente entre, d'une part, le nationalisme
à base exclusivement linguistique, rêvant d'un Etat néerlandais
unissant la Flandre et les Pays-Bas, et, d'autre part, les adeptes des
Dix-Sept Provinces Unies, regroupant les régions néerlandophones,
wallonophones, picardophones et germanophones de l'ancien «Cercle de
Bourgogne».
(27)
Pour comprendre l'itinéraire d'Ernst Niekisch, lire Uwe Sauermann,
Ernst Niekisch und der revolutionäre Nationalismus, Bibliothekdienst
Angerer, München, 1985.
(28) Cité par Wim Zaal dans De Nederlandse Fascisten, Wetenschapelijke Uigeverij, Amsterdam, 1973.
(29)
Multatuli est le pseudonyme d'Eduard Douwes Dekker (1820-1887),
écrivain néerlandais, pionnier de la colonisation de l'Indonésie.
Lecteur de Nietzsche, il se posera en partisan d'une monarchie éclairée
et d'un système d'éducation non étouffant. Son roman le plus célèbre est
Max Havelaer, une chronique assez satirique de la colonie néerlandaise
en Indonésie.
(30)
Le frontisme est le mouvement politique des années 20 en Flandre, porté
par les soldats revenus du front. Sur la scène électorale, il se
présentait sous la dénomination de Frontpartij. Ce mouvement d'anciens
soldats du contingent était pacifiste et soucieux de ne plus verser une
seule goutte de sang flamand pour la France, considérée comme ennemie
mortelle des peuples germaniques et du catholicisme populaire.
(31)
Albrecht Rodenbach (1856-1880), jeune poète flamand, formé au séminaire
de Roeselare (Roulers), élève de Hugo Verriest (cf. supra), fonde, en
entrant à la faculté de droit de l'Université Catholique de Louvain, le
mouvement étudiant flamand, la Blauwvoeterij. Ses poèmes mêlent un
catholicisme charnel et sensuel, typiquement flamand, à un paganisme
wagnérien, nourri de l'épopée des Nibelungen: un contraste étonnant et
explosif...
A son sujet, lire: Cyriel Verschaeve, Albrecht Rodenbach. De Dichter, Zeemeeuw, Brugge, 1937.
(32) L'AKVS publie toujours une revue, AKVS-Schriften. Adresse: AKVS-Schriften, c/o Paul Meulemans, Kruisdagenlaan 75, B-1040 Brussel. Tél.: 02/734.25.52.
(33)
La radicalité des positions de H. Van Puymbrouck transparaît dans le
texte d'une brochure publiée à Berlin en 1941 et intitulée Flandern in
der neuen Weltordnung (Verlag Grenze und Ausland, Berlin, 1941) et rééditée en 1985 par Hagal-Boeken, Speelhof 10, B-3840 Borgloon.
(34) Sur le Tat-Kreis,
cfr.: Klaus Fritzsche, Politische Romantik und Gegenrevolution,
Fluchtwege in der Krise der bürgerlichen Gesellschaft: Das Beispiel des
«Tat-Kreises», edition Suhrkamp, es 778, Frankfurt a.M., 1976. Ouvrage
très critique mais qui révèle les grandes lignes de l'idéologie du
Tat-Kreis.
(35)
A propos de Giselher Wirsing, on lira avec profit le texte que lui a
consacré Armin Mohler au moment de sa mort en 1975 («Der Fall Giselher
Wirsing») et repris dans son recueil intitulé Tendenzwende für
Fortgeschrittene, Criticón Verlag, München, 1978.
(36) Jan Baars, né le 30 juin 1903, fit partie de la résistance néerlandaise pendant la guerre. Il est décédé le 24 avril 1989.
(37) Wim Zaal, op. cit., p.119.