« Dictature paysanne ! » la formule est violente, provocatrice ; et
pourtant, c’est avec de tels slogans que le journaliste Henri D’Halluin,
dit « Dorgères », enflamma les campagnes françaises au cours des années
trente. Son mouvement, la Défense Paysanne, fut en effet
rapidement en mesure de regrouper des milliers de paysans, mais surtout
de mobiliser l’ensemble des composantes de la société rurale
(propriétaires, agriculteurs, hommes politiques, syndicalistes…) autour
de ses revendications.
Henri D’Halluin est né le 6 février 1897 à Wasquehal dans le Nord, fils d’un boucher tôt décédé en 1909. Il aide alors sa mère à tenir la boucherie. Pendant la Première Guerre mondiale, il est arrêté à trois reprises et notamment en janvier 1918 alors qu’il tente de passer aux Pays-Bas. Il est alors condamné et emprisonné à la forteresse de Bruges en février 1918 et s’évade en octobre et, à la faveur du désordre, regagne les lignes alliées. Cette action lui vaudra la Croix de guerre.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, il passe un baccalauréat littéraire, puis effectue deux années d’études de droit Pourtant, en 1921, il embrasse la carrière de journaliste au quotidien catholique et conservateur Le Nouvelliste de Bretagne. Ce journal rennais est fondé en 1901 sous l’impulsion des autorités ecclésiastiques pour concurrencer le quotidien L’Ouest-Eclair de l’abbé Félix Trochu, journal rallié à la République. Du haut de ses 20 000 exemplaires journaliers dans les années 1920, Le Nouvelliste travaille à la reconstruction d’une droite conservatrice en Bretagne. Henri d’Halluin couvre notamment l’actualité agricole du département d’Ille-et-Vilaine et devient ainsi un ardent défenseur de la cause paysanne. Cette spécialisation dans l’information agricole le conduit à prendre la tête du Progrès agricole de l’Ouest, quelques années plus tard. C’est lors de son passage dans cette publication qui pratique « l’activisme au service de la France profonde » qu’il prend le pseudonyme de « Dorgères ».
Une manifestation organisée à Rennes le 1er février 1930 réunissant plus de 10 000 paysans, constitue un succès incontestable pour Dorgères et le place désormais comme un acteur politique incontournable dans le monde rural breton. Elle lui permet de donner un écho plus grand à sa campagne qui se poursuit par l’organisation de nombreuses réunions publiques dans les différents départements.
Cette hostilité envers la régulation étatique n’exclut pas le soutien à un ultra-protectionnisme, qui s’étend jusqu’aux produits issus des colonies. Dorgères dénonce ainsi la famille Louis-Dreyfus pointant du doigt leur importation illégale du blé qui « casse » le marché !
Dorgères sera le meilleur interprète du sentiment d’exclusion alors dominant chez les campagnards, qui s’estimaient harcelés par l’Etat et sacrifiés au bénéfice de « ceux des villes ». Doué d’un spectaculaire talent oratoire, ce tribun sillonne les foires, tétanisant des assemblées de milliers de paysans. Prônant les vertus d’une « France paysanne » et réclamant la parité entre urbains et ruraux, il fait des terriens des acteurs politiques en inventant l’action directe : grève des impôts, opposition aux saisies, expéditions contre les salariés agricoles en grève, blocage des livraisons (inspirant plus tard Confédération paysanne ou CDCA ?).
Faisant l’apologie de la classe paysanne avant l’heure, de la « terre qui ne ment pas » et une critique acerbe du parlementarisme et de l’État, il réclame la réforme au nom du corporatisme et de la famille. « Le paysan sauvera la France », tel est le thème que développe l’homme en s’attachant à démontrer que les paysans représentent la partie de la nation qui est restée saine, « celle qui n’a pas connu dans la période d’après-guerre les plaisirs faciles, les dancings et les huit heures », et pour laquelle rien n’a été fait par les gouvernements successifs.
Ainsi, par exemple à Tours, le 6 avril 1935, à l’issue d’une réunion sous sa présidence, six mille agriculteurs ont « proclamé leur volonté de poursuivre une politique basée sur le programme suivant :
» 1º Défense et extension de la propriété individuelle et spécialement de la petite propriété paysanne;
» 2º Lutte contre l’excès de mesures étatistes et des charges fiscales;
» 3º Lutte contre les trusts;
» 4º Organisation professionnelle solidement charpentée;
» 5º Revalorisation des produits agricoles.
» Ils demandent aux pouvoirs publics :
» a) D’avoir une politique économique qui permette à tous les travailleurs, y compris ceux de la terre, de vivre de leur labeur;
» b) De consulter la représentation agricole, chaque fois que les intérêts de la profession seront en jeu et spécialement lors des négociations des traités de commerce, et protestent contre les récentes lois dites d’assainissement des marchés. » (Journal d’exil, Léon Trotsky)
Principalement basé dans le Nord-Ouest de la France, il parvient malgré tout à s’implanter dans d’autres parties du territoire. Le parti épouse rapidement certaines formes du fascisme agraire de la vallée du Pô. En effet le monde paysan est au centre du développement et de l’épanouissement du fascisme italien et allemand. Les squadristes italiens ont été particulièrement actif dans les campagnes et, dans un manifeste électoral du NSDAP pour l’élection présidentielle de 1932, Hitler écrit « sauver la paysannerie c’est sauver la nation allemande ». Et Dorgères réclame un État autoritaire et corporatiste « même au prix d’un renversement de la République » :
Le Front Paysan
En 1934, le mouvement de Dorgères, les Comités de Défense Paysanne, rejoint le Front paysan, avec l’Union nationale des syndicats agricoles, des associations de producteurs, et le Parti agraire et paysan français de Fleurant-Agricola. Au cours des années suivantes, le Front populaire devient l’ennemi à abattre pour ces agrariens. Les dorgéristes mènent ainsi des actions violentes, notamment en brisant les grèves des ouvriers agricoles. Dorgères a ainsi séduit un temps aussi les grands propriétaires ruraux, tels Jacques Le Roy Ladurie, avec lesquels il fit alliance.
« Les grands rôles étant tenus par M.M. Le Roy Ladurie et Dorgères. L’un et l’autre dans un genre différent, firent le procès du parlementarisme envisagé dans son ensemble, sans distinction d’étiquette politique, exposèrent la détresse des ruraux et firent appel “à la solidarité du sillon” pour que, représentant déjà le nombre, les paysans acquièrent en se groupant la force qui pourra imposer à l’État une forme corporative, seul moyen de salut pour l’agriculture. » (Le préfet de la Haute-Garonne au ministre de l’Intérieur, 26 août 1935)
Mais, le Front populaire se révélant peu menaçant – Léon Blum envoya même les gendarmes briser les premières grèves de salariés agricoles -, ils finirent par le lâcher : eux souhaitaient une cogestion de la politique agricole, tandis que lui rêvait d’une société paysanne étanche à l’emprise étatique. Et lors d’un meeting organisé par le comité francilien le 19 octobre 1936, mais interdit par la préfecture, Dorgères est arrêté en compagnie de près de 70 de ses compagnons. Deux mois plus tard, il connaît le même sort lors d’une nouvelle action des maraîchers parisiens aux halles centrales.
La Corporation Paysanne
Fin 1939, il entre comme volontaire dans le corps franc du 15e régiment d’infanterie alpine, et combat en Alsace : il est nommé caporal, reçoit la croix de guerre et est titulaire d’une citation. Capturé par les Allemands à Saint-Valéry-en-Caux, il s’enfuit en zone libre.
Alors, avec la Révolution nationale du maréchal Pétain, Dorgères prend de nouvelles responsabilités sous le Régime de Vichy lors de la refonte du syndicalisme agricole autour du corporatisme. Il est nommé délégué général à l’organisation et à la propagande de la Corporation paysanne créée par Pierre Caziot le 21 janvier 1941.
L’Ouest-Eclair rapporte ainsi, le 9 mars 1941, les propos du président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine qui se félicite qu’Hervé de Guébriant – le fondateur du mutualisme agricole breton – ait été nommé à la tête de la délégation régionale du syndicat de la Révolution nationale. Et il plébiscite la nomination en tant que délégué général à la propagande « d’un homme aussi de chez nous, Henri Dorgères, dont le dévouement à la cause des intérêts paysans, l’activité et le dynamisme sont bien connus et ont, depuis longtemps, débordé le cadre de notre département et de la Bretagne ».
Et ce sont les organisations de base d’Henri Dorgères qui permirent la constitution de cette Corporation paysanne de Vichy dont il obtint le grade de général. En récompense, Dorgères fut décoré de l’ordre de la Francisque des mains du maréchal Pétain lui-même, dont il demeura un vif soutien jusqu’à la fin.
En août 1944, il est arrêté par les Alliés dans l’Indre et emprisonné à Paris. Il est condamné à dix années d’indignité nationale mais amnistié pour services rendus à la Résistance et libéré le 26 avril 1946 (toutefois, un arrêté ministériel de juin 1945 l’exclut pour cinq ans de toute participation à des organismes agricoles). Son rôle auprès des prisonniers évadés voire des personnes poursuivies par l’Occupant qui cherchaient à passer la ligne de démarcation lui sauve la mise.
Après-guerre, Dorgères n’abandonne pas la vie publique. Il fonde une agence de publicité agricole, avant de devenir le gérant de la Gazette agricole au début des années 1950. Se rapprochant de Pierre Poujade, Henri Dorgères crée le Rassemblement paysan, en 1957, avec ce dernier et Paul Antier. Puis, lors du scrutin législatif de janvier 1956, il se présente en Ille-et-Vilaine sur les listes poujadistes de l’Union pour le salut de la patrie. Élu à l’Assemblée nationale, il s’oppose à la ratification des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE), notamment sur la question agricole, et il y porte des textes ayant attrait à l’agriculture et la fiscalité.
Il meurt passablement oublié en 1985 alors que les mouvements agricoles lui doivent encore aujourd’hui quelques « nouveautés majeures » qui font partie de ses legs et sont devenues banales : l’autoreprésentation (présence de vrais paysans à la tête des organisations agricoles) et l’action directe (destruction de produits, saccages de sous-préfectures…).
Source
Henri D’Halluin est né le 6 février 1897 à Wasquehal dans le Nord, fils d’un boucher tôt décédé en 1909. Il aide alors sa mère à tenir la boucherie. Pendant la Première Guerre mondiale, il est arrêté à trois reprises et notamment en janvier 1918 alors qu’il tente de passer aux Pays-Bas. Il est alors condamné et emprisonné à la forteresse de Bruges en février 1918 et s’évade en octobre et, à la faveur du désordre, regagne les lignes alliées. Cette action lui vaudra la Croix de guerre.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, il passe un baccalauréat littéraire, puis effectue deux années d’études de droit Pourtant, en 1921, il embrasse la carrière de journaliste au quotidien catholique et conservateur Le Nouvelliste de Bretagne. Ce journal rennais est fondé en 1901 sous l’impulsion des autorités ecclésiastiques pour concurrencer le quotidien L’Ouest-Eclair de l’abbé Félix Trochu, journal rallié à la République. Du haut de ses 20 000 exemplaires journaliers dans les années 1920, Le Nouvelliste travaille à la reconstruction d’une droite conservatrice en Bretagne. Henri d’Halluin couvre notamment l’actualité agricole du département d’Ille-et-Vilaine et devient ainsi un ardent défenseur de la cause paysanne. Cette spécialisation dans l’information agricole le conduit à prendre la tête du Progrès agricole de l’Ouest, quelques années plus tard. C’est lors de son passage dans cette publication qui pratique « l’activisme au service de la France profonde » qu’il prend le pseudonyme de « Dorgères ».
La Défense Paysanne
À partir de 1928, Henri d’Halluin passe de l’activisme médiatique à l’activisme politique en fondant le premier Comité de défense paysanne à Rennes, en réaction à la loi sur les assurances sociales bénéficiant désormais aux ouvriers agricoles. Pourtant votée à la quasi-unanimité, en raison d’une prise de conscience des milieux politiques des retards de la législation sociale française, la loi se heurte à l’opposition de la paysannerie. En effet, outre la main-d’œuvre salariée, les membres de la famille travaillant sur l’exploitation sont considérés comme assujettis obligatoires et la charge financière est donc lourde pour les exploitations familiales. Mais en plus, propriétaires, fermiers et métayers sont assimilés, comme non salariés, à des assujettis facultatifs et doivent donc cotiser plus pour bénéficier des dispositions de la loi…Une manifestation organisée à Rennes le 1er février 1930 réunissant plus de 10 000 paysans, constitue un succès incontestable pour Dorgères et le place désormais comme un acteur politique incontournable dans le monde rural breton. Elle lui permet de donner un écho plus grand à sa campagne qui se poursuit par l’organisation de nombreuses réunions publiques dans les différents départements.
Cette hostilité envers la régulation étatique n’exclut pas le soutien à un ultra-protectionnisme, qui s’étend jusqu’aux produits issus des colonies. Dorgères dénonce ainsi la famille Louis-Dreyfus pointant du doigt leur importation illégale du blé qui « casse » le marché !
Dorgères sera le meilleur interprète du sentiment d’exclusion alors dominant chez les campagnards, qui s’estimaient harcelés par l’Etat et sacrifiés au bénéfice de « ceux des villes ». Doué d’un spectaculaire talent oratoire, ce tribun sillonne les foires, tétanisant des assemblées de milliers de paysans. Prônant les vertus d’une « France paysanne » et réclamant la parité entre urbains et ruraux, il fait des terriens des acteurs politiques en inventant l’action directe : grève des impôts, opposition aux saisies, expéditions contre les salariés agricoles en grève, blocage des livraisons (inspirant plus tard Confédération paysanne ou CDCA ?).
Faisant l’apologie de la classe paysanne avant l’heure, de la « terre qui ne ment pas » et une critique acerbe du parlementarisme et de l’État, il réclame la réforme au nom du corporatisme et de la famille. « Le paysan sauvera la France », tel est le thème que développe l’homme en s’attachant à démontrer que les paysans représentent la partie de la nation qui est restée saine, « celle qui n’a pas connu dans la période d’après-guerre les plaisirs faciles, les dancings et les huit heures », et pour laquelle rien n’a été fait par les gouvernements successifs.
Ainsi, par exemple à Tours, le 6 avril 1935, à l’issue d’une réunion sous sa présidence, six mille agriculteurs ont « proclamé leur volonté de poursuivre une politique basée sur le programme suivant :
» 1º Défense et extension de la propriété individuelle et spécialement de la petite propriété paysanne;
» 2º Lutte contre l’excès de mesures étatistes et des charges fiscales;
» 3º Lutte contre les trusts;
» 4º Organisation professionnelle solidement charpentée;
» 5º Revalorisation des produits agricoles.
» Ils demandent aux pouvoirs publics :
» a) D’avoir une politique économique qui permette à tous les travailleurs, y compris ceux de la terre, de vivre de leur labeur;
» b) De consulter la représentation agricole, chaque fois que les intérêts de la profession seront en jeu et spécialement lors des négociations des traités de commerce, et protestent contre les récentes lois dites d’assainissement des marchés. » (Journal d’exil, Léon Trotsky)
Principalement basé dans le Nord-Ouest de la France, il parvient malgré tout à s’implanter dans d’autres parties du territoire. Le parti épouse rapidement certaines formes du fascisme agraire de la vallée du Pô. En effet le monde paysan est au centre du développement et de l’épanouissement du fascisme italien et allemand. Les squadristes italiens ont été particulièrement actif dans les campagnes et, dans un manifeste électoral du NSDAP pour l’élection présidentielle de 1932, Hitler écrit « sauver la paysannerie c’est sauver la nation allemande ». Et Dorgères réclame un État autoritaire et corporatiste « même au prix d’un renversement de la République » :
« Je crois au développement d’un mouvement de genre fasciste (…) Si vous saviez, paysans français, ce que Mussolini a fait pour les paysans italiens, vous demanderiez tous un Mussolini pour la France ? »Modeste Legouez, futur sénateur de l’Eure, sera le premier président des « Jeunesses vertes », habillées en chemises de cette couleur. À son apogée le mouvement revendique jusqu’à 420 000 membres dont plusieurs dizaines de milliers de jeunes militants répartis sur 50 départements !
Le Front Paysan
En 1934, le mouvement de Dorgères, les Comités de Défense Paysanne, rejoint le Front paysan, avec l’Union nationale des syndicats agricoles, des associations de producteurs, et le Parti agraire et paysan français de Fleurant-Agricola. Au cours des années suivantes, le Front populaire devient l’ennemi à abattre pour ces agrariens. Les dorgéristes mènent ainsi des actions violentes, notamment en brisant les grèves des ouvriers agricoles. Dorgères a ainsi séduit un temps aussi les grands propriétaires ruraux, tels Jacques Le Roy Ladurie, avec lesquels il fit alliance.
« Les grands rôles étant tenus par M.M. Le Roy Ladurie et Dorgères. L’un et l’autre dans un genre différent, firent le procès du parlementarisme envisagé dans son ensemble, sans distinction d’étiquette politique, exposèrent la détresse des ruraux et firent appel “à la solidarité du sillon” pour que, représentant déjà le nombre, les paysans acquièrent en se groupant la force qui pourra imposer à l’État une forme corporative, seul moyen de salut pour l’agriculture. » (Le préfet de la Haute-Garonne au ministre de l’Intérieur, 26 août 1935)
Mais, le Front populaire se révélant peu menaçant – Léon Blum envoya même les gendarmes briser les premières grèves de salariés agricoles -, ils finirent par le lâcher : eux souhaitaient une cogestion de la politique agricole, tandis que lui rêvait d’une société paysanne étanche à l’emprise étatique. Et lors d’un meeting organisé par le comité francilien le 19 octobre 1936, mais interdit par la préfecture, Dorgères est arrêté en compagnie de près de 70 de ses compagnons. Deux mois plus tard, il connaît le même sort lors d’une nouvelle action des maraîchers parisiens aux halles centrales.
La Corporation Paysanne
Fin 1939, il entre comme volontaire dans le corps franc du 15e régiment d’infanterie alpine, et combat en Alsace : il est nommé caporal, reçoit la croix de guerre et est titulaire d’une citation. Capturé par les Allemands à Saint-Valéry-en-Caux, il s’enfuit en zone libre.
Alors, avec la Révolution nationale du maréchal Pétain, Dorgères prend de nouvelles responsabilités sous le Régime de Vichy lors de la refonte du syndicalisme agricole autour du corporatisme. Il est nommé délégué général à l’organisation et à la propagande de la Corporation paysanne créée par Pierre Caziot le 21 janvier 1941.
L’Ouest-Eclair rapporte ainsi, le 9 mars 1941, les propos du président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine qui se félicite qu’Hervé de Guébriant – le fondateur du mutualisme agricole breton – ait été nommé à la tête de la délégation régionale du syndicat de la Révolution nationale. Et il plébiscite la nomination en tant que délégué général à la propagande « d’un homme aussi de chez nous, Henri Dorgères, dont le dévouement à la cause des intérêts paysans, l’activité et le dynamisme sont bien connus et ont, depuis longtemps, débordé le cadre de notre département et de la Bretagne ».
Et ce sont les organisations de base d’Henri Dorgères qui permirent la constitution de cette Corporation paysanne de Vichy dont il obtint le grade de général. En récompense, Dorgères fut décoré de l’ordre de la Francisque des mains du maréchal Pétain lui-même, dont il demeura un vif soutien jusqu’à la fin.
En août 1944, il est arrêté par les Alliés dans l’Indre et emprisonné à Paris. Il est condamné à dix années d’indignité nationale mais amnistié pour services rendus à la Résistance et libéré le 26 avril 1946 (toutefois, un arrêté ministériel de juin 1945 l’exclut pour cinq ans de toute participation à des organismes agricoles). Son rôle auprès des prisonniers évadés voire des personnes poursuivies par l’Occupant qui cherchaient à passer la ligne de démarcation lui sauve la mise.
Après-guerre, Dorgères n’abandonne pas la vie publique. Il fonde une agence de publicité agricole, avant de devenir le gérant de la Gazette agricole au début des années 1950. Se rapprochant de Pierre Poujade, Henri Dorgères crée le Rassemblement paysan, en 1957, avec ce dernier et Paul Antier. Puis, lors du scrutin législatif de janvier 1956, il se présente en Ille-et-Vilaine sur les listes poujadistes de l’Union pour le salut de la patrie. Élu à l’Assemblée nationale, il s’oppose à la ratification des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE), notamment sur la question agricole, et il y porte des textes ayant attrait à l’agriculture et la fiscalité.
Il meurt passablement oublié en 1985 alors que les mouvements agricoles lui doivent encore aujourd’hui quelques « nouveautés majeures » qui font partie de ses legs et sont devenues banales : l’autoreprésentation (présence de vrais paysans à la tête des organisations agricoles) et l’action directe (destruction de produits, saccages de sous-préfectures…).
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