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mardi 6 mars 2018

Délinquance en Outre-mer : un avant-goût de la métropole ?

Michel Lhomme ♦
Philosophe, politologue.


Plus aucun ramassage scolaire à Mayotte depuis près de quinze jours, des lycées totalement vides suite aux violences et au droit de retrait des enseignants et du personnel de service (lycée professionnel de Chirongui, lycée général de Kahani), Mayotte se prépare à être l’île morte contre la violence pour ce jeudi 22 mars.
Préfet de Mayotte sur le terrain à Kaweni
L’île aux parfums de l’Océan Indien connaît depuis le début de l’année à nouveau des accès de violence y compris contre les touristes. Le syndicat Alliance Police Nationale a décidé de soutenir les policiers de la brigade anti-criminalité de Mamoudzou qui ont manifesté leur ras le bol. Ces derniers se plaignent, entre autres,  d’avoir des véhicules inadaptés et dangereux pour leur mission. Le syndicat policier ajoute: « La colère gronde. Ras le Bol !!!! Nous sommes en situation de rupture ! Absence de moyens techniques adaptés à la réalité de Mayotte et de sa délinquance. Absence d’effectifs. Grande annonce et rien pour la Police Nationale. La guerre contre la délinquance ne se gagnera pas avec une tablette et un joystick! ».
Quant aux élus, ils sont aux abonnés absents. C’est parce qu’ils étaient absents lors d’une réunion des chauffeurs de bus que ces derniers ont radicalisé le mouvement. Concernant les vols avec armes blanches sur les plages ou les cambriolages réguliers, on note il est de plus en plus difficile de faire enregistrer sa plainte à la gendarmerie malgré l’injonction à le faire de la part du préfet. On fait tout, en réalité, pour dissuader de dénoncer les vols comme si on voulait asséner que l’insécurité n’est pas une réalité mais un sentiment. Résultat probant pour le coup : la délinquance aurait diminué de 9 % dans le 101ème département français.

L’Outre-mer, nous l’avons soutenu ici, est un laboratoire. S’y expérimente souvent ce que sera la France de demain

Or l’une des principales inégalités entre les territoires ultra-marins et la métropole, ce sont les chiffres de l’insécurité. L’année 2017 n’a donc pas échappé à la règle. Le rapport officiel du Ministère de l’Intérieur affiche cependant un optimisme plutôt modéré : « Les forces de sécurité enregistrent, dans l’ensemble, plus d’infractions violentes dans les outre-mer qu’en métropole ». Effectivement, dans les Antilles et en Guyane en particulier, le nombre de vols violents par habitant est nettement plus élevé, même si là encore après la hausse spectaculaire de ces deux dernières années, 2017 aurait vu une tendance à la baisse. De fait, en période électorale, on est souvent plus vigilant et en Guyane, la population excédée avait mis l’année dernière la pression par des manifestations sociales d’envergure reportant même un vol d’Ariane. La Guyane bat pourtant toujours les records des vols avec violence avec 7,7 vols pour 1000 ha (taux de 1,5/1000 en métropole). Autre trait particulier de l’Outre-mer, le taux de violences sexuelles en particulier les viols et les violences intra-familiales très fortes sauf à Mayotte qui conserve encore un tissu traditionnel et surtout une omerta par la loi musulmane du silence.

Dans la sphère familiale, le nombre de faits de violence est bien plus élevé dans les Outre-mer qu’en métropole

Tensions sécuritaires en Nouvelle Calédonie
En Guadeloupe, ce taux est, par exemple, deux fois supérieur à celui de l’hexagone. Le taux d’homicide est également plus élevé dans cinq territoires : la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Alors que la métropole a un taux de 0,13 victimes pour 1000 habitants, on déplore 1,0 en Guadeloupe et 1,5 en Guyane. Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna et Saint-Barthélemy sont tranquilles mais c’est loin d’être le cas de la partie française de l’île de St-Martin. Cette île (35 000 habitants officiellement) qui a connu un fort afflux d’immigration illégale provenant d’Haiti et de la République Dominicaine mais qui est aussi un hub du trafic de cocaïne dans les Caraïbes compte un taux de 9,5 vols de voitures pour 1000 ha (taux de 2,5 en métropole) mais surtout une extrême violence armée puisqu’on y enregistre 4,5 vols violents pour 1000 ha et 9,5 victimes de coups et blessures volontaires.

Que faut-il voir derrière ces chiffres ultra-marins plutôt alarmants ?

Comment produire de la richesse matérielle mais aussi intellectuelle dans la peur ? Hobbes avait prévenu : la raison a besoin de la paix civile et de la tranquilité des rues. Sur les questions sécuritaires, le Ministre de l’Intérieur, Gérard Colomb répond aujourd’hui par l’idée  d’une police de proximité au quotidien. Mais qui prendra le risque de s’attaquer fermement aux trafics de drogue qui font en réalité vivre les « chômeurs »? Mayotte connaît par exemple un taux de chômage de 26%, contre 9,2% au national c’est-à-dire qu’on est à 26% de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT). Sur 100 Mahorais en âge de travailler, 38 seulement ont un emploi.
Ce qu’on constate en réalité de toutes parts en outre-mer, c’est en tout cas la dégradation progressive de la situation sécuritaire y compris dans des territoires jusque là relativement épargnés comme la Polynésie française. Partout, la police comme la gendarmerie est complètement épuisée, dépassée, en sous-effectifs. Les technocrates des Ministères ne jurent maintenant que par « se permettre d’essayer autre chose ». Mais quoi, les milices privées, le laisser-aller, armer le citoyen ? L’esprit républicain socle de l’État français s’y opposerait. On retrouve ici l’oxymore fondamental de la situation sécuritaire présente valable aussi pour la métropole en général : plus d’État (régalien) avec moins d’État (économique). C’est la quadrature du cercle de la République en marche.
Il n’y a dès lors aucune piste pour sortir de la crise sécuritaire ultra-marine. Et quand les situations arrivent à des niveaux extrêmes, on finit toujours par tirer à la Thiers sur les classes dangereuses.

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